Depuis plusieurs mois, nos vies quotidiennes ont des allures de bals masqués, mais sans l’ivresse du bal. Le masque qui couvre la moitié de notre visage est-il seulement un masque de protection ? Ne vient-il pas aussi nous dire quelque chose de nous, de nos goûts, de nos attentes, de nos manières de vivre et de consommer ? Une société n’est pas que le fruit d’une vision politique, économique ou sociale, elle est aussi modelée par nos comportements.
Dans le monde de la restauration, la crise sanitaire a accéléré la figure de la Dark kitchen ou Ghost kitchen, soit des restaurants sans salle, réduits à des cuisines où ne seront préparés que des plats destinés à être livrés. Une forme de disparition. Pour les patrons de bars, la tendance ultime s’appelle rooftop, invisible depuis la rue, ou bar clandestin, dont l’accès n’est pas immédiatement visible et nécessite, parfois, un code. Encore de la disparition. Sur les linéaires, les saveurs en trompe-goût sont omniprésentes. Côté salé, les historiques Apéricube et leurs saveurs saumon à l’aneth, poêlée de St Jacques, et même, gambas grillées sont toujours là, rejoints par les chips Bret’s aux saveurs toutes aussi précises : poulet braisé, chèvre piment d’Espelette, côte de bœuf grillée, yakitori… Côté sucré, La Laitière n’est pas en reste, avec ses yaourts à la fraise façon fraisier, poire façon amandine, pomme façon tatin, framboise façon charlotte et abricot façon crumble… Sans parler des boissons sans alcool aux goûts Spritz ou Mojito. Une sorte de mise en abyme. Sur sa carte, un restaurant propose en dessert Fraises et basilic sur l’idée d’un vacherin. Poétique et bien en prise avec l’air du temps.
A bien y regarder, une bonne partie de notre consommation est déjà installée dans une zone immatérielle faite de saveurs et d’idées qui tiennent toujours un peu plus la réalité à distance, pour la réduire à une évocation. Une esthétique de la disparition est bien à l’œuvre. Les masques et les mesures de restriction liées à la crise sanitaire n’en sont qu’une expression supplémentaire. Les corps deviennent des images, les contacts se raréfient, les sens se réduisent. Les mots, et les imaginaires qu’ils convoquent, n’ont jamais été aussi importants.