La communauté des hommes

L’affaire n’a pas fait la Une des quotidiens et pourtant. Il y a une poignée de semaines, L’Oréal signait un méga accord avec David Beckham pour lancer une nouvelle marque de cosmétique destinée aux hommes, comprenant vingt et un produits, ce qui n’est pas rien. L’enjeu est ici, dixit L’Oréal, de « changer les règles du monde des soins de beauté pour homme » car l’approche se veut holistique. Baptisée House 99 (en référence à l’année Beckham, les footeux comprendront…), l’offre en effet très complète capte tous les imaginaires et les attentes du moment.

La culture des barbiers britanniques, tout d’abord, qui vient donner une dimension lifestyle à l’ensemble de l’offre, contribue à la viriliser sans pour autant écraser toute envie d’exprimer son style. L’excentricité socialement acceptable. Elle parle aussi, pour la première fois aux tatoués. Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps ? Ceux-ci sont-ils conscients de la nécessité de prendre soin de leurs tatouages ? Le soleil, le vieillissement de la peau, la préservation des couleurs comme autant de nouvelles problématiques que le marketing a pour génie de faire émerger et d’installer dans les esprits. La gamme ne manque bien sûr pas de proposer tout ce qu’il faut pour permettre aux hommes d’oser les expressions capillaires les plus inattendues grâce à des produits capables de donner de la forme aux cheveux rebelles et aux barbes, courtes ou longues. On peut faire confiance aux footballeurs pour être à la pointe des nouvelles tendances capillaires…

Mentionnons au passage des formules riches en quinoa et en spiruline très en vogue. Et soulignons pour finir, la mention House (mot qui compte triple en ce moment au Scrabble marketing) qui, ici, reflète « l’objectif de David Beckham de construire une communauté ouverte aux passionnés de cosmétiques pour homme, pour partager leurs conseils de style et leurs recommandations ». Une approche globale riche en imaginaires, des insights inédits qui font se poser de nouvelles questions et font émerger de nouveaux « besoins »… mais aussi des ingrédients écolo-bonne conscience et un visage emblématique pour incarner la marque, permettre la projection et dessiner les contours de la communauté. La recette à suivre pour toutes les marques en quête de succès. La méga star n’est pas forcément indispensable…

L’assiette du futur

Pourquoi l’assiette échapperait-elle à la futurologie ? Selon le magazine anglais The Guardian, cinq grandes tendances alimentaires devraient s’imposer en 2018. Les repas sans viande, tout d’abord. Personne ne sera surpris. Les champignons, ensuite. Ils seront de plus en plus souvent invités à nos tables. Une étude américaine aurait ainsi récemment montré que manger cinq champignons par jour pouvait abaisser le nombre de maladies cardiaques et de cancers. Une autre étude anglaise viendrait prouver leur capacité à aider le corps à s’adapter au stress. On peut déjà imaginer une « champi-mania » avec gourous de circonstance et régimes adaptés.

Les poudres fonctionnelles sont également appelées à prendre place dans notre quotidien. Des poudres fonctionnelles ? Cacao, maca, curcuma, charbon actif, algues bleues… chacune sa fonction, chacune son imaginaire santé. Anti-inflammatoire, aide à la digestion, apport en protéines… Nouveaux gestes en perspective. Une pincée par-ci, une cuillerée par-là. La pensée magique n’est pas loin. Quatrième tendance annoncée, les produits en K. Là, on est à deux doigts du concept. Du miam-miam marketing. K comme kéfir, kimchi, kraut ou kombucha. Tous fermentés, tous au réfrigérateur, tous riches en bactéries. K comme réponse à « Koi de 9 » ? Et enfin, le snacking nouvelle génération, plus sain (sans gluten, sans sel…) dont les ventes devraient dépasser le milliard de livres sterling en 2018 en Angleterre à en croire The Guardian.

Que viennent dire de nous ces cinq tendances ? Tout d’abord, que nous attendons beaucoup de notre assiette. Et pas seulement qu’elle nous nourrisse ou qu’elle reflète notre désir de modernité créative. Qu’elle nous soigne, aussi, ou, à défaut, qu’elle nous évite de tomber malade. Voilà la santé devenue centrale. Ces tendances viennent aussi illustrer que notre assiette s’est, au fil du temps, fonctionnalisée jusqu’à devenir un moyen d’exprimer notre rapport au monde. Aujourd’hui, choisir ce que l’on absorbe, boycotter certains produits ou recourir à des compléments alimentaires, ce n’est plus être un trouble fête phobique ou orthoréxique, c’est revendiquer un supplément de conscience. Il ne suffit plus que quelque chose soit bon à manger, il faut aussi qu’il soit bon à penser.

