Toast déco

Tous ceux qui se pencheront, demain, sur les habitudes alimentaires de ce début du XXIe siècle en France ne manqueront pas de souligner la place qu’y occupait l’esthétique. Au moins aussi importante que l’inventivité culinaire elle-même. Esthétique des lieux (bien souvent « copié-collé »…) et, bien sûr, esthétique de l’assiette. Un bon plat est aussi un beau plat. Instagram est passé par là. L’esthétique est devenue si importante que même ce qui n’est pas considéré comme l’œuvre d’un chef a droit à son moment de gloire. Après les cupcakes (pas loin du degré zéro de la cuisine), indigestes mais colorés et créatifs, c’est aujourd’hui au tour des toasts de faire le buzz. 

D’un côté, les Fruit Toasts : du pain, un liant type confiture et des fruits frais pimpés de menthe, de muesli ou de graines. De l’autre, les Mermaid Toasts recouverts de fromages à la crème, genre Philadelphia, mêlés à de la poudre d’algue ou de la spiruline, et décorés de copeaux en tous genres. Résultat ? Rien de vraiment culinaire, mais un effet marbré et aquatique (Mermaid = petite sirène…) aux nuances de bleu turquoise, on ne peut plus instagrammable et en parfaite correspondance avec les tendances déco actuelles…

Qui aurait pu imaginer que des tranches de pain allaient ainsi pouvoir circuler sur les réseaux ? Leur succès ne doit pourtant rien au hasard. Aux fruits ou « mermaid », elles sont d’abord toutes les deux des propositions combinant « healthy » et « arty ». Des tartines bonnes pour la santé et envisagées comme des supports d’expression personnelle, des toiles blanches sur lesquelles chacun peut exprimer son inspiration. L’assiette flirte ici avec la déco et la mode, preuve d’une évolution de son statut. Nourrissante dans un premier temps, puis équilibrée, et désormais « design ». Un résumé de l’évolution de notre société.

Cette multiplication des toasts est aussi une invitation à la régression. Improviser des effets marbrés ou disposer des fruits sur des toasts tartinés de fromage, c’est  simple, rigolo et sans prétention. C’est un peu comme retourner à la maternelle ou dans un atelier créatif du mercredi après-midi. Qui ne serait pas tenté de « créer » son propre toast ?

Carpe et lapin

Il existe plein de petites initiatives innovantes qui poussent un peu partout et restent souvent invisibles. Par manque de communication de la part des marques qui en sont à l’origine. Par déficit d’esprit d’observation, aussi, de ceux qui font pourtant du marketing leur profession. Dommage.

Seuls les plus attentifs d’entre eux ont pu ainsi apprendre qu’il y a peu, à l’occasion de la Saint Patrick, le service de livraison de plats à domicile Foodora avait imaginé une collaboration avec le brasseur La Parisienne pour proposer sa première bière artisanale en édition ultra limitée. Deux de ces bouteilles collector étaient offertes pour toute commande supérieure à 35 euros. Pas mal. L’idée est anecdotique ? Tant mieux. Car c’est souvent sous la forme d’anecdotes que naissent les innovations.

L’innovation « Carpe et lapin » est particulièrement prisée ces temps-ci. Elle consiste à rapprocher ce qui n’a aucune raison de se rencontrer. Un service de livraison et une brasserie : à priori, pas de points communs. A priori. Sauf que, à bien y regarder, les bières sont souvent associées aux plats livrés. Ceux qui se font livrer des repas à domicile sont en effet sûrement moins amateurs de vin que de bière. Affaire de génération et de style de vie. Ce sont les usages des cibles visées plus que les territoires d’origine des marques en présence qui doivent être pris en considération lorsque l’innovation est envisagée. Voilà qui vient régler, au passage, la question de la supposée nécessaire légitimité pour entreprendre quelque chose. Il n’est pas toujours besoin de posséder le savoir-faire pour innover. « Posséder » les habitudes des consommateurs et vouloir s’y installer naturellement suffisent.

