L’herbe du pré d’à côté

Depuis le confinement, il paraît que nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir quitter la capitale. Direction, la campagne proche. Selon le site Paris-jetequitte, le nombre des aspirants au départ aurait augmenté de 42% au lendemain du confinement : ils étaient 38% dans le monde d’avant, ils sont désormais 54%. L’Eure serait dans le viseur avec une augmentation de 98% des recherches. On veut bien partir de Paris, mais pas trop s’en éloigner quand même… Le confinement n’aurait donc pas seulement été l’occasion d’apprendre à faire son pain, à cuisiner et à améliorer son jogging, il aurait aussi permis de réfléchir à son environnement. De là à passer un hiver dans l’Eure…

La qualité de vie est le premier argument convoqué pour justifier la décision. De l’air et de la place. Surtout pour les enfants. Tout ce qui évoque le rural et le rustique ont d’ailleurs la cote en ce moment. Il suffit de jeter un œil sur les réseaux. Les images de petites maisons dans la prairie dominent et des cliques de Parisiens s’installent à Barbizon, la nouvelle Mecque de la branchitude… La généralisation (forcée) du télétravail a aussi ouvert de nouvelles perspectives et chacun se projette aisément dans son jardin face à son écran d’ordinateur. Et, puis, « pour le prix d’un petit apart’, on peut avoir une maison avec un jardin… ». La ritournelle préférée des agents immobiliers. La campagne comme abstraction est ainsi devenue en quelques semaines, le fantasme numéro un des Parisiens dont le lien avec le monde rural se limite pourtant souvent à la commande d’un Campanier et à l’achat de quelques légumes à un petit producteur de leur marché.

Les experts de tous poils se précipitent sur le phénomène et veulent y voir l’agrégation de toutes les nouvelles attentes des consommateurs : retour à l’essentiel, quête de sens, désir de quotidien réenchanté et d’une vie plus simple, voire plus frugale (l’objectif ultime). Ceux qui ont vécu l’après-guerre du Golf se souviennent que les mêmes analyses étaient alors déjà avancées, sans qu’elles se soient véritablement concrétisées… C’était il y a trente ans. Les crises se suivent sans se ressembler (politiques, économiques, financières, écologiques, sociales, sanitaires…), mais l’idée d’un grand soir, d’un grand changement ou d’un « monde d’après » demeure toujours aussi forte… Sans doute parce que se dire qu’un autre modèle est au bout du tunnel permet d’en oublier la longueur.

Compléments d’objets

Ultime tendance du marché de la beauté, les compléments alimentaires ont la cote en ce moment. Difficile d’y échapper quand on lit la presse féminine. Aux Etats-Unis, où le marché est très développé, on estime que leurs ventes devraient doubler d’ici 2024. En France, presque une personne sur deux aurait déjà pris un complément alimentaire. C’est dire. Mais attention, il ne s‘agit pas forcément de compléments alimentaires associés à des promesses de minceur. Ceux là sont même en voie de régression. Non, les compléments alimentaires qui séduisent aujourd’hui sont ceux qui promettent la vitalité, la lutte contre le stress, l’aide la digestion (LA nouvelle préoccupation) ou qui veillent à la fermeté ou à l’éclat de la peau.

Sortis des rayons poussiéreux de la phyto ou de l’oligothérapie, ils viennent ainsi trouver leur place dans le très actuel désir de prendre soin de soi, qui combine activité physique, alimentation saine et relaxation. Comme s’il fallait toujours être en sur-régime pour mener les combats du quotidien. Les compléments alimentaires à succès s’adressent à un public nouveau, plus jeune plus actif, plus urbain avec des promesses précises et ultra-ciblées qui leur donnent le sentiment d’une parfaite maîtrise de leurs choix. Une pincée de ceci, une pincée de de cela. C’est tout l’imaginaire du sorcier ou du druide qui est ici convoqué,fondé sur autant de croyances que de rites. Le fantasme n’est plus dans la personnalisation, devenue au fil du temps tellement attendue qu’elle en est devenue « mainstream », mais dans l’individualisation. Toujours plus loin. Toujours plus proche. C’est moi qui décide de ce qui est bien pour moi. Et tant pis si les questions du dosage et de l’assimilation par l’organisme ne sont pas toujours bien maîtrisées.

