Tout le monde drope

Drop. C’est le mot qui, actuellement, compte triple au Fashion Scrabble. Depuis que Supreme doit son succès à la mise en vente de produits édités en très petite quantité, donc rares, leur garantissant une forte valeur de revente et de désirabilité, chaque marque de luxe (Moncler, Tods’s, Gucci, Balenciaga, Vuitton) tente la martingale en lâchant elle aussi son drop (en français, un « parachutage »). Il faut dire que la technique coche toutes les cases pour reprendre l’expression consacrée.

Proposer un drop, c’est aussitôt faire naître chez celui qui l’acquiert un sentiment rare d’exclusivité et d’appartenance au monde où il faut être… que seuls ceux qui en connaissent l’existence peuvent ressentir… Imagine-t-on des drops chez Celio ou Pimkie ? Le drop permet aussi à la marque qui en est à l’origine de provoquer un effet de surprise bienfaisant dans son calendrier : la petite dose d’adrénaline que tout consommateur d’aujourd’hui attend pour donner un peu d’aspérité à sa vie et s’exprimer sur les réseaux sociaux. De quoi nourrir, enrichir ou rafraîchir le story-telling d’une marque, ce qui n’est jamais à négliger. Le drop permet encore de mieux cerner les goûts et les attentes de ses clients. Pourquoi toujours vouloir produire en grande quantité et prendre des risques alors que quelques produits lâchés sur le marché peuvent suffire pour prendre la température ? Idéal pour corriger le tir et s’éviter la chute. Le drop a enfin pour vertu de faire se déplacer les foules de Millennials dans les magasins du monde réel dont ils pourraient, un jour, oublier l’existence. Une bonne manière pour les marques d’afficher leur santé en montrant qu’elles sont encore « dans le coup ».

Le drop incarnerait donc une sorte de course en avant destinée à mythifier un produit, donner du corps à une marque en créant une légende autour d’elle tout en venant nourrir sa notoriété et sa désirabilité. Qui pourrait être contre ? Il n’est, finalement, pas très loin de ce que l’on appelait au siècle dernier les ventes « flash », à ceci près que, si tout ce qui est rare est convoité (l’affaire est entendue), tout ce qui est rare donne aujourd’hui une raison d’exister à une communauté. Une autre facette du « Je consomme, donc nous sommes »…

Etre là sans être là

Tout a commencé avec le mouvement de Staycation, concept hybride (comme l’aime notre époque) né du rapprochement de Stay et de Vacation, soit l’idée, pour le moins étrange, de rester chez soi pendant les vacances. Ceux qui chaque année s’évertuent à vanter les mérites de Paris au mois d’Août ont trouvé là un argument supplémentaire. Puis vint le temps du Workation, construit sur le même principe, mais adopté au travail. Comprenez : travailler dans des lieux qui pourraient être associés aux vacances. Yoga, méditation, surf, oui, mais entre deux rendez-vous avec les actionnaires et deux réunions de bouclage de levée de fonds. Workation ou comment ne jamais vraiment partir pour pouvoir mieux revenir. Un mouvement né en Californie qui se décline, par exemple, dans le Perche, à la Mutinerie où coworking et coliving se conjuguent sur fond de permaculture.

Et voilà que, maintenant, c’est l’idée de partir à la campagne qui démange les branchés urbains. Plus les villes se remplissent de touristes, plus leurs habitants réfléchissent à des plans B pour s’en éloigner. Ainsi, l’hôtel Le Barn, qui se présente comme un fantasme de maison de campagne à 45 minutes du Périph’ : au milieu de 200 hectares de bois, une ferme et ses granges agricoles revues par une agence éco-responsable de designers/éditeurs où il est possible de jouer au coin du feu et de pratiquer, entre potes ou en famille, la pêche à la mouche, l’équitation, la rando, le yoga et même de s’adonner au plaisir de barbecues éco-responsables locavores. Des activités instagrammables à souhait, certes, mais sans épate. On pourrait aussi citer (toujours dans le Perche…) le lieu « D’une île », récemment repris par Fanny et Valentin, deux anciens des très estimés restaurants parisiens Septime et Clamato avec le soutien de leur chef étoilé, qui propose huit chambres et un restaurant déclinés dans le même esprit cool-créatif qui a fait la réputation de ces établissements.

