La baguette nation

En voyant la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de rugby, ceux qui se souvenaient du défilé du bicentenaire de la révolution française imaginée par Jean Paul Goude en 1989 pour les Champs-Élysées ont dû être heureux d’avoir été jeunes. Qu’il semblait loin le temps où les valeurs et la tradition françaises se conjuguaient au futur et à la créativité. Ce soir-là, dans un Polly Pocket géant posé au milieu d’un stade, le monde entier découvrait le Village de l’ovalie, la vitrine 2023 de notre beau pays. Depuis Astérix, la France n’est pas un pays mais un village. Rien d’étonnant, donc.

Là, dans un décor de carton-pâte où Casimir aurait pu faire une apparition, défilait tout ce qui fait la réputation de notre beau pays avec, en tête de gondole, cet acteur au nom si français, amateur de café Nespresso à ses heures, mais déguisé pour l’occasion en boulanger à casquette livreur de pain en triporteur et cet autre, habitué des sommets du box-office, affublé, lui, d’un képi et d’un sifflet d’agent de la circulation, tous deux suivis par une flopée d’artisans de bouche, joyeux et gourmands, et par une incarnation simplifiée de la mode : une grande blonde avec une robe rouge. So french. Le tout sur fond de rengaines démodées, d’accordéons virevoltants et de l’incontournable tour Eiffel sans laquelle les touristes seraient perdus. Un spectacle dystopique. Et dire que, depuis 2017, on ne parle que de start-up nation. C’était oublier un peu vite la baguette nation.

S’il y en a une qui aurait adoré être in the stade of France (dans la loge présidentielle ?), c’est bien Emily. Tout le monde se moquait d’elle avec son béret rouge, ses obsessions pour la french baguette et les cafés en terrasse, mais c’est elle qui a raison. La France est bien sa France à elle et tous ceux qui veulent nous faire croire autre chose ne sont que les auteurs d’un immense fake. Ce soir-là, les Français se reconnaissaient à leurs couvre-chefs, à la place accordée à la viande et au pain dans leur assiette et à leur gaité stimulée par un p’tit coup de rouge. Jamais l’expression « du pain et des jeux » n’avait semblé aussi juste.

Nous achetons déjà de la lessive Bonux et du chocolat Merveilles du Monde, demain nous roulerons en R5. Il ne nous reste plus qu’à aller acheter des produits Prisunic et attendre que Mammouth vienne écraser les prix. Quoi de plus rassurant qu’un futur qui ressemble au passé ? Vivement demain.

Le temps des TPV

Depuis le temps que les experts et gourous de tous poils nous disent que nous devons ralentir si nous ne voulons pas périr, il fallait bien que cela se traduise. Certes, cela fait plusieurs années que l’on parle de slow life, de slow tourisme et de slow fashion mais ils ne dépassaient guère les frontières des pages Tendances des féminins qui en profitaient pour les associer à d’impératifs styles de vie. Cette fois, c’est concret et plutôt inattendu : la SNCF a annoncé vouloir lancer, dès la fin de l’année, des trains lents. Des TPV (Train à Petite Vitesse) après des années de TGV. Pas de doute, le monde d’aujourd’hui ne ressemble pas au monde d’avant.

Après les essais concluants de Paris-Nantes et de Paris-Lyon à petite vitesse, voici que s’annoncent donc les Paris-Bruxelles, les Paris-Rennes et les Paris-Bordeaux en trains Corail (la modernité des années 70) repackagés. L’économie circulaire en mode ferroviaire. Le vintage érigé en mode de vie. Un nouveau marché s’ouvre ainsi, entre les TER, les Ouigos et les Flixbus, manière de nous rappeler que le marketing est bien l’art de s’installer dans les interstices. Mais avec les TPV, « moins vite » ne devient pas seulement synonyme de « moins cher » (toujours bienvenu en cette période de tension budgétaire) mais aussi de moindre confort. Pour preuve, l’absence de voitures de première. Comme si le renoncement à la vitesse entrainait l’abolition des classes et donc une forme de déclassement.

La décision en dit long sur la manière dont la SNCF envisage les offres économiques : comme une punition, alors qu’elles pourraient se présenter comme la vitrine d’une autre manière de vivre et de consommer. Comment la décroissance pourrait-elle être séduisante si elle demeure associée à la privation ? Surtout quand gagner du temps n’est plus nécessairement un impératif. Car si nos emplois du temps n’ont pas varié, notre rapport au temps, lui, n’est plus le même depuis la généralisation du télétravail. Le temps est-il toujours aussi prioritaire quand nous pouvons choisir où nous travaillons et, ainsi, adapter notre travail à nos loisirs ? 

Pensons à l’Orient Express pour nous souvenir que lenteur ne rime pas toujours avec privation et que nous pourrions, nous aussi, profiter pleinement du temps de transport des TPV pour jouir d’un temps finalement moins perdu que gagné si les conditions s’y prêtaient.

