Assiette générationnelle

Il est amusant de constater qu’aujourd’hui chaque cuisine ne peut s’empêcher de se réinventer. Comme s’il était devenu impossible de rester soi-même, poussé par l’obligation d’afficher un dynamisme, de séduire de nouvelles populations ou de se débarrasser des clichés auxquels on est associé depuis toujours. On se souvient des néo-kebabs qui poursuivent leur conquête avec des enseignes comme Nour. On a assisté au renouveau de la pizza, mené tambour battant par Big Mamma et sa mini chaîne de cantines « popolare » sans réservation et toujours pleines de bonne humeur. C’est aujourd’hui au tour du houmous, nouvel « it-eat »  du moment, et de la cuisine grecque.

Il faut bien reconnaître, qu’un peu comme la paella, la cuisine grecque était restée coincée dans les années 70 avec ses restaurants aux murs blancs et chaises en paille peintes en bleu, ses feuilles de vigne farcies, sa feta-tomate-concombre, son tarama rose, sa moussaka et son yaourt au miel. Personne ne pouvait prétendre la faire rimer avec gastronomie. C’était s’avouer trop vite vaincu et oublier qu’aucun combat n’est perdu à jamais. Place donc aux « néo grecs ». Le 29 mai dernier, aux Buttes-Chaumont, s’est même tenu le premier Banquet grec dédié à la gastronomie du pays. C’est peu dire que la table grecque s’est mise en mode séduction. Il suffit  d’avoir un peu « l’esprit Foodie » pour remarquer les nouvelles gargotes helléniques : Filakia près de la rue Montorgueil, Etsi, en bas de Montmartre, Little Mana rue du Faubourg Poissonnière ou encore l’épicerie Kilikio rue Notre Dame de Nazareth où sont proposés plus de 600 produits artisanaux sélectionnés par un duo de passionnés. Forcément.

A bien la regarder, la cuisine grecque n’est pourtant pas sans vertus. Elle est tout d’abord un pilier de la diète méditerranéenne dont la réputation n’est plus à faire. Elle porte aussi une frugalité et une authenticité bien dans l’air du temps, faite de produits simples, de vins nature, de recettes familiales à base de légumes et de laitage qui ne peuvent que séduire tous ceux qui se méfient des effets de la modernité. Elle est également très instagrammable, ce qui est aujourd’hui une vertu. Mais le plus intéressant est de constater, qu’ici comme ailleurs et sous des modalités diverses, ce renouveau est le fait d’une nouvelle génération. Dans une Grèce traversée par la crise, de nombreux jeunes urbains sans emploi ont en effet préféré se tourner vers les terres de leurs familles, qu’ils avaient pourtant quittées, pour s’assurer un avenir en tentant de réinventer leur tradition.

Chaque cuisine réinterprétée est le fruit du désir d’une génération de s’affirmer en marquant sa différence. Une chance pour elle comme pour nous tous.

Moins avec autant

C’est peu dire que les constructeurs automobiles se creusent les méninges pour inventer de nouvelles propositions et ne pas rester enfermés dans leur réalité d’industriels. La prise de conscience que leur image est devenue fragile, voire suspecte dès que le sujet de l’environnement commence à être abordé ? Le signe d’une intention d’être les premiers à inventer un nouveau modèle destiné à se substituer au « tout voiture » ?

Depuis peu, Citroën propose ainsi à tous ceux qui achètent son modèle C1 (le plus accessible), en location longue durée de 36 mois, de se voir rembourser une partie de leur mensualités de 149 euros s’ils acceptent de laisser la voiture dans un dépôt d’auto-partage TravelCar lorsqu’ils ne s’en servent pas. Ceux qui acceptent de ne pas y toucher au moins 20 jours par mois voient même leurs mensualités intégralement remboursées… Voilà qui devrait séduire tous les amateurs de bons plans et les acheteurs qui se disent aujourd’hui plus animés par la mobilité et le partage que par la possession. Et même, pourquoi pas, aussi, ceux qui se déclarent rétifs à l’achat d’un véhicule…

