Les années canapés

Le secteur était réputé sinistré et personne n’imaginait le voir, un jour, revenir en grâce tant il semblait appartenir au monde d’hier. Celui de papa, de maman et des Trente Glorieuses. Le marché du mobilier était déclaré sans avenir et surtout sans ambition, autant du côté des clients, convertis au vintage ou au style Ikea, que de celui des designers qui, lorsqu’ils étaient sollicités, ne daignaient prêter leur talent qu’à la conception d’une chaise ou d’une lampe. Il ne restait finalement que le salon Maison&Objet et ses « tendanceurs » affiliés pour nous faire croire qu’il se passait encore quelque chose de nouveau dans cet univers.

C’était sans compter sur la malice de l’histoire qui aime bien remettre en cause nos certitudes. Voilà que l’on apprend dans la presse que le marché du meuble aurait retrouvé des couleurs. Lassés de télétravailler dans leur cuisine ou leur chambre, les Français se seraient mis en quête de « vraies chaises » ou d’un « meuble-bureau » pour affronter dignement leurs nouvelles conditions de travail. Le meuble qui attiserait le plus les convoitises serait le canapé. Qui l‘aurait crû ? La dernière fois que les experts l’évoquaient, c’était pour souligner son inadaptation à la modernité puisque, l’affaire était entendue, la nouvelle génération aimait être assise au ras du sol, sur des coussins et le regard braqué sur les écrans de jeux vidéos. Oui, mais voilà.

Depuis le confinement, la télévision (que l’on disait, elle aussi, morte) n’a jamais été autant regardée et le plaisir de partager un moment ensemble, jamais autant recherché. Question convivialité, le canapé sort toujours gagnant. Il n’est pourtant pas un meuble comme les autres. Il coûte cher, jusqu’à plusieurs milliers d’euros, mais, privés de voyages et maintenant de restaurants et de sorties, les consommateurs n’ont jamais eu autant d’épargne. Et il raconte beaucoup sur ses propriétaires. Leur relation aux autres, au style et au confort : deux places, six places, modulable, avec dossier inclinable, transformable en lit, nettoyable (enfants et chiens à l’horizon), neuf, vintage, iconique, design… Il est à nos intérieurs ce que la voiture est à notre socialité. Un signe. Un étendard d’intentions et de projections. Autre caractéristique de ce meuble pas comme les autres : son arrivée coïncide souvent avec un changement de vie. Un emménagement, l’arrivée d’un enfant… ou d’un virus qui oblige à  rester cloîtré. Montre-moi ton canapé, je te dirai à quelle époque tu vis.

Esthétique de la disparition

Depuis plusieurs mois, nos vies quotidiennes ont des allures de bals masqués, mais sans l’ivresse du bal. Le masque qui couvre la moitié de notre visage est-il seulement un masque de protection ? Ne vient-il pas aussi nous dire quelque chose de nous, de nos goûts, de nos attentes, de nos manières de vivre et de consommer ? Une société n’est pas que le fruit d’une vision politique, économique ou sociale, elle est aussi modelée par nos comportements.

Dans le monde de la restauration, la crise sanitaire a accéléré la figure de la Dark kitchen ou Ghost kitchen, soit des restaurants sans salle, réduits à des cuisines où ne seront préparés que des plats destinés à être livrés. Une forme de disparition. Pour les patrons de bars, la tendance ultime s’appelle rooftop, invisible depuis la rue, ou bar clandestin, dont l’accès n’est pas immédiatement visible et nécessite, parfois, un code. Encore de la disparition. Sur les linéaires, les saveurs en trompe-goût sont omniprésentes. Côté salé, les historiques Apéricube et leurs saveurs saumon à l’aneth, poêlée de St Jacques, et même, gambas grillées sont toujours là, rejoints par les chips Bret’s aux saveurs toutes aussi précises : poulet braisé, chèvre piment d’Espelette, côte de bœuf grillée, yakitori… Côté sucré, La Laitière n’est pas en reste, avec ses yaourts à la fraise façon fraisier, poire façon amandine, pomme façon tatin, framboise façon charlotte et abricot façon crumble… Sans parler des boissons sans alcool aux goûts Spritz ou MojitoUne sorte de mise en abyme. Sur sa carte, un restaurant propose en dessert Fraises et basilic sur l’idée d’un vacherin. Poétique et bien en prise avec l’air du temps.

