Haute crêpe

Quoi de neuf ? Les crêpes. Après les burgers, les kebabs, les éclairs et les madeleines, l’époque est aux classiques. Et pas toujours revisités. Jusqu’à présent, les crêpes parisiennes vivaient autour de la gare Montparnasse et, un peu, sur les grands boulevards, où elles satisfaisaient les ventres de touristes affamés de découvertes, mais désireux de nourritures rassurantes. Les voilà désormais dans les quartiers chics et branchés comme à l’Odéon, où s’est installé depuis cet été Bertrand Larcher, déjà propriétaire du Breizh Café dans le Haut Marais. Et voilà la crêpe au sucre qui frôle les six euros, beurre Bordier et sarrasin bio oblige.

La crêpe suit le mouvement de premiumisation entamé par tous les produits dits « simples », pour la plus grande satisfaction des habitants de boboland et du fooding réunis, ce qui, à Paris, commence à faire. Ne prisent-ils pas, déjà, les marinières ? Les plus de cinquante ans auront du mal à y croire, eux pour qui crêperie rimait avec « jeune et fauché »… Aucune cause n’est perdue à jamais. La roue tourne. Comment la crêpe à l’andouille est-elle parvenue à séduire les Millennials ? Elle a, tout d’abord, su capter leur penchant actuel pour le vintage, qui vient sournoisement entretenir l’idée que « hier, c’était tout de même pas mal». Une résistance aussi solide que discrète à la modernité digitale rampante. La crêpe, c’est la madeleine des e-Proustiens. La crêpe, c’est aussi un morceau de notre terroir. Les régions n’ont jamais été autant adulées. Terres d’authenticité, de « vrais échanges », de qualité de vie, de traditions perpétuées (bolées et bigoudènes comprises), elles apparaissent comme le contrepoint indispensable à nos vies d’urbains stressés.

Rejoindre une crêperie est ainsi devenu un acte militant. Celui d’une France insoumise à la world food et à la malbouffe. Celle qui défend les crêpes « sourcées », avec leur beurre estampillé d’origine, leur sarrasin à pedigree, leur cidre et leurs ingrédients bio achetés chez des fournisseurs de haute lignée. Ne manque plus qu’une émission de télé-culinarité (Top Crêpe, Une Crêpe presque parfaite) et des blogs qui ne soient pas que des listes de recettes (Culture Crêpe, Savoir Crêpe) pour parfaire le mouvement.

Les plus réalistes (pas les plus nombreux) ne manqueront pas de souligner la vertu économique de la crêpe, aussi accessible pour ceux qui la convoitent (même à 6 euros) que porteuse de marges confortables pour ceux qui la proposent (surtout à 6 euros). L’intérêt du commerce n’est jamais à négliger dans un succès…

Tout ce qui brille

La nouvelle n’a pas fait grand bruit. Et pourtant. La presse professionnelle révélait, il y a peu, que les Millennials (encore eux) étaient devenus accrocs aux diamants. Oui, aux diamants qui, traditionnellement, faisaient rêver les femmes de plus de 60 ans. Bon, il ne s’agit pour le moment que des Millennials américains, mais quand on sait la vitesse à laquelle les tendances traversent les océans, il y a de quoi rester vigilant.

Jamais la demande américaine de diamants n’a été aussi élevée. Et les Millennials seraient responsables d’un tiers de ces achats pour des montants allant de 1000 à 5000 dollars… Certains y verront un signe de romantisme : l’amour éternel. Pourquoi pas. D’autres, plus pragmatiques, les effets d’un marketing parfaitement maîtrisé. L’apparition de nouvelles couleurs, de champagne à brun en passant par chocolat ou cognac, qui représentent désormais plus de la moitié des ventes américaines, reléguant le traditionnel solitaire à la seconde position. Il n’y a pas que le mariage dans la vie.