Le succès des compléments alimentaires vient enfin nous renseigner sur notre relation aux marques cosmétiques. Face à des promesses parfois à la limite du crédible, ils incarnent des compléments de légitimité et de performance. Une manière pour ceux qui en consomment de dire aux marques qu’ils n’attendent plus tout de leur part, qu’ils ont compris qu’elles ne peuvent pas tout pour eux et qu’ils doivent désormais compter sur eux-mêmes pour optimiser leurs performances. Une forme de maturité et d’indépendance affichée plutôt réjouisssante.

Enseignes gigognes

Le phénomène est apparu durant le confinement. Non autorisées à ouvrir parce que considérées comme non essentielles, certaines enseignes ont trouvé refuge chez d’autres qui leur ont ouvert leurs portes. Un bel exemple de solidarité. Dès le mois d’avril, Décathlon a pu ainsi vendre une sélection de ses produits chez Auchan et Franprix. L’initiative s’est très vite multipliée jusqu’à devenir une des pratiques commerciales du « monde d’après », preuve qu’il y a toujours quelque chose à tirer d’une crise. 

Après Darty, Aubert, Pacific Pêche, Cash Converters chez Carrefour ou encore Boulanger, Electro Dépôt et Cultura chez Auchan, quatre nouvelles enseignes font aujourd’hui leur apparition dans les hypermarchés Géant Casino : Claire’s (bijoux et accessoires fantaisie), C&A avec des shops in the shop de 400 m2, Hema et Moovway, l’un des nouveaux acteurs du marché des vélos et des trottinettes électriques.

Le non alimentaire a toujours été à la peine dans la grande distribution. Le fait qu’elle se mette à accueillir des enseignes spécialisées est d’abord un aveu de son impuissance à trouver un modèle rentable. Mais c’est aussi un signe de sa réactivité car les hypermarchés sont aujourd’hui délaissés au profit du drive et des petits formats de proximité. Accueillir des « miniatures » d’autres enseignes dans ses murs peut être une manière de retrouver de la désirabilité et de se différencier. Se différencier ne consiste pas toujours à se trouver une Unique Selling Proposition, mais à apparaître sous une forme nouvelle pour répondre aux attentes du moment : de l’étonnement et de la praticité, du côté des consommateurs, et des réductions de coût, du côté des enseignes.

Les grands magasins avaient ouvert la voie des « shops in the shop » (dernier arrivé en date : Au Vieux Campeur, au Printemps) qui, depuis, n’ont cessé de se développer, en raison de rapprochements d’entreprises (Fnac-Darty et Nature & Découvertes), au gré des opportunités (Occitane et Pierre Hermé sur les Champs-Elysées), ou comme aujourd’hui, sous la forme de rayons plus ou moins pérennes. Les contours de la distribution de demain commencent à se dessiner : plus agile et plus collective. Deux vertus indispensables pour survivre dans le monde d’après.

Les ficelles de l’apparence

Les vêtements racontent autant une époque que ceux qui les portent. Force est de constater que la guerre que nous avons mené contre le virus n’aura pas été sans effets sur notre façon de nous habiller. Peut-être le premier signe de ce « monde d’après » tant  fantasmé et que certains cherchent encore. Contraints de rester à la maison et d’être réduits à un visage sur un écran d’ordinateur, nous avons moins ressenti la nécessité de nous « habiller » durant deux mois. Conséquence : les préoccupations stylistiques ont laissé place à celles de confort et, très vite, à la faveur d’une météo plutôt estivale, les rues des villes prirent des allures de stations balnéaires où il n’était pas rare de croiser des hommes et des femmes en tongs et shorts.