Associer son innovation à de la rareté, et donc à du « collector », est aussi une bonne manière de créer de l’envie. Il suffit de voir l’émeute suscitée à New York par la diffusion de quelques cartes de transport à la couleur (rouge) de la marque Supreme, à l’occasion du lancement de sa dernière collection, pour finir de se convaincre de la pertinence de ce type de stratégie pour maintenir la désirabilité d’une marque… Et si, en plus, cette offre rare est offerte, comme c’est le cas avec Supreme ou Foodora, le comble du cool est atteint.

Les brigades de l’ombre

Comme la Saint Valentin ou la Fête des Grands-mères, le Fooding a réussi à s’installer dans notre calendrier. Fin mars rime donc, depuis 15 ans, avec Fooding. A chaque fois, l’occasion de découvrir des menus et des restaurants à travers un « concept ». Fin 2016, au moment du lancement de son Guide, le Fooding inaugurait celui de la « Cuisine faubourgeoise » aux contours un peu difficile à cerner. En gros, plus de simplicité et moins d’effets de style. Ca ne mange pas de pain. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Pas grand chose, mais là n’est pas l’important. L’important est de réussir à se renouveler, d’importer de nouveaux mots dans les esprits car derrière les mots, les imaginaires ne sont jamais très loin. Et ce sont eux qui donnent envie de vivre un moment.

Ce week-end, le Fooding s’autocélébrait et le mot d’ordre était « Communardise ». Il fallait y penser. Pas très loin des faubourgs et toujours une plongée dans le passé, voyage souvent pratiqué par ce mouvement qui, tout en revendiquant une modernité pointue, ne rechigne pas devant l’idée de remettre au goût du jour des plats et des coutumes d’hier…

Un détour par la connaissance historique s’impose forcément dès la page d’accueil du Fooding car, avec la Commune, c’est l’Histoire qui est convoquée. Ici, il ne s’agit pas tant de glorifier cet épisode sanglant de l’histoire de France (même s’il est rappelé que les Communards « ont éclairé le monde conservateur de leurs utopies généreuses »…) que de rappeler (d’apprendre ?) que le nom de Communard, attribué sans preuve formelle à Auguste Escoffier, grand théoricien du système hiérarchique en cuisine, désigne, au sein d’une brigade, celui qui a pour responsabilité de préparer les repas communs du personnel d’un restaurant. Voilà donc l’idée du printemps : partager le repas du personnel d’un restaurant d’avant le service, ce moment où toute l’équipe (commis, maître saucier, chefs de partie ou plongeurs) mange à la même table.

Cette fois-ci, moins de promesses de découvertes gustatives ou d’exhumation de recettes d’hier ou d’ailleurs, mais la perspective, simple, de vivre un moment unique avec ceux que l’on ne voit jamais car assignés en cuisine. Une manière d’éprouver la part d’humain de l’assiette. Et une proposition qui s’inscrit finalement dans la lignée de la mise en scène (si appréciée) des petits producteurs. Derrière les plats et les saveurs : les hommes. Ceux qui préparent et cuisinent. La face cachée de l’assiette.

Petit luxe

La décision n’a pas fait la Une des journaux, même de ceux spécialisés dans le marketing. Elle est pourtant révélatrice d’une nouvelle manière de faire, autant que la réponse à une situation de crise.

Face au ralentissement du marché mondial du luxe (et plus particulièrement asiatique), la maison Vuitton a décidé d’ajouter une nouvelle corde à son arc, en lançant sa toute première ligne d’articles de cadeaux baptisée « The art of gifting ». La collection, composée d’une trentaine de références disponibles en magasins depuis début janvier, propose « une gamme d’objets irrésistibles et précieux, ludiques et sensibles » (dixit le communiqué de presse) mettant en avant le savoir-faire des ateliers maison et déclinés en trois univers : l’écriture (pots à stylos, crayons, marque-pages, carnets de notes), l’art de vivre (boîtes, cadres photos, vide-poches, miroirs) et l’art du jeu (dés, jeux de cartes, toupies, et même yoyos !). Il est même possible d’acquérir un doudou en patchwork de cuir surnommé « Louis l’ourson »…