Mais aussi des pubs rajeunies où le sempiternel « A diamond is forever » a laissé place à un « Real is rare, real is a diamond » moins nécrosé. Par « real », il faut entendre « authenticité », Graal du moment permettant au passage d’associer le diamant à de nombreux mouvements culturels plus ou moins pointus. Ajoutez à cela une pincée d’éthique informant sur l’origine de la pierre achetée ou permettant de soutenir la plateforme Women for Women International, une ONG d’aide aux femmes de pays en guerre. Et, pour finir, une touche de provocation sans laquelle les Millennials ne seraient pas pleinement satisfaits : afficher ses diamants, c’est quand même mieux que les conserver dans un coffre pour les grands soirs, non ?

D’ailleurs, qui se trouve derrière Diamond Foundry, nouvel acteur du secteur bien décidé à croquer les très installés Tiffany, Blue Nile et Signet Jewelers ? Leonardo DiCaprio… Plus vraiment Millennial, mais encore assez people pour susciter plus d’identification qu’Elisabeth Taylor…

Tomatologie

L’art du marketing est celui de la segmentation. Plus un produit paraît simple, plus il est possible d’en enrichir la perception. Quoi de plus simple, par exemple, qu’une tomate ? Un fruit-légume universel qui plait partout et à tout le monde. Rares sont en effet les allergiques aux tomates. Pourtant, impossible, désormais, de demander une livre de tomates à son marchand sans préciser de quelle tomate on parle… Un peu comme lorsqu’on commande un café : long, court, corsé, déca, latte…

La tomate d’aujourd’hui se conjugue au pluriel pour séduire chacun à chaque moment. Il y a des tomates pour les salades, des tomates à cuisiner, des tomates pour l’apéro ou le gaspacho. Des tomates de tailles et de formes multiples. Des tomates grappe, aussi, ou encore de couleurs, jaunes, vertes, violettes. Des tomates d’ici ou d’ailleurs, d’aujourd’hui et d’hier. Chacune porte un nom qui lui est propre, même s’il est peu connu du public ou difficile à mémoriser. Il y a la Cœur de Bœuf, la Noire de Crimée, la Coeur de Pigeon, la Green Zebra, la Lemon Boy et même la Tomate Ananas… C’est la connaissance de ces noms qui fait l’expert et ceux qui veulent l’être n’ont qu’à fréquenter le Conservatoire de la tomate pour se perfectionner pour devenir, un jour, qui sait, « tomatologue »…

Car voilà bien un des penchants de notre société que de vouloir toujours donner une dimension savante et « experte » aux produits de la vie quotidienne. La culture de la tomate ne se fait pas seulement en pleine terre. Dans les esprits, aussi, qu’elle vient nourrir comme les ventres. La tomate, c’est aussi les vacances, le sud, la chaleur, les déjeuners au soleil. Voilà pour les clichés. Les lycopènes et les antioxydants. Voilà pour la santé. Les saveurs et les souvenirs d’enfance. Voilà pour la nostalgie. Multiple, porteuse d’histoires et de promesses, sachant se renouveler en permanence pour à chaque fois étonner, la tomate a de quoi rendre jaloux bon nombre de fruits et légumes. Ce week-end se tenait le Festival de la Tomate au Château de la Bourdaisière en présence de 700 variétés, d’ateliers de démonstration et d’un bar à tomates (chiens acceptés en laisse). Son thème ? « Tomates, Innovation, Transformation ». On n’a pas fini de parler de la tomate. Il n’y a qu’un sujet qui reste encore dans l’ombre : sa contribution au respect de l’environnement.

L’enseigne parfaite

Septembre n’est pas seulement le mois de la rentrée. C’est aussi celui de la sortie du catalogue Ikea. Un rendez-vous. Une invitation au voyage. Et, accessoirement, l’opportunité de mesurer l’évolution du positionnement de l’enseigne et de son offre.

