Le mur du son

Conscientes de la nécessité de faire de chaque visite dans leurs magasins une expérience qu’elles souhaitaient aussi forte que différenciante, les enseignes avaient ajouté à leur panoplie de moyens, plus ou moins technologiques, la définition d’une signature olfactive. Certaines n’hésitaient pas à la décliner sous forme de bougies ou de parfums d’ambiance disponibles à la vente, manière de continuer à exister une fois les achats faits. L’idée avait été reprise par les hôtels et même par certains acteurs de net comme Sézane (incontestable leader en bonnes idées) qui a pour habitude de parfumer ses colis de la senteur qu’elle diffuse dans ses lieux de vente. Ou comment, en temps de crise sanitaire, permettre à ses clients d’éprouver à domicile ce qu’ils apprécient habituellement dans les magasins. Malin.

Depuis peu, après le mur des odeurs, c’est le mur du son qui est franchi. Sur Apple Music, la marque Fenty créée par Rihanna invite des artistes à partager leurs ambiances sonores à travers des playlists dédiées. Chez Balenciaga, le créateur Demna Gvasalia y propose treize heures de musique, tout comme Balmain qui trouve là l’opportunité de prolonger l’ambiance de ses boutiques et de ses défilés auprès d’un large public. Récemment, Harper’s Bazaar US a même engagé un « music director » en charge de définir les meilleures conditions sonores pour accompagner la lecture de ses publications…

Dans un univers plus mass market, signalons aussi, à Londres, l’initiative de la micro-brasserie Signature Brew qui proposait récemment avec sa Christmas Box, une sélection de bières de prestige agrémentée de snacks et d’une playlist Spotify de Noël, concoctée par des journalistes musicaux. Chaque morceau avait été choisi pour accompagner une bière. 

Un peu de flair laisse penser que ce traitement musical des marques n’en est qu’à ses débuts. Tout d’abord, parce qu’elles ont largement fait le tour du visuel : logos, packagings, architecture et décoration des magasins n’ont jamais été aussi sophistiqués, signe que les marques possèdent désormais une bonne culture graphique et conceptuelle. Mais surtout parce que les générations qui arrivent ont grandi avec la musique considérée comme un moyen d’expression personnelle au même titre que les vêtements et le maquillage. L’iPod est né en 2001 et Spotity en 2006 : comment, en 2021, une marque pourrait-elle se passer de musique pour s’adresser à ceux qui bâtissent l’avenir ?

Le poids des mots

Vendredi soir. TF1. District Z, l’ultime jeu imaginé par la chaîne pour occuper la dernière soirée de la semaine ouvrée. Les marques partenaires du programme apparaissent les unes après les autres. Parmi elles, Fleury Michon. A l’écran, un four s’ouvre pour y dévoiler un plat. « Savourez votre divertissement avec le parmentier de saumon Fleury Michon gratiné lentement dans sa barquette en bois du Jura ». Soudain, un résumé de notre époque en forme de recette. 

Un parmentier de saumon. Un plat familial, roboratif et consensuel, économique et généreux. Comme une promesse d’abondance réconfortante dans un environnement malmené par l’incertitude et les restrictions de liberté. Gratiné lentement. Le bruit du gratin devient presque audible. On le devine se gondoler sous la chaleur du four. Presque comme dans une vidéo ASMR, cette sous-culture consistant à créer des sensations de bien-être à partir d’images associées à des bruits à peine perceptibles. On imagine le gratin passer progressivement de jaune à brun. On le fixe comme on regarderait une bûche se consumer dans l’âtre d’une cheminée. Hypnotique. La saveur du saumon mêlée au fromage fondu commence à nous envahir.

Un parmentier gratiné lentement dans un monde où tout va trop vite est comme une promesse de pause bienfaitrice, une parenthèse enchantée. Voilà, à présent, la barquette en bois du Jura. Le Jura, ses forêts, son air vivifiant, la chaleur de ses habitants et de leurs habitats. La barquette en bois synonyme de conscience écologique, de valeurs, de qualité et d’engagement. Autour de la table, Greta Thunberg est un peu avec nous ce soir. Les Boomers, aussi, ont une conscience. Et quel plus noble écrin offrir à un parmentier de saumon prêt à aller se faire gratiner lentement qu’une barquette en bois du Jura ?