A bien y regarder, une bonne partie de notre consommation est déjà installée dans une zone immatérielle faite de saveurs et d’idées qui tiennent toujours un peu plus la réalité à distance, pour la réduire à une évocation. Une esthétique de la disparition est bien à l’œuvre. Les masques et les mesures de restriction liées à la crise sanitaire n’en sont qu’une expression supplémentaire. Les corps deviennent des images, les contacts se raréfient, les sens se réduisent. Les mots, et les imaginaires qu’ils convoquent, n’ont jamais été aussi importants.

Marketing aspirationnel

Elle est la star de la déco pour les lectrices de Madame Figaro, un modèle à suivre pour toutes celles qui veulent devenir architectes d’intérieur. On ne présente plus Sarah Lavoine qui a su faire d’un mur bleu canard un véritable business. Alors qu’elle possède désormais six adresses parisiennes et une présence à Lyon, Bordeaux, Nantes, Lille et même New York, on apprend que les ambitions de la Maison Sarah Lavoine (lancée il y a 8 ans) sont de s’étendre au-delà de la maison. Dans le prêt-à-porter et la beauté.

La marque hébergeait déjà du mobilier, de la peinture, des luminaires, du linge de maison, des arts de la table, la voilà tentée d’aller encore plus loin avec des collections de vêtements (« un vestiaire d’essentiels dans un style élégant, décontracté et résolument féminin ») qui n’ont pas l’intention de rester un complément d’offre à en croire la créatrice multi-talents qui a déjà collaboré avec des marques de prêt-à-porter… Viendront sûrement ensuite (très vite), de la maroquinerie et de la cosmétique. Vernis à ongles inspirés des couleurs de peinture de la maison, savons et crèmes diverses à base d’ingrédients naturels et biologiques. « Pour être inspirante, la maison doit avoir une créativité à 360 degrés » déclare le directeur général de l’entreprise. En effet. Chaque magasin se veut différent avec son ambiance et son offre. Certains abritent un café ou un restaurant et même un coiffeur comme à Bordeaux.

Loin d’être anecdotique, la démarche de la Maison Sarah Lavoine est parfaitement symptomatique ce que doit être aujourd’hui l’ambition de toute marque : devenir aspirationelle en incarnant un idéal accessible. Pour y parvenir, faire disparaître les frontières entre les marchés est indispensable. Ici, une couleur et une ambiance chic suffisent. Ailleurs, cela pourrait être la modernité rupturiste d’une marque techno (à quand un hôtel ou une ligne de vêtements signés Apple ?) ou l’esprit de sororité d’une marque de vêtements (à quand des voyages « ladies only » organisés par Rouje ou Sézane ?). Dior ne propose-t-il pas, désormais, de la vaisselle ?

Les marques de luxe ont compris avant les autres la nécessité de devenir des univers pour assurer leur attractivité auprès d’un plus large public. Ce ne sont plus les niveaux de revenus, l’âge ou les origines de leurs acheteurs qui leur importent, mais le style de vie auquel ils aspirent.

Rester à l’écoute

Jusqu’en janvier prochain, le Musée des Arts Décoratifs et du Design de Bordeaux propose la première grande rétrospective consacrée à l’histoire des baskets en Europe, mise en scène par le designer Mathieu Lehanneur. Plus de 600 paires y sont présentées, choisies de 1900 à nos jours, entre les modèles portés par les stars du sport, les rappeurs et les skateurs du moment et ceux revisités à coup de logos de luxe. Le choix a du être difficile… Les baskets au musée, il fallait bien que cela arrive un jour car cela fait longtemps qu’elles racontent autant leur époque que les attentes de ceux qui les portent. C’est cette force qui justifie leur présence dans un musée.

