Le carton cinématographique du moment, avec plus de six millions de spectateurs et aucune tête d’affiche, s’appelle « Un p’tit truc en plus ». Difficile d’échapper à cette comédie feel-good construite sur la rencontre entre le monde « normal » et celui des déficients mentaux. Même ceux qui ne l’ont pas vu ont été confrontés aux diverses analyses de son succès puisqu’il est établi que celui-ci est toujours révélateur de l’état de la société à un moment donné. Pourquoi pas, même s’il peut aussi venir de la seule présence d’un acteur(trice) apprécié(e), de sa nature même (saga, blockbuster, déclinaison…) ou d’un budget lui permettant d’occuper le devant promotionnel.
Rien de tout cela ici. Le film vient donc nous livrer sa photographie de l’état émotionnel du moment et les experts de tous poils n’auront aucun mal à y lire l’expression ultime d’une envie de vivre ensemble qui, au fil du temps, dérive lentement d’une indifférenciation des origines vers une acceptation des différences. Une manière de s’extraire d’une société polarisée, structurée par les antagonismes, et le rappel du pouvoir apaisant (thérapeutique ?) du cinéma comme sortie pratiquée en groupe ou en famille, toutes générations mêlées.
Le film aurait pu s’appeler « Un p’tit truc de différent », mais il a préféré « Un p’tit truc en plus ». Un choix qui ne doit rien au hasard tant la différence est aujourd’hui envisagée comme un « plus » vertueux. Les marques le savent bien, elles qui, depuis toujours, sont en quête de différence (la fameuse Unique Selling Proposition) pour affirmer leur identité. Les voilà qui, désormais, recherchent, elles aussi, « un p’tit truc en plus » à proposer à leurs acheteurs. Un p’tit truc venu de nulle part qui viendra les étonner et rendre impossible toute comparaison de leur offre avec celle de leurs concurrents. Une collab’ inattendue, une proposition décalée, une promesse exclusive ou immersive, une offre numérotée ou limitée dans le temps. Place à l’imagination.
Et qui sait si elles ne finiront pas, un jour, par inciter leurs consommateurs, à eux aussi, « faire un p’tit truc en plus », plutôt que de produire des discours qui les entretiennent dans l’idée qu’ils peuvent affirmer leur personnalité et « se révéler » en ne faisant rien d’autre que conduire une voiture d’un air inspiré ou acheter la dernière paire de sneakers du moment. Sois toi-même, OK, mais en faisant, toi aussi, un p’tit truc en plus. Pour les autres ou pour la planète, par exemple.
So What ?
Dans un monde où la différence est érigée en vertu, n’est-il pas temps que celle-ci passe davantage par l’action collective que par l’affirmation de soi ? Du Moi-je au Moi-nous…