Le temps de l’héritage

Jamais, autant qu’aujourd’hui, les marques de luxe n’ont puisé dans leurs archives. Chacune y va de son exposition de prestige parisienne aux records de fréquentation largement communiqués, de ses rééditions et autres hommages appuyés aux fondateurs, soutenus par des story-tellings ultra-référencés. A Paris, c’était Dior aux Arts Déco, Hermès au Grand Palais, Burberry dans les anciens locaux de Libération et bientôt Azzedine Alaïa dans ses ateliers… Chacune se dote aussi de son département Archives, parfois rebaptisé Héritage pour mieux rimer avec Vintage et dont les adresses demeurent secrètes. Personne ne trouverait à y redire, mais chacun peut se demander pourquoi cette fièvre historique se déclenche au début du XXIe siècle.

Sans doute parce que les racines valent désormais de l’or à une époque où toute marque peut décider d’aller sur un marché sans en avoir forcément la légitimité et où les offres « exclusives » et « mass-premium » poussent comme des champignons. Avoir des racines, c’est, pour une marque, souligner son appartenance à la noblesse. C’est constitutif de son identité. Un peu comme posséder un château de famille. Le passé, c’est aussi l’usine à rêves, rôle que, bizarrement, le présent et le futur ont du mal à endosser. Ce sont toujours de belles images, de beaux objets, de belles femmes glamour bien plus porteuses de fantasmes que toutes les influenceuses du moment. Des sources d’inspiration précieuses pour la création contemporaine. Cette plongée dans le passé est encore une manière, pour une marque de luxe, de signifier sa proximité avec l’art et l’artisanat et de venir ainsi frayer sur les terres de la culture et des musées. La mode était souvent regardée du seul point de vue esthétique. On se rend compte aujourd’hui qu’elle est liée à un savoir-faire, à des métiers d’art qui offrent l’opportunité de venir ranimer l’intérêt du public pour le textile et la création.

Que nous dit, finalement, ce goût des marques de luxe pour le patrimoine ? Qu’un produit qui a une valeur d’usage peut aussi être regardé comme un objet d’art. Passer du statut de produit à celui d’objet, voilà l’ambition que devrait avoir toutes les marques pour leurs offres. Et pas seulement de luxe.

La carpe et le lapin

Mi-décembre, sur « la plus belle avenue du monde », au numéro 86 très précisément, s’est ouvert un nouveau lieu, finement nommé 86Champs imaginé par deux marques à priori éloignées l’une de l’autre : l’Occitane en Provence et Pierre Hermé. Le résultat sonne étrange ou post-moderne selon la façon qu’a chacun de voir le monde : un lieu de 280 mètres carrés où l’on peut à la fois acheter et déguster des macarons et des pâtisseries, découvrir des crèmes pour le corps et des parfums, s’initier à la fabrication de cosmétique façon «  petits chimistes »… Un peu comme si Dame Tartine avait décidé de s’installer au Palais de la Découverte.

L’initiative mérite cependant d’être relevée. Elle vient tout d’abord confirmer le penchant actuel du marketing pour l’hybride : être moderne aujourd’hui pour une marque, ce n’est pas chercher à inventer le futur, c’est savoir se rapprocher d’une autre marque, de préférence la plus inattendue possible, pour créer la surprise, faire le buzz, bousculer son image et sa perception. Le marketing de la carpe et du lapin. Ici, cela donne des produits cosmétiques inspirés par le goût des pâtisseries et des pâtisseries qui déclinent des notes de parfums.

86Champs mérite aussi l’attention parce qu’il a choisi de mettre en scène, dans son lieu de vente, les process de fabrication et de distillation de ses produits cosmétiques. Une bonne manière de répondre à la curiosité et à la quête de savoir des consommateurs d’aujourd’hui. Pour preuve, le nouveau concept de magasin imaginé par Starbucks, nommé Reserve Roastery, où les clients peuvent boire du café, mais aussi assister à la transformation de la fève en téléchargeant sur leur smartphone une application de réalité augmentée. Acheter, c’est aussi, désormais, comprendre ce que l’on achète.

86Champs vient enfin incarner une nouvelle manière d’envisager le commerce, un commerce libéré de l’obligation de cohérence de son offre produit et animé par la recherche d’un penchant partagé par l’ensemble de ses clients. Ici, les couleurs, les matières et les saveurs. Les produits cosmétiques se font gourmands, les pâtisseries sont évaluées à l’aune de leurs parfums et chaque enseigne bénéficie ainsi du flux de clients de l’autre. Voilà qui vient bousculer les habitudes.

