Il est où le concept ?

Il y a peu, on découvrait coup sur coup, les dernières productions publicitaires de Picard et de La Redoute. Deux marques familières, aimées, installées dans le coeur et l’esprit des Français qui, pourrait-on penser, n’ont plus besoin de se présenter. Simplement de venir expliquer leur raison d’être en cette période où la parole des marques est de plus en plus suspecte et le sens de la consommation questionné.

Chez Picard, finies les sempiternelles images de bols et d’assiettes, place aux « vrais gens » (vus par la pub) qui défilent devant la caméra, accueillis par un Bienvenue fédérateur qui ne doit surtout oublier personne. Bienvenue à toi qui n’attends pas la saison pour que ce soit la saison, aux fans de légumes motivés (comprenez, les végétariens) qui n’ont rien contre un burger, à toi qui n’habites pas un palais, etc. Le film s’achève par l’indispensable compartiment RSE mettant en scène collaborateurs, fournisseurs et producteurs, bien séparé de la partie dédiée aux consommateurs, ce qui n’est pas sans poser de questions…

Du côté de La Redoute, on continue de décliner la fibre sociétale émotionnelle qui constitue désormais son territoire d’expression. Après les relations parents-enfants au sein des familles recomposées, voici le temps des relations fraternelles. Deux frères qui se chamaillent et s’aiment bien. Le grand quitte la maison et laisse sa chambre au plus petit. Une histoire simple et « authentique » racontée en une minute et au cours de laquelle La Redoute ne manque pas une occasion ne nous proposer quelque chose à acheter.

Ces deux films incarnent parfaitement la manière dont les marques aiment aujourd’hui se voir : inscrites dans le quotidien, s’adressant à tout le monde (obligation d’inclusivité) et au service de la vie. Une ambition qui vise l’universel au risque de perdre le spécifique. Le film Picard aurait-il été différent s’il avait été signé par Carrefour ? Et le film La Redoute par Amazon ? Quel est le rôle de Picard ? De donner envie, de surprendre, de faire découvrir. De transformer ses clients, de les emmener dans un ailleurs à eux-mêmes et non de les laisser où ils sont dans leur diversité et leurs vérités. Expliquer le rôle de La Redoute comme marketplace doit-il nécessairement passer par l’idée que la consommation permet toutes les réparations affectives, idée un peu dérangeante au moment où l’on cherche partout le sens et la responsabiité ?

Que construisent finalement ces marques pour elles-mêmes ? Où sont passés les concepts qui font les territoires des marques ?

Rencontre

Le philosophe urbain Charles Pépin a récemment publié un ouvrage sur la rencontre (« La rencontre, une philosophie » aux éditions Allary) où il dissèque ce moment si particulier, à coups de références philosophiques choisies (Sartre, Aristote, Hegel…) assorties d’anecdotes empruntées à l’histoire du rock et de l’art, manière d’assurer sa modernité cool. Pas si facile que ça, commence-t-il, de faire des rencontres quand toute la logique des algorithmes qui sévit sur les réseaux nous renvoie toujours vers ceux qui nous ressemblent et que les selfies altèrent notre façon de nous présenter au monde…

L’auteur aborde la rencontre amoureuse. Forcément. Amicale ou professionnelle. Evidemment. Mais pas la rencontre avec les marques. Dommage. Et pourtant. Que se passe-t-il chaque fois que nous achetons quelque chose si ce n’est une rencontre ? La vraie rencontre a lieu quand on comprend que l’on ne se suffit pas à soi-même,explique l’auteur. Voilà le rôle des marques défini d’une manière aussi inattendue que pertinente. La marque est, à travers ses produits, un complément de soi. Elle vient se substituer à une incompétence ou à une non-maîtrise. C’est la marque service. Elle vient éclairer, expliquer, argumenter, nous renseigner sur son histoire et sur les origines de ses produits. C’est la marque pédagogique. Elle vient corriger, réparer, rééquilibrer. C’est la marque citoyenne.