Ce n’est pas un plat que vient nous proposer Fleury Michon, mais la recette du bonheur en période de crise sanitaire. Des moments chaleureux et généreux pour oublier l’actualité, un temps ralenti pour reprendre possession de nous-mêmes et une pensée pour la planète, pour nous souvenir que de son état dépend notre avenir. On aimerait tant que la vie ressemble à un parmentier de saumon gratiné lentement dans sa barquette en bois du Jura. Merci Fleury Michon.

Faire c’est comprendre

Une lecture attentive de la presse nous apprend que la Maison Empereur, la plus vieille quincaillerie de France située à Marseille, vend une baratte à beurre par semaine dans son magasin et que l’appareil est même en rupture de stock sur son site. De façon générale, jamais les quincailleries n’ont été autant visitées, faisant des pèle-pommes, des moulinettes à persil, des passoires en métal, des passe-légumes et autres casseroles en cuivre, les ultimes objets de convoitise. Pas de doute, le retour de la cuisine de grand-mère est bien là, ce que nous confirmait déjà leur omniprésence sur les cartes des restaurants et les comptoirs des librairies.

On a connu le temps des machines, voici (re-)venir celui des instruments. La nuance n’a rien d’anecdotique et les raisons de cette évolution se bousculent. Ces instruments sont loin d’être des gadgets. Ce sont des technologies simples, intuitives et peu onéreuses qui ne tombent pas en panne et restent faciles à entretenir. Un avantage incontestable en ces temps dominés par le responsable et le durable autant que par la défiance envers les marques soupçonnées de crime d’obsolescence programmée.

Les instruments nous offrent ainsi l’opportunité de comprendre nos gestes quand les machines nous imposent leurs fonctions. Dans une machine à café, nous introduisons une capsule dont le contenu reste un mystère. Dans une cafetière, nous déposons la quantité voulue d’un café que nous avons peut-être préalablement moulu. Pour expliquer le retour en grâce de ces ustensiles, on pourrait également  évoquer l’engouement actuel pour les brasseries, bouillons et autres auberges, eux aussi associés à un imaginaire culinaire rétro. Nappes à carreaux, plats vintage et cocottes en fonte, même combat.

Et puis, n’oublions pas un des rares effets positifs de la crise sanitaire : pendant le confinement, les Français ont retrouvé le chemin de leur cuisine et renoué avec un temps où la préparation des plats signifiait partage et mémoire des gestes. Leur regard est, depuis, devenu plus affûté et leurs attentes plus élevées face à leur assiette. Acheter tout-prêt, c’est accepter d’ignorer les origines au nom de la praticité. Faire par soi même, c’est comprendre et prendre conscience. Un changement qui ne sera pas sans effets sur la relation marque-consommateur.

Tout doit disparaître

Dans le monde d’hier, début janvier rimait avec début des soldes. Chacun avait eu le temps de réfléchir à ce qu’il allait «s’offrir» et se débrouillait pour être parmi les premiers dans la file d’attente avant l’ouverture du magasin visé. En ce temps-là, on ne faisait pas seulement la queue pour se faire tester ou pour entrer dans une boulangerie. C’est peu dire que la crise sanitaire a modifié l’économie du commerce.

On sentait bien, déjà, que les soldes avaient du plomb dans l’aile, torpillés par les «soldes privés» et autres «journées privilèges» conçus pour créer un sentiment valorisant chez ceux qui y sont conviés. Depuis la fin du premier confinement, jamais autant de nouvelles formes de soldes n’ont fait leur apparition. On découvre des «soldes solidaires» permettant à la fois de faire de bonnes affaires et de verser son obole au personnel soignant ou à une association. L’achat «bonne conscience» parfait. Ou encore des ventes «d’archives» à prix réduits comme chez Sézane où, chaque premier mercredi du mois, une sélection de la précédente collection est mise en ligne à prix réduits. Des rendez-vous fédérateurs pour la communauté qui a ainsi l’impression d’accéder à une exclusivité. Pas bête.