Ici, il ne s’agit pas seulement d’acquérir une voiture, mais de s’interroger sur la manière dont elle va pouvoir être utilisée. Alors que, depuis cinquante ans, la règle qui prévaut dans notre société dite de consommation est celle du « toujours plus », la petite voix de Citroën vient nous murmurer du « un peu moins » qui tranche singulièrement. Utiliser moins ce que l’on vient d’acheter pour donner aux autres plus de possibilités d’en profiter. Accepter de ne pas toujours disposer de ce que l’on possède. Pas un véritable don, pas un véritable partage, mais une manière de consommer différemment. A plusieurs et différée dans le temps. Une nouvelle version du « Je consomme, donc nous sommes ». Un nouveau rapport à la possession autant qu’un nouveau territoire d’expression pour toutes les marques désireuses d’afficher leur différence et leur capacité à comprendre l’air du temps prend ici forme.

Pourquoi cette incitation à une consommation plus raisonnée et plus raisonnable devrait-elle, d’ailleurs, se limiter au seul secteur automobile ? N’est-il pas devenu du devoir des marques de ne pas toujours chercher à faire rimer consommation et accumulation, à suggérer d’autres modèles à leurs acheteurs ? Tout le monde a à y gagner.

Insight

Quoi de neuf ? Les Millennials. Pas un jour sans qu’un expert du marketing ne vienne nous livrer des clés de compréhension de cette population qui ne se résume pas à ce qu’elle paraît. Ouverte et généreuse, égotiste et ambitieuse, mais aussi désireuse de prendre ses responsabilités pour changer le monde. Bon, une fois que cela a été dit et répété à l’envi, que fait-on ?

Alors que certains pensent qu’il suffit de repeindre leur communication (ou, plus prosaïquement, leurs bureaux) couleur Millennials, une peinture bien spécifique à base de pigments de coolitude, de LOL et de distance critique pour attirer leurs faveurs, d’autres se disent qu’après tout, les Millennials ne sont finalement qu’une cible de plus (et non pas une « mutation » ou « le signe d’un changement de paradigme ») et qu’il suffit, comme pour les autres, de savoir trouver le bon « bénéfice produit » et le bon « bénéfice consommateur » pour les séduire.

C’est ce qu’a du se dire StriVectin, le spécialiste des soins anti-âge qui a pourtant construit sa notoriété et sa réputation sur le traitement des peaux matures… Encore une preuve qu’aucune marque n’est jamais enfermée dans son marché… StriVectin nous avait déjà prouvé sa capacité à créer du buzz. Il nous le confirme aujourd’hui avec sa nouvelle offre à destination des Millennials, Nia, disponible, depuis peu et en exclusivité, chez Sephora. Nia, qui signifie « not into aging » (notez la subtilité de la proposition) comprend quatre produits vendus entre 28 et 39 euros : un soin hydratant, un gel pour le contour des yeux, un illuminateur énergisant, ainsi qu’un lissant pour le cou, imaginés à partir d’une molécule brevetée, la NIA-114 (notez la précision) censée stimuler le renouvellement cellulaire. Son ambition est de lutter contre les effets néfastes pour la peau du mode de vie ultra connecté adopté par les Millennials. Nia souhaite ainsi limiter « les effets technologiques », soit ceux produits par l’usage intensif du téléphone portable, qui encourage le fait de plisser les yeux ou la formation de rides sur le cou… Il fallait y penser. Evidemment, pour propulser sa notoriété, Nia (« créée par la génération Millennial pour les Millennials ») mise sur les réseaux sociaux et, en particulier, celui des Instagrameuses.

Demain, peut être, aussi, une crème pour soulager les oreilles meurtries par les casques ou un onguent pour soulager l’usure des doigts sur les écrans tactiles…

Esthétique de la disparition

Il y a deux ans, c’était de l’eau noire (vendue chez Colette) qui faisait le buzz. Aujourd’hui, le vent de la tendance semble plutôt venir de la transparence. Les temps changent. Après le cake goutte d’eau qui a largement circulé sur les réseaux, place au café transparent. Le premier, aux allures d’une réelle goutte d’eau, mis au point au Japon (où ailleurs ?), est fabriqué à base de riz et s’évapore s’il n’est pas mangé en trente minutes. Un résultat on ne peut plus instagrammable et, au passage, un concept pour le futur : des plats qui donnent le La en définissant eux-mêmes le moment où ils doivent être mangés, sous peine de se transformer ou de disparaître. Voilà qui pourrait venir événementialiser l’assiette.