Le vrai critère de la rencontre, poursuit l’auteur, c’est le changement. Si je reste le même qu’avant la rencontre, c’est qu’il n’y a pas eu rencontre précise-t-il. N’est-ce pas (trop) souvent ce qui nous arrive lorsque nous achetons une marque ? N’allons-nous pas même, parfois, jusqu’à ignorer le nom de la marque du produit que nous venons d’acheter ? La vraie fonction (souvent oubliée) d’une marque est de nous transformer. En la fréquentant, nous devons voir le monde différemment, faire évoluer nos valeurs et nos outils d’évaluation, nous sentir plus forts, plus séduisants, plus conquérants, plus cultivés, plus sensibles.

Il y a dans la rencontre, ajoute encore l’auteur, le socle d’une surprise et, simultanément, la sensation d’une familiarité qui suppose d’être disponible à ce que l’on n’attend pas. Une expérience de l’altérité et un sentiment de retrouvailles. Un pied dans le connu et un autre dans l’inconnu. Une promesse rassurante de voyage dans l’univers de l’autre.

Un croquis de mémoire

Dans les milieux autorisés, on parle beaucoup de branding. Inutile d’expliquer ici, nous sommes entre pros… Le « blanding » demeure en revanche largement méconnu. Il concerne pourtant tout autant le petit monde de la marque. Le blanding, que l’on pourrait rapidement définir comme le contraire du branding, consiste à affadir (to bland) l’ADN d’une marque en ayant recours aux mêmes choix typographiques que les autres intervenants de son secteur d’activité. Le blanding est particulièrement visible dans le monde du luxe où toutes les typographies se sont simplifiées au fil du temps pour se délester de toute appartenance culturelle. Ce travail est souvent produit par les mêmes studios d’identité graphique, Peter Saville et Borsche, décrétés lieux de la modernité visuelle. Il est amusant que constater que les marques de mode, qui ne cessent de prôner l’affirmation de soi et la singularité, sont précisément celles qui optent pour le neutre et le consensuel lorsqu’il s’agit de définir leur propre identité…

Dans ce contexte consensuel destiné à séduire les Millenials du monde entier, la récente collaboration entre la vénérable maison Louis Vuitton et l’artiste trublion Urs Fischer a des allures de bonne nouvelle. Voilà l’iconique logo LV malmené par l’artiste pour le plus grand bien de la marque. La preuve que le logo n’est pas toujours aussi intouchable qu’on le dit et qu’il n’a pas, non plus, la même fonction qu’un nom. Le nom, c’est l’identité de la marque. Son logo, la manière dont elle a décidé de se présenter. Pourquoi une marque se présenterait-elle toujours sous le même jour en cette époque où chacun est animé (parfois obsédé) par l’idée de se réinventer ?

Contrairement aux autres projets initiés par la maison de luxe avec des artistes, l’intervention de Urs Fischer ne s’est pas limitée à réinterpréter des sacs best-sellers, histoire de leur donner un vernis culturel. L’artiste est ici aussi intervenu sur les vêtements, les sneakers et même sur la mise en scène des vitrines et l’animation des réseaux sociaux via la conception de vidéos ludiques. Cette liberté n’est pas si fréquente. Mais le plus inattendu et le plus remarquable est son travail sur le monogramme. Partant du principe que celui-ci était universel, l’artiste a choisi de le reproduire à la main, comme un « croquis de mémoire » ainsi qu’il l’explique dans la presse. Une irrégularité revendiquée comme trace de l’homme dans un monde standardisé. Un souvenir de logo plutôt qu’un logo reproduit à la perfection. Une manière de nous dire que le logo nous appartient puisqu’il est dans nos têtes.

Rétro-viseur

Il fut un temps où imaginer le futur, c’était imaginer des formes futuristes comme si une apparence différente suffisait pour nous faire oublier ce que nous connaissons. Cela n’est plus nécessaire. Au contraire. Inventer demain peut aussi consister à revisiter hier. Ceux qui s’imaginaient se déplacer à bord de soucoupes volantes en l’an 2000 ne se sont-ils pas retrouvés sur une trottinette ?

