Ciné-marketing

Et si le marketing de la grande conso s’inspirait de celui du cinéma ? Après tout, les deux secteurs ne sont pas si différents. Dans les deux cas : des produits pensés pour séduire un public large en leur racontant une belle histoire. Parfois, des produits plus « exclusifs » réservés à un public plus restreint. Parfois, des produits made in France, parfois, « made in plus loin ». Et puis, tout l’art de l’innovation ne consiste-t-il pas à aller chercher de l’inspiration ailleurs que sur son marché d’origine ?

Depuis peu, la tendance qui anime les professionnels des écrans est à la déclinaison des succès. Une manière de faire du neuf en limitant les risques. La bonne idée. Prequel, Spin-off et Reboot font ainsi désormais partie de leur vocabulaire de base. Une petite explication s’impose. Par Prequel, il faut entendre un film qui raconte des événements antérieurs à ceux déjà racontés par un premier film à succès. Non pas « la suite » comme très souvent, mais « l’avant ». Malin. Un Spin-off est un film qui prend un personnage secondaire d’un film à succès pour en faire le héros d’un autre film. Une manière originale de recréer de l’intérêt. Un Reboot est, lui, un film qui reprend à zéro l’histoire d’un héros pour la moderniser. Par le choix de l’acteur ou le lieu de l’action. Une façon de remettre un produit au goût du jour.

Appliquer cette typologie aux marques ne semble pas très compliqué. Un peu d’imagination ! Le Prequel de la confiture Bonne Maman pourrait ainsi prendre la forme d’une offre imaginée par une ancêtre, la mère de Bonne Maman, celle qui lui a appris tous les secrets des fruits cuits. Le Spin-off de Michel & Augustin s’appellerait « Les recettes d’Augustin » (ou de Michel) : une nouvelle gamme, toute aussi ludique mais plus exclusive, aux recettes plus sophistiquées ou plus surprenantes. Quant au Reboot de la Vache qui Rit, rien ne dit qu’il aurait la forme d’une part de fromage, mais toujours le même goût et le sourire aux babines.

A bien y regarder, la Petite Robe noire de Guerlain et Badoit rouge ne sont-ils pas des Reboots ? Charles Gervais, La Laitière et les « maîtres chocolatiers Lindt », des Prequels ? Quant aux Spin-off, ils se font plus discrets. Raison de plus pour tenter d’en inventer…

New York – Pouzauges

Le prix est dément, ok. Mais l’idée reste pertinente. Baccarat a imaginé pour ses clients super-super riches un voyage au sein de sa marque. En avion. Présenté comme « l’expérience de l’héritage Baccarat », le voyage dure douze jours et commence à New York au sein du premier hôtel Baccarat de la marque, reconnaissable dans la rue par sa façade conçue pour ressembler à des cascades de cristal ondulé. Après le thé de l’après-midi, les clients se rendront à la boutique phare de Baccarat sur Madison Avenue pour une visite privée en dehors des heures d’ouverture. Ils auront également la possibilité de découvrir le spa exclusif de La Mer, le premier et unique spa de la marque de soins. De là, l’itinéraire prévoit un vol à bord d’un avion privé vers Paris, où ils pourront visiter la Maison Baccarat et le Musée Baccarat, qui abrite quelques-unes des œuvres majeures de la marque, réalisées pour les chefs d’État, les cours royales ou les célébrités. Les autres étapes du voyage incluent Istanbul, Moscou, Tokyo et Séoul, des villes ayant des liens étroits avec la marque de cristal. Le voyage, qui comprend les vols privés, l’hébergement cinq étoiles, les transferts d’aéroports, les repas et les activités, coûte la bagatelle de 300 000 dollars. Ridicule penseront certains (beaucoup). Assurément. Mais comme toujours, il y a dans les excès des idées qui peuvent servir d’inspiration. 

