Parenthèse urbaine

Rituals, l’enseigne néerlandaise de bien-être qui associe produits de soin et produits pour la maison a ouvert, à la fin de l’année dernière, son premier Mind Oasis en France : 300 mètres carrés sur les Champs-Elysées dont le nom sonne comme une promesse. Un stretching de marque malin, incarné par une proposition aussi originale que pertinente, construite sur deux expériences inédites : une relaxation mentale et un hydromassage.

Pour la relaxation mentale, six cabines dotées de fauteuils « zéro gravité » offrent des exercices de respiration, de stimulations sonores 4D et de vibrations haptiques destinés à induire un état méditatif profond. Une invitation à lâcher prise très accessible (30 minutes, 29,50 euros). L’hydromassage, lui, se fait, habillé, sur des waterbeds relaxants et massants aux sons de la nature (20 minutes, 19,90 euros). Difficile de ne pas se laisser tenter par ces nouvelles perspectives d’expériences.

Rituals dessine ainsi à sa manière un des futurs de la beauté : non plus sous la forme d’une offre de produits toujours plus performants, issus d’une recherche toujours plus pointue et vendus à des prix sans limite, mais sous celle de micro-moments facilement accessibles, aux effets immédiats et associés à une gestuelle précise. Des spas mentaux associés à une promesse de bien-être nouvelle, autant psychologique que cosmétique. Un break salutaire, capable de s’installer dans la routine d’une journée urbaine saturée, à rapprocher d’une pause dans un café, fut-il un Starbucks, un Paul Le café ou un de ces nombreux Coffee shops qui poussent actuellement en ville et dont le succès (apparent) vient confirmer une attente de « plus qu’une tasse de café ». Où ailleurs que dans un café est-il possible de faire une pause en ville ?

Animée par le même désir d’offrir une parenthèse, l’enseigne de « fast beauty » BodyMinute propose désormais un soin facialiste « coup d’éclat en 15 minutes » fait de massages faciaux dont l’efficacité est optimisée par des outils en pierre naturelle comme les Gua sha et les rouleaux sculptants. Quant à la chaîne britannique de produits de beauté éthiques et durables Lush elle vient, elle, d’annoncer l’ouverture de spas dans ses magasins… et même d’un salon de coiffure bio et aux teintures naturelles à Brighton. Qui sait si, demain, il ne sera pas possible de se faire coiffer chez Sephora et masser chez l’Occitane ?

Retour de tourte

Effet Georges III ou non, la tourte, appelée outre-manche pie, serait de nouveau recherchée et appréciée dans le village Fooding, là où rien ni personne ne disparaît à vie. Pour preuve, l’arrivée imminente à Paris du chef britannique Calum Franklin, également connu sous le nom de « the Pie King » avec un établissement près de l’Opéra et, dans ses valises, ses meilleures tourtes. Of course. Ou encore, l’ouverture récente de Groot, restaurant de tourtes, près de la rue Montorgueil.

Le magazine Elle, toujours à l’affût, qualifie même la tourte de « hit » de l’hiver, rappelant pertinemment au passage qu’elle est sans aucun doute le premier plat anti-gaspi de l’histoire. Une sorte de « fourzitou » d’il y a 600 ans où finissaient tous les restes qui, recouverts d’une pâte, feuilletée, permettait de satisfaire l’appétit des voyageurs anglais qui parcouraient la route pendant plusieurs jours. Au fil des siècles, la tourte allait devenir l’écrin des mets les plus raffinés avant de disparaître, sacrifiée sur l’autel de l’industrie agroalimentaire. La voici donc de retour.

Mais de quoi la tourte est-elle le nom ? Son succès est à rapprocher de celui des pâtés en croûte, de plus en plus visibles sur les tables. Et pas seulement celles des bouillons et des bistrots. La tourte, c’est d’abord un jeu de montré-caché très apprécié de nos jours. Je ne dis pas ce que je fais, je ne montre pas ce que je mange…

Vue de loin, la tourte est belle, ce qui n’est pas négligeable en ces temps d’instagrammabilité rampante, mais ne dévoile rien de ce qu’elle promet. Et sa pâte feuilletée a tout pour devenir un support de créativité visuelle comme le fut, en son temps, la mousse de café qui participa ainsi activement au renouveau du petit noir. En cachant pour mieux montrer, la tourte se met au service de l’étonnement et de la surprise, le carburant marketing du moment. Là est peut-être la raison de son engouement actuel.