Il y a peu, Renault organisait une grand-messe pour présenter ses concept-cars porteurs de sa vision du futur automobile. Le moment était baptisé « Renaulution », signe de son ambition, mais le plus révolutionnaire fut sans aucun doute d’y découvrir une réinterprétation de l’iconique Renault 5. Parions que dans dix ans, ce sera au tour de la 4 CV de se voir propulser dans la machine à avancer dans le temps. Pour les moins de trente ans, rappelons que la Renault 5 fut l’un des plus grands succès de la firme au losange, sortie en 1972 et vendue à plus de 5 millions d’exemplaires jusqu’à sa disparition en 1984.

Il y a deux ans, Peugeot présentait un concept-car très inspiré de son légendaire cabriolet 504 qui hanta lui aussi les années 70. Il y a peu, c’était son nouveau logo, assez proche de celui qui ornait les calandres de ses 404 en 1960 qui était dévoilé. Soulignons que le nouveau patron de Renault vient de chez Fiat où il a contribué au revival de la Fiat 500. « L’âme d’un constructeur est dans ses racines » déclare-t-il aujourd’hui à la presse. En effet.

Certes, la néo-Renault 5 est forcément électrique car nous sommes en 2021. Mais pour le reste, la silhouette est immédiatement identifiable avec, en plus, deux petites affèteries révélatrices de notre époque : des drapeaux français sur ses rétroviseurs (cocorico) et des logos avant et arrière qui s’illuminent (le design émotionnel). Tous les ingénieurs automobiles sont capables de dessiner des voitures aux lignes futuristes. S’ils ne le font pas, il faut se demander pourquoi.

Il souffle en ce moment un vent vintage dans les esprits et sur tous les marchés. Comme un besoin de se rassurer en période de crise sanitaire. Comme une manière de dire stop aux innovations épuisantes par l’énergie qu’elles nous demandent pour nous adapter. Comme une envie de se souvenir d’une époque plus légère. La nostalgie n’est décidément plus ce qu’elle était. Elle est en train de devenir une condition du futur.

L’année du chien

Si les chats continuent de hanter les réseaux sociaux par leurs mimiques inattendues et attendrissantes, sur les trottoirs du monde réel, ce sont actuellement plutôt les chiens qui l’emportent. Le phénomène a commencé il y a un an, durant la saison 1 du confinement. Le chien est alors devenu synonyme de passeport pour la liberté puisqu’il permettait à tous ceux qui en avaient un au bout de la laisse de sortir aussi longtemps qu’ils le souhaitaient. Le chien est bien le meilleur ami de l’homme. Depuis, l’attrait pour la race canine n’a pas failli, au point de devenir un phénomène de société. En tête de liste des « it dogs » figurent le husky, le shiba-inu, le carlin et même le doberman. Des chiens cool et hype.

Les raisons de leur succès abondent. Le télétravail, tout d’abord, qui a rendu possible la perspective de les sortir trois fois par jour. Sans doute l’effet collatéral le plus inattendu de cette nouvelle organisation. La solitude en ville, ensuite, puisque, par leur présence vivante, les chiens réduiraient le niveau d’anxiété et de dépression de leurs propriétaires. Le chien est aussi un animal social, parfait  pour faire connaissance avec celles et ceux qui sont forcément nos voisin(e)s. Il peut se révéler aussi efficace qu’une application de rencontres… Un chien est enfin un avant-goût de campagne, une perspective de longues promenades, un morceau de nature à lui tout seul. Des arguments qui sonnent bien à l’oreille de tous ceux qui ont décidé de fuir la ville et de se mettre en quête d’un peu de verdure. Au Royaume-Uni, on parle de « lockdown puppies » pour décrire ces chiens qui se sont installés dans nos habitudes et nos intérieurs. En France, les articles consacrés au phénomène ne manquent pas et viennent rappeler que, face à la demande, les prix s’envolent… tout comme le nombre d’incivilités urbaines liées aux déjections canines…

Le chien a ainsi progressivement glissé du statut d’animal de compagnie à celui d’accessoire de mode, voire de signe de richesse. Comme les sneakers, les AirPods et les sacs à mains. Pourquoi échapperait-il au penchant de notre époque consistant à traquer la moindre forme de spontanéité comportementale pour aussitôt la convertir en rite, code et signe permettant à chacun de se situer par rapport à l’autre ?

