Le temps du contenu

Si certains restaurants, privés d’activité, se sont rapidement convertis à la vente à emporter, d’autres ont tenté de continuer à exister sur les réseaux sociaux. Le monde virtuel à défaut du monde réel. Un bon réflexe. 

Sur Instagram, Big Mamma adressait à sa communauté de Millennials ses recettes de lasagnes et de babas, ces plats qui justifiaient les files d’attentes à l’époque où il y avait encore du monde sur les trottoirs. Margot, une activiste du cocktail (être mixologue ne suffit plus), fondatrice d’un bar nommé Combat, y livrait ses recettes pour nous permettre d’oublier notre état de réclusion… On pourrait aussi citer tous ces chefs confinés qui multiplient les lives sur les réseaux et même Ikea qui a profité du confinement pour (enfin !) révéler la recette de ses célèbres boulettes de viande. Le confinement a du bon. Quand les corps et les décors ont disparus, reste le temps et les idées.

Alors que nous nous apprêtons à sortir du confinement, pourquoi les marques ne s’inspireraient-elles pas de ces initiatives qui ne reposent pas sur l’achat (pour une fois), mais sur la relation ? Depuis le temps que l’on nous dit que le monde d’après ne sera pas comme le monde d’avant, voilà peut être l’une des voies à suivre. Pendant la crise sanitaire, Balmain avait ouvert ses archives et son directeur artistique proposait ses propres croquis à colorier… Les marques de mode, fortement impactées par le confinement, ne pourraient-elles pas diffuser, elles aussi, le patron d’un de leur modèle puisque certain(e)s d’entre nous ont eu le temps de prendre goût à la couture ? L’initiative serait évidemment anecdotique, mais elle ne contribuerait pas moins à associer leurs clients à leur histoire et à leur culture, ce qui ne pourra que renforcer leur communauté et, demain, le désir d’achats de celle-ci. Toujours mieux que de communiquer sur leurs modèles « pour l’été » (c’est quand l’été, cette année ?).

Quant aux marques alimentaires, ne pourraient-elles pas, elles aussi, présenter leurs engagements, leur savoir-faire, leurs filières ou encore suggérer de nouvelles utilisations de leurs produits ? La consommation ne se réduit pas à l’achat. Et la mission des marques n’est pas que de mettre des produits dans le panier des consommateurs.

Courses d’obstacles

Si le confinement a modifié notre rapport à l’espace (limité à notre lieu de vie), à notre assiette (faute de cantines et de restaurants) et, de façon générale, au temps (des lundis comme des mardis comme des mercredis), il aussi impacté notre rapport aux magasins. Les voici soudainement comme des Cendrillons qui auraient raté leur carrosse de minuit. Hier, synonymes d’expériences prétendument inoubliables, ils sont redevenus de simples pourvoyeurs de biens que l’on est bien content de trouver au bout de sa rue et dans lesquels on se rend sans l’envie d’y traîner, des fois que le virus se serait caché derrière une boite de conserve.

Hier, synonyme de fluidité, de rapidité et d’efficacité, à coups de bornes et de « sans contact » (jamais autant dans l’air du temps), le parcours que les magasins proposent est désormais jonché d’obstacles. Dans les superettes, il faut compter avec le temps d’attente pour entrer et le mètre de distanciation sociale à la caisse. Les boulangeries qui vendent sur leur pas de porte ont pris des allures de drive. Chacun attend son tour sur le trottoir. Vous faites la queue ? demandent, incrédules, ceux qui pensaient que ce genre de situation était réservé aux soldes de presse. Il nous faut aussi programmer nos courses. Pas simplement faire la liste de ce qui nous est nécessaire, mais en organiser l’achat en fonction de la proximité des magasins qui les détiennent, pour pouvoir tout acheter dans le cadre de l’heure qui nous est allouée. Une nouvelle géographie est à l’œuvre où la proximité d’un magasin s’enrichit de sa proximité avec d’autres.