Cette année, quelques surprises. Entre deux pubs pour des boulettes suédoises et des assiettes à 1,99 euro, on y apprend la collaboration de l’enseigne avec une marque de design, un peu premium, un peu masstige, mais assurément du nord de l’Europe : Hay, née au Danemark, bien connue des habitants du canal St Martin et du Haut-Marais. Un peu moins des autres. A la clé, « une collection de produits au design épuré et fonctionnel liés par une belle gamme de couleurs ». Pouvait-on s’attendre à autre chose ? Une collaboration avec Tom Dixon (qui avait déjà donné avec Habitat…) est également évoquée pour une proposition de canapé rebaptisé pour l’occasion « solution d’assise », personnalisable et accessoirisable à l’envi via une plateforme collaborative. Deux façons de prouver que l’enseigne n’est pas insensible aux échanges de savoir-faire avec d’autres créateurs. Une posture de modestie appréciée des consommateurs et bien dans l’air du temps. Malin.

On y découvre aussi le fruit de l’intervention « d’une décoratrice d’intérieur parisienne » (sans doute en voie d’éclosion) qui a, pour l’occasion, réalisé une pièce « baroque’n’roll style Versailles » en n’utilisant que des produits Ikea. Une performance. Et une manière de clouer le bec de tous ceux qui, à force de voyager en Airbnb, finissent par associer Ikea à « uniformisation ». Enfin, grande première, l’enseigne nous présente ses premiers meubles de cuisine réalisés… à partir de bouteilles en plastique recyclé. Ici, la conscience environnementale ne reste pas théorique. Un petit café pour finir ? Chez Ikea, il est certifié et garantit les meilleures conditions de vie aux producteurs. Un dernier coup d’œil aux actions menées en faveur des enfants handicapés et on peut quitter le catalogue l’esprit léger. Ikea a coché toutes les bonnes cases… Et cette lecture nous renseigne finalement tout aussi bien sur notre époque que beaucoup de romans de la rentrée.

Des lieux à éprouver

C’était l’événement dans le Landerneau de la branchitude, le sujet qui a dû coloniser tous les apéros en terrasse de l’été : Colette ferme en décembre. Plus de vingt ans après l’avoir ouvert, Colette, la femme, ferme Colette, le lieu. Un magasin ? Trop vulgaire. Plutôt un temple. Une référence mondiale, la vitrine rêvée pour tous les « créateurs » autant que la visite incontournable des touristes qui voulaient respirer l’air de la modernité conforme et de la provocation fashion avec le sentiment d’accéder à l’exception. Colette, le concept-store alpha qui a tant inspiré jusque dans les villages les plus reculés.

Officiellement, c’est l’âge de la retraite qui est avancé comme explication. Colette ne peut exister sans Colette, peut-on lire un peu partout. Est ce bien certain ? Sa disparition vient cependant nous interroger sur ce que peut encore signifier un concept-store aujourd’hui, à l’heure où LVMH possède son site avec toutes ses marques (et plus) et où les online stores sélectifs et sans frontières (Yoox-Net-A-Porter, Matchesfashion, L’Exception, Mytheresa…) tissent leur toile, offrant une totale et immédiate disponibilité.

Plusieurs périodes de Colette sont venues répondre à la question. Un concept-store était, à l’origine, un lieu de sélection et de juxtaposition d’univers que rien ne prédestinait à cohabiter. Puis, un lieu d’exclusivités comme celle accordée aux premières Apple Watch. Un lieu de collab’, aussi. Une manière de mettre en lumière de nombreux jeunes talents et de moderniser des marques établies, voire populaires. Dernièrement, Colette s’envisageait comme un « relais » en « offrant » un de ses étages à une seule marque pour une durée d’un mois. Très peu auront eu le temps d’en profiter…

Un concept store est donc d’abord un lieu vivant qui bouge tout le temps et qui, à chaque fois, porte son lot de surprises. Son attractivité ne tient pas tant à son offre qu’à la manière dont celle-ci est scénarisée. Pas tant à ses exclusivités qu’à sa capacité à se renouveler et à jouer avec l’actualité. Finalement, un concept-store n’est-il pas un lieu où l’on éprouve quelque chose ? Comme lorsqu’on se rend au cinéma, au théâtre ou dans un musée. Une promesse que peuvent difficilement tenir les acteurs du net…