A l’origine simplement fonctionnelles et conçues pour une pratique sportive, elles ont progressivement migré vers le continent de la mode, ouvrant le segment du streetwear qui est au début du siècle ce que le prêt-à-porter fut aux années 50. Une autre façon de se présenter au monde, plus spontanée, plus libre et plus proche de ses envies. Montre-moi tes baskets et je te dirai d’où tu viens et même où tu vas. Car, les baskets n’ont rien d’universel et ne transcendent pas les catégories sociologiques. Bien au contraire. L’âge, la classe sociale et même la région d’appartenance sont lisibles pour l’œil averti sur chacune d’entre elles.

D’objets de consommation, elles sont devenues objets d’expression personnelle, puis objets de désir et de collection au point de se retrouver parfois dans des ventes aux enchères où elles atteignent des cotes que le néophyte peine à croire… Le fantasme absolu. Certes, tous les produits ne peuvent pas prétendre accéder aux marchés spéculatifs, mais l’exemple des baskets permet de rappeler les qualités que tout produit doit contenir pour être désirable. Etre associé à une innovation. Pour se différencier comme pour permettre à ceux qui les achètent d’accéder à une histoire qu’ils pourront raconter à leurs amis et sur les réseaux. Etre le plus personnalisable possible, pour répondre aux forts désirs actuels d’affirmation de soi. Et être associé à une communauté, sportive ou créative, pour s’assurer un capital culturel fort. Prochain enjeu : l’éco-responsabilité. Entre recyclabilité, respect des conditions de travail et production locale. Indispensable pour continuer à séduire la génération Thunberg.

L’arbre à miracles

Le Pavillon de l’Arsenal présentait récemment une exposition consacrée aux Champs-Élysées et plus particulièrement un projet de réaménagement de la « plus belle avenue du monde », dont l’objectif affiché était de redonner aux Parisiens l’envie de s’y rendre. Vaste ambition. Ils ne représentent en effet aujourd’hui qu’à peine 5% des promeneurs…

Pour y parvenir, l’architecte consulté par le puissant Comité des Champs-Élysées préconisait de mieux relier la partie haute, trop pleine (symbole, selon lui, du capitalisme marchand, de l’économie libérale et du tourisme de masse) et la partie basse, trop vide, dominée par des jardins peu fréquentés. Il préconisait pour cela trois actions. Agir sur la pollution en réduisant de six à quatre le nombre de voies, en plantant des arbres et en piétonnisant une partie de la place de la Concorde. Développer des activités (artistiques, culinaires, sportives) dans les jardins du bas. Et requalifier les abords de l’avenue, soit essentiellement le pourtour de la Place de l’Etoile et les arrivées du Pont Alexandre III. Résultat : un paysage allégé de la présence automobile où les humains évolueraient entre pistes cyclables, rooftops aménagés et terrasses arborées. Un avant-goût de paradis.

Les esprits critiques ne pourront cependant s’empêcher de relever l’absence criante de toute réflexion sur le commerce. Car ce qu’ont (aussi) perdu les Champs-Elysées, c’est leur vie locale. Et ce ne sont, ni La Brioche Dorée, ni Nike ni LVMH qui, seuls, vont permettre de la réanimer… Elle a pourtant existé cette vie de Parisiens des Champs-Elysées, qui se retrouvaient au Drugstore, fréquentaient ses cinémas et ses restaurants… Comment pourrait-elle revenir, sans pour autant tenter de reconstituer le passé ? Ce projet n’apporte qu’une réponse hédoniste et vient confirmer la toute puissance fantasmatique des arbres et de la piétonisation comme remèdes à nos maux urbains. Comme si le commerce ne pouvait pas incarner une solution pour revitaliser un quartier. Comme si multiplier les espaces verts, les terrasses et les food-markets suffisait pour recréer du lien. Comme si, finalement, la question du commerce était déjà résolue par la simple présence des enseignes worldwide qui habitent sur l’avenue. Or le commerce n’est pas une addition d’enseignes, mais une addition de moments de vies. En dépit des apparences, il a donc totalement disparu des Champs-Elysées.