Le phénomène ne s’est pas atténué depuis le 11 mai. Certes, le télétravail n’a pas disparu, mais, comme disent les experts, les crises viennent toujours révéler et prolonger des mouvements déjà amorcés. La coolitude vestimentaire au travail avait débuté au début du siècle avec les start-ups animées par l’idée de bien souligner qu’elles n’appartenaient pas à l’ancien monde (déjà), celui des « bricks » et du « mortar ». Le modèle stylistique de Marc Zuckerberg s’est alors vite imposé : chaussettes blanches et claquettes de piscine aux pieds, T-shirt et capuche sur la tête. La classe.

Au début de l’année, les têtes chercheuses de la mode identifiaient une version corporate de la coolitude : la business jacket, soit une veste sans manches, en polaire ou matelassée, longtemps réservée aux vignerons et aux varappeurs du dimanche, soudain devenue un symbole de compétence professionnelle et de réussite pour le dixième du prix d’un costume Armani. Pas sûr que le style en sorte grandi…

Toutes ces tenues, portées indifféremment du soir au matin, en semaine et en week-end, viennent autant nous confirmer la porosité des frontières entre vie privée et vie professionnelle qu’une envie individuelle de s’extraire des contraintes dictées par des règles sociales. Chacun se berce ainsi de l’illusion que sa personnalité compte davantage que son apparence et qu’il ne peut être rangé dans aucune boite. Même si cette intention conduit finalement à la reproduction d’apparences stéréotypées.

Les nouveaux Graal

De la contrainte nait la créativité. Empêchées d’initier des événements festifs pour donner à leurs clients l’occasion de partager un moment avec elles, restreintes dans la communication de leurs produits par peur de paraître trop légères, nombreuses sont les marques qui se sont mises en quête de nouveaux modes d’expression. Le podcast, tout d’abord, vite perçu comme le nouveau Graal, la dernière « place to be » pour toutes les marques, y compris celles du luxe, qui veulent montrer au monde qu’elles ne sont pas que marchandes, mais ont aussi des valeurs et quelque chose à raconter. Certes, le podcast était particulièrement bien adapté au confinement, mais de là à le voir en nouveau média… Pas toujours facile de savoir faire régulièrement, court, intéressant et avec un angle original. Pas sûr, non plus, que l’engouement dure longtemps quand on constate (parfois, déplore) l’importance prise par l’image et l’impatience croissante des jeunes générations…

Pour garder le lien avec leur communauté,  d’autres marques ont préféré se tourner vers Instagram pour tenter d’établir avec elle une relation Live, l’autre Graal du moment. Les experts parlent déjà de Live Marketing. Le mois dernier, Levi’s avait en tête de fêter son 501 avec un concert, comme elle a l’habitude de le faire depuis 2017. Mais cette année, ce fut un festival en ligne via son compte Instagram avec une programmation de 9h30 à 18h30… Un documentaire en plusieurs épisodes sur le 501, créé en 1873, pour commencer la journée, suivi d’une conférence menée par une historienne de la marque. A 11h, la marque proposa une heure d’atelier de personnalisation de ses jeans et pièces denim et, à partir de midi, un show musical débuta avec des sessions de trente minutes par des groupes répartis dans toute l’Europe, de l’Espagne à la Suède. La journée s’est conclue par un DJ set et le lancement d’une nouvelle collection, histoire de voir au passage les réactions.Cette année, le Levi’s Day ne ressemblait décidemment pas aux précédents.

En mêlant histoire, concert et lancement commercial, il nous renseigne sur les contours d’une nouvelle forme de communication possible pour les marques, en complément de leurs actions habituelles : des moments partagés, rares et fortement émotionnels. Parfait pour affirmer leur personnalité et donner à leurs acheteurs le sentiment de faire partie d’une même communauté.