Certaines enseignes vont jusqu’à demander à leurs clients de choisir eux-mêmes le pourcentage de remise. D’autres font de leur refus des soldes un acte militant contre une surconsommation devenue le comportement non-responsable ultime qui ferait autant de mal à la planète qu’à l’économie textile et aux conditions de travail de ses différents acteurs. Une faute de goût. Notons toutefois que ceux qui montrent du doigt le Black Friday s’empressent d’élaborer leur propre concept, un Green Friday dont le but est le même, mais avec un emballage vert. Dernier discours né de la crise sanitaire : acheter en soldes serait une manière de soutenir sa marque préférée. Il fallait y penser.

Impossible pour le commerce de ne pas activer le désir de ses clients. C’est sa raison d’être. Les soldes avaient pour mission première de permettre aux enseignes d’écouler leurs stocks. Mais ceux-ci ne sont-ils pas moindres aujourd’hui face au développement des systèmes de précommandes, des outlets et du e-commerce ? Ce ne sont pas les soldes qui disparaissent, mais une nouvelle organisation qui doit émerger.

Le catalogue de nos vies

Une marque n’est pas qu’un nom posé sur un produit. C’est aussi une relation. Ikea l’avait bien compris avec son catalogue, tellement attendu, qu’il n’était d’ailleurs pas rare qu’il disparaisse de notre boîte aux lettres… Il signifiait la rentrée et son envie de nouveautés, ou les vacances et leurs envies d’ailleurs. Deux petites échappées vers notre propre futur, qu’il nous faut désormais ranger parmi les souvenirs générationnels, puisque l’on vient d’apprendre que le catalogue ne sera plus, l’enseigne ayant décidé de « passer au tout numérique ». Certains vont finir par vraiment regretter le monde d’avant….

Main sur le cœur, tous les acteurs de la grande distribution s’engagent à faire disparaître le papier de leurs magasins au nom de la défense de l’environnement et de leur quête d’une image parfaite. Conscience verte affichée ou cost-killer planqué ? Mère nature a parfois bon dos… On ne peut tout de même pas s’empêcher de rappeler que des solutions pour réduire l’impact environnemental existent (papier recyclé, réduction des formats, récupération…) et que ces mêmes enseignes sont beaucoup moins promptes à faire disparaître leurs prospectus promotionnels… Le catalogue Ikea était d’ailleurs plus proche d’un magazine de tendances que de ces derniers. On y trouvait même des propos sur l’environnement et les nouvelles manières d’habiter.

Il n’était pas qu’une liste de produits assortis de prix, destinée à stimuler nos envies, mais un catalogue de réponses à nos attentes. Là résidait le plaisir si particulier qui lui était attaché. Nous permettre de trouver quelque chose dont on ne soupçonnait pas l’existence. Dans l’univers Ikea, chaque espace libre était traqué, questionné, fonctionnalisé. Les entrées de nos appartements pouvaient devenir des lieux de vie, le dessous de nos lits, des meubles de rangement et les placards de nos cuisines, beaucoup plus pratiques qu’on ne l’avait jamais imaginé. Quant aux ambiances de Noël du catalogue, elles donnaient toujours un goût de trop peu à nos décos…

Personne ne veut vivre dans du « tout Ikea », mais personne ne résiste à l’idée d’en importer chez lui quelques éléments. C’est par leurs mises en scène que les produits Ikea existaient, stimulaient notre imagination et que la marque pouvait se tenir loin d’Amazon et de Cdiscount. C’est parce que son catalogue finissait toujours par traîner quelque part dans nos maisons qu’on avait plaisir à le reprendre et à le feuilleter en y projetant nos préoccupations du moment. Ikea était un catalogue de viesLe catalogue de nos vies et jamais aucun site ne pourra y prétendre…