Nous voilà bien loin des expériences menées par la marque au début des années 2000 avec des artistes conceptuels de tous horizons qui allèrent jusqu’à barbouiller de peinture les sacs griffés LV. Ici, c’est plutôt l’idée d’un luxe bourgeois « giscardien » qui émerge et l’on pourrait, sans effort, imaginer cette nouvelle offre dans le décor d’un film de Chabrol traversé par Stephan Audran ou Philippe Noiret…

Certains verront dans cette décision le signe d’un retour à une certaine idée du luxe à la française qui s’est toujours bien exportée. Certes. D’autres, un élargissement de son offre à des objets à « petits prix » (tout est relatif) de façon à, simultanément, toucher un public plus large et installer sa marque dans le quotidien. Une manière de répondre au ralentissement de la demande et de susciter de nouveaux imaginaires. Les marques de luxe seront-elles toutes amenées à pratiquer ce grand écart entre hyper exclusivité et petits luxes accessibles ? Tant qu’il ne se mène pas au détriment de la qualité et qu’il ne galvaude pas l’image de la marque, pourquoi pas.

Le rêve ne se construit pas seulement sur l’éloignement et l’inaccessibilité, il peut aussi naître d’une proximité avec ses envies et de la perspective d’une acquisition possible.

Athleisure

Tous ceux qui lisent la presse féminine sont familiers du mot. Athleisure, soit la contraction de Athlétique et de Leisure, désigne cette tendance consistant à s’inspirer des coupes, matières et couleurs du monde du sport pour proposer de nouvelles esthétiques vestimentaires. L’hybride a encore frappé. Et le luxe n’est pas épargné par la vague.

Le « grand public » a pu le comprendre lorsqu’il a découvert que Louis Vuitton et la marque de sportswear Supreme s’étaient rapprochés pour produire une ligne d’accessoires dominée par la couleur rouge. Quelques jours plus tard, il bruissait dans le landerneau de la mode que Dior et Nike envisageraient à leur tour de collaborer. Une rumeur vite démentie par le premier. Mais y-a-t-il fumée sans feu ? Le phénomène Athleisure ne touche d’ailleurs pas que les vêtements. MAC a ainsi récemment annoncé le lancement d’une ligne de maquillage adaptée à la pratique sportive. La collection, nommée « Work it out », propose toute une gamme de produits inspirés des couleurs vives de l’univers fitness des années 80. De là à recommander de se maquiller pendant les séances d’entraînement, il n’y a qu’un pas…

Hier, le sport urbain était vécu comme un moyen d’évacuer le stress ou de se donner bonne conscience. De l’aérobic au Pilates selon les périodes, une hygiène de vie, imposée par les rythmes de la vie moderne. Il est désormais un style de vie affiché et revendiqué. Une manière d’être et d’envisager le monde sur le mode d’un combat, où tout doit se gagner. La beauté devient ainsi moins perçue comme quelque chose d’inné que le résultat d’un travail sur soi.

L’univers du luxe ne pouvait pas résister à une telle évolution. D’abord parce que le corps a toujours été au centre de ses préoccupations, du corset du début du siècle à l’extra-large des années 80. Le corset n’est-il d’ailleurs pas désormais « intérieur », avec des corps façonnés par l’exercice ? Ensuite, parce que faire du sport, c’est prendre soin de soi, ce qui a toujours été l’un des moteurs du luxe. Enfin, parce que le luxe court désormais après le cool, histoire de se dégager d’une image perçue comme trop raide ou distante, en particulier auprès des nouvelles générations biberonnées à la « street culture » . Un luxe pour se sentir bien plutôt que pour paraître, voilà le luxe moderne.