Pour ce qui concerne le Clear Coffee, c’est à Londres qu’il faut aller chercher ses auteurs, animés par l’idée de faire du bruit autant que par celle d’éviter les tâches de café sur leurs dents. Son secret de fabrication est jalousement gardé, mais, nous assure-t-on, parfaitement naturel, sans ingrédients chimiques, ni conservateurs, sucres artificiels ou stabilisateurs. Cette drôle de boisson se présente sous la forme d’un code, CLRCFF, dont la signification est pour le moins cryptée… Assez pour nourrir le buzz et stimuler l’envie, les deux objectifs de toute marque, désormais.

De la transparence pour l’esthétique autant que pour la performance. Mais aussi comme une façon d’exister face à un trop plein de matières, de couleurs, de textures, d’innovations et de découvertes que les réseaux sociaux ne font qu’encourager (chacun y allant de sa petite recette perso, de sa petite touche créative, de sa petite présentation girly). Difficile, dans ce contexte, d’exister et d’attirer l’attention. Jouer la transparence, la disparition, l’élimination, la soustraction peut donc permettre d’apparaître face à l’excès, l’abondance et la surenchère, comme une pause salutaire. 

Il y a quelques années, les fans de fooding s’extasiaient devant les techniques qui permettaient de consommer des aliments sous une forme gazéifiée ou cryogénisée. La tendance s’est ensuite portée sur les effluves et les shots d’air qui offraient, eux aussi, de nouvelles manières de découvrir les différentes facettes du goût. L’ambition est aujourd’hui d’atteindre la forme pure et transparente de l’eau. La logique est à chaque fois la même. Disparaître pour mieux exister.

Amour et gondoles

Quand le cinéma veut représenter la France qui souffre, la France qui se lève tôt, celle pour qui la vie est un combat, il choisit souvent la grande distribution comme décor. Des caissières qui ont mal au quotidien, des vigiles victimes du système, des entrepôts froids au pied desquels des femmes en blouse viennent fumer leur pause, des parkings blafards, des patrons d’enseignes méfiants ou pervers : qui n’a jamais croisé cette typologie de caractères et de scènes dans un film ou un téléfilm ?

Mais quand la distribution veut parler d’elle, elle choisit de se tourner vers les grands sentiments qui irriguent les écrans. Les belles histoires d’amour ne sont jamais très loin des gondoles. Pour preuve, les deux « œuvres » de plus de trois minutes (autant dire des courts métrages) imaginées tour à tour par Intermarché et Monoprix.

Dans le premier, il tombe amoureux de la jolie caissière et fait tout pour passer le plus souvent possible à la caisse. Quand on aime, on ne compte pas. Emporté par ses sentiments, il décide de mettre à profit ces passages pour modifier son alimentation. Acheter des tomates, des melons et du céleri, c’est quand même plus sexy que des pizzas, non ? Ils finirent heureux et ensemble sur une mobylette.

C’est aujourd’hui au tour de Monoprix d’empoigner son violon pour nous jouer le même air, mais avec une corde supplémentaire : celle de l’enfance. Au collège, un ado laisse dans le casier de sa dulcinée des messages d’amour qu’il a pris soin de concocter à partir de jeux de mots prélevés sur les packagings des produits Monoprix. Un jour, elle déménage et disparaît. Quelques années plus tard, sans que l’on comprenne bien comment et pourquoi, ils se retrouvent devant leur casier, mais à la fac cette fois, et reprennent leur correspondance amoureuse sur fond d’étiquettes de packaging et de musique sentimentale. Heureusement que Monoprix est toujours là.

L’évidente proximité de ces deux films, tant dans leurs intentions que dans leur calendrier de diffusion, vient nous confirmer l’ambition actuelle des enseignes : modifier leur image en transcendant la nature du quotidien. Il ne s‘agit plus ici de proposer un quotidien marchand, fait de produits, de prix et de promos, mais un quotidien émotionnel qui dépasse le réel pour parler à chacun. Après le temps des preuves, voilà celui des valeurs. Les rayons deviennent des lieux de vie et de liens et les enseignes des metteurs en scène de nos sentiments. La théatralisation n’a pas disparu des préoccupations de la distribution, elle a juste changé d’objet.