Pour une somme bien plus accessible, nombreuses sont les marques qui pourraient ainsi inviter leurs clients à venir découvrir leurs lieux de naissance ou de production. L’été dernier, Fleury-Michon proposait, en partenariat avec l’office de Tourisme du Pays de Pouzauges, en Vendée, une série de visites guidées destinées à montrer son savoir-faire et le process de fabrication de ses produits. Le succès rencontré par les journées « portes ouvertes » organisées depuis plusieurs années par le groupe LVMH est aussi là pour témoigner de cette curiosité des consommateurs envers les marques. Quant aux entreprises qui fabriquent à l’étranger, elles pourraient, elles aussi, organiser des voyages pour valoriser leur soutien économique local ou tordre le coup à d’éventuelles rumeurs sur les conditions de production et la qualité de leurs produits.

Pourquoi l’idée de proposer un « voyage au sein de sa marque » se réduirait-elle à une seule opération de communication ?

Enseigne service

Depuis peu, Franprix propose aux Parisiens un service de livraison de petits-déjeuners à domicile ou sur leur lieu de travail. En apprenant l’information, on ne peut que se dire que les temps ont bien changé… et que Monoprix a fini par faire des émules… Pour parfaire son nouveau service, baptisé « Matin » (nom déposé), Franprix s’est rapproché du site et de l’application Resto-in qui gère ainsi l’organisation et la logistique de sa nouvelle offre, proposée en trois formules plus ou moins complètes, à des prix Franprix… et livrées par un coursier à vélo de la société Stuart. On ne pourrait mieux faire.

Fort du constat qu’un Français sur trois zapperait ce repas faute de temps, on comprend bien le raisonnement de l’enseigne. Pas cher, composé de produits simples, le petit-déjeuner est sans doute le repas le plus « conservateur » de la journée. Thé, café, pain, viennoiseries, céréales, voire yaourts occupent le terrain depuis des années sans laisser de place durable à toute forme de nouveautés. Importées d’ailleurs, celles-ci restent toujours marginales, preuve que ce moment est fortement lié à des habitudes culturelles. Le petit déjeuner est donc une offre facile à gérer et capable de séduire la quasi totalité de la population. Pour Franprix, il se révèle, en plus, stratégique car tous ses magasins de dernière génération possèdent une machine à presser les oranges dans leur entrée. Orange qui est aussi, au passage, la couleur de son dernier concept commercial. La boucle est bouclée.

Chaque jour un peu plus, la grande distribution chasse ainsi sur le terrain de la restauration. Le rayon traiteur est clairement devenu un enjeu, preuve, qu’après avoir vendu à bas prix, la grande distribution propose désormais de transformer à bas prix. Une manière de préserver ses marges. Il suffisait d’observer les pubs faites par Carrefour lors des fêtes de fin d’année pour finir de s’en convaincre… Les petits-déjeuners pourraient être l’occasion pour les enseignes de participer au combat très challengé des livraisons à domicile. Prochaine étape ? La livraison de plats préparés. Sur le site d’Allo Resto, figure d’ailleurs une offre (discrète) de menus prêts à être livrés en moins d’une heure imaginés par… Franprix… La seule enseigne de distribution à figurer sur le site. Pour combien de temps encore ?

Emojing

C’est la dernière tendance à adopter pour toutes les marques qui veulent se la jouer branchées : avoir son propre vocabulaire en émoticônes, téléchargeables via une application dédiée. Monoprix propose les siens depuis quelques semaines, imaginés par un artiste new yorkais. On n’imaginait pas plus simple… Il faut dire que l’enseigne était prête pour cette nouvelle étape, elle qui, depuis plusieurs années, ne communique avec ses acheteurs qu’à travers des jeux de mots et des clins d’œil sur ses packagings. L’année dernière, l’association WWF avait, elle aussi, imaginé ses emojis personnalisés pour inciter le public à faire des dons. Dans le domaine de la mode, après Versace, c’est la marque Comme des Garçons, au logo en forme de petit cœur rouge malin, qui s’y était aussi mise. Une manière de confirmer sa volonté de devenir plus accessible et de toucher une (nécessaire) population plus jeune. On est loin des vêtements conceptuels qui ont fait la réputation de ses premières heures….