La marque amie

Qui ne connaît pas Frichti ? Le site de préparation et de livraison de petits plats. Pas les plats des restaurants, mais ses plats à lui. Et contre une somme bien plus modeste. Un restaurant sans salle ni personnel. Presque un restaurant virtuel. A la fois un des modèles de la restauration du futur et une manière de rappeler qu’innover, ce n’est pas toujours inventer l’improbable, mais éliminer les « contraintes ». Le loyer d’une salle de restaurant et les salaires, par exemple. Ne reste alors plus que la cuisine…

Faire appel à Frichti, c’est aussi éprouver ce qu’est une « marque amie ». Le fantasme absolu de tous les sites marchands. Et, sans aucun doute, une inspiration pour toutes les marques nées au siècle dernier. Dans les sacs de livraison de ses petits plats, Frichti glisse des petits cadeaux, un petit mot écrit à la main ou un bon de réduction à valoir sur sa prochaine commande. Des petites attentions qui sont autant de preuves d’amitié et de manières de favoriser le business. L’usage du mot « petit » n’est pas ici à modérer… Une fois la commande récupérée, c’est encore un petit texto que Frichti envoie à ses clients. Comme dans ses communications, où elle pratique couramment les calembours et les jeux de mots, Frichti a une manière personnalisée, très friendly, de s’adresser à son public. Sa façon à elle de créer une relation de complicité avec ses consommateurs, centrée autour de la très recherchée bienveillance. Sa valeur clé.

Frichti n’essaie pas de deviner ce que veut le consommateur, il lui donne la possibilité de s’exprimer et prend en compte son avis pour créer un lien de proximité, fondé sur l’écoute et la remise en question. Après la relation B to C (Business to Consumer), voici que s’annonce l’ère de la relation H to H (Human to Human) où les marques s’emploient à initier une relation horizontale, interpersonnelle et participative avec leurs consommateurs. Bienvenue dans le monde de la « marque amie ». Un concept naturellement issu des réseaux sociaux où toute trace de verticalité a été éradiquée et où chacun, devenu l’ami de chacun, peut toujours lui apporter quelque chose.

Quelles sont les marques du monde réel qui peuvent aujourd’hui prétendre être « les amies »  de leurs acheteurs ?

Techno-luxe

La marque de parfums de luxe Serge Lutens s’attaque à la réalité virtuelle et augmentée. Dans sa boutique phare du Palais-Royal à Paris, elle propose, depuis peu, une immersion à 360° dans l’univers de la villa du créateur à Marrakech, grâce à un casque de réalité virtuelle. S’ajoute à cela une application mobile qui donne « à voir le monde à travers les yeux de Serge Lutens » (!), comprenez : une chasse aux codes de la marque dans les Jardins du Palais-Royal. Enfin, la griffe met en place un chatbot, une interface automatisée de dialogue en ligne, afin de renforcer la proximité avec la clientèle. Qui a dit que technologie et luxe avaient peu à partager ? 

Même s’ils demeurent encore rares en raison de leur coût élevé, les casques de réalité virtuelle sont, sans aucun doute, appelés à se multiplier dans les lieux de vente. Toutes catégories confondues. D’une part, parce qu’ils constituent une réponse aux fortes attentes actuelles d’étonnement et d’expériences nouvelles de la part des consommateurs. Surtout des plus jeunes, mais pas seulement. D‘autre part, parce qu’ils pourront permettre aux enseignes de mettre en scène l’ensemble de leurs offres en s’affranchissant des questions de coût des stocks et des lieux de vente.