Le temps des courses est aussi devenu un des rares moments où nous pouvons avoir un échange humain avec quelqu’un d’autre que nos co-confineurs. Alors que nous ne voyons plus nos voisins que sur leur balcon ou à leur fenêtre, c’est avec la caissière de notre superette que nous échangeons régulièrement quelques mots. Ca va ? Vous allez bien ? Dans le magazine Elle, on nous propose de nous habiller pour aller faire nos courses comme si nous « sortions ». Car, oui, nous sortons bien. Hier nous faisions les courses, aujourd’hui, ce sont les courses qui nous font. Ce n’est pas un changement de paradigme, ça ?

Nos aîné(e)s

Si notre société de consommation (pour un temps encore…) n’a d’yeux que pour les Gen Z et les Millénials, consommateurs avides de marques et d’images, elle ne se montre pas pour autant indifférente à ceux qui se situent à l’autre extrémité de la ligne de vie : les plus de 70 ans. Il y a très longtemps, on les qualifiait de « vieux ». Pas très sympa pour ceux qui passent leur temps à nous dire que dans leur tête, ils ont l’impression d’avoir cinquante ans. Heureusement, le politiquement correct a vite fait de les requalifier en seniors, beaucoup plus acceptable, quand ils ne sont pas associés au mot silver qui évoquerait presque l’univers du luxe et de l’argent si ce n’était une couleur de cheveux.

Depuis peu, les seniors étaient même devenus la nouvelle coqueluche (il ne s’agit pas d’une maladie) des marques de mode et de cosmétique qui, après d’être souvenu qu’il n’était pas obligatoire de retoucher leurs photos, étaient prêtes à accentuer les traits du vieillissement au nom du paraître vrai. Hormis ce secteur, toujours très tourmenté par le « bon » comportement à adopter pour mieux séduire, les seniors intéressaient également celui de la restauration. Mais là, c’est grand-mère, voire mamie, qui avait leurs faveurs à en juger par le nombre de fois où elles étaient convoquées sur les cartes et les devantures. Chacun a une mamie et chaque mamie a un livre de cuisine avec ses recettes et ses secrets, non ? On oublie simplement que beaucoup d’entre elles étaient sur les barricades ou dans les manifestions féministes lorsqu’elles avaient vingt ans, mais, après tout, ce n’est qu’un détail au regard de la puissance de l’imaginaire qui leur est associé. Et ce n’est pas Mamie Nova qui viendra dire le contraire.

Depuis le 16 mars, changement de décor, nous assistons à la troisième révolution du troisème âge : finis les seniors, les silvers et les mamies, place à « nos aîné(e)s ». En attendant « nos anciens » ? On ne l’avait pas vu venir. Eux non plus. Ils apprécient moyen et pensent toujours à quelqu’un d’autre qu’eux quand on évoque ce mot devant eux. Prenons soin de nos aînés, gardons le contact avec nos aînés, les recommandations pleuvent en ce moment et sonnent comme des injonctions. Avec ce mot, c’est le respect plus que la tradition ou la transmission qui reprend ses droits. Du sérieux. Parions que les marques sauront profiter de ce nouvel imaginaire…

Nouvelles envies

Si personne ne peut dire où la période que nous vivons nous mènera, ni combien de temps elle durera, on peut cependant affirmer qu’elle ne sera pas sans impact sur nos habitudes alimentaires. Fort de ce que nous révèlent des études récemment menées, les changements adoptés vont plutôt dans le bon sens. Et sont aussi pleins de bon sens

Voilà le consommateur français épris de fruits et de légumes bio. Bonne nouvelle. De surgelés aussi, mais ceci est sans doute à mettre sur le compte de la situation d’enfermement. L’engouement pour la bio n’est pas si étonnant. En période de doutes, voire pour certains de paranoïa, tout ce qui est à même de rassurer prime. Le raisonnement n’est pas toujours rationnel, mais le bio apporte à sa façon une réponse symbolique aux attentes sécuritaires. Manger 5 fruits et légumes par jour pour renforcer ses défenses semble encore plus efficace ceux-ci sont bios.