Il y a fort à parier qu’en 2017, les emojis vont continuer à fleurir. L’irruption des marques dans cet univers est-elle d’ailleurs si surprenante ? N’est-elle pas d’abord une manière de venir nous rappeler qu’une marque doit « vivre avec son temps », c’est-à-dire savoir s’immiscer dans les échanges et les nouvelles pratiques de ses cibles. Un signe de vitalité et d’empathie, autant qu’une manière d’afficher sa proximité. Je suis comme vous, leur dit-elle ainsi en substance : moderne, connectée, légère, drôle, voire ironique.. et pas seulement associée à des linéaires, des caisses et des caddies. 

Le succès rencontré actuellement par les émoticônes est aussi le reflet d’une attente forte parmi les consommateurs d’aujourd’hui : le ré-enchantement de leur quotidien. Plus personne n’attend, de la part des marques, la révolution des grands soirs, mais chacun espère d’elles les petits changements, les petits gestes, les petites attentions, les petites surprises qui contribueront à alléger son quotidien et à le lui faire percevoir autrement. Les émoticônes ont tout pour y répondre. Quelques grammes de poésie valent parfois mieux que de grandes déclarations.

Style de vie

Bonne nouvelle pour les fêtes de fin d’année, Fauchon a rouvert ses magasins de la Place de la Madeleine après deux ans de travaux. L’enseigne profite de cet « événement » pour annoncer dans la foulée l’ouverture d’un hôtel pour 2018. Un établissement 5 étoiles de 54 chambres dont 22 suites, situé à quelques mètres de la boutique historique, et qui accueillera au rez-de-chaussée un restaurant dénommé Café Fauchon. Fauchon prévoit d’ouvrir 20 hôtels de ce type avant 2030.

Voilà encore un coup de canif donné à la théorie de l’ADN de la marque, qui aurait dû inciter Fauchon à continuer d’explorer toutes les facettes de l’alimentation de luxe, plutôt que de s’échapper vers le secteur hôtelier. A ce rythme-là, on pourrait aussi envisager un hôtel Paul avec une boulangerie intégrée ou bien un Lignac Hôtel avec pâtisserie et restaurant à l’avenant. Pourquoi pas. Il existe bien, déjà, des hôtels Baccarat, Armani, Jaguar et Camper…

On peut s’interroger sur l’engouement que suscite actuellement le secteur de l’hôtellerie, au point d’apparaître comme le fantasme ultime de nombreuses marques. On comprend bien leur volonté d’être ainsi associées à un style de vie, au lieu de rester enfermées dans leur seule offre produit. Et quoi de mieux qu’un hôtel pour décliner sa vision d’un art de vivre ? On peut aussi  y voir la confirmation de l’émergence de nouvelles attentes de la part des consommateurs, toujours plus en quête de nouvelles « expériences » et/ou de nouvelles sensations. Mais ce mouvement n’est-il pas surtout la preuve que chaque forme de consommation doit, désormais, être associée à un mode de vie ?

Dans un tout autre domaine, on apprend que, loin des salles de concerts et des magasins de musique, les people du moment (Kanye West et Justin Bieber en tête) sont de plus en plus tentés d’ouvrir des pop-up stores éphémères au moment du lancement de leurs nouveaux albums, ou au début d’une nouvelle tournée. Casquettes, T-shirts, hoodies et autres accessoires déclinés à leurs couleurs ne viennent pas seulement combler les attentes de leurs fans, ils viennent aussi suggérer le style de vie auquel ces artistes souhaitent être associés. Une démarche destinée à améliorer leur notoriété sur les réseaux sociaux et à recruter de nouveaux fans. Un peu comme Fauchon avec ses hôtels finalement.