Etre là-bas tout en restant ici, le fantasme de l’ubiquité enfin matérialisé. De nouvelles facettes de l’identité des marques pourront aussi être valorisées et mises en scène : leurs origines, leurs modes de fabrication, voire, pourquoi pas, leurs «petits secrets» ou encore, un regard particulier sur leur environnement comme celui que propose Serge Lutens à ses visiteurs du Palais Royal. Avec la généralisation de ce type d’innovation permettant d’emmener les clients dans un ailleurs éloigné du strict champ commercial, la relation enseigne-clients ne manquera pas d’évoluer vers une forme plus ludique et plus émotionnelle qui ne pourra que constituer une motivation nouvelle pour se rendre dans un magasin.

Demain, l’objectif poursuivi par les enseignes ne sera plus seulement de conquérir de nouvelles clientèles, mais de chercher à créer de l’impact sur des populations plus restreintes, certes, mais en mesure de relayer sur les réseaux sociaux l’expérience qu’elles auront vécue. Réussir à attirer l’attention et à produire de l’émotion est aussi une manière d‘exister sur son marché.

Habitudes / Effets

Tout le monde s’accorde pour dire que le secteur de l’édition est fragile et pas très bien portant. Quelques domaines assurent pourtant sa survie, pas forcément associés à la littérature, parmi lesquels la cuisine, qui occupe une place de choix. Il suffit d’aller faire un tour à la Fnac pour s’en convaincre. Depuis peu, un autre cartonne : celui des ouvrages bien-être et santé. Attention, il ne s’agit pas de livres qui auraient pu être édités par Doctissimo, genre « un bobo, une réponse », mais plutôt de ceux qui nous incitent à modifier nos habitudes afin de rester en forme. Comprenez : vivre mieux et plus longtemps.

Prévenir au lieu de « mal guérir », voilà le dernier credo du moment, directement importé des Etats-Unis où, faible protection sociale oblige, l’habitude est prise très tôt de préserver son corps par une prévention active. L’émergence de tels comportements en France peut se lire comme un signe de défiance vis-à-vis de la médecine autant que d’attrait pour l’idée que notre santé dépend, au fond, de notre seule volonté. Ma maladie, c’est moi. Ma bonne santé, aussi. Ce ne sont plus les discours scientifiques de la médecine, souvent difficiles à s’approprier, voire contradictoires, qui sont recherchés, mais les explications pédagogiques et les conseils simples et pragmatiques comme ceux distillés par « Le charme discret de l’intestin » (un million d’exemplaires en France) ou par « Votre santé sans risque » (gros carton aussi). Etre rassuré par un professionnel, mais pas sur un mode savant, telle est l’attente actuelle.

Dans ce nouveau contexte, les marques doivent adapter leurs discours. Celui des glucides, lipides, protides associés à leurs produits, autant que celui des origines et de la traçabilité, pourraient avantageusement être complétés par une nouvelle génération de promesses, construites sur des couples habitudes/effets. Ce qu’ont toujours très bien su faire le kiwi (au petit-déjeuner pour faire le plein de vitamine C), le citron (à boire dans de l’eau tiède au lever pour remettre en route l’organisme) et l’ananas (en hiver pour renforcer les défenses immunitaires). Entre autres. A quelle routine du quotidien sont aujourd’hui associés les œufs, les pâtes, les biscuits, le chocolat ? Fréquence de consommation recommandée et avec quel autre aliment ? Vigilance à adopter ? Activité sportive associée ? De nouvelles formes de promesses de marques ne devraient-elles pas voir le jour, construites sur des couples « habitudes/effets » simples, appropriables et porteurs de perspectives de santé ?

Petits chimistes

Les enfants ont toujours aimé jouer au petit chimiste. Grâce à la fée marketing, ils peuvent continuer leurs expérimentations une fois devenus adultes. Brasseur de bière, distillateur, cidrier, le choix offert aux plus de 18 ans est vaste. Sur Internet ou chez Nature et Découvertes, les kits de Maître Brasseur se vendent bien. A Paris, à Belleville, la Beer Fabrique se présente comme le premier atelier de brassage de la capitale et propose de repartir avec quinze litres de sa propre bière, étiquette à son nom comprise… Côté cidre, ça bouge aussi. Les cidres Sassy ont développé, grâce à un financement participatif sur KissKissBankBank, un kit de fabrication maison.