Marque générationnelle

C’est fou comme, parfois, un simple changement d’enseigne peut venir témoigner, à lui seul, de la mutation de l’ensemble de la société. Ainsi, sur « la plus belle avenue du monde », l’enseigne Five Guys s’est, au début de l’année, substituée à Häagen-Dazs dans la plus grande indifférence. Et pourtant.

Häagen-Dazs est arrivée en France dans les années 90 avec un positionnement gourmand et haut de gamme à même de bouleverser notre marché des glaces hexagonal légèrement assoupi sur ses vanille-fraise-chocolat, ses Mystères, son omelette norvégienne et ses oranges et citrons givrés. L’irruption de Häagen-Dazs, place Victor Hugo, a un peu aidé à décongeler le secteur. Soudain, les glaces pouvaient être envisagées comme un dessert luxueux (et cher), réalisé à partir d’ingrédients de qualité, au service d’une gourmandise assumée jusqu’à l’excès. Des noms exotiques, des saveurs nouvelles, un nom de marque aussi difficile à écrire qu’à prononcer, une touche de blanc, de bordeaux et de doré pour les packagings, annonciatrice de la vague bling-bling, et voilà l’affaire lancée pour 20 ans. Une génération. Pas étonnant que la marque, entre temps disponible en grande surface, ait aujourd’hui un peu perdu de son attractivité face à Amorino et à son imaginaire artisan ou à Magnum qui multiplie les offres polysensorielles et décomplexées. Häagen-Dazs a donc laissé la place à Five Guys, une enseigne autant « 2010 » que Häagen-Dazs pouvait être « 90 ». La roue tourne.

Five Guys et non One Guy : tout est dit sur l’esprit communautaire qui hante désormais la consommation. Je consomme, donc nous sommes. « Guys » plutôt que le nom d’une entreprise anonyme ou une référence à une expertise précise. Le monde des potes a encore frappé. Celui où, lorsqu’on ne monte pas sa start-up, on lance son site d’e-commerce ou son food-truck. Si tu as une idée et des potes, le monde du business s’ouvre à toi. Une carte courte et lisible, quatre recettes de burgers et de hot-dogs seulement, mais totalement personnalisables par le choix des accompagnements et des pains. Au total, près de 250 000 combinaisons de burgers seraient possibles. Etre avec ses potes ne signifie pas, tous manger la même chose. Et que dire de la couleur rouge, si ce n’est qu’elle porte le fun, le désir et la vie ? Bien loin du rouge bordeaux et du doré qui feraient presque penser au décor de l’entrée d’une Résidence Hespérides.

Un nom, une couleur et une promesse suffisent, en théorie, à définir une marque. Mais il ne faut jamais négliger de doter chacun d’eux du « petit quelque chose » de l’air du temps qui lui assurera une parfaite résonance avec les attentes du moment.

Du lien au lieu

Coca-Cola vient d’annoncer sa stratégie de développement pour les années à venir. Toujours intéressant d’analyser les parti-pris et les paris pris par cette entreprise pas exactement comme les autres… Au programme : plus de nature, moins de calories, plus de petits formats et une touche de pop-up store pour être définitivement moderne. Qui pourrait être contre ?

De la nature tout d’abord. Ou plutôt du naturel pour répondre aux phobies ambiantes, de la malbouffe à la crainte de prendre du poids en passant par celle de boire ou manger trop sucré. Pour y parvenir, lorsqu’on s’appelle Coca-Cola, une voie possible pour se refaire une image est de convoquer les plantes infusées. Il suffit de constater le succès rencontré par les boissons dont le nom comprend le mot Tea pour s’en convaincre. Et peu importe qu’il s’agisse parfois davantage d’un imaginaire de thé que d’une réalité… En 2017, après les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, c’est donc au tour de la France d’accueillir Honest (un nom presque suspect…) qui sera ainsi la première boisson certifiée Agriculture biologique de Coca-Cola en France. A base d’infusion de plantes et faible en calories. Après avoir acheté Innocent et lancé Finley, Coca parfait ainsi son image de modernité naturelle.