Mais que cache donc cette belle tourte ? Surprise, surprise. De la viande, certes, beaucoup de viande même, permettant à tous les viandards de satisfaire, à l’abri des regards, des envies pas toujours faciles à assumer publiquement, mais aussi des légumes, du poisson ou du fromage. Un art du vivre ensemble, mais caché. Le témoignage vivant et discret d’un savoir-faire culinaire. Un « quiet savoir-faire » qui sonne comme une promesse, une manière de nous dire que ce que nous voyons n’est rien par rapport à ce qui nous attend. Un art de lé séduction qui vient nous rappeler qu’il n’est pas toujours besoin de tout afficher pour donner envie. 

Santé beauté

Si, pendant longtemps, la Food a été motrice des marchés alimentaires, mouvement fooding oblige, il semblerait que le vent tourne aujourd’hui en faveur du Beverage qui s’affirme être la nouvelle source d’étonnement. Après les mocktails (cocktails sans alcool, très appréciés) et les boissons fermentées, voici à présent les boissons au collagène. En apparence une micro-niche mais il est fréquent que des niches donnent naissance à de grandes portées. 

Rue La Fayette, à Paris, un établissement propose ainsi des collagen cafés, des collagen  latte, des collagen smoothies, des collagen soups et même des collagen frozen-yogurts, tous composés d’ingrédients aux vertus energisantes: spiruline, curcuma, charbon actif, guarana… Cette soudaine irruption des boissons au collagène ne pouvait pas venir d’ailleurs que des Etats-Unis où Jennifer Aniston, entre autres, les présente comme sa cure de jouvence quotidienne. A Los Angeles, les magasins Erewhon proposent des encas dopés à l’acide hyaluronique et des « cactus plant smoothies » censés booster notre système imunitaire. Ce qui se boit dans nos tasses finirait-il donc par se voir sur nos visages ? Pourquoi pas, même si les spécialistes de la nutrition ne partagent pas tous ce point de vue.

On pourrait aussi citer ici les compléments alimentaires de la marque Holidermie, dotés d’une esthétique hautement instagramable (cubes de cacao, poudres de super-fruits et capsules de café au collagène), le chocolat Feel good de Delikao qui promet un mieux-être dès deux semaines… à condition de consommer quatre carrés par jour ou encore les gummies aux innombrables vertus qui cartonnent sur Amazon. Les alicaments, un temps disparu des radars, reviennent donc sur le devant de la scène. Les plus de quarante ans se souviennent certainement d’Essensis de Danone (2008), un yaourt blanc dans un pot rose (le féminisme n’était alors pas aussi vigilant qu’aujourd’hui) qui nous promettait de nourrir notre peau de l’intérieur pour peu que l’on en ingère deux par jour. Une manière comme une autre de fidéliser ses consommateurs.

La relation entre alimentation et santé n’a donc pas disparu. Après le temps de la privation (sans sucre ajouté, sans gluten, produits crus) voici celui de l’implémentation avec les super aliments, les boosters ou encore yaourts hyperprotéinés sur fond de discours holistiques où bien-être physique et psychique ne sont jamais éloignés. Notre assiette est bien notre meilleure ordonnance pour nous permettre de bien vivre, bien vieillir et même paraitre jeune. Après Je suis ce que je mange, place à Je parais ce que je mange.

Gentricorée

Il fallait bien que cela arrive. La vie des produits n’est-elle pas un éternel recommencement ? Puisqu’à Noël, Furby et Tamagotchi étaient au pied du sapin, pourquoi ne pas célébrer le Dry January de façon inattendue par une bonne tasse de chicorée ? La nostalgie est sans doute le meilleur des remparts face aux dérives du présent. La chicorée est de retour et personne ne trouvera à y redire. Voilà qui va nous changer des « cafés de spécialité » des bobos à bonnet et moustache du Canal Saint Martin.

