Néo-tisanes

Aucun produit ne peut (ne doit) résister aux appels de la modernité. Puisque les chaussures Scholl et Mephisto et les chaussettes de tennis blanches sont revenues sur le devant de la scène, pourquoi pas les tisanes ? Rebaptisées Detox, cela va tout de suite mieux.

On l’a connue façon mémé ou nuit calme pour tous ceux que dormir effraie ou encore dans un coffret en bois posé sur la table de tous les établissements qui veillent au chic jusque dans les moindres détails, la voici devenue plus jeune, plus proche, plus copine, accessoire de toute fille urbaine, presque branchée depuis qu’Eléphant a annoncé son intention de réinventer l’eau chaude ou que les Deux Marmottes ont trouvé leur place dans les appartements bobos. Leurs tisanes ne s’appellent-elles pas Tout Schuss, Presse Soleil, Conter Fleurette, Chatouillis dans les orties et, même, Yéti y es tu ? Il fallait y penser. Bien choisir le nom de ses infusions, c’est les aider à réussir leur envol dans la planète mode.

On voit même apparaître des tisanes rebaptisées Herbal drinks dont la volonté de draguer les hommes est à peine masquée. Après tout, pourquoi ne seraient-ils pas, eux aussi, concernés ? Une bonne tisane mélisse-verveine entre potes barbus après un ride en Harley, cela peut avoir de la gueule, non ? Herbal Drinker Club (vu chez Colette) est d’ailleurs le nom d’une nouvelle gamme de tisanes destinées aux hommes dont les mélanges portent les noms si bien choisis de Festif, Social, Irrésistible ou Champion.

Ceux qui sont devenus tisane-addicts peuvent se rendre sur le site chicdesplantes.fr (!) ou encore s’abonner à la Thé Box qui leur enverra tous les mois une sélection des dernières nouveautés à infuser… Que du bonheur ! Le marketing a décidément le vide en horreur. L’objectif de la tisane est donc clair : faire feu de toutes herbes pour renouveler ses occasions de consommation et, ainsi, rajeunir ses consommateurs. Normal. Même si tout le monde s’accorde pour dire que la silver économie a de beaux jours devant elle, personne n’a vraiment envie de s’y installer…

D’où l’idée de tenter de la sortir du moment fin de repas pour la faire migrer vers le matin, le déjeuner, voire froide pour se désaltérer. Sont maintenant attendus les fontaines à infusions et les pauses tisanes en entreprise, les bars à tisanes dans les concept-stores, les « tisanologues » qui viendront nous conter l’art et les secrets de la tisane, sans oublier les tasses « spéciale tisane » imaginées, au choix, par un jeune designer animé d’une conscience planétaire ou par une céramiste ex-DRH qui a appris sa nouvelle passion lors d’un séjour au Japon.

Pas de doute, la tisane a toujours son futur devant elle.

Intelligence artificielle

Après Levi’s et son Virtual Stylist, c’est au tour du site Net-à-porter de mettre à la disposition de ses clients un chatbot doté d’une intelligence artificielle. Un outil qui sera capable de leur proposer une tenue en adéquation avec une circonstance donnée, qu’il s’agisse d’un départ en vacances, d’une soirée, d’un mariage ou d’un nouveau travail. La société a investi plus de 400 millions de livres dans son développement… Les produits seront également choisis en fonction des goûts de chacun, induits par ses achats précédents, son activité ou sa situation géographique. 

Bienvenue dans le futur de la mode et du luxe où l’intelligence artificielle, le nouvel enjeu de la distribution, pourra répondre aux attentes de personnalisation de ses clients. Un levier de satisfaction sans doute plus important que dans n’importe quel autre secteur d’activité. En cas de questions trop précises, l’intelligence artificielle suggérera toutefois d’entrer en contact avec un personal shopper humain… Si les personal shoppers font depuis longtemps partie des stratégies des boutiques de luxe pour booster leurs ventes, il restait un vide à combler entre la recherche non assistée et les services d’un assistant personnel. C’est fait.