Astrorassurant

Quoi de neuf ? L’astrologie. Jamais l’horoscope n’aura autant attiré l’attention. Et le phénomène ne touche pas seulement les plus de 65 ans qui ont connu Madame Soleil. Selon une enquête YouGov/Fémina d’août 2020, 46% des 18-24 ans assurent croire en l’astrologie et affirment avoir pris une décision en fonction de leur horoscope. Rien de très étonnant de la part des Millennials et des Z puisqu‘ils ont grandi avec la mythologie, les astres et les créatures surnaturelles, qu’il s’agisse du manga Les Chevaliers du Zodiaque, de la série Charmed, de Harry Potter ou du Seigneur des Anneaux.

Ces souvenirs, qui ont déjà valeur de nostalgie, se retrouvent aujourd’hui d’autant plus facilement dans leur esprit que les réseaux sociaux ne cessent de les leur rappeler et de les faire vivre. Pour eux, jamais le passé n’a été aussi présent. Sur TikTok, l’astrologie prend la forme de prédictions plus ou moins ironiques et d’infographies très second degré, pop culture oblige. Sur l’application Co-Star, thème astral et données de la Nasa sont mixés pour décrire l’ambiance du moment. Le monde de la mode, toujours à l’affût de tout ce qui bouge, n’a pas tardé à se saisir de cette tendance. Récemment, Dior faisait défiler des mannequins habillés de robes ornées de figures du tarot divinatoire, Maje présentait une collection baptisée Astro Club, Sézane, des T-shirts Astro Love et Maison La Bougie, une collection Zodiac. Il souffle actuellement comme un vent divinatoire.

Les sociologues ne manqueront pas d’y lire, outre un désir d’évasion et de perspectives en ces temps qui en manquent tant, un besoin de se rassurer et de donner du sens à sa vie à travers une grille de lecture de son propre monde. Quoi de plus rassurant en effet ? Les prédictions astrologiques auraient ainsi pour vertu d’offrir à ceux qui doutent la sensation d’être soutenus dans leurs prises de décisions par des réponses où fusionnent passé, présent et futur. Les marques rêveraient de pouvoir profiter de tant d’avantages. Ne sont-elles pas, elles aussi, souvent associées au doute (est-ce bien ce dont j’ai besoin ? Ai-je fait le bon choix ?) et à la construction de l’identité ? N’ont-elles pas, elles aussi, un passé, un présent et un futur ? Pourquoi, alors, ne pas leur associer une dose d’irrationnel ?

La conjonction Jupiter-Saturne en Verseau porte actuellement des signes d’espoir, mais il flotte dans les astres un climat de crise pour les prochaines années à venir. Encore un peu de patience.

Moment de partage

La presse nous apprend que, depuis un an, le puzzle ne s’est jamais aussi bien vendu. Remis au goût du jour par le premier confinement, son succès n’aurait toujours pas faibli. + 63% entre janvier et novembre 2020 en France. Aux dires de l’éditeur Ravensburger, les modèles qui se vendent les mieux sont les 1000 pièces représentant des paysages idylliques. Une manière de s’échapper comme une autre. Cette puzzlemania est telle qu’il existe désormais des puzzle déco ou écolo, chics et forcément instagramables. Coïncidence ou non, on apprend que le tricot effectue également un retour en force justifié, lui aussi, par le confinement et le couvre-feu (il viendra un temps où l’on égrènera toutes les vertus de la crise sanitaire…) et porté par une conscience responsable, voire par la recherche de confort ou d’une activité manuelle apaisante en ces temps troublés…

Puzzle d’un côté et tricot de l’autre suffisent à esquisser un portrait de la France en ce début d’année 2021. Rappelons que la tisane avait déjà refait surface dans les soirées bobos et que la poterie est, depuis cinq ans, considérée comme le loisir créatif le plus branché du moment (conséquence : l’esprit poterie et le style rustique occupent désormais tout le monde de la déco). Aucune marque ne peut rester indifférente à cette vague de cocooning forcé. Il est même de leur devoir d’y trouver leur place.