Comment s’étonner que le sport soit devenu sa nouvelle source d’inspiration ? Sport, loisirs et luxe se rapprochent ainsi progressivement pour renouveler les codes et les imaginaires. Faire du sport n’a jamais été aussi cool…

Un petit chez soi

Si dans les années 90, les lofts et anciens ateliers reconvertis faisaient rêver dans les chaumières, il semblerait qu’aujourd’hui, les rêves soient davantage faits de petites maisons dans la prairie. Il suffit de promener son regard à La Fnac pour s’en convaincre. Ici c’est « Cabin Porn », un ouvrage qui compile les plus jolis chalets et cabanes du monde entier en référence au « food porn », cette tendance à photographier son assiette à tout va. Là c’est « the Small House Book » ou encore « Vivre heureux dans un petit espace » . Passons sur les vidéos circulant sur le net où de nombreux heureux occupants de maisons lilliputiennes en vantent les mérites. Quant à Muji, toujours à l’affût, il propose déjà au Japon une série de « Huts », cabanes de 10 à 40 m2, en liège, bois et aluminium, démontables et déplaçables.

Vivre dans une petite surface a toujours été, il est vrai, un marronnier pour les magazines de déco au moins aussi récurrent que le classement des meilleurs lycées par ville. Vivre en ville, dans un « studio malin » ou à la campagne, dans un « esprit roots-chic » au beau milieu d’endroits forcément sublimes. Mais le phénomène semble aujourd’hui aller au-delà de cette seule nécessité kiosquière.

Il est tout d’abord le reflet d’un marché de l’immobilier en ville devenu inaccessible pour beaucoup. Une forme de résignation positive érigée en art de vivre. Tant qu’à habiter une petite surface, autant y mettre du cœur et de l’enthousiasme et soigner l’affaire. Après l’esprit boudoir place à l’esprit cabane. Celui-ci est aussi le signe d’une attitude décroissante. Moins d’espace, moins d’objets, moins de consommation, moins de CO2Less is more. Mais pas seulement. Less est aussi une attitude de connaisseurs. Bien choisir chaque produit, c’est réfléchir à son achat et non acheter compulsivement pour parvenir à remplir le vide. Ce goût pour le « tiny » est également la conséquence d’un nouveau rapport à l’environnement. Ni caravane, ni mobile home, ni vraiment maison, la « cabane » se pose dans l’espace sans laisser de traces. Elle est un « entre deux » apprécié par notre époque et creuse le même filon que les food-trucks.

Réponse à une nécessité économique autant qu’à une aspiration citoyenne et écologique, la cabane n’est désormais plus un mythe.

Grocerant

Tous ceux qui gravitent autour de la sphère marketing le savent bien. Les autres peuvent le deviner. L’ère est à l’hybride. Et pas seulement dans l’alimentation énergétique des véhicules… Le dernier cas d’hybridation en date se nomme « grocerant », contraction de grocery (épicerie) et de restaurant. Autrement dit, des magasins où l’on peut acheter de la nourriture et la déguster presque simultanément. Ce type d’offres pullule désormais dans la capitale, telles la Maison Plisson, Causses ou Le Café Marlette.

La preuve de leur succès est aussi confirmée par l’intérêt que lui portent les grandes chaînes. Chacun a pu ainsi observer que la nouvelle génération de magasins Franprix, dite « mandarine », propose pour ses plus grands formats quelques tables, un espace rôtisserie et des machines à café ou à presser des oranges. Et quand Picard dévoile sa nouvelle architecture commerciale, c’est pour souligner que l’on pourra y réchauffer et déguster ce qui y aura été juste acheté. Sa dernière offre de plats cuisinés, « Retour du marché », particulièrement attractive, a été sans aucun doute (aussi) pensée pour un tel mode de consommation puisqu’on peut voir le produit et non se contenter de le fantasmer à partir de la photo du pack.