La joie de faire

Pendant la période de confinement, les Français se sont improvisés boulangers comme l’ont prouvé le nombre de requêtes de recettes de pains faites sur Google Trends (+400% au mois de mars), la disparition rapide en rayons des farines T55, T65, T80 et T110 (la culture de la farine se sera au moins enrichie durant cette période) ou encore le succès du pain cocotte sur les réseaux. Les raisons d’un tel engouement sont faciles à comprendre. Faire du pain, c’était éviter de se rendre à la boulangerie trop souvent. C’était aussi s’occuper, occuper ses enfants et, ainsi, consommer un peu de ce temps devenu soudain si abondant. C’était enfin (et surtout) éprouver la satisfaction de faire par soi-même et la fierté (largement partagée…) d’avoir réussi à maîtriser quelque chose, ce qui, en cette période marquée par l’incertitude, est toujours appréciable. Pas sûr que cette passion pour le pain perdure, mais le confinement a fait que nous ne le regarderons plus comme avant. 

Cet engouement est à rapprocher de l’autre succès du moment : celui de la poterie, désormais renommée céramique (plus chic). Depuis peu, les ateliers de céramistes sont en effet pris d’assaut par ceux et (surtout) celles qui, dans leur vie d’avant exerçaient des métiers bien éloignés de l’artisanat. Faire quelque chose de concret et d’unique, s’oublier et oublier son environnement par la concentration mentale, se rapprocher de l’essentiel… Les motivations qui conduisent au pain ne sont pas loin. La quête de sens et le désir de se faire du bien, non plus, poussant la céramique à venir s’installer entre la méditation et le yoga.

Les marques l’ont bien compris puisque l’on retrouve des céramiques chez Habitat, chez Alinea, dans le concept-store marseillais de Sessùn, dans presque tous les magasins de la rue (arty) du Château d’eau, à Paris, et même chez Saint Laurent sous la forme d’un coffee mug noir ou zébré forcément collector. Des collaborations avec des artisans qui viennent donner du sens à des offres souffrant parfois du virus du copié-collé… Le point commun entre le pain et la céramique n’est-il pas finalement qu’ils procurent tous deux de la joie ? La joie, vous vous souvenez, celle que Marie Kondo éprouvait après avoir rangé ses placards.

Dans le monde d’après, ce ne seront pas seulement les activités essentielles qu’il faudra privilégier, mais aussi celles qui procureront de la joie.

On a hâte

S’il n’est pas toujours facile de différencier le monde d’après du monde d’avant, il existe un indice imparable pour nous mettre sur la piste : il suffisait d’observer les vitrines des magasins et des restaurants qui s’adressaient à nous comme si nous étions leurs amis. Jusqu’à présent, nous étions, soit des clients, soit des clients fidèles, soit, parfois, des habitants du quartier, histoire de jouer la carte de la proximité territoriale, mais jamais plus.

Fin mars, les magasins ont commencé à multiplier les signes d’empathie à notre encontre. Des « promis, on se revoit » et des « on a hâte de vous revoir » propres à la période de confinement, suivis, dès le 11 mai, de « content de vous revoir », de « vous nous avez manqué », de « sans vous, c’était vraiment pas cool » et même de « we are happy to see you back at our stores », preuve que l’amitié est bien sans frontières. Toutes ces petites pancartes fixées sur les vitrines des magasins nous faisaient penser à ces banderoles suspendues aux balcons que l’on apercevait au cours de nos semaines confinées, pleines de dessins d’enfants, de petits cœurs et de bisous adressés aux représentants des métiers indispensables.