L’autre nouveauté se tient dans la cuisine. Désormais, cuisiner constitue autant une quasi-obligation, lorsque les cantines et les restaurants ont disparu du paysage, qu’une activité salutaire pour s’occuper et occuper sa famille en période de confinement. Proche du bricolage avec, pour différence, la perspective d’un moment de complicité intergénérationnelle. Depuis le 15 mars dernier, « Qu’est-ce qu’on mange ? » structure autant les esprits que les journées. Au  début, il n’y en avait que pour les pâtes. Maintenant, il faut les manger. D’où l’intérêt porté aux légumes bios… L’expression « cuisine du placard » n’a jamais été aussi juste. Par ailleurs, quoi de plus bénéfiquement chronophage, pédagogique et ludique que de faire un gâteau avec ses enfants ? Conséquence : la chasse aux œufs n’a plus seulement lieu le jour de Pâques et la farine est devenue le nouveau gel hydro-alcoolique des rayons. 

Toutes ces nouvelles habitudes passeront peut-être. Nous verrons bien. Mais ce qu’il restera, c’est l’intérêt porté à l’assiette. L’origine, la nature et la quantité des ingrédients entrant dans une recette, ce qui leur est ajouté, le mode de cuisson, leurs vertus nutritionnelles… Nous voilà soudainement devenus conscients que nous sommes les premiers responsables de ce que nous consommons. Comme dans les contes, nous ressortirons de la forêt du confinement transformés.

Le corps et l’assiette

Alors que nous sommes en pleine traversée du désert du confinement, force est de constater que les deux sujets qui occupent le plus le terrain des réseaux sociaux (et qui préoccupent aussi certainement ceux qui les lisent…) sont le sport et la cuisine. Si nous sommes capables de trouver par nous mêmes de quoi nous divertir/nous cultiver/nous informer selon nos ambitions, la tâche n’est pas aussi naturelle quand il s’agit de bouger et de se nourrir. L’idée d’aller dans une salle de sport ou dans un restaurant est, pour le moment encore, confinée dans nos souvenirs…

Et derrière ces deux préoccupations, c’est toute la question du corps qui se pose à nous. Ce corps devenu au fil du temps le dernier refuge de notre expression individuelle, que nous façonnons à coups de tatouages, de maquillages, de coiffures et d’exercice physique, et qui, aujourd’hui, se trouve menacé de relâchement et de perte de contrôle. Ne risquons nous pas, en effet, de sortir de cette période en surpoids, conséquence d’une privation de mouvement et d’un laisser-aller alimentaire conduit par le désir de « passer le temps » ?

Face à cette situation synonyme de nouvelles attentes, les marques et les enseignes ont un (nouveau) rôle à jouer, elles qui ne cessent de décliner la proximité sur tous les tons. Les enseignes ont pris en charge la proximité géographique en proposant des livraisons de courses et même de boites repas. Les marques de sport n’ont pas tardé à proposer moult applications et programmes de coaching online, remplis d’exercices originaux où l’efficacité se cache derrière le ludique. Leur fréquentation explose depuis le 17 mars.

Mais que font les « grandes marques » alimentaires ? A-t-on vu des fabricants de pâtes venir proposer des recettes plus légères ou équilibrées ? Les foyers des Français n’en manquent pourtant pas en ce moment… Pourquoi les marques de légumes en conserves ne profitent-elles pas de l’actualité pour venir souligner les valeurs nutritionnelles de leurs offfes et suggérer de nouvelles manières de les consommer ? Certaines marques pourraient même se rapprocher des tutos sportifs, avec des suggestions de recettes équilibrées.

Chacun affirme « qu’après », rien ne sera plus comme avant. Mais pourquoi attendre « après » ? 