Les Zadistes de la nuit

La semaine dernière se tenait la Paris Cocktail Académie au Ground Control, comme dans différents établissements sélectionnés de la capitale. Preuve que le cocktail est passé, en quelques années, du statut d’activité mondaine un peu décadente à celui de pratique culturelle générationnelle. Voilà qui vient créditer l’idée que lire ce qu’il se passe dans ce petit monde permet de mieux comprendre notre société.

Premier constat, là comme partout, la conscience verte et les actes responsables gagnent du terrain. Pour preuve, la chasse aux pailles, accusées de polluer notre belle planète. Il paraît qu’en France, chaque jour, 8,8 millions de pailles sont utilisées et jetées… Conséquence : des pailles en bambou ou encore en métal lavable font leur apparition dans les verres. Dans le même registre de conscience planétaire, on notera aussi la disparition des sous-bocks au profit de sous-verres et même l’existence de cocktails avec le moins de glaçons possible car, eux aussi, contribuent au réchauffement climatique. Passons sur les cocktails locaux à base d’ingrédients de saison ou issus de circuits courts, quand il ne s’agit pas d’herbes aromatiques du jardin. Si les cocktails continuent d’assurer la gueule de bois, la planète, elle, l’aura sans doute moins demain qu’hier. Bonne nouvelle.

L’analyse du monde de la mixologie ne serait pas complète sans un petit détour sémio. Quels sont les noms des bars parisiens du moment ? Trois familles sont observables. Celle pour qui boire un cocktail signifie militer. En faveur de la tradition, de la survie des alcools anciens, de la corporation des mixologues. Ces lieux se nomment Combat, La Commune, Le Syndicat. Il y a aussi la famille des speakeasy, celle qui, comme au bon vieux temps, joue la carte de la confidentialité pour se donner le frisson. Porte dérobée par ci, bar perché au premier étage d’un hôtel ou en haut de la Maison de la radio par là, caché dans un sous sol, quand ce n’est pas dans une crêperie. Le cocktail fait de la résistance. La troisième famille, la plus classique, est celle des bars d’hôtels, les lieux de l’origine, ceux où fantasme et réalité se rencontrent. Le point commun à ces trois familles étant de vouloir ralentir le temps.

Ne pas perdre les traditions, dissocier consommation et précipitation, éprouver le moment dans sa durée. Les amateurs de cocktails sont un peu les Zadistes de la nuit. Ceux qui refusent que la modernité vienne abimer leur monde. Les cocktails comme contre-culture. Voilà qui n’est sans doute pas étranger à leur succès.

Lieux communs

Quelle est la marque qui, aujourd’hui, ne possède pas son lieu ? Le site My Little Paris fait depuis quelques années des incursions régulières dans le monde réel sous la forme d’une Maison qui pourrait être habitée par n’importe laquelle de ses lectrices. En décembre dernier, à New York, Chanel ouvrait son Coco Club en partenariat avec le club ultra fermé d’executive women The Wing pour permettre à ces dernières de faire un break in the rush. Moins sélectif, mais tout aussi révélateur, l’enseigne de prêt-à-porter Morgan ouvrait l’automne dernier, à son tour, son Appartement (sans doute inspirée par le succès de celui de Sézane…) pour y accueillir et chouchouter ses clientes. Une manière de reconnaître l’impossibilité pour un magasin d’y parvenir… Une autre marque du groupe Beaumanoir, Breal, ouvrait, elle, sa Villa (même s’il s’agit en réalité d’un appartement) dans le huitième arrondissement de la capitale. Question de standing, mais l’esprit reste le même.

Du côté des hommes, on préférera sans doute le modèle du garage à celui de la villa ou de l’appartement. C’est ce que s’est dit Merci Alfred (le frère de My Little Paris) quand il a décidé, lui aussi, de faire se rencontrer ses lecteurs. Forcément des potes avec qui on a envie de boire des coups pour parler nuances de carreaux de chemises et revers de jean. Du garage, on connaissait celui du bout de la rue, ou celui où les futurs rois du monde ont commencé la start-up qui allait changer leur vie. Voici, à présent, le garage comme lieu de rencontres pour bobo-bourgeois en mal d’expériences.

Contrairement à ce que certains pourraient penser, ce penchant des marques à s’incarner en maisons n’a rien d’une ultime tocade de communication. Elle vient, au contraire, confirmer leur envie d’installer leurs relation avec leurs consommateurs dans un autre registre. Ne plus ressembler à un lieu de transactions pour être regardé comme un lieu de découvertes. Considérer chaque client comme un « ami », mais aussi installer un climat psychologique propice à la détente et au sentiment d’être comme chez soi.