Voyages intersectoriels

Le 8 septembre dernier, Prada et Adidas présentaient le fruit de leur collaboration sous la forme d’une paire de basket, le célèbre modèle Superstar décliné pour l’occasion en trois coloris et proposé au prix de 449,95 euros. Appréciez la précision. Pour information, la même paire estampillée Adidas s’acquière habituellement pour 99,95 euros. Personne ne s’en étonne, tant il est devenu normal pour une marque de luxe de tendre la main à ce que l’on appelait, hier, un équipementier sportif et, désormais, une marque « lifestyle ».

La singularité de cette ultime collab’ tient à ce que la paire signée Prada ressemble point pour point au modèle original. Ni effets de styles, ni dessins, ni graffitis d’artistes branchés, ni design inédit qui viendraient « réinterpréter une forme iconique » ou « ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire de la marque », pas même de logo en majeur. Seules la qualité des matériaux utilisés (cuir de veau, semelle légère, coutures renforcées) et une discrète signature dorée sur le flanc arrière de la chaussure (Prada-Made in Italy, imprimé à chaud) viennent satisfaire la curiosité d’un œil expert. Quatre mots pour faire la différence. Difficile de faire plus discrètement ostentatoire.

Le destin de la mode est habituellement top-down puisque ce sont les modèles des marques haut de gamme qui sont imités ou copiés par d’autres qui les destinent à un public plus large, moins exigeant, mais en quête des mêmes signes de reconnaissance. Ici, la logique s’inverse. La référence est street et l’aboutissement, couture, une démarche encore rare (la célèbre Stan Smith, le sac Tati ou la marque Supreme y sont déjà passés) qui pourrait se développer et constituer un nouveau moteur pour les marques de luxe : décalée voire ironique et un peu provocatrice, cette logique n’a-t-elle pas tout pour séduire les millennials, leur nouvelle cible officielle ?

Top-down ou bottom-up (du bas vers le haut), ces voyages intersectoriels viennent confirmer la place prise par les signes dans notre société et, plus particulièrement, par la forme. Quel que soit le secteur, c’est toujours un petit nombre de produits iconiques (des « forme-signes») qui est recherché par les consommateurs, charge ensuite à chaque marque de les faire entrer dans leurs univers et de les interpréter à partir de leurs savoir-faire et répondre ainsi au désir de chacun. Décliner un produit ce n’est pas seulement multiplier les formats ou les variétés. C’est aussi savoir aller ailleurs.

Patrimoine commercial

Mi-septembre, les Journées du patrimoine. Le rendez-vous préféré de Stéphane Bern et des Français. Pour la septième année consécutive, Lidl ouvrait les portes de dix de ses magasins. Lidl ? L’enseigne la plus maline du moment. Magasins rénovés et très lumineux, plein phare sur la filière bio et le soutien apporté aux producteurs, évènements permanents sous la forme de « drops » que l’on s’arrache. Robot culinaire, PS4 et même une improbable paire de baskets, que personne n’aurait remarquée si une poignée d’influenceurs n’avait décidé d’en faire un modèle désirable. Damart doit rêver que cela lui arrive.

La présence de Lidl aux Journées du patrimoine relève de la même logique, consistant à ne jamais être là où sont les autres pour mieux faire parler de soi. Parmi les magasins choisis pour l’occasion par Lidl, celui de Troyes, qui lui valu le prix spécial de « l’architecture de l’année » (remis par l’association Sauvegarde et Avenir de Troyes), et celui de Nantes, installé dans une ancienne chocolaterie. En 2011, l’hypermarché Carrefour de Sens-Maillot n’avait-il pas été inscrit à l’inventaire des monuments historiques comme emblématique du travail de Claude Parent, l’architecte du bâtiment ? Et que dire des restaurants Courtepaille, nés en 1961 et aujourd’hui en quête de repreneurs ? Avec leurs toits ronds habillés de chaume, ils ont autant marqué les paysages que les esprits de plusieurs générations. Comme les restaurants Jacques Borel en leurs temps.