Avec la chicorée, on serait plutôt du côté des « gens vrais » : ceux qui, avec leur Dacia Duster, partent explorer la nature, camper en famille près des lacs et faire du VTT dans la boue. Outre l’ami Ricoré, que l’on ne présente plus, pionnier du marketing du moment et du partage, on peut compter sur la chicorée Leroux, toujours à son poste, mais plus discrète, et, aussi, désormais, sur Cherico (il fallait le trouver), la chicorée « nouvelle génération » (forcément) imaginée par la start-up nation. Une chicorée « sublimée par une torréfaction maitrisée et moderne qui s’inscrit dans une démarche durable et locale » lancée par deux jeunes entrepreneurs à succès puisqu’il s’agit des anciens fondateurs de la bière Gallia, revendue en 2021 au groupe Heineken. Les voilà désormais micro-torréfacteurs de chicorée, animés par la conviction que « cette plante regorge d’atouts pour devenir la boisson de demain : douce, saine et bonne pour la planète ». 

Il faut dire qu’elle a tout bon, la chicorée : cultivée en France et en Europe, elle a de quoi devenir l’emblème de l’agriculture responsable. Riche en nutriments, source de fibres et de sucres prébiotiques, elle est aussi un superaliment pour les défenses immunitaires. Quant à ses notes de caramel et de noisettes, elles peuvent facilement venir nourrir un imaginaire gourmand et apaisé, simple et rassurant, capable d’attirer tous les amateurs de cafés aromatisés importés (imposés ?) par Starbucks.

Pour preuve, Monoprix, toujours à l’affût, a récemment sélectionné Cherico dans le cadre de sa collaboration avec le site de crowdfunding Ulule pour dégoter des « pépites » potentiellement référençables sur ses rayons. De quoi favoriser sa notoriété. Redonner une nouvelle jeunesse à cette racine torréfiée venue du Nord de la France, quelle plus belle ambition ? Nos régions n’ont pas seulement du talent, elles ont aussi beaucoup à nous apporter, à nous les urbains.

Do or donuts ?

Même si les discours sur le bien manger et les bonnes résolutions ne cessent de se multiplier début janvier, il reste toujours une part de ventre pour des nourritures moins acceptables pour la bonne conscience, mais qui font tout pour le faire oublier en se parant d’attributs aussi instagrammables que cools. Dans cette catégorie, les donuts figurent assurément en tête de peloton.

Les donuts, ces sucreries joyeuses et insouciantes comme la jeunesse peut l’être quand tout va bien, étaient un peu sortis des radars. On les retrouve aujourd’hui dans les médias grâce à la fanfare organisée par la maison Krispy Kréme, l’auto-proclamée référence premium en la matière, née en 1937 en Caroline du Nord (un gage de crédibilité), à l’occasion de l’ouverture de son premier magasin parisien, au cœur du Forum des Halles. Objectif affiché : ouvrir 500 magasins en France d’ici cinq ans. Vous voilà prévenus.

Campagne de pub sauvage sur tous les murs du centre de Paris au mépris de tout respect environnemental, files d’attente dès potron-minet comme au bon vieux temps des premiers smartphones Apple, promesse pour les premiers entrés dans le magasin de donuts gratuits (chouette !), toutes les vieilles ficelles du marketing du « monde d’avant » se trouvent soudainement ressuscitées. La nuit des morts vivants en mode com’. Ceux qui affirment, doctement, que « l’on ne peut plus continuer à faire comme avant », trouveront là matière à réflexion… 

Le donut, c’est l’anti poke-bowl, varié et équilibré, toujours prompt à afficher son carnet de santé. Emblème de la fast food et de la malbouffe, il séduit par son côté transgressif et bad boy toujours attirant. Surtout chez Krispy Kreme où il est fabriqué sous les yeux des clients et vendu à un prix attractif… à condition de les acheter par boîtes de douze. Malin. Et puis l’enseigne, comme Mc Do, possède son produit iconique, The Original Glazed, dont la seule quête suffit à affoler les réseaux.