Talent de proximité

Le mot proximité comptait déjà double dans le scrabble de la distribution. Le voilà qui va désormais compter triple dans nos vies quotidiennes. Le confinement que nous subissons a redéfini notre espace temps. Moins d’espace, plus de temps (on peut toujours se rassurer en se disant que le contraire aurait été pire) au point que chaque kilomètre parcouru prend désormais toute sa valeur.

Hier (avant le 16 mars), il n’était pas rare de croiser des produits dont les étiquettes et les packs affichaient fièrement le nombre de kilomètres parcourus par leurs ingrédients. Certains restaurants avaient même adopté le principe sur leurs menus. Aujourd’hui, alors que notre mobilité se trouve limitée à un rayon d’un kilomètre autour de notre foyer (effort de guerre ne rime pas forcément avec effort physique), voilà les supermarchés contraints de ne proposer que des fruits et légumes qui, eux aussi, ne se seraient pas épuisés à faire le chemin. Il a ainsi été décidé, suite de la fermeture des marchés ouverts, que l’ensemble des supermarchés français vendrait désormais des fruits et légumes 100% français. De quoi ravir les tenants de la consommation locale, exaucer le rêve de toutes les enseignes de distribution qui ont toujours rêvées de paraître comme des « marchés » et soutenir l’agriculture française. Win-win-win.

Bon d’accord, pas sûr que l’on y trouve beaucoup de fraises, d’oranges et de tomates, mais après tout, est-ce si grave ? Vive les pommes et les carottes ! Pas sûr, non plus, que les productions hexagonales ne soient moins chères que leurs cousines plus lointaines. Les prix ne choisissent jamais le moment des guerres pour baisser… Puisque le temps a recouvert nos vies comme une neige invisible, nous privant de sorties et de contacts, pourquoi ne pas s’accrocher au temps des saisons pour retrouver te temps du temps ? 

Respecter le temps des saisons est toujours plus facile à dire qu’à faire quand tout est accessible. Ce n’est plus le cas. Paradoxalement, c’est parce que nous sommes entravés dans nos déplacements que nous allons avoir le temps de redécouvrir nos régions et les productions qui leurs sont attachées. Certains affirmaient qu’elles avaient du talent. Mais leur premier talent n’est il pas leur proximité ?

Renaissance

Il est des produits qui ont des destins extraordinaires. Prenez le baby-foot. Popularisé dans les années 60 par les cafés qui le virent comme un moyen d’attirer une clientèle de jeunes amateurs de bières et de cigarettes, il en fut ensuite chassé par les flippers et autres jeux d’arcade. Il trouva alors refuge dans les MJC et les centres de colonies de vacances où il incarnait le jeu à pratiquer collectivement les jours de pluie, avant de connaître une longue période de traversée du désert durant laquelle plus personne ne lui accordait d’attention. Il était devenu ringard et le nombre de cafés s’étant, entre temps, divisé par six, son avenir paraissait sans espoir.

Au début du siècle, miracle de la post modernité, le voici qui réapparait dans le lobby du premier hôtel Mama Shelter, puis s’installe dans toutes les start-ups qui veulent ressembler à des start-ups -, où il devient mieux qu’un incontournable : un symbole de coolitude, au même titre qu’un coussin de sol ou une cible de fléchettes que l’on croyait pourtant installée pour toujours en Angleterre.

Les plus fins observateurs ne manqueront pas de souligner que le retour sur le devant de la scène du baby-foot n’est pas totalement étranger à la vague vintage qui souffle actuellement. Ils n’auront pas tort. Le baby, comme les jeux d’arcade et même, dans une moindre mesure, les jeux de cartes, sont aujourd’hui des aspirateurs à souvenirs pour les Millenials. Jouer au baby-foot c’est renouer avec le garage de papy dans lequel on jouait « quand on était petit ». Bien qu’encore jeune, le Millenial a le même penchant que les seniors pour les souvenirs.

