Bien connu des ethnologues (et des fans de Serge Gainsbourg), le « culte du Cargo » décrit les artifices et rites que les habitants de Papouasie (un million d’habitants ignorés du monde jusqu’en 1930, date de leur découverte par deux explorateurs australiens partis à la conquête de l’or) imaginèrent pour attirer à eux les richesses des explorateurs qu’ils voyaient débarquer et dont ils ne comprenaient ni la langue ni les coutumes.
Quel était donc ce Dieu capable de fournir autant de choses merveilleuses, vêtements, nourritures, outils, médicaments ? se demandaient-ils. Des quais furent alors aménagés et des pistes d’atterrissage sommairement défrichées dans l’espoir que bateaux et avions viennent y décharger les marchandises tant convoitées. On construisit des tours de contrôle en bambou, on fabriqua des avions en paille, on bricola des talkie-walkies factices car on avait vu des militaires commander par ce système l’arrivée du cargo… mais les largesses escomptées n’arrivèrent jamais…
Comment ne pas penser à ces Papous en observant aujourd’hui le commerce de détail et de la restauration en centre-ville ? Comme eux, les enseignes font tout pour nous interpeler. Certains magasins de prêt-à-porter posent devant leur vitrine une table et deux chaises, d’autres, sortent un olivier, un laurier rose, une plante verte ou des boules de buis, des petits meubles chargés de coussins et de bibelots soldés, parfois un kakémono. Les plus désireux d’attirer l’attention vont même jusqu’à installer sur le trottoir une chaise longue ou un fauteuil « Emmanuelle » comme des invitations à s’y faire photographier. Les points de vente de fleurs en self-service diffusent des chants d’oiseaux enregistrés pour nous étonner et, depuis la crise sanitaire, des ours en peluche géants se sont installés dans les vitrines des restaurants. Les menus n’y sont d’ailleurs plus affichés mais posés sur une table mise sur le trottoir, des guirlandes façon guinguettes ornent leurs terrasses et de très contestables fleurs en plastique sont accrochées sur leurs façades.
L’objectif est à chaque fois le même : attirer l’attention. Des enfants, des badauds, des touristes dont les boussoles s’appellent Instagram ou Tiktok, pour les inciter à photographier, à liker, à follower, à laisser des commentaires. La nouvelle manne. Le nouveau fuel de l’économie. Née sur les écrans, l’économie de l’attention a fini par atterrir sur nos trottoirs et concerne désormais le commerce.
So What ?
Après les parts de voix, les parts de vues. Une nouvelle mesure de la performance des enseignes émerge, comme un appel à l’imagination (la vraie). Qui s’en plaindrait ?