Politiquement incorrects autant qu’icônes de la pop-culture avec leurs clins d’œil aux Simpson et aux flics américains, jamais les derniers à se les partager pendant le service, les donuts ne sont pas une sucrerie, mais une attitude, une manière d’envisager la vie entre décontraction et lâcher prise. Ils incarnent notre part d’inavouable et nous donnent la sensation délicieuse d’enfreindre les conventions. Trop bon en cette période d’injonctions et de contrôles permanents.

La maison sans maison

Le 20 décembre dernier, le Conran Shop parisien (ouvert en 1992) baissait le rideau pour toujours. Quelques jours auparavant, c’était au tour d’Habitat (ouvert en 1973, à Montparnasse). Ces deux enseignes qui ont, un temps, appartenu au même groupe, seront donc restées unies jusqu’à leur disparition. Est-ce vraiment une coïncidence ? Toutes les deux sont sorties du même cerveau, celui de Sir Terence Conran et ont incarné une époque. Une époque d’avant les collab’, les pop-ups et les réseaux sociaux. Une époque où l’on se rendait dans leurs magasins pour s’inspirer, se laisser surprendre par de nouveaux styles et des objets inédits : des abat-jours en papier, des woks et des couteaux japonais, du design italien et des meubles inspirés par le Bauhaus, des accessoires pour la salle de bain qu’il était si difficile de trouver ailleurs…

Habitat et le Conran Shop étaient les premiers concept-stores : faciles d’accès, en libre-service, chargés d’objets et de meubles qui, associés les uns aux autres, constituaient un style de vie urbain immédiatement identifiable. Ici, il ne s’agissait pas encore d’être branché, mais simplement moderne. Colette n’était pas encore née. Aujourd’hui, Habitat s’appelle Ikéa, Maison du monde, AM-PM et l’esprit du Conran Shop s’est dissous dans diverses DNVB qui mettent parfois un pied dans le réel, tiraillées entre l’ambition opportune de produire une offre répondant aux images vues sur les réseaux sociaux et celle se contenter de diffuser des modèles iconiques devenus des marqueurs indispensables pour tous ceux qui s’inventent un style de vie désirable. Les temps ont changé et les attentes des Millenials ne sont plus celles des BoomersHabitat aurait sans doute dû multiplier les collab’ et intégrer les influenceurs et le Conran Shop, installer un café instagramable dans ses murs et proposer une offre originale au lieu de se contenter de diffuser de l’iconique haut de gamme.

Aujourd’hui, les propositions pour la maison sont partout et même là où on les attendait le moins. Chez Leroy Merlin et Castorama. La Redoute annonce abandonner le secteur textile pour se recentrer sur le secteur de la maison et l’on peut s’attendre à ce que de plus en plus de marques de mode s’aventurent sur ce territoire comme le font déjà Armani, Dior, Sézane ou Sessùn. La maison est partout. Ses maisons se sont multipliées. C’est le nouveau prêt-à-porter.

Ami of my Friends

During the summer, luxury brands seek out (private) beaches to set up shop. In February, they like to settle at the foot of the slopes. And at Christmas? Since department store windows and Place Vendôme are already largely occupied, they need to be even more creative.

Premium ready-to-wear brand Ami may well take the cake. To celebrate the festive season and boost its presence in people’s minds, the brand has set up a 22-metre-long ice rink in the Palais Royal gardens (December 16 to 31), with its majestic logo at the center. It’s an eco-friendly rink, made of self-lubricating synthetic tiles that doesn’t require the use of water or ice. Proof that having a green conscience does not necessarily mean giving up on everything you’ve ever known.