Les plus optimistes se réjouiront de l’irruption de cette forme d’intelligence dans la relation client, gage de nouvelles perspectives d’expériences ludiques et fédératrices. Qui pourrait être contre ? Les plus philosophes ne manqueront pas, eux, de s’interroger sur la manière dont les goûts et les esthétiques se façonnent dans notre société. Les suggestions émises par l’intelligence artificielle sont ici construites sur un historique de consommation, un profil et des circonstances projetées. Comment pourrait-il en sortir quelque chose d’inattendu et de surprenant ? N’est-on pas alors plus près de la flatterie que de la reconnaissance ? 

La consommation, trop souvent synonyme d’accumulation, a de plus en plus de mal à séduire. Ne pourrait-elle pas, pour retrouver de l’attractivité, se faire, de temps en temps, davantage « longue-vue » que « rétroviseur » en venant suggérer de nouveaux possibles ? Permettre à chacun d’être surpris par lui-même, quelle plus belle perspective ?

Pote, père, papa

Pendant longtemps la publicité n’a eu d’yeux que pour les femmes. Femmes séductrices, femmes fashionista, femmes fitness et, bien sûr, femmes mères, responsables de l’éducation de leurs enfants et donc de leur apprentissage des marques. Un rôle stratégique. Depuis peu, hasard ou non, les hommes reprennent le dessus. 

Dans le monde de la pub, on trouve ainsi des hommes-potes, soit des barbus goguenards en baskets et sweat-shirts à message qui boivent des bières devant des écrans ; des hommes-pères, ni jeunes, ni vieux, souvent en pull cool sur un canapé, entourés de leur famille et des hommes-papas, jeunes et complices de leur progéniture, toujours prêts à se déguiser ou à faire une petite blague, histoire de prouver que l’enfance n’est pas si loin d’eux. De temps en temps, on peut aussi croiser des hommes seniors, plus rares, animés, soit par des questions de placements financiers, soit par des problèmes de prostate. Tout de suite moins drôle.

Les hommes-potes habitent les pubs pour les bagnoles, les fringues ou les banques en ligne qui constituent l’essence de leurs conversations. Les homme-pères sont très souvent appelés à la rescousse par les nouvelles technologies, à la fois pour montrer qu’ils sont « encore dans le coup » et pour, subtilement, signifier que les nouvelles technos, ce n’est pas si compliqué que ça, puisqu’ils y arrivent. L’occasion de renouer le fil avec leurs enfants. Ce sont eux qui paient leur tournée de fibre pour tous chez Orange et qui achètent leurs voyages sur Internet grâce à la carte cryptée de la Société Générale. Les hommes-papas, quant à eux, sont les « héros » de leurs enfants. Ils sont à la fois un peu magiciens grâce à leur voiture super-équipée d’ouvertures automatiques de hayon arrière et un peu dotés de super-pouvoirs quand ils se mettent en tête de changer le monde par leur comportement de citoyens exemplaires. Tous ne portent pas de cape et ne travaillent pas (encore) dans le bio, mais on voit bien les métiers à viser pour devenir super-papa…

Trois figures de l’homme qui sont aussi trois moments de sa vie. A chaque fois, ce n’est pas le consommateur, voire le prescripteur qui intéresse les marques, mais celui qui va permettre à une relation d’exister, qu’il s’agisse d’une conversation, d’un moment ou d’une complicité. Car l’important n’est désormais plus tant de faire acheter que de créer du lien. Place à la consommation relationnelle.

Recette universelle

Le marché des alcools n’est pas très différent de celui de la mode : chaque période a son produit fétiche. Les uns succèdent aux autres qui ne manqueront pas de revenir sur le devant de la scène. Hier, la vodka et le whisky. Aujourd’hui, le gin et le rhum. Ce qui ne signifie pas que les deux premiers ont disparu des radars de la branchitude. Simplement, que les esprits ont, comme les ventres, toujours besoin de nouvelles nourritures.