Valoriser les petits formats (15cl, 25cl et 1 litre) est la seconde pierre de l’édifice. Une manière pour Coca-Cola d’exprimer sa proximité : des boissons tout le temps avec soi, tout le temps dans sa tête. Mais aussi, sa « responsabilité ». Car petit format signifie présence plus discrète, moins hégémonique et consommation « maîtrisée ». Une voie déjà très empruntée par tous les fabricants de bières qui ne cessent de multiplier les plus petites contenances…

Coca-Cola a enfin imaginé un lieu pour faire vivre l’ensemble de son offre, preuve qu’une marque est désormais autant un lien avec ses consommateurs qu’un lieu à vivre et à partager. Les people souriants ne suffisent pas toujours pour incarner une marque… Coca propose ainsi Le Soft, un lieu cool et éphémère installé dans un premier temps dans le 9ième arrondissement de Paris et qui sera, ensuite, rapatrié au siège de l’entreprise. Le Soft accueillera clients et partenaires, mais également des événements et des groupes de consommateurs qui pourront venir y exprimer leurs désirs. Une sorte de laboratoire vivant pour la marque qui pourra ainsi mesurer sa perception et deviner les attentes en temps réel. N’est-ce pas aussi l’intérêt d’ouvrir un lieu que de rester en prise avec ses acheteurs ?

Luxe provoquant

Le rapprochement de l’art et du luxe ne surprendra personne tant ils partagent des valeurs évidentes. De la rareté, de l’élitisme, de l’expérimentation pour la face positive. Le goût de l’argent, du brillant et du clinquant pour le revers de la médaille. De tous temps, le luxe a trouvé son inspiration dans l’art (d’Yves Saint Laurent à Prada en passant par Viktor & Rolf) et il n’est plus rare de croiser, aujourd’hui, des « œuvres » dans les magasins qui veulent ainsi affirmer leur appartenance au monde du luxe. Leur présence vient à la fois flatter leurs acheteurs et doter leur offre d’une valeur ajoutée immatérielle non négligeable.

Par ailleurs, dans un monde où la culture est en quête permanente de financement, l’industrie du luxe est toujours à même de jouer les mécènes, jamais totalement désintéressés… Un financement de travaux ou une restauration contre une autorisation pour défiler dans un musée ou la privatisation d’une salle pour un dîner par exemple. Sans oublier quelques avantages fiscaux au passage. Du « win-win » contemporain. Qui trouverait à y redire ?

Un pas supplémentaire a été récemment franchi par la maison Vuitton avec sa ligne de sacs imaginée par Jeff Koons, imprimés aux motifs de cinq tableaux mondialement connus (la Joconde, un paysage de Van Gogh et des extraits de tableaux de Rubens, Fragonard et Titien), tous barrés du nom du peintre et du célèbre monogramme retravaillé par l’artiste pour la circonstance. A l’intérieur de chaque sac se trouvent une biographie et un portrait des deux artistes en présence ainsi que la mention du musée où l’oeuvre est exposée. Les cinq musées ont donné leur autorisation pour les reproductions et toucheront évidemment des royalties, précise le communiqué de presse. Ces sacs en série limitée seront vendus trois fois plus chers que leurs équivalents classiques… Le prix de l’art et une condition nécessaire pour donner le sentiment d’accéder à du collector qui ne pourra que prendre de la valeur.

En d’autres lieux, ces propositions auraient pu être perçues comme kitsch. Des sacs pour touristes échappés d’une boutique de souvenirs. Ici, il s’agit d’une expression nouvelle du luxe contemporain. Après tout, cela fait plus de quinze ans que l’on peut rouler en Picasso. Alors pourquoi ne pas, aussi, porter La Joconde au bout de son bras ? On ne pourra pas reprocher au luxe de ne pas oser franchir la ligne du « bon goût » et le fait même que chacun s’interroge sur l’objet (de l’art ou du commerce ?) est plutôt bon signe. Pas d’art sans questionnement ou débat. Pour les uns, définitivement moche. Pour les autres, absolument génial. La provocation est à ce prix. Le buzz aussi.

Pantone peau

Le Museum d’histoire naturelle de Paris accueille en ce moment une exposition sur le thème du racisme (« Nous et les autres. Les préjugés racistes ») dont les affiches n’utilisent que des couleurs de peau, du rose pâle au beige en passant par le marron. Pour asseoir le principe, chacun peut découvrir, en bas à gauche de celles-ci, les visages et les prénoms des deux personnes qui ont permis de définir les couleurs retenues.