La table par le menu

Au Musée des arts décoratifs de Bordeaux se tient actuellement une exposition autour du thème des menus. L’occasion de revivre quelque 200 dîners prestigieux, hantés par les présences de Jacky Kennedy, du Shah d’Iran ou de la Reine Elisabeth. Un pan d’histoire entier à table. Des menus dans un musée, voilà qui en dit long sur le pouvoir fantasmatique acquis aujourd’hui par la nourriture. Dis moi ce que tu manges, je te dirais à quelle époque tu vis. Il est vrai que la table et les menus racontent parfois mieux leur temps que toutes les peintures et sculptures réunies. Ils parlent bien sûr de notre relation à la nourriture, mais communiquent également des dimensions symbolique et esthétique.

Qu’est-ce que les menus de l’ère fooding raconteront, demain, à ceux qui se pencheront sur les années 2000 ? Leur forme, tout d’abord, les renseignera sur notre penchant pour les mises en scène d’une simplicité étudiée, dont la vertu est de communiquer la complicité et la proximité entre le chef et ses convives. Souvent des feuilles de papier libres, blanches ou couleur kraft, sur lesquelles le menu a été imprimé (voire écrit à la main) le matin pour la journée. Pas de fioritures. Deux entrées, deux plats, deux desserts. Parfois trois. Rarement plus. A peine le nom de l’établissement et une date. Le chef est inspiré comme un auteur.

Le choix des mots, ensuite. Peu de descriptions de plats, encore moins d’envolées lyriques, pas toujours faciles à comprendre, mais des listes d’ingrédients précis, sourcés et porteurs de forts imaginaires. Légumes oubliés, poissons rares, viandes d’exception, fruits aux consonances exotiques. Quelques références géographiques sur les origines, complétées de précisions scientifiques sur les modes et les températures de cuisson. Parfois le cru est préféré au cuit. Une vision du monde. Un état d’esprit.

Le menu est là pour porter la créativité et les talents du chef, mais aussi pour rendre hommage au goût et à la noblesse des « produits » élus. Imagine-t-on un menu fooding proposant une « salade croquante en costume de nos régions », suivie d’un « trésor de l’océan » ou d’un « prince des près à la saveur champêtre », pour terminer avec une « cascade de gourmandises » ? De la sobriété, de la créativité expérientielle et une touche de conscience environnementale : voilà qui décrit plutôt bien les attentes du moment.

Fast beauty

Le phénomène n’échappe à personne. C’est la folie sur le marché du maquillage. A tel point que tous les grands groupes de cosmétiques font la chasse aux petites marques, histoire d’être le plus possible présents sur ce juteux marché (420 millions d’euros de recettes en 2015). Urban Decay, Nyx Professionnal Make Up, Lipstick Queen, Nudestix, Sleek Makeup… les nouvelles marques ne cessent de fleurir. Même H&M et Zara proposent leurs propres lignes de maquillage. Quant à l’italienne Kiko, elle a annoncé avoir ouvert cette année un magasin dans le monde tous les deux jours…

Alors que de nombreux marchés, jusqu’à ceux du luxe, ne cessent de se plaindre de la morosité ambiante et accumulent les replis, celui du maquillage apparaît comme une oasis, qui vient nous rappeler que même en période de grande tempête il existe toujours des abris de prospérité. L’observer de près, c’est en tirer des enseignements pour construire les succès marketing de demain.

Premier point commun à toutes ces marques : elles ne s’adressent qu’à une population homogène, (très) jeune et connectée, qui consacre son premier argent gagné en maquillage plutôt qu’en vêtements, poussée par une urgente envie d’exprimer haut et fort sa personnalité. Face à cette cible pour qui la théatralisation de soi n’est pas une théorie, inutile de dépenser de l’argent en campagnes de pub. Il « suffit » de repérer les bonnes influenceuses sur Youtube et Instagram et de concevoir pour elles le « bon » story-telling, qui permettra à la marque de vivre sa vie en toute autonomie. Le partage, la proximité et le sentiment d’appartenance communautaire valent plus que la visibilité et la notoriété que pourraient apporter les médias traditionnels.