Dans le monde transparent du gin, c’est Lord of Barbès qui, en ce moment, fait le buzz. Dans le monde ambré du rhum, il est beaucoup question du philippin Don Papa. La cible visée est à chaque fois la même : des urbains à qui la vie réussit, amateurs de convivialité festive autant que de culture food. Impossible pour une marque de se contenter de leur vendre de l’ivresse à bas prix. Eux, veulent d’abord qu’on prenne le temps de leur raconter une belle histoire. Et question histoire, les alcooliers ne sont pas les derniers. Sans doute une habitude prise au comptoir…

Chez Lord of Barbes, c’est forcément le Made in France qui assure le show. Mieux : le Made in Paris justifié par l’utilisation de l’eau de source et du pain de singe (le fruit du baobab) du village métissé de la Chapelle (75018). Chez Don Papa, le rhum est vieilli dans des fûts en chêne du Kentucky qui servaient originellement au vieillissement du bourbon. Les deux marques partagent aussi le fait d’être incarnées par un héros : Lord of Barbès, que chacun peut entrevoir comme un oxymore rebelle chic, et Papa Isio, contremaître dans une plantation sucrière, guérisseur et révolutionnaire à ses heures, connu pour avoir combattu contre les Espagnols. De quoi mettre le feu aux poudres. N’oublions pas l’importance jouée par le design dans le succès de ces deux breuvages. Bouteille graphique rétro en verre bleu cobalt pour le premier. Boite ronde et étiquette couleur craft imprimée de lézards et de tapirs pour le second. Le tout distribué par une sélection de cavistes pointus, branchés sur des évènements fooding festifs, entre compétitions de cocktails et grand-messes des spiritueux, histoire d’entretenir la soif de culture des connaisseurs.

Un nom décalé, une belle histoire, un pack singulier, une présence sélective : les cases à cocher pour séduire sont les mêmes depuis toujours. Pour une fois que les MiIlennials n’ont pas réinventé les règles d’un marché…

Jamais seul

Pouvoir rester seul va bientôt devenir, après l’espace, le luxe ultime de notre société tant les sollicitations à rencontrer l’autre ou à « vivre ensemble » se font insistantes. Pour preuve, la multiplication des applications à destination des Millenials (toujours eux…) incitant à déjeuner à plusieurs, comme si déjeuner seul était devenu une tare, le signe d’une misanthropie pathologique, d’une sauvagerie sociale, d’une phobie excluante.

Parmi les applications du moment, émergent ainsi « Never eat alone » et « Co-lunching » dont les promesses, sans ambiguïté, sont, soit de passer son déjeuner avec des collègues de son entreprise que l’on n’a pas la chance de connaître, mais qui sont peut être formidables, soit de « networker » entre la poire et le fromage. Toutes les occasions sont bonnes. On pourrait aussi mentionner la généralisation, dans les restaurants, des plats XXL et des planches à partager que l’on pose au milieu de la table « comme à la maison » et qui relèvent de la même idéologie du « sharing ». Certains experts de la tendance font déjà le pari du retour en grâce des fondues et autres pierrades.

L’imaginaire du partage et de la rencontre n’a jamais été aussi fort. Il porte tout d’abord l’idée (le fantasme ?) sous-jacent de la transformation de soi : la rencontre que chacun attend secrètement et qui va venir donner à sa vie la nouvelle orientation, le nouveau souffle qui devrait le conduire à (enfin) connaître ses vrais désirs et, ainsi, devenir lui-même. Il vient aussi associer la consommation à un imaginaire collectif relativement nouveau au regard de ce qu’est la consommation depuis les années 50. Traditionnellement, celle-ci était perçue comme un acte individuel, voire familial et occasionnellement amical. La voilà désormais immergée dans un collectif large aux frontières floues, allant des « amis » produits par Facebook aux contacts en tous genres noués sur la Toile.