Si Franprix et Picard ne sont pas à proprement parler des « grocerants », on ne peut que noter au passage la vitesse de récupération du phénomène par la grande distribution. Une manière pour elle de se souvenir que consommer ne signifie pas seulement acheter, mais aussi déguster. L’opportunité de toucher, au passage, de nouvelles populations cherchant des alternatives à l’offre des boulangeries et pour qui les restaurants sont souvent trop chers. Manger dans un point de vente n’est pas réservé aux rayons épicerie fine du Bon Marché et des Galeries Lafayette…

Cette évolution vient également nous rappeler que le temps est une variable marketing à part entière, au même titre que l’offre, le prix ou le mode de distribution. Après avoir tout fait pour fluidifier les parcours d’achat en magasins, réduire le temps d’attente aux caisses, puis étendre leurs horaires d’ouverture, voilà les enseignes qui incitent désormais leurs clients à rester plus longtemps chez elles. Et si le temps était leur première offre, bien avant les produits ?

L’expérience de soi

Selon l’Insee, la part du budget des ménages consacrée à l’apparence physique ne cesserait non seulement de diminuer, pour se situer à un peu plus de 7% en 2015 (soit 3 000 euros par ménage), mais verrait aussi, en son sein, la part des soins personnels (coiffure, produits de beauté…) et, dans une moindre mesure, des effets personnels (bijoux…) se renforcer, au détriment de celle de l’habillement (prêt-à-porter, chaussures…), en nette chute. Moins de vêtements, plus de soins et d’accessoires, voilà donc la tendance du moment. Un nouveau rapport à l’apparence est à l’oeuvre, moins démonstratif, plus intime, plus près de soi et de son corps, qui vient confirmer l’installation de nouvelles valeurs dans la tête des consommateurs. Le succès des tatouages pouvait déjà le laisser présager…

Plusieurs hypothèses peuvent être émises pour expliquer ce phénomène. Les experts s’empressent d’y voir la conséquence de la concurrence des innovations technologiques et des loisirs à laquelle seraient soumis les vêtements. Jeux vidéo, téléphones mobiles et week-ends à Barcelone contre doudounes, jeans et baskets, la partie semble en effet facilement tourner à l’avantage des premiers, même en période d’arbitrages financiers, car l’époque est à la jouissance et à l’hédonisme. Certes. Mais n’est-ce pas donner trop d’importance au prix ? La mutation est peut-être plus profonde.

On peut y voir aussi la confirmation d’une banalisation de l’apparence vestimentaire. Voire d’une saturation. Trop de looks semblables et interchangeables. Trop d’images en circulation. Trop de course permanente à la différenciation qui, finalement n’en est jamais vraiment une, puisque aussitôt imitée. Le vêtement n’opère plus assez fortement comme signe de distinction. Trop facile, trop accessible, trop artificiel. D’où le recentrage sur soi-même et la quête d’une singularisation plus subtile. Apprendre à mieux se connaître et à ressentir son corps à travers l’usage de différents soins, oser de nouvelles coiffures et de nouveaux maquillages comme autant de manières d’exprimer sa personnalité.

Le célèbre « Ce qu’il fait à l’intérieur se voit à l’extérieur » imaginé il y a une vingtaine d’années par Bio de Danone est aujourd’hui dans toutes les têtes. Alors que les marques ne cessent de nous promettre de nouvelles expériences, la plus recherchée, désormais, n’est-elle pas celle que l’on peut mener sur soi ?

Le temps de l’imperfection

Rapprocher certaines expositions nous offre parfois un saisissant raccourci de notre époque. Courant janvier, chez Merci, le temple de la bien-pensance bobo-urbaine, s’est tenue une « exposition » autour du thème de « l’imparfait ». Pas une conjugaison du passé, mais du futur. Merci oblige. Comprenez : les objets imparfaits auraient de l’avenir. L’occasion de découvrir des produits qui affichent (fièrement) leur singularité. Bien loin des productions standardisées et du zéro défaut. Cuisson farceuse qui donne des tasses jumelles, chaleur trop intense qui déforme le verre, travail brut de la matière et absence de lissage… Laisser une part de hasard à la technique pour créer l’unique, voilà l’idée. L’occasion de découvrir des produits sincères, vrais, artisanaux qui mettent en valeur l’empreinte humaine. Accidentés, réparés, ébréchés, tordus, martelés, irréguliers, fêlés, singuliers et émouvants. Un nouveau vocabulaire à conserver comme source d’inspiration.