Second idea: make the skating rink accessible to all. But more than a generous democratic action, the aim here is to create scarcity, and therefore frustration, in order to boost the buzz. As a result, tickets were snapped up as soon as reservations opened. So there will probably be as many people around the rink as on it. Frustrated fans can console themselves by posting numerous proofs of their presence, and can always head for the ephemeral boutique featuring an exclusive capsule collection (accessories, bags, clothing, windbreakers, down jackets…) or the Ami café, a variation on those already owned by the brand in China, and stocked with Instagrammable logotype mugs. Allowing frustrated fans to avoid resentment is not something every brand can do. A lesson in relationship marketing.
For the occasion, the brand has also designed a digital Mystery box, published in 999 copies and on sale on its website for 250 euros (!), giving access to exclusive digital content, its private sales and a surprise gift (one emblematic piece of the brand, two tickets for its next Paris fashion show, a private moment with Alexandre Mattiussi, the brand’s designer…) which will only be revealed on December 25, as Christmas is upon us.

Ami is a reminder, if one were ever needed, that a brand no longer exists merely on the basis of its products, but above all on its ability to create moments of sharing, both playful and original, between its fans. Imagination is the key.

L’Ami de mes amis

L’été, les marques de luxe cherchent une plage (privée) pour s’installer. En février, elles aiment se glisser au pied des pistes. Et à Noël ? Puisque les vitrines des grands magasins et la Place Vendôme sont déjà largement occupées, elles doivent redoubler de créativité.

En la matière, la palme pourrait bien revenir à la marque de prêt-à-porter premium Ami. Pour célébrer les fêtes de fin d’année et nourrir sa présence dans les cerveaux, elle a installé (du 16 au 31 décembre) une patinoire de 22 mètres de long dans les jardins du Palais Royal, au centre de laquelle figure en majesté son logo. Une patinoire écoresponsable, composée de carreaux synthétiques autolubrifiants dont l’utilisation ne nécessite ni eau, ni glace. La preuve qu’avoir une conscience verte ne signifie pas forcément renoncer à ce que l’on a connu.

Seconde idée : rendre la patinoire accessible à tous. Mais, plus qu’un généreux élan démocratique, l’objectif est ici de créer de la rareté, donc de la frustration pour mieux booster le buzz. Conséquence : les places furent prises d’assaut sitôt l’ouverture des réservations annoncée. Il y aura donc sans doute autant de monde autour de la patinoire que sur la glace. Les frustrés se consoleront en postant moult preuves de leur présence et pourront toujours se diriger vers la boutique éphémère dotée d’une collection capsule exclusive (accessoires, sacs, vêtements, coupe-vents, doudounes…) ou vers le café Ami, décliné de ceux que la marque possède déjà en Chine et largement pourvu de mugs logotypés instagrammables. Permettre à ses fans frustrés de ne pas éprouver de rancœur n’est pas donné à toutes les marques. Une leçon de marketing relationnel.

La marque a aussi imaginé pour l’occasion une Mystery box digitale, éditée à 999 exemplaires et mise en vente sur son site à 250 euros (tout de même), donnant accès à des contenus numériques exclusifs, à ses ventes privées ainsi qu’à un cadeau surprise (une pièce emblématique de la marque, deux places pour son prochain défilé parisien, un moment passé avec Alexandre Mattiussi, le créateur de la marque…) qui ne sera révélé que le 25 décembre, Noël oblige.

Ami vient ainsi nous rappeler, s’il en était encore besoin, qu’une marque n’existe plus seulement par son offre, mais surtout, désormais, par sa capacité à produire des moments de partage, ludiques autant qu’inédits, entre ses fans. Place à l’imagination.

L’art est partout

Le luxe et la culture n’en sont qu’aux premiers chapitres de leur vie commune. Si le luxe a commencé par apparaître sur les bâches des chantiers du patrimoine culturel en péril, il est désormais tenté d’absorber la culture pour donner un nouvel attrait à ses différentes offres. Un attrait culturel ultime capable de faire oublier une dimension marchande parfois encombrante. Quand le monde du luxe jette son dévolu sur un secteur, ce n’est jamais dans un but philanthropique…