Le baby-foot est aussi très apprécié de leurs parents qui, à en croire les chiffres, seraient de plus en plus désireux d’en posséder un à domicile où il viendra se substituer à la table de billard, d’une autre époque, et compléter l’écran et les projecteurs de home cinéma. N’oublions pas, enfin, de mentionner le rôle des DRH dans cette résurrection qui voit le baby-foot comme outil de team building. Il existe même des compétitions de baby-foot inter entreprises avec des figurines personnalisées et, parfois, réinterprétées. C’est dire.

Un baby-foot a une durée de vie de 50 ans. Deux générations peuvent donc s’y retrouver. Voilà pourquoi il n’a jamais été oublié…

Techno Génération

Dans leur grande majorité, les pubs pour les voitures se contentent d’exprimer ce que les conducteurs ressentent au volant… on a alors droit à un florilège de banalités trempées dans un jus de psycho-comptoir, oscillant entre la satisfaction d’avoir « osé » et la révélation d’être « enfin » devenu soi-même.

Certains modèles échappent à ce nouveau stéréotype créatif. C’est le cas de la dernière pub pour le SUV Peugeot 2008 hybride. Qu’elle en soit ici remerciée… Elle nous décrit la vie d’une jeune femme d’aujourd’hui au fil du temps avec, en arrière plan, un « état » de l’avancée technologique de son époque. Enfant dans les années 90, une carte postale en relief figurant un lion qui rugit suffit à lui offrir une expérience nouvelle. Dans les années 2000, la voici ado et rivée à des jeux d’arcade. Première plongée dans le virtuel. Vinrent ensuite les années 2010, marquées par le casque de VR dont tout le monde attendait beaucoup (on attend encore). Une certaine idée du futur. 2020 enfin. Elle a maintenant une trentaine d’années, est devenue une femme conquérante et moderne. La preuve ? Elle roule en Peugeot 2008 hybride et c’est elle qui prend le volant. Comprenez : elle prend son futur en main. Rien ne pourra plus l’arrêter et l’on sent bien que, face à ses potes qu’elle part rejoindre et qui roulent encore en thermique, c’est elle qui a le pouvoir.

Que nous dit finalement ce spot ? Qu’une génération ne se définit pas seulement par son âge, mais aussi par son rapport à la technologie. Que la technologie construit notre rapport au monde. Et qu’elle est même, désormais, une condition de notre épanouissement et donc de notre réussite. Malheur à ceux qui veulent se tenir à l’écart ou rechignent à suivre le rythme qu’elle nous impose. Le moteur qui nous fait avancer n’est, ni hybride, ni thermique, ni diesel. Il est dans notre capacité à affronter et à nous approprier les innovations qui se présentent à nous.

Le spot s’achève par un banal « Changez de dimension » alors que l’image de fin révèle discrètement une signature anglaise bien plus sophistiquée et d’ailleurs reprise en affichage : Unboring the future. Notre futur serait-il donc naturellement ennuyeux ? Voilà qui pourrait soudainement faire tâche dans l’idéologie techno-futuriste portée par la pub. Voilà aussi qui vient subrepticement nous apprendre ce que nous devons attendre de la technologie…

La réinvention française

On vit une époque formidable. Ceux qui, hier, auraient été rebutés par la concurrence ou la difficulté d’exister sur un marché saturé, osent se lancer. Et réussissent en réinventant les règles. 

On pensait avoir fait le tour du marché de la pizza. Et voilà Big Mamma qui redistribue les cartes à coup d’ambiances sur-théâtralisées, de matières premières nobles et sourcées et d’absence de réservation quand tous les restaurants en vogue obligent leurs clients à respecter un créneau horaire précis et contraignant pour accéder à leur temple. On croyait le prêt-à-porter féminin saturé au point que le vintage apparaissait comme le « nouveau neuf » et voilà que Sézane débarque avec son « appartement » (quand ses concurrents se demandent à quoi devra ressembler leurs prochaines boutiques) qui donne à ses clientes le sentiment qu’elles sont entre copines. 