Le regard de Barbie

Cet été, le film Barbie n’a pas seulement fait exploser le box-office (plus de 5 millions de spectateurs), il a aussi stimulé les prises de paroles. Qui n’a pas publié son post sur LinkedIn pour questionner la prétention féministe du film ou s’inquiéter de la dérive commerciale de la production cinématographique de plus en plus aux mains de marques toujours soupçonnées de pervertir la création avec leur argent ? Le film offre pourtant d’autres grilles de lecture.

Le monde de Barbie, opposé au vrai monde, n’est d’abord qu’une vision actualisée des principes de plaisir et de réalité théorisés par Freud. A Barbie Land, notons toutefois que le principe de plaisir est incarné par une paire d’escarpin alors que celui de réalité l’est par une paire de Birkenstock. Plaisir n’y rime donc pas avec confort, mais d’abord avec séduction. Une idée un peu perdue de vue dans la mode depuis le confinement…

Le film met aussi en scène une manière d’être déjà à l’œuvre dans la série Emily in Paris consistant à moins s’attacher à la réalité qu’à la manière dont on veut que celle-ci apparaisse. Hasard du calendrier ou non, le Manifesting est la nouvelle martingale du moment. Au carrefour de la spiritualité et du développement personnel, il consiste à formuler ses désirs pour les faire advenir. La façon dont vous pensez crée votre réalité est son crédo. Barbie ne pourrait qu’acquiescer, elle qui évolue dans une réalité déniée, à la fois matérielle et immatérielle, entourée d’objets de fiction où le geste vaut l’action. Barbie ne boit pas d’eau, mais manipule un verre, elle ne mange pas de toasts au petit-déjeuner, mais les dispose sur une assiette, elle ne conduit pas mais tient le volant de sa voiture. À Barbie Land, l’exécution d’un geste suffit pour jouir de ce que l’on possède. Le plaisir sans risque et sans effet. Le Metaverse n’est pas loin.

Le film aborde enfin la loi très contemporaine du regard de l’autre que les influenceurs connaissent bien. Chaque Barbie est un miroir pour toutes les autres et le Hi Barbie ! qu’elles se renvoient frénétiquement est autant une manière de se checker que de contrôler que chacune est bien dans son rôle. Je n’existe que par la place que j’occupe dans le regard de l’autreA Barbie Land, tout n’est finalement qu’affaire de regard. Est-ce vraiment différent chez nous ?

Luxe-les-Bains

Cet été, pendant qu’une partie de la population optait pour le glamping ou la van-life, une autre (guère plus importante) se laissait tenter par les plages proposées par les marques de luxe. Puisque Paris Plage et ses déclinaisons régionales sont désormais dénuées de toute désirabilité hype, les plages de marques de luxe ont pris le relai en mode « entre-soi ». Une manière de venir nous rappeler qu’il n’y a pas de plages sans plages privées et pas de mass market sans marchés de niche. Paris Plage est mort, vive Montaigne-sur-Mer sur la French Riviéra ! Définitivement plus chic.

Gucci avait installé son club de plage (coffee shop, restaurant, transats et parasols logotypés) à Ramatuelle pendant que Burberry s’emparait du restaurant et beach club Loulou de la même ville. Dior, Jacquemus et Armani jetaient, eux, leur dévolu sur Saint-Tropez. Fendi (à Marbella) et Missoni (à Portofino) avaient, elles aussi, vue sur mer. Si l’été, t’as pas ta plage, t’as raté ta vie de marque de luxe. Des plages parfois construites de toutes pièces mais qui peuvent aussi être le fruit d’une collaboration avec des établissements déjà installés qui acceptent d’être repeints aux couleurs d’un logo et de se retrouver ainsi sur les réseaux sociaux le temps d’une saison. Malin pour faire parler d’eux.

Certains liront cette transhumance des marques de luxe « hors les murs » comme un signe de leur capacité à apparaître sans cesse sous de nouvelles formes pour mieux tisser leur toile en proposant des expériences inédites capables de toucher de nouvelles populations. Boire un café ou un cocktail griffé, manger une salade logotypée ne constituent-elles pas d’agréables et (relativement) accessibles façons d’entrer en contact avec l’univers du luxe pour la première fois ? D’autres y verront la confirmation de l’état gazeux pris désormais par le luxe, capable de s’infiltrer partout, dans tous les moments et sur tous les marchés: expositions, hôtels, restaurants, cafés et pâtisseries éphémères, plages, sans oublier la production de films et l’occupation des bâches de travaux en attendant, demain, des immeubles et peut-être même des quartiers. La rive droite du Pont-Neuf ne ressemble-t-elle pas déjà à un quartier LVMH ?

C’est par sa capacité à se décliner que l’on évalue la force d’une marque. Le luxe nous en fait chaque jour une inquiétante démonstration.