Autre caractéristique de ces marques : leur capacité à renouveler très rapidement leurs offres à coup de séries limitées, de collections éphémères ou événementielles et de partenariats inédits. Un signe ostensible de vitalité. Une manière de maintenir l’attention et de faire la preuve de leur capacité d’innovation. Une forme de proximité aussi, à l’opposé des codes du luxe traditionnel, fondés sur la distance et le glamour intimidant.

Comment s’étonner que la population des digital natives se montre sensible à tout ce qui semble nouveau, elle qui vit dans l’hyper-présent et le zapping permanent ? Après la fast-fashion, place à la fast-beauty.

Hyper extrême

Observer le marché automobile, c’est autant apprendre sur l’évolution technologique et stylistique des véhicules que sur nos fantasmes et aspirations. Qu’il semble loin le temps où il se structurait en trois catégories : berlines, coupés et breaks. Les monospaces ont ouvert la voie de l’hybridation avec l’accouplement d’une berline et d’un camion. Résultat ? Un véhicule qui a totalement renouvelé la manière de vivre dans sa voiture et avec sa voiture. De quoi séduire les familles recomposées et tous les futurs « slasheurs », dont les besoins varient aussi souvent que leurs centres d’intérêts.

Une dizaine d’années plus tard sont apparus les premiers SUV (Sport Utility Véhicules), déclinaison cool et maline des 4X4 qui n’ont jamais rien réussi d’autre que d’attiser du ressenti négatif. Trop gros, trop bling-bling, trop polluants. Les SUV sont ludiques (pas seulement par leurs formes, dans leurs noms aussi : Mokka, Qashqai, Cactus…) et offrent à leurs propriétaires le sentiment de piloter un véhicule et de dominer la route tout en la ressentant. Une expérience inédite.

Voilà qu’aujourd’hui, la presse annonce le débarquement du Pick-up, un véhicule star aux Etats Unis, plus Trump que Clinton (fallait-il y voir un signe avant-coureur ?). Son marché est encore marginal, mais il connaît une belle croissance en Europe, et vient séduire tous ceux qui recherchent un véhicule baroudeur, hors des sentiers du consensus… Renault, Volkswagen, Toyota et Ford sont déjà sur les rangs. En attendant Peugeot et Mercedes. Comment s’étonner de ce succès ? N’est-il pas, finalement, qu’une déclinaison motorisée des boot camps et autres crossfit, exercices collectifs aux valeurs viriles revendiquées, entre stages de survie en forêt et défis de force en tous genres ? N’est-il pas la conséquence de l’adoration avec laquelle nous vénérons aujourd’hui la nature sauvage et intacte, ou la forêt profonde et mystérieuse ? Vraies, authentiques, pures et surtout à l’abri des excès de notre monde.

Après les chemises à carreaux épaisses, assorties de chaussures montantes tous terrains, les parkas techniques et les barbes de druides, place aux Pick-ups. Et peu importe que ceux-ci offrent le confort des grandes berlines – puisqu’il s’agit surtout de modèles à quatre portes – l’important c’est l’apparence et les sensations : viriles, rustiques, solides, brutes, à l’opposé des formes fluides et du tout technologique. La preuve que les propositions extrêmisées ont toujours leurs fans… surtout dans un moment où tout semble un peu morose et sans grandes perspectives…

Oxymores

Le marketing, c’est un peu l’art des oxymores. Chercher à rapprocher ce qui paraît éloigné peut même être le fondement de l’innovation : pour créer des ruptures sur son marché, pour susciter l’étonnement et le buzz, ou encore pour installer de nouvelles habitudes et attitudes.

Le naturel et l’industriel sont ainsi réconciliés depuis bien longtemps. L’urbain et le rural ont cessé de se disputer pour faire place à la « urbanité », désormais entrée dans les mœurs. Il suffit aujourd’hui de jeter un œil aux terrasses et aux jardins pour finir de se convaincre que l’intérieur et l’extérieur ne s’opposent plus. Il en est de même pour santé et plaisir, deux idées qui, il y a vingt ans, n’auraient pas pu se croiser. Voilà que c’est à présent au tour du rationnel d’être challengé sur son territoire par l’irrationnel, histoire de le « décoincer » un peu et d’ouvrir de nouvelles brèches dans les esprits.