Ni McDo, ni Five Guys, ni Subway, ni Prêt à Manger ne sont allés aussi loin dans la démarche architecturale. Tous aveuglés par leur concept. Et pourtant. Camper ou Aesop confient la conception de chacun de leurs magasins à un architecte différent. Apple vient d’inaugurer un magasin bulle à Singapour. Unique et spectaculaire. Les specialistes de l’architecture commerciale clament haut et fort qu’il est devenu nécessaire de renouveler un concept tous les trois ans. Résultat : tous les magasins déclinent les mêmes codes esthétiques. Cette course en avant est-elle compatible avec les volontés de décroissance et de responsabilité ? Ne vaudrait-il pas mieux oublier un peu le concept et se concentrer sur la force du geste architectural ?

Quand l’architecture réussit à s’imposer, qui songe à la renouveler ?

Le besoin et l’attente

La presse nous apprenait récemment qu’un groupe de députés écologistes avait déposé une proposition de loi «pour mettre la publicité au service de la transition écologique et de la sobriété et pour réduire les incitations à la surconsommation». Parmi le catalogue de mesures préconisées, figurent celles de créer un fond de soutien à la publicité responsable, d’encadrer les communications portant sur les produits nocifs pour le climat, de former les étudiants en publicité et marketing aux enjeux de la transition écologique, d’interdire les publicités qui se déclenchent lorsque l’on visionne une vidéo et même de faire figurer la mention « En avez vous vraiment besoin ? » au moment de payer ses achats sur le net
 
Certains ne manqueront pas de voir dans ces idées de vraies usines à gaz (respectueuses de l’environnement) ou des signes de méconnaissance. Les élèves d’aujourd’hui en savent déjà bien plus sur l’environnement que leurs parents (même sans vouloir faire de la communication leur métier) et les logiciels anti-pubs n’ont pas attendu 2020 pour apparaître sur le marché. D’autres ne manqueront pas de ricaner sur la future mention légale. Depuis quand la publicité a-t-elle à voir avec les besoins ? Les besoins n’ont pas besoin de la publicité. Celui qui a soif a besoin de boire. L’eau du robinet lui suffit bien. La publicité a à voir avec les désirs. Imagine-t-on alors une mention Désirez-vous vraiment ce produit ? Pas davantage. Car le désir n’a pas à se justifier. Il ne se programme pas, ne s’explique pas. Il est une zone de liberté. Tout comme la consommation. Celui qui choisit la déconsommation est aussi libre de ses actes que celui qui souhaite accumuler les achats ou les logos. Les deux démarches sont au service d’une seule et même quête personnelle. 
 
Envisager la publicité comme une réponse à des besoins est inapproprié. La voir comme un activateur de désirs est partiellement faux car les désirs naissent de partout et pas toujours de la pub. A commencer par l’envie de ressembler aux autres. La publicité intelligente n’est pas celle qui attise les désirs, mais celle qui sait révéler les attentes ?

Fiertés

Une publicité bien sentie vient toujours révéler quelque chose de l’air du temps. Pour sa dernière campagne de pub, Ricard a orienté son gouvernail vers Marseille. Retour aux origines. On y découvre trois portraits d’authentiques Marseillais (s’ils ne sont pas authentiques, les Marseillais n’existent pas), bartenders et fier(es) de l’être, photographié(e)s derrière leur comptoir. On est dans le vrai. La célèbre boisson a été imaginée dans le quartier Sainte Marthe en 1932 par Paul qui lui a donné son nom. « Born à Marseille », comme le souligne la pub en novlangue.