Pop culture

Cela avait commencé comme une blague. Cet été, une paire de baskets vendue 12,99 euros par Lidl s’était retrouvée en un rien de temps aux pieds des ultra-branchés et revendue cent fois son prix sur les réseaux. Le snobisme résiste à toutes les crises et à tous les virus. Mais ces sneakers jaune, bleu et rouge n’étaient alors en vente qu’en Belgique et aux Pays-Bas… Les internautes français, frustrés, n’ont pas tardé à les réclamer. Ils ont été entendus puisque l’enseigne allemande à bas prix propose, depuis le 15 novembre, une nouvelle ligne mode dans l’Hexagone. Cette collection, qui installe le logo Lidl en icône du style, comprend une dizaine de produits dont des t-shirts, des claquettes (toujours chic), des chaussettes ainsi que, bien sûr, la désormais célèbre basket. Le tout abondamment logotypé et à des prix allant de 2,99 à 12,99 euros. Notez la précision. Outre cette gamme à son effigie, Lidl commercialise depuis longtemps des articles de prêt-à-porter qui ne suscitent pas le même enthousiasme…

Ceux qui doutaient encore du pouvoir du logo trouveront là de quoi changer d’avis. La mode porte sa part d’inattendu et de mystère dans les succès qu’elle fait et défait. C’est  sans doute ce qui est à la source de la fascination qu’elle exerce. A une époque pas si lointaine, des t-shirts jaunes et rouges de la marque DHL avaient, eux aussi, fait le buzz sur la fashion planète. On sait que les fashionistas adorent mixer des shorts Kipsta ou des sneakers Kalendji, deux marques signées Decathlon, à quelques accessoires Balenciaga décrétée (en ce moment) marque ultime du luxe cool.

La vague touche aussi les côtes du monde alimentaire. Sur le site snipes.fr, bien connu des moins de 20 ans, on peut par exemple, acheter des t-shirts, blousons, casquettes, chaussettes arborant le logo de la boisson Sprite. A quand une ligne Carambar ou Figolu ? Signalons aussi que le site du service de livraisons imaginé par le groupe Big Mamma, momentanément privé de ses restaurants pour Millenials et Gen Z, comprend un onglet Outfit qui propose quelques t-shirts déclinant son logo (29 euros) ou arboré de divers messages comme « Truck Fump », « Rital Style » ou « Plastic Sucks » (25 euros). Ces déclinaisons peuvent aujourd’hui sembler anecdotiques, mais qui sait si, demain, les marques alimentaires n’iront pas jusqu’à exister sur des vêtements ? La pop culture n’a pas encore révélé tout son potentiel…

Files d’attente

Dans le monde d’avant, une file d’attente était toujours regardée comme un « irritant ». Que ce soit dans l’administration ou dans la distribution, chacun jurait, la main sur le cœur, qu’il allait tout mettre en œuvre pour la faire disparaître. Les services généralisèrent les prises de rendez-vous, les enseignes alimentaires multiplièrent les caisses automatiques et allèrent même jusqu’à mettre au point des paniers capables de scanner eux-mêmes leurs contenus pour nous éviter d’avoir à patienter pour payer. Il était entendu que plus personne ne devait consacrer une part de son précieux temps à attendre…Une attente d’autant plus intolérable que la généralisation des achats en ligne avait installé l’idée que tout était désormais disponible et livrable en 24h.

Force est de constater que, depuis quelque temps, on n’a jamais autant vu de files d’attente sur les trottoirs. Durant le confinement, on redécouvrit ce que l’on croyait appartenir au passé ou à l’ancien bloc communiste : faire la queue pour entrer dans un magasin. Ces files d’attente n’étaient jusqu’alors visibles qu’au moment des soldes de presse, au lancement du dernier iPhone ou de la première collab’ entre une enseigne de fast-fashion et un créateur star. Depuis cet été, elles ont aussi fait leur apparition devant les laboratoires d’analyses médicales. De très tôt le matin à très tard le soir. Beaucoup moins glamour.

