Il fallait bien que cela arrive. Puisque Emily aime Paris et qu’Arsène Lupin a conduit à Étretat un afflux inattendu de visiteurs, pourquoi ne pas exploiter le filon et faire de chaque série un Office de Tourisme ? C’est ce que s’est dit Atout France, en charge du développement du tourisme en France, en se rapprochant de Netflix pour éditer un guide touristique consacré aux lieux de tournage de ses films et séries. Et voilà la France soudainement devenue un parc d’attraction grandeur nature. L’apogée de la société du spectacle.
Rues transformées, magasins redécorés, habitants déguisés et parfois, même, nom de ville changé (car, ce qui est censé se passer ici est, en fait, tourné là) en échange de fantasmatiques retombées économiques portées par un flot de vacanciers que l’on n’ose pas qualifier de touristes puisque leur motivation n’est plus de découvrir ou d’apprendre, mais de reconnaître, voire de revivre ce qu’ils ont déjà vu sur un écran. Quelle ville pourrait résister à cette perspective bien plus consensuelle que l’installation d’un entrepôt destiné à un acteur du e-commerce ?
Pour éviter les risques de sur-tourisme (il faut penser aux habitants), Netflix et Atout France rassurent : Lupin est aussi passé au musée Nissim de Camondo et au siège du Parti Communiste et Emily a pris le train pour une escapade en Provence. A quand un Guide Emily in France avec ses parcours et ses « adresses secrètes » ?
Certains esprits chagrins voient là un crime de lèse-majesté : la dépossession de notre souveraineté narrative par une plateforme américaine et notre soumission à des valeurs stéréotypées (la gastronomie, les arts de la table, l’élégance, l’amour) qui ne raconteraient plus notre actualité. Rappelons que beaucoup de pays aimeraient les posséder et que ce n’est pas parce que ces valeurs sont apparues il y a des siècles qu’elles sont dépassées. Au contraire. Les voir toujours aussi désirées et désirables est le signe de leur force.
Elles sont sans doute réductrices mais leur pouvoir d’attraction est assurément plus puissant que celui de la Fintech ou des nouvelles technologies qui contribuent aussi à notre fierté. « On n’a pas fini d’inventer la France » souligne Netflx dans un spot réalisé pour l’occasion. Voilà le défi. A chaque ville d’attirer l’inspiration et les histoires pour enrichir notre perception nationale… et permettre une meilleure répartition des visiteurs.
Pourquoi le grand récit national que certains appellent de leurs voeux ne serait-il pas davantage sur les écrans que dans les discours politiques ?