Les amateurs de maquillage peuvent ainsi acquérir des produits signés Lancôme (rouge à lèvre, maquillage et même son sérum anti-âge Advanced Généfique…) réinterprétés à l’aune des œuvres du Louvre le temps d’une collaboration. La rencontre du plus célèbre musée du monde et de la première marque de beauté française dans le monde. Il fallait y penser. L’offre est inspirée par huit sculptures emblématiques de la Galerie Richelieu : la Vénus de Milo, la Victoire de Samothrace, Corine, Diane de Gabies, la Nymphe au Scorpion, Echo, Hygie et Hermaphrodite. Au-delà de l’effet collector qu’elle ne manquera pas de produire, et même si le lien entre la Collection Louvre de Lancôme et les œuvres sélectionnées peut parfois sembler ténu, cette offre ne devrait pas manquer de séduire les Gen Z. Elle pourrait même les amener à découvrir des pièces majeures de la collection du musée qu’ils ne « calculaient » pas tant elle permet de souligner la diversité des formes de beauté, sujet très « concernant » pour eux, toujours animés par l’idée de combattre les diktats physiques et le sexisme.

Un peu plus loin, chez Rabanne (dont le nom vit désormais sans Paco), on a imaginé une première collection de maquillage à l’image du Pop Art en détournant les tubes de peinture et les bombes des graffeurs. On apprend aussi qu’après avoir collaboré avec le Met de New York, la marque Dr Martens s’est, cette année, rapprochée de la Tate pour imaginer une collection capsule de chaussures et d’accessoires autour de l’œuvre de l’artiste surréaliste et femme de lettres britannique Ithell Colquhoun.

Le monde de l’art va décidement devenir de plus en plus incontournable pour toutes les marques désireuses de toucher les plus jeunes. Il n’y a pas si longtemps, ceux-ci étaient vus par les Boomers comme incultes, obsédés par leur image et hypnotisés par les écrans. On les découvre aujourd’hui lecteurs et curieux des différentes formes de culture. On n’a pas fini de compter les marques qui vont vouloir passer pour arty…

Un monde qui shifte

Le pouvoir des habitants de GenZLand, ce pays récemment découvert et dont les règles de fonctionnement ne cessent de nous étonner et de contredire nos certitudes, se fait chaque jour un peu plus visible.

Les voilà à présent capables d’assurer le succès de livres. Des livres qui, certes, ne correspondent pas totalement à l’idée que l’on s’en fait rive gauche, mais qui n’en sont pas moins de providentielles bouées de sauvetage pour les éditeurs. La New Romance s’affirme ainsi comme un nouveau genre littéraire avec son premier Festival (à Strasbourg), ses maisons d’édition coming from nowhere (Hugo & Cie) et ses autrices stars comme Morgane Moncomble. Tout ce petit monde restant totalement inconnu de la très grande majorité des Français. Un monde parallèle. Comme celui de TikTok. La Gen Z, par sa capacité de mobilisation via les réseaux, peut aussi être à l’origine de succès de films « classiques » comme Simone ou, plus récemment Le consentement, et même d’autofictions comme celle de Panayotis Pascot (25 ans). Faire un livre de son spectacle et non l’inverse, il fallait y penser.

Dans ce contexte pour le moins « shiftant », il serait dommage de continuer à regarder ceux qui sont âgés de 16 à 24 ans comme des ados qui « finiront bien par grandir ». Comprenez : qui finiront bien par nous ressembler. Et s’ils nous montraient, à leur façon, ce qui nous attend ? Dans le monde de la distribution par exemple. Parmi leurs kifs actuels, outre les bubbles teas, la K-food arrive largement en tête. Avec la K-pop et les K-dramas, des séries qui accordent d’ailleurs souvent la part belle aux scènes de repas… Deux enseignes alimentaires coréennes dominent le marché parisien : Ace et M-Mart. On y croise rarement des Boomers et leurs offres cochent toutes les cases des attentes actuelles de la Gen Z : étonnement (goût sucré-salé, couleurs improbables, textures inédites, formats jamais vus), hyperchoix (se sentir tenté par tout), nomadisme (street-food et grignotage pour toutes les occasions), le tout sur fond de prix (en apparence) accessibles, pour que tout semble à portée de désir, et de sentiment d’appartenance communautaire palpable.

Face à de telles promesses, qui pourraient devenir de nouveaux attendus de base, comment imaginer que la Gen Z finisse, un jour, par se satisfaire des rayons d’un hypermarché, pleins de produits semblant appartenir au siècle dernier ?