Pour preuve, l’initiative de Milka qui, à l’occasion ses 120 ans (déjà !) propose une nouvelle tablette avec, à la place de son traditionnel logo apposé sur ses carrés, des petits mots tendres pour s’échanger des messages au moment de la dégustation. Une édition limitée disponible jusqu’en juillet prochain. On aurait pu aussi imaginer des carrés en forme de dominos ou de pièces de Scrabble. Derrière cette idée, c’est tout l’imaginaire de la consommation partagée qui est convoqué et mis en scène. Il fut un temps où les marques aimaient valoriser le plaisir gourmand associé à leurs produits. La consommation égoïste se traduisait alors souvent par un « si bon qu’on ne partage pas » capable de conduire à toutes sortes d’expressions créatives. Inutile de préciser que ce comportement est aujourd’hui moins bien accueilli. Depuis plus d’un an, la consommation se doit d’être au service du lien, qu’il soit familial, local ou social.

Je consomme, donc nous sommes est définitivement l’idéologie du moment et ce ne sont pas les réseaux sociaux qui viendront dire le contraire.

De Dé- en Re-

Côté cuisine, une des tendances, parmi les nombreuses du moment, consiste à désucrer ses desserts. Désucrer ne signifie pas réduire ou supprimer le sucre, mais trouver des alternatives au sucré raffiné. Il peut s’agir de sucres naturels (présents dans les fruits, le miel, les dattes…), d’édulcorants extraits de plantes (stevia, sucre de bouleau…). Ailleurs, il s’agit de débitumer, de dédensifier ou de désaturer la ville pour faire face à la montée des températures dûe au réchauffement climatique. Signalons aussi le mot qui, en ce moment, compte triple au Scrabble de la modernité : déconstruire. Les intellectuels en raffolent. Surtout quand il s’agit de s’attaquer aux croyances et autres préjugés capables de nourrir des conspirations en tous genres… Comme si le « dé » était devenu un remède à nos excès, le signe de notre envie de nous éloigner de ce que nous connaissons. Comme s’il nous suffisait de changer nos manières de faire pour changer notre vie et tourner la page. Pourquoi pas.

L’étape d’après est celle du « re ». Celle de la reconstruction. Là aussi, les mots abondent. Du côté des urbanistes, on aime la perspective de re-naturer et même de ré-ensauvager la ville (à condition que cela ne provoque pas d’émeutes…) par l’engazonnement des terre-pleins de tramway, l’installation de potagers sur les toits et bientôt de micro-forêts urbaines appelées à devenir nos nouveaux squares. Chez les économistes, on affectionne tout particulièrement l’idée de rebooter notre système, de « remettre les compteurs à zéro » et de « changer de logiciel ». Une attitude qui serait à notre société ce que la touche Reset est à nos petits tracas informatiques : le geste qui sauve. Quant au monde du marketing et de la com’, il n’est pas exagéré de dire que, depuis quelques années, tous ceux qui le fréquentent sont un peu shootés à l’idée de ré-enchanter le quotidien, manière de donner aux marques et aux enseignes le rôle de magiciens qu’elles n’auraient jamais rêvé endosser. Le ré-enchantement s’est substitué à la révolution des grands soirs. Plus immédiat et facile à mettre en œuvre.

Un coup de « dé » pour oublier le présent, un coup de « re » pour se donner l’illusion d’un nouveau départ. Ainsi va le monde.

L’art du commerce

Cela fait longtemps que le commerce tourne autour de l’art. Hier, c’était Colette qui organisait des expos (plus de 300) dans son concept-store. Aujourd’hui, c’est au Bon Marché que cela se passe (actuellement, une installation de Prune Nourry : L’Amazone Erogène), mais aussi au centre commercial Polygone Riviera, à Cagnes-sur-Mer, avec son parcours d’art contemporain, ou dans les magasins de luxe (YSL) et de prêt-à-porter haut de gamme (Zadig & Voltaire) aux parcours clients jonchés d’œuvres contemporaines. Les collaborations entre marques et artistes (peintres, musiciens, sculpteurs) ne cessent de se multiplier pour produire des séries limitées ultra désirables. La semaine dernière, Uniqlo signait un accord de quatre ans avec le musée du Louvre pour proposer une collection de T-shirts et de sweat-shirts arborant ses chefs œuvres. Mentionnons aussi le succès des expos organisées par les marques de luxe comme, en 2018, la rétrospective Dior au Musée des Arts décoratifs (700 000 entrées) ou celle consacrée au savoir-faire de Gabrielle Chanel au Palais Galliera.