Regardez notamment du côté de la cosmétique pharmaceutique ! Assurément le gros boom du moment, au vu du nombre de produits qui sont lancés et d’articles qui y sont consacrés. La « beauté sans ordonnance », comme le titrait récemment un magazine. Entre sécurité, assurée par des armées de dermatologues qui veillent à ce qu’aucun ingrédient ne soit nuisible, et packagings d’une grande sobriété, qui savent garder à distance toute dérive bling-bling, on pourrait croire que la cosmétique pharmaceutique est la chasse gardée des arguments rationnels. Et pourtant, à bien scruter les rayons des parapharmacies, on ne tarde pas à découvrir des offres qui ont su s’en éloigner sans perdre de leur capacité de séduction.

Elles portent tantôt le mot « prodigieux », tantôt le mot « divin», quand ce n’est pas « enchanteur » ou « enchanté ». Finalement, c’est un peu comme si les arguments sérieux, les voix graves, les schémas et les blouses blanches ne pouvaient pas totalement suffire pour séduire ; un peu comme si les consommateurs (jamais aussi rationnels qu’on les imagine) étaient aujourd’hui en attente d’un petit supplément d’imaginaire à la Harry Potter ; un peu comme si une dose de magie venait donner plus de force aux arguments rationnels. Cette fois-ci, le marketing n’aura pas beaucoup d’efforts à faire pour créer de nouveaux oxymores. Les consommateurs le souhaitent.

Intensification

Le 6 novembre dernier, à l’occasion du salon EquipHotel, a été lancée l’opération (un peu confidentielle, il est vrai…) « Tous les Parisiens à l’hôtel », qui offrait la possibilité de bénéficier de 50% de réduction sur les bars et restaurants d’hôtels. Une manière de provoquer des rencontres et de mettre de la vie dans un parc hôtelier qui souffre de désaffection depuis les différents événements qui se sont produits à Paris. Des évènements qui, en particulier, n’ont pas manqué de susciter des craintes parmi certains (beaucoup) de ses riches clients.

Se rendre dans un hôtel pour dîner ou boire un verre est ici présenté comme un divertissement et une destination comme les autres, entendez comme aller au cinéma ou au théâtre. Pourquoi pas. Un divertissement pour tous aussi. Pas besoin d’être millionnaire. Les experts, toujours à l’affût de nouvelles tendances, ont aussitôt trouvé ce qu’ils cherchaient. La Staycation, rencontre de « Stay » et de « Vacation », était née. Un phénomène qui consiste à chercher à se dépayser sans quitter son quartier ou sa ville. Pour preuve, l’existence d’un site proposant des tarifs réduits à ceux qui voudraient dormir le soir même dans un hôtel de la capitale. Une escapade sans décalage horaire qui pourrait relancer l’économie locale. Pas mal !

C’est aussi une nouvelle forme de tourisme qui prend ici forme, plus verticale, moins horizontale, qui cherche à  approfondir, mieux connaître, s’étonner de ce qui est proche plutôt que de partir à l’autre bout du monde, d’aller partout comme s’il fallait cocher une liste de lieux à avoir vus… mais toujours de manière superficielle. Le phénomène de Staycation décrit ainsi une forme de maturité de la part de certains consommateurs, lassés de dépenser de l’énergie pour aller chercher très loin ce qui peut, finalement, se trouver à côté.

Passer un moment dans un hôtel de sa ville (et pourquoi pas, aussi, une nuit ?), c’est vivre une expérience nouvelle, s’étonner de ce que l’on croyait connaître, découvrir de nouvelles sensations, donner de la densité à son temps plutôt que s’agiter à le perdre. Une autre manière de voir le monde et peut-être même une nouvelle aventure contemporaine.