Staycation, workation ou échappées vertes, on ne peut s’empêcher de penser qu’il flotte actuellement dans les esprits comme une envie d’être ailleurs… sans trop perdre ses repères. En vacances, mais chez soi ou au bureau. Avec ses potes et sa communauté parisienne, mais hors de Paris. Après les City-breaks, voici venu le temps des Life-breaks comme solution pour les évasions de proximité. Pourquoi vouloir toujours aller loin ?

Marche, partage, économise

Il y a peu, pour rappeler l’existence de son nouveau service de voitures partagées, UberPool, destiné à ses plus jeunes clients, la compagnie de VTC avait imaginé une campagne de pub centrée sur trois injonctions : « Marche, partage, économise ». Marche, tout d’abord : pour rejoindre le point de ralliement des différents clients de ta course en Uber, certes, mais aussi pour rejoindre les magasins et restaurants du monde réel car il n’y a pas qu’Internet dans la vie. Marcher, c’est faire un effort pour obtenir quelque chose et peut être même se faire plaisir. Un message qu’il est toujours utile d’entendre. Partage, ensuite. Partage ce dont tu ne te sers pas ou plus. Partage aussi ton espace de travail, ta voiture, ton appartement. Ou encore, tes expériences, tes sentiments, tes souvenirs sur les réseaux sociaux. L’idéologie de notre nouvelle société n’est-elle pas fondée sur le partage ? Malheur à celui qui ne partage pas. Economise, enfin. Entre les soldes privées, privilège ou exceptionnelles, les outlets, les « bons plans », le vintage et autres réseaux plus ou moins confidentiels permettant d’accéder à ce quoi tout le monde n’a pas accès, c’est peu dire que l’art et la manière d’économiser se déclinent à l’infini. Qui pourrait se dire insensible à cette promesse et que peut encore vouloir dire un prix « normal » ?

Faire un effort, partager et acheter moins cher décrivent ainsi les nouveaux comportements attendus chez les marques et les enseignes par les consommateurs. Faire un effort peut, par exemple, signifier cuisiner (un peu) par soi-même, faire (un peu) de sport ou (un peu) attention à ce que l’on mange ou encore parcourir quelques mètres plutôt que d’attendre chez soi une livraison. Partager peut devenir synonyme de plus d’altruisme, d’empathie, de moindre gaspillage ou de plus de circulation au cours de la vie d’un produit. Economiser n’est pas toujours à entendre comme vouloir gagner de l’argent, mais peut aussi signifier mieux utiliser ce que l’on achète ou être plus à l’écoute des saisons pour donner du sens à ses achats.

Que nous dit, finalement, UberPool ? Que dans le nouveau modèle de consommation, il n’y a plus, d’un côté, celles qui offrent (les marques) et de l’autre, ceux qui demandent (les consommateurs). Chacun doit faire un pas vers l’autre. Les économies sont à ce prix.

Good food

Il est toujours intéressant d’aller promener son regard hors de chez soi, mais pas trop loin quand même pour ne pas perdre ses repères culturels. En Belgique par exemple. Le Soir, grand quotidien national, abordait récemment les 5 tendances food de 2019. On y trouvait, les racines, l’amertume, la fermentation, la salade et la kernza (après le millet, le quinoa, le sarrasin, c’est la nouvelle graine à cuisiner).