Les chaussures J.M. Weston leur emboîtent le pas. Rien d’étonnant quand on sait que son directeur artistique, Olivier Saillard, fut longtemps commissaire d’exposition… Un recrutement aussi inédit qu’osé qui devrait inspirer de nombreuses entreprises au moment où tous les DRH n’ont que les mots « soft skills » et « profils singuliers » en bouche… Weston, donc, s’apprête à transformer un de ses magasins du Marais en Galerie Weston. Pas pour y exposer ses chaussures ou ses nouveautés, mais pour proposer à ses clients une réflexion sur ses créations. « On me reprochait de faire des expositions trop commerciales… aujourd’hui, je veux faire de l’étalagisme culturel en montrant la chaussure non portable, celle qui parle de la marche ou de l’immobilisme » déclare Olivier Saillard sur Instagram.

Visiter une expo en ayant une marque en tête, comme un filtre, telle est la singularité de l’expérience proposée. Oublier le produit pour n’évoquer que l’objet, considérer la marque comme un sujet, aborder le temps comme une période, telle est la petite leçon de marketing que l’on peut en retirer au passage.

Feuilles de chou

Une lecture attentive de la presse spécialisée nous apprend que le géant de l’affichage JC Decaux est en train d’expérimenter la vente de fruits et légumes dans un kiosque à journaux délaissé. Après avoir été longtemps emballés dans du papier journal, les légumes trouvent là de quoi se venger… L’idée est de donner  une nouvelle vie aux kiosques de presse. C’est à se demander si, au cours de cette décennie, quelque chose aura échappé à la tentation de la réinvention. L’injonction touche aussi chacun de nous, dans nos vies professionnelles comme quotidiennes, puisque nous devons, sans cesse, apprendre de nouveaux gestes… La crise sanitaire n’a pas ralenti le phénomène…

Depuis le 16 janvier, le kiosque de la place Aristide Briand à Meudon propose ainsi 76 casiers connectés réfrigérés pouvant accueillir les fruits et légumes de saison sélectionnés par la startup La Clayette (ça ne s’invente pas), 7 jours sur 7 et de 6h à l’heure du couvre-feu. Le tout, bien sûr, avec la complicité de la municipalité qui y voit là l’opportunité de mettre en œuvre sa vision de la « ville service » ou « ville du quart d’heure » fondée sur la proximité et imaginée pour éviter les déplacements polluants de ses habitants. Ouvrir le champ des possibles, c’est aussi ouvrir le possible des champs. Meudon en fait la preuve.

A Paris, on a vu apparaître en 2013 une enseigne baptisée « Au bout du champ » (14 points de vente aujourd’hui) qui annonçait ainsi clairement son ambition de permettre aux Parisiens d’accéder à la fraicheur et à la vérité de la nature. Depuis quelques années, la SNCF met les quais de ses gares à la disposition des « petits producteurs » (l’équivalent actuel des « jeunes créateurs » des années 80-90) pour qu’ils puissent rencontrer les voyageurs. Voilà maintenant les kiosques détournés. Certains diraient «réenchantés » puisqu’à défaut de pouvoir (vouloir) changer le monde, il est toujours possible de le réenchanter. 

Certains kiosques parisiens avaient déjà revêtu les habits de conciergerie de quartier sous la bannière « Lulu dans ma rue » avec l’idée (maline) que de petits travaux de la vie quotidienne pouvaient être réalisés par des habitants du voisinage. Une autre manière de faire connaissance. Demain, ils seront peut-être dédiés aux fruits et légumes comme à Meudon…