Chercher l’approbation de ses désirs, partager ses achats sur les réseaux sociaux, émettre son avis en ligne sont comme autant de pratiques collectives associées à la consommation. Je consomme, donc nous sommes. Difficile, dans ces conditions, de vouloir encore rester seul à table.

Social Brand

Il y a quelques mois, Accor Hotels nous présentaient Jo&Joe, leur concept « nouvelle génération » pensé pour les Millennials. C’est aujourd’hui au tour d’Air France de rendre sa copie : sa nouvelle marque à elle s’appelle Joon. Elle se limite, pour le moment, à quatre destinations, Barcelone, Berlin, Lisbonne et Porto (quoi d’étonnant ?), et se présente comme le laboratoire d‘Air France. Jo&Joe, Joon, peut-on déjà parler d’une Génération J ? A moins qu’il ne s’agisse de la Génération O, tant cette lettre revient dès qu’il s’agit de bousculer les codes. MOB, Okko, Eklo, Jo&Joe, Yooma… Tous se veulent économiques, écologiques, conviviaux, bobos, hospitaliers et audacieux.

Ces deux lancements ont en tous cas beaucoup de points communs. Ils sont tous les deux cool. Ils suggèrent, proposent, mais sans contraintes. Ils ne vendent ni chambres, ni vols, mais une expérience qui commence dès les premiers moments passés avec eux. Ils sont aussi « entre deux ». Ni auberge de jeunesse, ni Airbnb pour le premier. Ni compagnie low cost, ni compagnie traditionnelle pour le second. Ils veulent tous deux changer les choses sans faire la révolution. Joon a ainsi pour ambition d’accompagner le voyageur de la réservation au voyage. En vol, les passagers pourront profiter de contenus proposés par Vice, Brut ou encore RedBull TV. Ils pourront aussi bénéficier de services et de plaisirs en tous genres, incluant café bio, bières artisanales et autres jus detox. Le tout « à la carte », car aux Millennials, on n’impose rien

Quant aux hôtesses et stewards recrutés pour l’occasion (qui ont tous « très envie de faire partie de l’aventure »), ils seront de vrais ambassadeurs de la marque, notamment sur les réseaux sociaux. Habitués à voyager, ils pourront donner leurs conseils sur comment réussir à se remettre d’un jet lag, trouver l’expo à voir ou le bon bar à fréquenter dès son arrivée. Et même partager leurs souvenirs et leurs expériences. C’est ça le voyage communautaire. Quel meilleur lieu que les réseaux sociaux et meilleur thème que les voyages pour faire émerger une social brand ?

Le prix de la beauté

Les liens entre alimentation et beauté se resserrent chaque jour un peu plus. On savait ces deux univers, depuis toujours, assez proches l’un de l’autre, les voici aujourd’hui intimement liés comme le prouve la profusion de boissons, et même désormais de plats, porteurs de bénéfices beauté. Inauguré depuis cet été au sein du grand magasin Printemps Haussmann, un nouvel espace beauté y accueille ainsi le troisième restaurant parisien du chef Thierry Marx associé à la marque Detox Delight. Ce n’est pas un hasard. Au menu, des plats 100% vegan, sans gluten, ni sucres ajoutés, à base de produits naturels bio, sans conservateurs, ni exhausteurs de goûts. Et une promesse à la clé : « real food to glow ».

Difficile, désormais, d’envisager ouvrir un restaurant sans avoir une pensée pour la beauté. Jus du jour (extraits à froid), salades du moment (à base d’avocat et forcément détox), Buddah bowl qui respecte l’équilibre acido-basique de l’organisme, pâtisseries sans gluten et superaliments envahissent ainsi progressivement les cartes sur fond d’origines bio ou locales et de bonne conscience. Hier, la beauté était surtout affaire d’apparence (évidemment) et de performance (réussir à faire plus jeune, moins fatigué…). Aujourd’hui, elle est plus profonde, plus intériorisée, et intègre à la fois la forme physique et l’alimentation.