Ces situations sont un des stigmates du monde d’après et, bizarrement, chacun semble s’en accommoder. Résignation ? Adaptation ? Sagesse ? Nouveau rapport au temps, assurément. Lorsque nous savons que l’attente va être longue, chacun s’y prépare avec son smartphone. On en profite pour prendre des nouvelles de ses proches (« devine où je suis ? »), on parcourt son fil d’actu, on joue, on envoie des textos, on règle des problème pratiques. On peut aussi entamer une conversation avec celui ou celle qui est forcément un peu notre voisin de quartier. Une attente attendue devient acceptable. Certains restaurants l’avaient bien compris, eux qui ne consentaient aucune réservation pour mieux donner à ceux qui allaient devoir patienter le sentiment de vivre un moment d’entre-soi valorisant.

Voilà la patience replacée au cœur de l’expérience client. Le monde d’après n’est pas sans surprise.

Des livres et des fleurs

Si la première saison du confinement avait été marquée par l’attention soudaine portée aux invisibles (caissières, livreurs et éboueurs par ordre d’apparition dans nos journées), on ne peut que constater (déplorer) que plus personne ne parle d’eux en cette saison 2 et que d’autres métiers, presque invisibles, ont pris leur place. Plus particulièrement, les libraires et les fleuristes. Deux métiers assez discrets qui semblaient à la marge ou appartenir à un autre temps. Les voilà projetés sur le devant de la scène.

En mars dernier, les invisibles désignaient ceux qui assuraient notre survie, le maillon le plus proche de nous, notre ultime morceau d’humanité dans un monde virtualisé et empêché. Aujourd’hui, librairies et fleuristes incarnent la possibilité de s’échapper d’un quotidien redevenu terne, ralenti et sans perspectives. Des fleurs pour poétiser et embellir notre environnement. Des livres pour cultiver nos pensées. Deux manières de survivre émotionnellement en se créant son propre monde lorsque celui qui nous est extérieur semble plus lointain.

Mais aussi deux visions du commerce tant les fleuristes et les libraires se tiennent à l’écart des évolutions actuelles. Chez eux, toucher, voir, sentir, ressentir, éprouver ont encore du sens et, si les paiements peuvent se faire sans contact, les transactions, elles, ne peuvent s’envisager sans conseil, suggestions et empathie. Les vendeurs ne sont pas réduits au rôle d’hôtes de caisse et n’ont pas besoin de réciter un protocole d’accueil formaté dont les « éléments de langage » ont été choisis pour leur capacité à générer une sympathie opportune destinée à provoquer l’achat. Ils n’ont qu’à rester eux-mêmes. Ils conseillent au sens le plus noble du terme, s’engagent, donnent leur avis en toute subjectivité, échangent, orientent, guident. Derrière les fleuristes, l’imaginaire de la nature en ville. Derrière les libraires, celui d’un commerce apaisé, à l’écart des excès d’un monde dominé par la rentabilité et les bénéfices. Le signe du désir d’un même imaginaire de vie de quartier et de centre-ville marquée par l’humain et la proximité.

Un autre commerce porte les valeurs des fleuristes et des libraires : les cavistes. Mais eux ont été rangés dans la famille des commerces nécessaires. Sans doute parce que la période s’annonçait longue et qu’il était, justement, nécessaire de laisser libre l’accès à ce qui pouvait permettre de mieux affronter les difficultés.

Hard water

Les innovations ne sont jamais confinées. Dernières en date : les hard seltzers. Très répandues aux Etats-Unis, ces eaux pétillantes alcoolisées débarquent désormais sur le marché hexagonal. A première vue, on dirait de l’eau pétillante. D’ailleurs, c’est exactement ce que c’est. A ceci près qu’elles possèdent un goût particulier et contiennent 5 degrés d’alcool. Comme le cidre ou la bière, soit juste assez pour se destresser tout en restant cool. Parfait par les temps qui courent.