Premier constat : beaucoup de propositions sont (encore) inconnues, preuve que les marchés alimentaires carburent à la découverte et à l’étonnement. Bonne nouvelle. Second constat : la nouveauté food vient de la terre et est végétale. Pas de viande à l’horizon. Pas de fruit, fût-il « super », non plus. Pas vraiment surprenant. Après avoir ressuscité les légumes anciens, quoi de plus attendu que les racines comme les ignames, le panais et même, ultime nouveauté, le jicama du Mexique, à l’allure d’un navet, qui se consomme cru ou cuit ? L’amertume devrait continuer sa progression dans nos palais, dans le sillage du chou kale, et venir ainsi enrichir notre palette des saveurs. Ce n’est pas encore maintenant que l’umami, le cinquième goût des Japonais, le goût « savoureux », va réussir à s’imposer… Place au brocoli-rave, aux feuilles de pissenlit, au chou chevalier et même à l’endive qui pourraient venir s’immiscer dans les cocktails…

L’arrivée de la fermentation vient signer l’irruption du vivant qui se transforme dans notre alimentation. Peut-être la nouvelle norme alimentaire. Nous devrions ainsi faire connaissance avec le tempeh, alternative à la viande et cousine du tofu. Il s’agit d’une préparation indonésienne consistant à faire fermenter des graines de soja pelées et cuites… La laitue romaine serait promise à un avenir radieux et la salade devrait s’imposer dans notre alimentation sous toutes les formes, y compris en jus et dans des boissons désaltérantes. On devrait même découvrir de nouvelles variétés comme la laitue-asperge ou la laitue-tige, très présentes dans la cuisine asiatique. Quant à la kernza, sa production est vantée par tous les défenseurs de la planète puisqu’elle est capable de régénérer les sols et de stabiliser le climat. Bientôt sur nos tables de petits-déjeuners et dans nos bières…

Quel est le point commun de tous ces aliments ? Etre, ni beaux, ni appétissants, mais tous dotés d’une même promesse : nous permettre de mieux nous porter sans mettre en péril la planète. La rencontre du Je et du Nous.

Anti-Fooding

On a commencé à sentir le vent tourner avec l’ouverture, à Paris, de Bouillon, place Pigalle, un lieu qui voulait renouer avec l’esprit des brasseries parisiennes, à mille encablures d’une approche conceptuelle de l’assiette. Chez Bouillon, c’est de cuisine de toujours qu’il s’agit. Pour toutes les bourses et tous les appétits. Et servie sur des tables très rapprochées pour donner corps à la convivialité. Pour Noël, la sortie d’un livre de recettes issues de la carte de l’établissement, richement dotée d’illustrations et de contextualisations socio-historiques, n’a donc rien de surprenant. Juste le reflet de la manière très actuelle des éditeurs de s’inspirer de l’air du temps pour remettre dans la sphère de la désirabilité ce qui s’en était éloigné.

Depuis, un peu partout dans Paris, s’ouvrent des brasseries où l’œuf mayo et le riz au lait constituent l’alpha et l’oméga de la carte et où le pâté en croûte et la bouchée à la reine sont devenus les porte-drapeaux des amateurs de cuisine traditionnelle. La brasserie et ses plats roboratifs de nouveau dans l’œil de la tendance, qui l’aurait cru ? Et qui songerait à s’en plaindre ? Est-ce d’ailleurs vraiment étonnant ?

La cuisine de brasserie n’est pas seulement l’après fooding, elle est surtout l’anti-fooding. Quand le fooding brasse les recettes, les écoles, les gestes et les origines pour inventer de nouvelles propositions ou « réinventer l’existant », les brasseries, elles, mélangent les populations et les prix. Le premier crée de la modernité rupturiste, un peu d’élitisme et beaucoup d’entre soi, alors que le second renforce la convivialité et l’attachement à la tradition. Une tradition que certains pourraient voir comme une forme de nostalgie rétrograde, mais que d’autres, alertés par cette perspective, ont aussitôt rebaptisé « retro-cool » pour lui donner toute son ampleur.

Le retro-cool, c’est une esthétique vintage plus que des valeurs conservatrices. A-t-on d’ailleurs jamais vu une brasserie design au décor épuré ou une brasserie inspirée des dernières tocades des magazines de décoration ? Non, car une brasserie a toujours l’apparence d’une brasserie. Et les plats que l’on y sert ressemblent toujours à l’idée que l’on s’en fait… Presque une révolution…

Nouveaux territoires

Alors que, sous la pression du e-commerce, de plus en plus de magasins du monde réel se donnent des airs de « comme à la maison » à grands coups de canapés, de tables basses, de photos encadrées et de petites attentions amicales (café, verres d’eau, magazines), nos intérieurs, eux, reçoivent de plus en plus «d’inconnus».