Un processus plutôt qu’un résultat, un art du devenir plutôt qu’un art de la transformation. Un sentiment de beauté qui passe par une relation au corps éprouvée et par une alimentation contrôlée, associée à des promesses souvent invisibles, mais toujours ressenties (se sentir bien dans son corps, moins « gonflé », moins « stressé », plus « rayonnant »). Une alimentation composée presque exclusivement de fruits, de légumes, de légumineux et de graines diverses. Et, de temps en temps, associée à une période de jeûne, histoire de réinitialiser son corps.

Il y a tout juste dix ans, Danone lançait Essensis, un yaourt qui promettait de nourrir la peau de l’intérieur pour la rendre plus saine et plus belle. Deux ans plus tard, la marque en suspendait la commercialisation. La proposition n’était pas absurde. Juste arrivée trop tôt sur le marché. Aujourd’hui, pour être acceptable, elle devrait se fonder sur la nature plutôt que sur la recherche en laboratoire. Et être indissociable de l’effort. Car, plus que jamais, être beau, ça se mérite. L’hédonisme a ses limites.

Champ lexical

Pour comprendre les Millennials (la grande obsession marketing du moment), on ne peut se contenter de mesurer, par toutes sortes d’études, leur rapport aux marques, au temps ou au travail. Il faut aussi aborder leurs goûts et leurs univers esthétiques.

Dans ce domaine, on ne peut qu’être surpris par la manière dont ils ont réinventé la nostalgie. A la moindre réédition de jeux, de téléphones ou reprise musicale, les voilà qui évoquent avec tendresse leur enfance, pourtant pas si éloignée. Quant à leurs références visuelles, elles regardent souvent du côté des années 70 et 80 qu’ils n’ont pourtant pas connues. Une vraie fausse nostalgie qui vient trahir leur inquiétude face à un futur perçu comme incertain et que l’on retrouve aussi dans leur champ lexical.

Est-ce parce que leur monde du travail est peuplé d’écrans que leurs lieux de prédilection convoquent la mémoire ouvrière, celle de l’effort physique et du vrai labeur ? Atelier, Chaufferie, Réserve, Zinc, Usine, Cantine, Réfectoire font florès. Sans parler de leur affection pour les vestes d’ouvriers, les sacoches en cuir vieilli, les casquettes, bleus de chauffe, combinaisons et autres salopettes… Leur manière à eux de célébrer l’ouvrier comme working class hero. Le tout sur fond de prénoms rétros particulièrement appréciés des néo-limonadiers : Odette, Aimé, Jeannette, Dédé, Simone, Marguerite, Louis, Marcel et même Marcelle. Trop cool. On aurait pu avoir Brigitte, mais, là, il va falloir patienter un peu… Comment ne pas être étonné de tous ces restaurants (ou plutôt Maisons) établis à Boboland qui ont pour noms Persillé, Cocotte, Le Bel Ordinaire, Bonhomie, Bienvenue, Bonté, Comice, Epuisette ou Les Résistants ?

Repli franchouillard ? Ultime tocade du moment ? Pourquoi pas. Mais surtout manière pour les Millennials d’affirmer leur présence au monde. Un recours aux signes d’hier pour donner du poids et de la réalité à un quotidien devenu virtuel. Un passé idéalisé comme contrepoint à un présent « désidéalisé », marqué par le pragmatisme et l’efficacité.

Miroir émotionnel

Le Bon Marché n’est pas simplement un grand magasin. C’est aussi le capteur d’un certain air du temps qu’il est toujours utile d’aller humer pour deviner les attentes et les fantasmes du moment… Actuellement (et jusqu’au 22 octobre), c’est l’Italie qui est à l’honneur. Pas le thème le plus inattendu si l’on en juge par la multiplication des trattorias et épiceries transalpines dans la capitale. Mais sous un angle original : celui de la « famiglia ». Pourquoi pas.