Les hard seltzers ne manquent pas d’atouts. Leur nom tout d’abord : « hard » par opposition à « soft », ça fait tout de suite rebelle et viril même si on est loin des 8.6 degrés d’alcool de la célèbre Bavaria. Seltzer parlera aussi aux intellos et aux fines gueules par ses références rétro-sophistiquées à l’eau de Seltz et ses célèbres siphons en verre qui font la joie de tous les chineurs. Et puis, les hard seltzers portent en elles quelque chose de l’oxymore qui ne peut pas nuire à leur désirabilité. Inutile de préciser que les premières hard seltzer ont été visibles à la Grande Epicerie (où d’autres ?), représentées par la marque américaine Snowmelt, leader mondial du secteur avec trois recettes aux goûts très (trop ?) US et sans doute aussi très (trop ?) sucrés : citron vert/genévrier, mandarine/houblon et grenade/açaï.

Voilà pourquoi quelques petites marques made in France, comme Sparking Walter et Opean, ont décidé de se lancer sur le marché avec des propositions moins caloriques et la même intention de viser les trentenaires qui aiment faire la fête, font attention à leur ligne… et sont plutôt CSP+. Pas vraiment un marché de niche. Signalons aussi l’existence de la marque Fefe (pour Fait en France), sous titrée The French Hard Seltzer, dont les propositions sont élaborées par les barmen du Syndicat (haut lieu du cocktail made in France) et les nez de la parfumerie Jean Niel, une des plus anciennes de Grasse. Une alliance aussi branchée que subtile qui donne lieu à quatre recettes (vraiment) originales et inspirantes : fraise/bois de santal, concombre/eucalyptus, pêche/abricot/gingembre et tonic/genièvre/pamplemousse.

Le succès des eaux aromatisées ne se tarissant pas au fil du temps, il semble raisonnable de penser que les eaux alcoolisées suivront le même cours.

Les années Hybrides

Si la différence entre le monde d’après et le monde d’avant ne saute pas toujours aux yeux, il n’en est pas moins vrai que de petits déplacements de frontières ont eu lieu. On a d’abord vu des appartements devenir des lieux de travail dotés de coins bureaux plus ou moins bien délimités, puis des résidences secondaires se convertir en principales. Des hôtels, devenus fantômes, proposer leurs chambres à des salariés ne souhaitant pas travailler chez eux. Dans la rue, les vélos se sont multipliés, entre « vélotafeurs » et « vélolivreurs », et se sont de plus en plus fréquemment adjoints les services d’une batterie électrique alors que toutes les voitures se rêvent désormais en « wattures » responsables. Les magasins se transformés en points relais, comme s’ils étaient des start-ups, ou en drive-piétons comme s’ils étaient des supermarchés.

C’est du côté de la restauration que les changements sont les plus notables. Sans doute parce que le secteur est le plus visiblement impacté. Sans doute aussi parce qu’il est majoritairement animé par des Millenials qui ont du mal à imaginer que le réel puisse leur résister… Les restaurants ont commencé par muter en épiceries fines en proposant les produits de leurs fournisseurs, puis en « dark kitchen », exclusivement dédiées à la préparation de plats destinés à être livrés. Des restaurants sans salle, il fallait y penser. Cet été, certains s’étaient convertis en bars et étaient même tentés de se travestir en boites de nuit. Vive les restos festifs ! A bien y regarder, la mutation était déjà à l’œuvre. Le groupe Big Mamma, toujours en avance d’une génération, ne parlait-il pas de Food & Teuf lors de l’inauguration de son « restaurant-parc à thèmes » au cœur de la Station F ? Pendant le couvre-feu, on apprenait aussi l’existence de formules « dîner+nuit d’hôtel » à prix ultra attractif. 

Lorsqu’ils se pencheront sur notre époque, les historiens de 2050 retiendront de la crise sanitaire des années 2020 qu’elle a été marquée par l’hybridation. Après les Trente Glorieuses, certains diront peut-être qu’elles furent les Années Hybrides.