Les messages de vitrines viennent aujourd’hui nous confirmer que l’économie relationnelle a bien supplanté l’économie transactionnelle. Le client n’est décidemment plus en face du vendeur, il est à ses côtés… tout en respectant la nécessaire distanciation… L’image ne pourra qu’étonner les plus de quarante ans. Les autres sont habitués au brouillage des frontières. N’ont-ils pas déjà participé à des campagnes de crowdfunding ou aidé le lancement de start-ups dont ils ont aussitôt été les premiers et les plus fidèles clients ? L’entreprise est devenue une aventure et ses responsables sont comme des présidents de BDE : d’abord des élèves. Et quand les difficultés apparaissent, pas question d’évoquer sa trésorerie, les baisses de fréquentation ou d’envie d’acheter. A peine des soldes privés ou des ventes « privilèges », trop connotés « ancien monde ». Entre nouveaux amis, l’important est de ne rien laisser paraître pour ne pas casser l’ambiance. On est tous potes, non ?

Comme si tous les « chief happiness officers »  avaient mis à profit leur temps de confinement pour diffuser leurs méthodes.

Les Proustinials

Est-ce vraiment un hasard ? En plein confinement, alors que chacun faisait chaque jour la liste de ses regrets, voilà que Figolu annonce son retour. La nouvelle ne fait, certes, pas l’ouverture du JT de 20h, mais elle n’en a pas moins affolé les réseaux sociaux. On connaissait la madeleine de Proust, voici le Figolu du « Proustinial ». Le Millenial nostalgique de son enfance. La société de consommation est bien devenue société de consolation. Ah ! qu’il était doux le temps d’avant où l’on mangeait des Figolus après l’école. Maman, j’veux pas grandir.

Le Figolu n’avait pas disparu du marché en 2015. Il avait disparu sous sa forme d’origine (iconique comme diraient ceux qui ne renoncent jamais à une exagération). Remplacé par un improbable « Figolu la barre » dont le nom a de quoi laisser perplexe. On imagine bien le brainstorming de folie à l’origine de cette invention : séduire les plus jeunes, surfer sur le nomadime, faire de Figolu « le compagnon du cartable »… L’obligation de « faire moderne » à défaut de l’être vraiment. Car la modernité s’accommode très bien du passé. Et plus que jamais depuis que le futur se conjugue au conditionnel… Aujourd’hui Figolu, hier, Grosquick et Burger King et demain, peut être, les tartelettes Diego ou les tablettes de chocolat Merveilles du monde.

Le cas Figolu est cependant légèrement différent en raison de sa personnalité. Il vient rappeler qu’il n’est pas toujours besoin de surjouer les signes de la régression pour activer la nostalgie. Le Figolu n’est, en effet, pas vraiment ce que l’on peut appeler un biscuit « fun » : pas de couleurs vives, pas de formes rigolotes, pas de petit personnage bisounours qui vient faire coucou sur le packaging. Non, avec un Figolu, on rit quand on s’étouffe. Pas de quoi, non plus, se répandre sur Insta. Imagine-t-on fêter son anniversaire à coup de Figolus ? Avec son côté rectangulaire, sec et sans fioriture, il apparaît comme un biscuit protestant, presque frugal. Alors, pourquoi cette vague d’émotion sitôt son retour annoncé ? Parce que le Figolu a un goût particulier qu’aucune marque distributeur n’a réussi à imiter. Parce que le Figolu est unique par sa forme et sa texture. Hors temps, hors mode et hors tentative de séduction sinon par sa propre identité. Le secret des grands séducteurs.

Top regrets

Selon une étude Ifop menée pour Le Fooding et Uber Eats, les plats qui ont le plus manqué aux Français pendant le confinement furent la pizza, les moules frites et le steak frites. Bravo les frites. Le burger n’arrive qu’en 9ième position… Sans doute avec des frites… Notons au passage que, durant cette période, les plats cool et instagramables (ramen, sushi, bo bun, tacos) ne furent pas les plus regrettés. Retour aux fondamentaux et à sa propre satisfaction. Et tant pis pour la modernité likée. 
 