Parmi les produits et objets proposés, censés incarner la famille sous toutes ses facettes (convivialité, partage, transmission), deux services se distinguent par leur originalité. Le premier se situe dans l’espace restauration du magasin et propose d’imprimer son propre portrait sur la mousse d’un café latte grâce à une machine dotée d’une encre comestible. Un « portrait latte » unique contre la somme de quatre euros. Pas mal. L’autre est de faire imprimer sur un tote-bag le blason de sa famille (de sang, de cœur ou d’esprit). Toutes les bonnes familles n’ont-elles pas leurs armoiries ? Reste à choisir une devise, les emblèmes de ses passions, centres d’intérêt ou valeurs, et ses codes couleurs. Et à débourser 19 euros.

Deux idées aussi accessibles qu’inattendues qui viennent d’abord nous rappeler combien la personnalisation est devenue l’une des attentes fortes des consommateurs et donc, forcément, un des enjeux majeurs du marketing. Mais aussi que personnaliser un produit ne se résume pas à offrir la possibilité de choisir une couleur, des motifs ou un message. C’est aussi (et surtout) donner aux consommateurs la sensation de vivre une expérience personnelle au cours de laquelle ils ont le sentiment d’être au cœur de l’enjeu. Une expérience unique construite sur leur personnalité, leur histoire, voire leurs émotions et leur psychologie. Une personnalisation réussie est donc forcément un peu un miroir émotionnel. Là réside sa réussite et son aptitude à se répandre sur les réseaux sociaux.

L’art de la réconciliation

Il y a dans le monde de la restauration de petits changements de rien du tout qui viennent témoigner de leur époque. Ils prennent place dans nos habitudes sans que l’on s’en rende vraiment compte et finissent par ne plus étonner personne.

Le « café gourmand », par exemple, est sûrement né d’un efficace brainstorming mené par un restaurateur désespéré par l’idée de ne plus vendre de desserts à des clients préoccupés par leur poids et leur portefeuille. Le café gourmand réjouit l’homme pressé comme le senior actif. Il donne l’impression de n’avoir renoncé à rien tout en préservant la petite flamme de la surprise qui finira par donner au repas sa touche finale. L’idée était si géniale qu’elle engendra, à l’autre bout de la carte, le rituel de la « mise en bouche », manière de donner l’impression d’être passé par l’entrée pour accéder au plat principal.

Une autre révolution sémantique fut portée par le menu « Terre et mer ». Voici donc l’inconciliable réconcilié dans les assiettes. Pourquoi choisir ? Terre et mer, c’est la possibilité de prendre une viande après un poisson ou l’inverse sans avoir à se poser la question des conventions. C’est aussi une façon décloisonnée d’envisager le monde. Autre « révolution », plus récente, celle des « planches ». Substituer une planche à une assiette ne va  pas de soi. C’est faire fi de siècles de fines porcelaines pour laisser la place à une planche en bois aussi paysanne que rustique. En bousculant les conventions, la planche séduit. Elle autorise de manger avec les doigts, permet de prendre place sur les trottoirs (idéal pour les fumeurs, moins pour les piétons), dispense de dresser une table et même de cuisiner. Une vraie planche de salut. La coolitude au service de la préservation des marges. Pas mal.

Conséquence de ce vent de nouveautés, pourquoi vouloir encore prendre le temps de s’asseoir à table ? Vive les « mange debout » qui, eux aussi, viennent réconcilier deux comportements qui semblaient contradictoires. Manger et être debout. Pas pour les seniors, mais pour tous ceux qui ont renoncé au restaurant, mais pas à l’idée d’aller manger dehors. L’oxymore aura beaucoup fait pour la restauration.