Au même moment, au Musée des Arts Décoratifs, c’est l’expo « Tenue correcte exigée, quand le vêtement fait scandale » (jusqu’au 17 avril) qui fait le buzz. Avec, comme exemple central, le jean troué, déchiré, lacéré, cisaillé, ruiné, l’ultime invention du Sentier pour s’assurer de confortables revenus à moindre frais. Trop fort. Le pire étant que tout le monde suit le mouvement, de Margiela, Dsquared, Galliano à Cheap Monday et H&M. Ces modèles ont refait surface il y a trois ans et leur attrait n’a pas, depuis, faibli.

En voilà assez pour y lire une forme de rupture avec les habitudes dictées par notre société de maîtrise et de contrôle. L’objet imparfait n’a jamais été autant désiré. Faut-il y lire une forme de rébellion ? Une manière de protester ? Le signe d’une lassitude pour un parfait trop facile à reproduire ? Le début d’un nouveau paradigme ? C’est, en tous cas, un signe à suivre qui nous envoie des messages contradictoires sur nos attentes actuelles : une offre pauvre et riche à la fois, car « moins belle» et « plus chère » que les autres. Singulière (au début) et conforme (très vite). Créative (dans son excès) et banale (dans sa systématisation). Voire sexy et unisexe pour les vêtements abimés.

Ceux qui cherchent à faire rentrer chacun dans une case devront repasser. En brouillant les frontières, l’imperfection, loin d’être un frein, s’affirme bien comme le moteur actuel de nos désirs.

Petits papiers

Pour beaucoup, l’affaire était entendue : le papier allait disparaître, emporté par la vague numérique qui souffle dans nos vies. De la même manière que les chevaux n’avaient pas résisté à l’invention de l’automobile. Pour preuve, les difficultés rencontrées par la presse quotidienne, la multiplication des écrans et l’arrivée des millennials avec leurs nouvelles habitudes. Et pourtant ! Un rapide coup d’œil sur le dernier salon Maison & Objet ainsi qu’une petite déambulation dans les différents concept-stores de la capitale suffit à nous prouver que la cause du papier n’est pas encore totalement perdue.

Papier Tigre, la Petite Papeterie, Mark’s, Monsieur Papier, mais aussi Hay, Normann Copenhagen, Tom Dixon ou encore Monocle, chacun y va de sa petite offre de « papiers décoratifs », qu’il soit issu du monde de la papeterie ou non. Le phénomène est mondial. Le petit cahier est devenu le tote-bag ou la bougie parfumée de tout magasin en quête de coolitude. On aime les posséder (les collectionner), même si leur usage reste finalement assez limité…

Soulignons au passage qu’aucun combat n’est jamais perdu d’avance et que le design peut jouer un rôle essentiel dans la victoire. Car la nouvelle papeterie est avant tout de la belle papeterie. Faut-il voir dans ce retour le signe d’un besoin de renouer avec l’écrit comme l’affirment certains experts interrogés à ce sujet ? Pas sûr. Il s’agit moins là d’une énième expression du mouvement passéiste que d’un renouveau, puisque la papeterie d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier. La matérialité comme antidote à l’immatérialité. Ces carnets ne sont pas achetés pour recueillir ce que nous écrivons désormais sur nos écrans. Ces carnets se suffisent par leur présence. Là réside leur modernité. L’idée de pouvoir y jeter ses idées et son inspiration suffit. Inutile d’en avoir vraiment… Le carnet ne fait pas le poète. 

La nouvelle papeterie est créative, moderne, élégante, luxueuse, lifestyle, jolie, écologique. Sa promesse est celle du plaisir. Pas celle de la fonction. Elle est un accessoire de mode qui permet d’affirmer sa personnalité, d’embellir son quotidien. Et cela est assez pour en faire un succès. Les stylos, les gommes et les crayons ont intérêt à ne pas trop tarder à se réveiller…