En librairie, les livres dédiés à la réalisation d’élixirs fermentés maison se multiplient au point, parfois, de faire « table à part ». Le kombucha et le kéfir figurent en ce moment en bonne place. Le premier est une boisson acidulée d’origine mongole obtenue grâce à une culture symbiotique de bactéries et de levures dans un milieu sucré. Le second est une boisson issue de la fermentation du lait ou de jus de fruit sucrés. Les deux pétillent légèrement et ont la réputation d’être bénéfiques pour la digestion. Entre autres. Jamais les esprits n’ont autant fermenté…

Cet engouement soudain pour la fabrication de sa propre boisson pétillante répond à différentes motivations. Le plaisir de faire soi-même, tout d’abord, grosse tendance du moment, justifiée, pour les uns, par un appétit de savoir autour des questions des origines et des savoir-faire et, pour les autres, par une quête d’économie au quotidien. Le sentiment de participer à de nouvelles pratiques, de défricher des terres nouvelles n’est pas, non plus, étranger au phénomène. Une manière de se voir plus malin que les autres en court-circuitant les marques et les enseignes, tout en étant le garant de sa propre production. Elaborer sa propre boisson pétillante c’est, enfin, prendre conscience du temps et de la nature. Accepter le temps lent, celui de la fermentation, voilà qui tranche avec les habitudes prises depuis cinquante ans, dominées par l’accélération de tous les process, de la préparation à la consommation.

Participer à la réalisation de boissons vivantes qui décident du temps qu’il leur faut, c’est un peu lâcher prise et se laisser porter par ce qui arrive. De quoi réinventer les règles du jeu marketing.

Lieux de destination

La marque de prêt-à-porter premium Zadig & Voltaire vient d’inaugurer, rue Cambon, son ultime flagship : 850 mètres carrés à mi-chemin entre la boutique de mode et la galerie d’art qui permettent de découvrir les œuvres appartenant à la maison, signées Richard Serra, Julian Schnabel ou Daniel Firman. Le tout dans une architecture au modernisme brut. La galerie d’art comme futur du retail de luxe, voilà certainement un scénario envisageable pour demain. Dans le sud de la France, le centre commercial de Cagnes-sur-mer a, lui, embauché un des anciens directeurs du palais de Tokyo pour mettre en scène des artistes dans ses allées. L’art n’est pas réservé à l’élite. Après Miro, c’est aujourd’hui au tour de Philippe Ramette d’y exposer.

Les Parisiens peuvent, eux, jusqu’à fin juin, se rendre à La Maison Moët installée dans un hôtel particulier du neuvième arrondissement transformé pour l’occasion en galerie d’art et « lieu expérientiel ». Le minimum syndical pour séduire la faune crypto-branchée. Au programme, trois espaces, trois ambiances dédiées à la dégustation, entre food truck, pour déguster un millésimé Grand Vintage avec un burger à la truffe, et jardin à l’ambiance californienne, pour tester la gamme Ice Impérial. Une « Maison » comme espace d’expression pour les marques de luxe, voilà encore un scénario envisageable pour demain. Et ce ne sont, ni la Villa Schweppes, ni La Freix, club éphémère installé  au bord de la Seine par une marque espagnole de vin effervescent ou encore Le Soft, imaginé par une multinationale du cola qui ne souhaite pas se mettre en avant, qui viendront dire le contraire.

Galeries d’art et lieux éphémères annoncent chacun une des figures du commerce de demain : devenir des lieux de destination et non plus seulement des lieux d’achat. Des lieux où il se passe quelque chose, capables de proposer des expériences inédites qui marqueront les esprits et viendront alimenter les réseaux sociaux en buzz pour, en retour, stimuler l’envie de consommer.

Plus les produits seront achetés sur le net, plus les marques auront besoin de lieux pour garder le contact avec leurs clients… autant qu’avec le réel. Une des vertus du net ne serait-elle pas de nous inciter à réinventer le réel ?