Quant au jean, entre Levi’s et ses frères d’un côté (pour les clients mainstream) et Acné, Apc, Notify, Kiutsuné, de l’autre (pour les bobos pointus), qui pouvait encore espérer quelque chose ? 1083 vient nous signifier que nous avions tort et que l’attractivité d’un jean pouvait venir de la façon dont il était conçu. La marque 1083 a vu le jour (en 2013) grâce à une campagne de financement participatif. Pas banal. Elle a ensuite fait le choix de tout produire en France (les jeans ne parcourent jamais plus de 1083 km) y compris le coton, grâce au recyclage de vieux jeans et de s’installer à Romans-sur Isère où elle a naturellement contribué à la création d’emplois. Dernièrement, la marque a associé ses consommateurs en lançant un emprunt participatif avec, pour objectif, une collecte de 700 000 euros. Elle a finalement récupéré un peu plus d’un million d’euros, somme qui servira à augmenter les stocks de jeans et de tissus pour faire face à la demande. On a récemment appris que son charismatique fondateur, Thomas Huriez, allait entrer en campagne pour les élections municipales sous la bannière apolitique « Passionnément Romans ». Comment s’en étonner ?

Bien que très différents par leur poids ou leurs ambitions, les marques Big Mamma, Sézane et 1083 ont des points communs : elles ont su court-circuiter la réalité de leurs marchés, inventer de nouveaux codes et embarquer leurs acheteurs dans leur histoire en leur donnant le sentiment d’être membres d’une communauté. Les trois piliers du nouveau marketing.

Un monde de brut

Le mois dernier, la maison Louis Vuitton présentait à un public choisi un diamant brut hors norme, gros comme une balle de tennis. Peu de gens l’ont vu, mais tout le monde en a parlé. L’objectif de la marque était de prendre pied sur le marché très fermé de la haute joaillerie, segment du luxe qui échappe encore au tentaculaire groupe LVMH. Baptisé « Sewelô », ce qui signifie « découverte rare » dans la langue tswana, parlée au Botswana où il a été extrait, ce diamant n’a pas encore été taillé, ni même poli, et reste mystérieusement caché sous son enveloppe de carbone noir originel. Avec un poids de 1758 carats, soit environ 350 grammes, il est le deuxième plus gros diamant brut au monde et devrait donc donner lieu, après taille, à de nombreux bijoux signés LV.

Le plus intéressant dans cette histoire n’est pas le poids du diamant, mais que, pour la première fois, un diamant brut soit montré alors qu’il ne ressemble à, ce stade, qu’à un bloc noir moins attrayant qu’une toile de Soulages. Ce choix ne serait-il pas parfaitement significatif de l’attachement de notre époque au brut ? Au siècle dernier, les carottes présentées à la vente étaient toujours impeccables. Aujourd’hui, elles revendiquent une appellation « de pleine terre » et le prouvent visuellement. Les plaquettes de chocolat et les biscuits aiment se présenter sous une forme imparfaite, histoire de souligner leurs origines artisanales. Dans les magasins de mode, on met en scène le coton et les fils, on parle de laine mérinos, de cachemire grade A, de jeans bruts. En déco, il n’y en a que pour le bois brut, le béton brut et le métal brut, très appréciés des urbains dès lors qu’il faut donner une touche écolo, cool ou arty à une ambiance. Certains restaurants portent le nom brut pour bien affirmer que chez eux, on est dans le vrai des matières premières. Car la voilà, la nouvelle équation magique : brut égal vrai, ce qui dans un monde peuplé de concepts, est loin d’être anecdotique.

Ne serions-nous pas en train de dépasser le monde de l’apparence pour entrer dans celui de la matière ? Entrer dans cette dimension, c’est connaître les origines et les savoir-faire, s’intéresser à ce qui était là avant, donner à la main de l’homme le pouvoir de transformation. Une manière de venir rappeler que le brut est la mesure de toute chose. On l’avait un peu oublié…