Après le temps des magasins, des flagships, des concept-stores et des pop-up stores, voici celui des lieux. Un concept flou, un peu attrape-tout, mais toujours dominé par la proximité et la bienveillance. Qui s’en plaindrait ?

La couleur du futur

Comme chaque année, la nouvelle est tombée courant décembre. L’année 2018 sera l’ultra-violet. C’est Pantone qui l’a décidé. Qui se souvient de la couleur de 2017 ? Pour ceux qui ont la mémoire courte, il s’agissait du vert Greenery, clair, vif et acidulé. Le temps passe et les couleurs aussi. Mais, finalement, dans cette histoire de couleurs, le plus important, ce n’est pas celle qui a été choisie, mais pourquoi elle l’a été et quelle part de symbole elle porte.

Avec le vert, tout était clair. Il venait refléter nos préoccupations environnementales, notre désir de calme et d’apaisement. Difficile de faire plus évident. Avec l’ultra-violet, le paysage paraît plus tourmenté. A en croire la maison Pantone, il s’agirait d’une teinte «terriblement provocante et réfléchie qui évoquerait l’ingéniosité, l’originalité et la pensée visionnaire qui nous emmènerait vers le futur » car il s’agit d’une couleur complexe qui rassemble deux nuances apparemment diamétralement opposées, le bleu et le rouge, rassemblées pour créer quelque chose de neuf. Une sorte de mise en pratique créative du « Et en même temps » macronien en quelque sorte. Bien vu.

Pantone rappelle aussi que les violets énigmatiques ont longtemps été des symboles de contre-culture, de non-conformisme et de génie artistique. Ils portent même une connotation mystique ou spirituelle. Il suffit de se tourner vers Prince, Bowie ou Jimie Hendrix pour finir de s’en convaincre. Avec des talents ultra-violets, on se dit que le futur sera forcément un peu plus rose que prévu. 

Enfin, last but not least, l’utilisation de lumières colorées violettes dans les espaces de méditation et autres espaces de réunion apporterait de l’énergie à la communauté qui s’y rassemblerait et inviterait à créer une connexion. Une société stressée qui se cherche des havres de paix serait donc un terreau idéal pour le déploiement de l’ultra-violet. La couleur comme refuge spirituel.

On résume : de l’audace, de l’étrangeté, de la créativité non-conformiste et une touche de spiritualité. N’est-ce pas exactement ce qu’il nous fallait pour bien aborder le futur ?

Prétexte à consommer

Après le temps des ripailles vient celui des soldes. C’est ainsi chaque année depuis que le monde est monde de la consommation. Et comme chaque année, nous assisterons aux images de consommateurs en train de se ruer sur les objets de leurs rêves et nous lirons dans la presse les effets dévastateurs d’internet sur le commerce de la vraie vie, ainsi que les interrogations sur le sens de cette période qui a de plus en plus de mal à attirer les clients perturbés par la généralisation des soldes privés et autres rabais permanents.

Le succès du Black Friday du 24 novembre dernier (surtout, il est vrai, pour Amazon et Priceminister) ne vient pas seulement confirmer l’OPA faite par l’Amérique sur cette période (après Halloween et le Black Friday, on attend l’arrivée imminente de la dinde de Thanksgiving…), il vient aussi nous rappeler que les soldes ne sont pas qu’affaire de prix réduits, mais aussi d’imaginaire.

Quand nos soldes sont trop tardifs, trop banalisés, et que leur sincérité est remise en question, comment s’étonner qu’ils perdent en efficacité ? Black Friday événementialise, théâtralise, sanctuarise la fièvre acheteuse. Il crée une euphorie, une tension, une urgence que les soldes traditionnels ne savent plus produire. Un peu comme la fête du beaujolais, la saint Valentin ou même la fête des mères, dont on entrevoit bien les ressorts marketing et le côté « pousse-à-la-consommation », mais que l’on ne réprouve pas pour autant, parce qu’elles donnent corps à des moments émotionnels qui ont du mal à se créer spontanément.

L’acte d’achat nécessite d’être toujours plus stimulé et mis en scène, pourquoi les soldes y échapperaient-ils ? En Chine, la fête des célibataires, organisée chaque année le 11 novembre, est la dernière grand-messe commerciale à avoir été créée. Son succès est à chaque fois immense. Et si on essayait de renouveler l’imaginaire associé aux soldes pour le sortir de la seule perspective des bonnes affaires ? Soldes du Made in France, soldes des produits locaux, soldes des enfants et même, pourquoi pas, des « soldes éthiques » qui ne toucheraient que des produits dotés d’un volet caritatif…

Forêt futaie

Nous avons longtemps été sous l’influence de la mer. Voici venu le temps de la forêt. Un nouvel imaginaire est en voie d’apparition comme le confirme le succès en librairie de l’ouvrage allemand « La vie secrète des arbres ». Un best seller mondial, vendu à plus d’un million d’exemplaires, écrit par un garde champêtre qui nous invite à partager le bonheur de la fréquentation des forêts et vient nous révéler, entre autres, que les arbres communiquent entre eux (le wood wide web).