La marque joue ici autant avec sa vérité qu’avec les aspirations du moment, dévoreuses de local, d’origine et d’authenticité. Ricard jouissant d’un fort capital culturel régional, pourquoi s’en priver ? Pendant des années, la marque a tout fait pour sortir de son territoire d’origine et accéder au statut de boisson urbaine branchée. Voici, qu’aujourd’hui, être branché, c’est affirmer son appartenance régionale. Dans la compétition des villes pour savoir qui a la plus forte personnalité, Marseille est toujours en tête (ave ses débordements en tous genres), suivie par Biarritz ou quelques villes du Sud Ouest. A quoi tient la fierté d’une ville ? Peut-être dans la capacité de ses habitants à occuper le terrain et à entretenir leur totems. Il y aurait bien quelques villes bretonnes, mais depuis le temps que les Bretons nous disent qu’ils sont fiers de l’être, il arrive un moment où chacun espère entendre d’autres voix…

Quelques jours à peine après le lancement de la campagne Ricard, on apprenait que la nouvelle saison de Koh Lanta, rebaptisée « Koh Lanta : les 4 Terres », se tiendrait toujours aux îles Fidji, mais avec des équipes constituées de membres appartenant aux quatre points cardinaux de la France. Nord, Sud, Est, Ouest. Hasard ou coïncidence ? Les compétitions sont, depuis plusieurs années, le carburant des jeux télé. Les voici qui prennent un tournant inter-régional. Une nouvelle façon d’évoquer les caractères et de rappeler que vouloir être le meilleur ne signifie pas tant se mesurer aux autres, que chercher à se dépasser. Un nouveau challenge pour les Marseillais.

Les nouveaux salons

Quoi de plus réjouissant que d’apprendre une information singulière, une de ces informations minuscules qui nous parlent immédiatement, nous inspirent et nous entraînent vers des pensées inattendues ? C’est ainsi que dans l’un de ses deux numéros (devenus collectors) consacrés à l’affaire Dupont de Ligonnès, le très recommandable magazine Society nous apprenait cet été que les ventes de chaises pliantes ne se sont jamais aussi bien portées. Pas celles que l’on garde dans sa cave pour compléter les tables en cas de surnombre, celles qui ont pour vocation de passer leur vie dans des campings ou au bord de l’eau (plages pour les contemplatifs, rivières pour les pêcheurs) et d’abord dans les coffres des voitures.

Decathlon ne publie jamais de chiffres, mais se frotte les mains puisque il apparaît archi-leader sur ce segment avec une offre aussi large qu’accessible. Dans son magasin de Montreuil, les trônes en polyester avec accoudoirs et porte-gobelets auraient d’ailleurs quitté le rayon chasse-pêche-camping pour apparaître en allée centrale… Un changement de statut. Ceux qui ne trouvent pas ces chaises pliantes assez stylées peuvent même se rendre sur Instagram où des « créatrices » se chargeront de les personnaliser pour en faire de vrais accessoires déco.

Après de longues semaines de confinement, chacun aspire à se retrouver au grand air, au sein de la nature. Faire des randos, c’est bien. Se poser, c’est pas mal non plus. Une manière de s’approprier le paysage. Plus surprenant encore, l’article nous précise que les chaises pliantes ont aussi beaucoup de succès au pied des barres HLM et dans les clips de rap, jamais très éloignées d’une chicha, d’une canette et de beaucoup de vannes entre potes. Les nouveaux salons ne sont pas toujours là où on les imagine. La chaise pliante comme nouvel élément de la panoplie de la « banlieue way of life », qui l’aurait imaginé ?

Le phénomène n’a été orchestré par aucune enseigne ni aucune marque. Juste le fruit de la rencontre de la disparition des bancs dans l’espace public et d’une envie post-confinement d’aller s’installer à l’air libre. Se poser dans le décor plutôt que poser dans le décor pour satisfaire l’insatiabilité des réseaux sociaux : certains ne pourront s’empêcher de voir là une forme de sagesse. Réjouissant, on vous le disait.