Comment s’étonner de la position triomphale de la pizza ? Certes, la pizza est généreuse, populaire, simple, accessible à tous et sans surprise. Mais son succès vient surtout de l’infinie combinaison d’ingrédients qu’elle permet. Romaine, napolitaine, américaine, hawaïenne, voire marseillaise, montpelliéraine ou lilloise, elle est un lieu de libre expression autant qu’un symbole de réconfort (la fameuse « comfort food »), deux promesses très désirables en période de restriction. Difficile, par ailleurs, de dissocier regret d’un plat et regret d’un moment pour expliquer la position élevée des moules frites et des steak frites, davantage consommés au restaurant que chez soi et donc forcément associés à de bons souvenirs. Chacun sait, qu’à la maison, ils n’ont pas la même saveur… 
 
Pour ce qui concerne le mauvais classement du burger, on peut tout d’abord lui objecter les images aperçues sur les réseaux durant le confinement : des files interminables de voitures sitôt la réouverture annoncée des Mc Do en drive et en vente à emporter (en Ile de France, en Belgique et au Luxembourg). Les commandes en Ile de France ont même dû être plafonnées à 60 euros par voiture… Le signe d’une désirabilité certaine. Et la preuve que le Mc Do n’est pas un burger. Mc Do est une destination. Surtout quand il s’agit de prendre sa voiture. Mc Do est un lieu identitaire où chacun goûte le plaisir d’être avec sa tribu davantage que ce qu’il mange. Mc Do est la somme de tous les souvenirs qui font la vie depuis son premier Happy Meal. Les autres burgers peuvent, certes, séduire quelques urbains adeptes d’authenticité et de réseaux sociaux, mais l’expérience qu’ils proposent ne sera jamais assez forte et partagée pour susciter le regret ou le manque. 
 
Ce qui manquait aux Français pendant le déconfinement, ce n’était finalement pas un burger, mais la possibilité de se rendre chez Mc Do. Comment s’en étonner ?

Ré-enchantement

Oui le confinement a été long. Oui, il a modifié nos habitudes. Mais il nous a aussi appris qu’une autre façon de vivre était possible et que le quotidien que nous voulions chaque jour effacer en appuyant sur la touche « Avance Rapide » avait bien des choses à nous apprendre si nous lui préférions la touche « Pause ». Pendant le confinement, chaque acte anodin était une source de joie potentielle comme dirait Marie Kondo qui n’avait pas attendu le virus pour nous demander de vider nos placards.

Parce que leurs journées leur semblaient interminables, les plus créatifs d’entre nous ont su transformer chaque micro-événement du quotidien en happening festif. Il suffisait de jeter un œil sur Instagram pour s’en convaincre, où les défis en tous genres se sont multipliés comme de jongler avec des rouleaux de papier toilette ou de  reproduire des tableaux célèbres à partir de ce que l’on avait sous la main. Sortir la poubelle, « faire » les carreaux, la poussière et même la liste des courses avaient cessé d’être des contraintes pour devenir des occupations. De petites sources de gratification personnelle que l’on n’hésitait pas à partager sur les réseaux sociaux. Et quand nous cuisinions (les Français n’ont jamais autant cuisiné depuis le 17 mars) nous accordions du soin aux détails et à la présentation de nos plats comme jamais. Certains vont regretter le confinement.

Limitées à un rayon d’un kilomètre autour de chez nous, nos sorties quotidiennes prenaient des airs d’excursions en milieu inconnu puisque nous n’avions jamais eu le temps de regarder ce qui nous entourait. Un détail architectural, un arbre, un magasin, qui étaient pourtant là depuis plusieurs années, sont soudainement devenus visibles. Le confinement a converti notre regard. Alors que nous ne pouvions plus nous tourner vers nos activités extérieures, nous avons cherché des ressources en nous-mêmes pour inventer d’autres façons de faire et de penser. Privés de l’ailleurs, nous sommes retournés à l’ici. Unique, radicale, bizarre, l’expérience du confinement dont nous venons de sortir était comme un temps d’arrêt, une mise entre parenthèses. Sans le savoir, n’étions-nous pas en train de vivre le fantasme absolu de toutes les marques depuis une dizaine d’années : le ré-enchantement de notre quotidien ?