Avant, rares étaient ceux que l’on ne connaissait pas et qui pouvaient entrer chez nous : l’employé du gaz ou de l’électricité (qui ne devraient pas tarder à disparaître, boutés hors des foyers par Linky et Gazpar…) et, de temps en temps, une baby-sitter, un livreur d’électroménager ou un médecin urgentiste. Désormais, il faut s’attendre à voir débarquer chez soi le représentant motorisé de Frichti ou du Japonais du coin, tous ceux qui viennent chercher ce que vous avez déposé sur Leboncoin, sur un site de vide-dressing ou mis en vente sur Rakuten et même, potentiellement, un des habitants du quartier désireux de vous emprunter un outil ou d’utiliser votre machine à laver si vous lui en avez donné le droit. Quand ce n’est pas un coach ou un chef à domicile qui auront tous deux besoin de se changer dans votre salle de bain… Ceux que la transformation d’un lieu de vie en hall de gare ne rebute pas peuvent même organiser des ventes privées ou une soirée autour de jeux dans leur salon.

Entre les hôtels qui veulent donner à leurs clients le sentiment d’être chez eux et les bureaux et les magasins qui se la jouent appartement, il n’est pas exagéré de parler de confusion des genres ou de glissement des frontières. Derrière cette évolution, c’est d’abord de la place de la consommation qu’il s’agit puisque celle-ci vient désormais à nous. Conséquence : nos maisons cessent d’être des bases de repli pour devenir des espaces d’accueil. Et la différence entre extérieur et intérieur s’atténue. Ce qui était attribué à l’un devient possible pour l’autre, ouvrant de nouvelles perspectives aux fabricants de meubles et d’accessoires.

C’est aussi notre perception du temps qui se modifie puisque le temps dédié au travail télescope notre sphère privée, faisant apparaître de nouvelles activités hybrides : travailler ailleurs que chez soi ou dans une entreprise, vendre à domicile, jouer au bureau… Et s’il fallait renoncer à l’idée d’associer un lieu à un temps ?

Basique

Ceux qui sont nés le siècle dernier se souviennent qu’après la guerre du Golf (circa 1991), les marchés qui avaient été un peu délaissés pour cause de guerre s’étaient relancés grâce à un concept tout à fait nouveau : les basiques. Ces années-là furent en effet marquées par l’arrivée sur le marché de Muji, ou encore par l’irruption de la petite robe noire que toutes les femmes se devaient de posséder dans leur garde-robe, non pour signifier qu’elles étaient devenues des veuves de guerre, mais parce que les consommateurs ne voulaient plus « consommer comme avant ». Ils voulaient désormais donner du « sens » à leurs actes d’achat. Comprenez : faire des achats raisonnés, à défaut d’être toujours raisonnables.

Beaucoup d’eau a, depuis, coulé sous les ponts, et nous avons connu le baroque, le bling-bling, le bronze et le gold, les logos XXL, bref, tout ce que les adeptes de basique ne voulaient plus croiser sur leur chemin. La vie étant un éternel recommencement (rengaine), personne ne peut aujourd’hui s’étonner du retour en grâce du basique. Dans le monde de la cosmétique, avec des produits à l’apparence «less is more» : typo noire sur fond blanc, noms simples et descriptifs, absence d’images, packagings aux inspirations Bauhaus ou pharmaceutiques. Dans celui de la mode aussi (forcément) où de nombreuses marques tentent l’adjectif « parfait » pour renouveler le genre et attiser le désir. Le it-T-shirt du moment, blanc et rouge, signé Levi’s, auto qualifié de « Perfect Graphic Tee » n’a pas autant de succès par hasard. Pas trop pointu, un brin sportswear, doté d’un prix accessible : le cousin de la Stan Smith. Celui ou celle qui possède un pull « parfait » peut-il d’ailleurs, un jour, imaginer s’en défaire ?