On sentait bien le vent venir, entre le style bûcheron (barbe et chemise à carreaux) comme panoplie hipster, le lancer de hache en tête du tableau des « sports » qui font le buzz, les expéditions viriles en forêt, histoire de renouer avec ses instincts premiers, l’envie de manger raw ou de cuire au feu de bois… Sans oublier toutes les huiles cosmétiques à base de pin de l’île de Ré et même une eau de parfum sobrement baptisée L’arbre. La forêt a longtemps été druide (façon moyen-âge) ou baba-cool (version ZAD nantaise), elle est désormais hype. Voilà qui devrait rassurer Woodkid sur son futur…

La presse féminine, toujours grande dévoreuse de tendances, évoquait même la possibilité d’une « sylvothérapie » forcément feel good et bienveillante. Enlacer les arbres pour profiter de leur connexion avec le ciel (un tree hug) ne peut pas faire de mal. Les Japonais sont bien adeptes des « bains de forêt », censés ioniser le corps et stimuler le métabolisme. Conséquence de cette balade : la forêt déboule dans la déco, entre rondins à tout faire, papiers peints couleur argent bouleau et bougie senteur bois. Les motifs jungle et végétaux n’ont plus qu’à aller s’installer ailleurs.

La coupe (en bois) est pleine ! Mais de quoi cette « forêtmania » est-elle donc le signe ? Envie d’un ailleurs de proximité, à la fois connu et légèrement effrayant. Le prix du frisson moderne. Façon de se reconnecter à une nature grand format et au temps long dans un monde où tout va très vite… Dans les contes, on ressort toujours transformé de la forêt. Dans quel état serons-nous l’année prochaine ?

Les phares de la modernité

Récemment, le concept-store de référence Merci lançait sa propre gamme de montres. Sobres, intemporelles, accessibles. Fond noir ou fond blanc. Mécanique ou électronique. Pas d’esbroufe. Il y a peu, la presse professionnelle nous apprenait que Commune de Paris, la marque parisienne casual chic pour hommes, allait, elle aussi, lancer une première collection de montres à son nom, fabriquées dans la région de Besançon, berceau historique de l’horlogerie française. Trois lignes de montres aux noms évocateurs de Frimaire, Vendemiaire et Brumaire (il fallait y penser) sont proposées, là encore, à prix accessibles. On pourrait aussi citer l’existence des montres Zadig &Voltaire, celle de Timex pour Balibaris ou encore la présence, presque inévitable, dans chaque magasin « branché », d’un corner dédié aux ré-éditions des montres Lip…

Ceux qui ont de la mémoire peuvent se souvenir qu’il y a encore peu, chacun y allait de son discours prophétique sur la fin annoncée des montres traditionnelles, voire l’effondrement à venir du secteur de l’horlogerie car la montre connectée était là, celle de la marque à pomme en tête, et que c’en était donc fini des montres à la papa. Pire encore, certains fins observateurs ne manquaient pas de souligner que le Millennial ne portait plus de montres car il regardait l’heure sur son smartphone. Tellement plus cool.

Or, que constate-t-on ? Qu’une marque assemblée de toutes pièces dans un atelier marketing et habilement baptisée Daniel Wellington a réussi à envahir tous les poignets libres des 18-30 ans avec une montre que n’auraient pas reniée leurs grands-parents. Plate, ronde, fond blanc et dotée d’un bracelet en nylon interchangeable. Le tout contre une centaine d’euros. Qui l’eut cru ? Merci les réseaux sociaux. Les montres basiques qui ne font rien d’autres que de donner l’heure avec leurs aiguilles d’une autre époque sont donc toujours bien vivantes.

Que retenir de ces constats ? Tout d’abord, que la réalité porte en elle une part d’inattendu qui échappe aux prédictions les plus construites. Bonne nouvelle. Ensuite, qu’il faut se protéger des risques d’aveuglement provoqués par les phares de la modernité. Les innovations technologiques ne se substituent que rarement aux habitudes. La plupart du temps, elles cohabitent avec les « anciens systèmes » qu’elles peuvent même, parfois, rendre plus désirables que jamais…