Coïncidence ou non, on pouvait, au même moment, lire dans la presse professionnelle, que la marque de bière Skol avait opté pour un parti-pris créatif similaire en développant une campagne baptisée Skolors au cours de laquelle elle proposait un nuancier de canettes en édition limitée, chacune faisant référence à une couleur de peau précise. Une invitation à trinquer au nom de la différence. Sur le site de la marque, les internautes pouvaient facilement trouver la canette correspondant à leur propre carnation grâce à un algorithme capable d’analyser les couleurs de peaux à partir des photos de profils Facebook. Une idée astucieuse pour produire efficacement du buzz sur la toile. Plus maline, en tous cas, que celle imaginée par Nivea au Moyen Orient, qui a voulu associer ses déodorants à un « White is purity » plutôt mal reçu… Il est vrai que le blanc ne figure pas dans le nuancier Pantone…

Toutes ces initiatives viennent trahir une des obsessions actuelles des marques : tenter de suggérer de nouvelles voies d’accès à leurs produits pour renouveler leur relation avec leurs consommateurs et, aussi, pour attirer l’attention sur elles. Hors des chemins trop empruntés de la rationalité et de l’argumentation. Certaines ont recours à des casques de réalité virtuelle pour emmener leurs clients très loin. D’autres passent par des approches psychologisantes consistant à les exposer à des images ou à des sons pour mieux cerner leurs attentes. Ou communautaires pour définir leurs préférences à partir de celles des autres. Demain, les algorithmes de l’intelligence artificielle les conduiront là ils ne s’attendaient pas à aller. Proposer une autre approche de la couleur relève de la même logique : faire apparaître une face inconnue du connu, créer une rupture dans les habitudes, surprendre par de l’inattendu. Le quotidien serait-il devenu si ennuyeux ?

Simplement étonnant

Picard a toujours été le parfait exemple de l’enseigne « sociologique », celle qui construit son offre, non à partir de son savoir-faire, mais des attentes des consommateurs, le premier étant mis au service des secondes…

On y a ainsi vu fleurir des formats familiaux et économiques, sitôt les premiers symptômes de la crise apparus. Puis, diverses offres exotiques (jusqu’aux sushis) comme autant d’appels à l’évasion alors que l’économie du voyage explosait. L’enseigne propose aujourd’hui une opération baptisée « Simplissime » imaginée à partir du succès en librairie du livre de cuisine du même nom fondé sur une idée simple : des recettes faciles, illustrées par beaucoup de photos « pas à pas » et très peu de textes. La cuisine comme une évidence.

L’enseigne a imaginé un livre de recettes réalisables avec ses produits, poursuivant ainsi sa stratégie consistant à présenter ces derniers non plus comme des plats à réchauffer au micro-ondes, mais aussi comme de possibles ingrédients. « Simplissime ! 100 recettes, 100% Picard », voilà pour l’accroche. Une manière de redoubler l’attention sur ses magasins, d’attirer de nouvelles cibles et de séduire tous ceux qui seraient tentés par l’idée d’explorer le monde créatif de la cuisine sans en maîtriser les gestes. Et la confirmation que le marché de la cuisine évolue actuellement de façon polarisée, à la manière de celui du prêt-à-porter ou de l’automobile, au détriment d’un milieu de gamme de moins en moins investi.

A une extrémité, feu la cuisine moléculaire et le toujours actuel mouvement fooding, pour innover et étonner. A l’autre, une cuisine facile, accessible et accompagnée, pour assurer et rassurer, entre avalanche de tutoriels sur le net et boîtes livrées à domicile avec tous les ingrédients dosés. Entre les deux : les recettes qui se transmettent, les habitudes répétées et les savoir-faire acquis au fil du temps. De moins en moins connus et maîtrisés. Le point commun des deux extrêmes est une promesse de créativité, désormais impossible à négliger. Cuisiner simple ne signifie plus cuisiner « banal » ou « classique ». Au contraire. L’étonnement est devenu une obligation. Etonnement des autres (« comment as-tu fait ? ») et, surtout, étonnement de soi (« je ne m’en imaginais pas capable »). Assurément un des nouveaux moteurs du marketing.