L’air du basique qui flotte en ce moment n’a rien de surprenant. Il reflète une lassitude des consommateurs face à la surenchère de discours pseudo-scientifiques ou très éloignés du réel de leur quotidien. Le rêve n’assure plus toujours les ventes… Il est aussi l’expression d’une nouvelle posture de la part de marques qui souhaitent paraître plus responsables, plus transparentes, plus accessibles. Et, dans ce cas, mieux vaut ne pas en faire de trop.

« Basique, simple, simple, basique » comme le chante Orelsan.

Sistronomie

Qui a entendu parler de Sistronomie ? Sans doute davantage les Bretons que les Marseillais. Sans doute aussi ceux qui suivent l’actualité Food. Car la Sistronomie désigne un courant alimentaire encore rare (qui ne demande qu’à se développer), consistant à accompagner ce que l’on mange de cidre. Sistr signifie cidre en breton. Et oui, le cidre, scotché aux crêpes depuis toujours et que ses fabricants aimeraient bien voir consommé à d’autres moments qu’en février et durant les vacances au bord de la mer. La Sistronomie a donc été inventée par un des grands acteurs du secteur, Loïc Raison, pour attirer l’attention sur cette boisson souvent appréciée, mais qui peine à trouver sa place dans un rite quotidien. Pourquoi ne deviendrait-elle pas la nouvelle bière ? Naturalité, simplicité, authenticité, made in local, tout est là. Ne manque plus que l’étincelle pour faire partir la tendance.

En son temps, le Fooding a bien réussi à démoder les restaurants du guide Michelin en imposant son approche disruptive. Les cocktails ont longtemps été réservés aux hôtels de luxe avant de se répandre dans les bars à Millennials. Entre l’imaginaire des micro-brasseries et l’esthétique kraft, les bières ont trouvé de quoi séduire ceux qui s’y étaient initiés durant leur Erasmus en Irlande ou à Berlin. Quant au p’tit noir que l’on prenait sur le comptoir, il s’est soudainement retrouvé propulsé dans la modernité entre les mugs à la Starbucks, les capsules des machines et les baristas tatoués sur fond de percolateurs de compétition. Pourquoi le cidre n’aurait-il pas, lui aussi, droit à sa part de transformation et de réenchantement ? Fallait-il encore qu’il fut associé à un mouvement. Voilà qui est fait.

Des « cidres de dégustation » pourront donc être invités aux tables des grands restaurants, manière de conférer au secteur ses lettres de noblesse et de le sortir, pour un temps, de ses bolées en grès. Ils pourront aussi, sans difficulté, accueillir toutes formes de story-telling, allant du discours sur les origines à ceux portés par les « sistronomes » convoqués pour l’occasion, qui ne manqueront pas de souligner leurs « notes d’alcools supérieurs », leur élégance, leur équilibre et leur complexité. Assez pour les marier à des plats de viande blanche ou à des produits de la mer.

Ne manque plus au cidre qu’un blogueur influent, une irruption singulière dans une émission de télé-culinarité ou encore, pourquoi pas, se retrouver au centre d’une comédie populaire située en Normandie. Rien ne doit être négligé pour devenir un « art de vivre ».

Le pouvoir des logos

Les logos ont toujours agi comme des signaux, des balises, des points de repère pour les consommateurs. D’où les hésitations et la prudence des marques lorsqu’elles se décident à les « faire évoluer », convaincues qu’ils ne sont plus au goût du jour. Délicat moment et inévitables batailles entre les anciens et les modernes. Parfois, certaines marques décident, de façon événementielle, de rééditer leurs anciens logos qu’elles associent pour l’occasion à leurs packagings de l’époque. Cela donne des éditions vintage qui ont toujours leurs fans. Surtout parmi les plus de 40 ans…

Depuis peu, on peut ainsi, de nouveau, se procurer des Treets (qui « fondent dans la bouche, pas dans la main ») repris par Lutti et réédités dans leur packaging d’époque, à la couleur près pour ne pas faire d’ombre à M&M’s qui, en 1986, fut choisi pour prendre sa relève. Les pastilles Pulmoll ont, elles aussi, retrouvé le chemin de leur packaging historique le temps d’une édition limitée. Les logos oscillent finalement depuis toujours entre modernité et esprit vintage pour le plus grand bonheur de consommateurs désireux d’être à la fois rassurés et étonnés. Oui, mais voilà, depuis quelque mois, les logos sont l’objet de nouvelles ambitions.

Cela commence dans le monde de la mode, toujours perçu comme marginal, certes, mais l’est-il vraiment ? Chez Burberry tout d’abord, où tout a été revu, du logo au motif iconique. On aurait pu croire à un caprice de créateur star. Mais quelques semaines plus tard, il arriva la même chose à Céline, amputé de son accent, et, plus récemment encore, chez Berluti où la typographie a été modernisée et le nom agrémenté d’une date et de Paris. On pourrait également citer Yves Saint Laurent devenu Saint Laurent en typo épaisse. La démarche n’est pas anodine et pourrait se reproduire dans d’autres secteurs.

Pendant des années, les créateurs en charge de faire vivre « un grand nom » entretenaient avec lui une relation de respect, de déférence presque patrimoniale. Il s’agissait de s’inspirer d’un esprit et de le prolonger en le confrontant à la modernité. Mais surtout pas de toucher à son logo car c’est sur celui-ci, décliné à l’envi, que repose le business model de la mode et du luxe. Les temps ont changé puisque le premier coup de pioche donné est désormais pour le logo. Une manière de marquer son temps et de signifier une nouvelle ère.

Le logo serait ainsi autant un point de repère qu’un signe de pouvoir.

Consogaming

Jeudi 25 octobre, à 10h précises, alors que chacun réfléchissait à sa future tenue d’Halloween, les fans de sneakers avaient, eux aussi, leur rendez-vous. Sur le site de Kenzo à l’occasion de la mise en vente de la nouvelle Sonic Sneakers. Evidemment en série limitée ultra exclusive. Sinon, à quoi bon ? Pour marquer l’événement à sa juste mesure, la marque avait imaginé un e-shop un peu singulier, habilement baptisé Shopping League, où, pour une fois, il ne suffisait pas d’être le premier pour pouvoir accéder à son rêve (en étant, de toutes façons, battu d’avance par des e-bots, toujours plus réactifs…) ou de subir un tirage au sort afin de récupérer un numéro gagnant.

Non, cette fois-ci, il allait falloir se battre. Pas comme dans un duty-free d’aéroport, mais avec ses neurones et son agilité. Comme dans un vrai jeu vidéo. De quoi décourager bon nombre de candidats à la sneaker. Voilà donc un site, fut-il éphémère, qui réinvente les règles du e-commerce en s’inspirant du monde du gaming : un nombre de joueurs limité, chacune de leurs actions visible en temps réel et des « shopping gamers » qui cliquent sur un produit au même moment et doivent s’affronter lors d’une battle pour déterminer qui repart avec l’une des cent paires exclusives. Une expérience de marque inédite qui pourrait inspirer le commerce, qu’il appartienne au monde réel ou virtuel.

Le commerce n’est-il pas toujours en quête d’expériences inédites ? Les consommateurs n’entretiennent-ils pas, parfois, des relations passionnées avec les marques dont ils se sentent proches ? Un état pas très éloigné de celui des supporters sportifs. Et les plus jeunes d’entre eux ne sont-ils pas habitués aux battles et challenges en tous genres sur les réseaux sociaux ? Enfin, les marques ne se rêvent-elles pas toutes en clubs fédérant des passionnés avec lesquels elles peuvent imaginer plein de beaux événements naturellement ciblés ?

On oppose fréquemment le monde réel au monde virtuel, mais oppose-t-on aussi souvent le ludique au « normal » ? Et si le ludique devenait le nouveau normal d’une distribution qui a parfois du mal à attiser le désir ? Après tout, on a bien accepté les blagounettes de Michel et Augustin, de Bagelstein et de Monoprix. Alors pourquoi ne pas pousser le bouchon (un peu) plus loin ?