Crafting expérience

Fin juin, Moët Hennessy (LVMH) ouvrait, au cœur du Saint Germain-des-Prés littéraire (ce qu’il en reste…), Cravan, le bar à cocktails le plus grand de Paris. Quatre étages d’un immeuble parisien conçus pour faire vivre la mission de la marque : « crafting expériences », soit l’idée d’associer ses produits à une expérience artisanale. Entièrement conçu par le designer belge Ramy Fishler, le lieu possède trois bars à cocktails et une bibliothèque ainsi que des espaces accessibles uniquement sur invitation : un atelier privé et un mini kiosque parisien, perché sur le toit, qui proposera une programmation cinématographique exclusive. Voilà qui donne envie.

Au même moment, la marque Valrhona s’installait à Paris, rue des Archives, animée des mêmes intentions de raconter autrement son histoire. Jusqu’à présent distribuée dans des lieux sélectifs, la voici donc en possession d’un véritable showroom où chefs et jeunes talents de la pâtisserie pourront, en début de semaine et sur rendez-vous, disposer d’un moment avec un professionnel de la maison, et où le grand public pourra, quant à lui, déguster et emporter boissons et desserts chocolatés. Une manière pour chacun de découvrir, tester et s’imprégner des produits de la Maison Valrhona. Côté décor, une mappemonde vient expliquer le sourcing produit alors que le cacao est représenté par des fèves disposées dans des silos muraux (« une cave aux fèves ») et qu’une « bibliothèque de chocolats » vient souligner l’étendue de l’offre de la marque… Ici aussi, la « crafting expérience » est dans l’air. Elle pourrait même se révéler être la future grosse tendance du commerce et toucher tous les secteurs.

Rappeler les origines des matières premières et le savoir-faire des hommes permet tout d’abord à une marque de donner de la valeur à ses produits et de souligner son engagement en faveur des filières et de la préservation de la tradition. La démarche lui permet aussi de raconter des histoires capables d’embarquer son public et de créer avec lui des liens à travers des « ateliers » qui, en sollicitant les cinq sens, ne manqueront pas d’être évoqués sur les réseaux. Elle lui donne enfin l’opportunité de créer des lieux singuliers, des espaces de rencontres et d’échanges, qui lui permettent de dépasser l’habituelle figure du flagship dont on ne retient bien souvent que la taille. Dans la logique de la « crafting experience », ce n’est plus la taille qui compte mais la qualité relationnelle.

Le bien public

Personne ne peut l’ignorer. Certains peuvent s’en désoler. Notre époque restera pour l’éternité celle où tout est noté, évalué, estimé. Comme si exister ne pouvait plus désormais s’envisager autrement que par comparaison et par l’approbation d’autrui. Je suis ce que les autres décident de qui je suis.

Cette « notite » aiguë, caractérisée par des fièvres soudaines d’étoiles ou de pouces levés, a commencé sur le site de AirbnB pour appâter les nouveaux clients, puis sur celui des hôtels et restaurants en quête d’image et de notoriété jusqu’à finir dans tous les replis de la vie quotidienne : sitôt une conversation téléphonique terminée avec un « conseiller » ou après un voyage en train, avion ou co-voiturage.

L’étape d’après ne pouvait être que celle des scores. Même principe, une note en plus. Nutri-Score pour les produits alimentaires, Etiquette énergie pour les produits électroménagers, Diagnostic de performance énergétique pour les biens immobiliers, sans oublier le célèbre Eco-score de Yuka, dégainé devant un linéaire sitôt les premiers signes de désir pour un produit émis… Au moment où l’UFC-Que Choisir nous apprenait que le Nutri-Score avait eu pour effet d’inciter les industriels à modifier leurs recettes pour en améliorer la valeur nutritionnelle, voilà que débarque le Resto-Score.

Initié par Ecotable, le label de la gastronomie écoresponsable, le Resto-Score (non obligatoire) permet d’identifier les restaurants aussi bons pour la santé que pour la planète. Il est le résultat d’un audit réalisé à partir de 150 critères permettant d’appréhender l’interdépendance entre la santé humaine, la santé animale et la santé planétaire. Il donne lieu à une note sur cent points, convertie en une lettre allant d’un A vert à un E rouge. Jusqu’à présent, les tables n’étaient évaluées que par des étoiles attribuées par des guides ou les avis de leurs clients. Elles vont désormais l’être à l’aune de leur responsabilité environnementale. Les constructeurs automobiles et immobiliers connaissent déjà…

Demain viendra sans doute le tour du commerce, des grands magasins aux supermarchés en passant par les réseaux d’enseignes. Peu à peu, la figure du consommateur se superpose à celle du citoyen pour donner naissance à un nouvel imaginaire : je consomme, donc je prends soin des autres. Qui aurait pu imaginer que la consommation ait, un jour, ce pouvoir ?

Merveilles du marketing

Le chocolat Merveilles du Monde est de retour. Rares sont ceux qui l’ignorent. Repris par de jeunes entrepreneurs en mode start-up, la marque, qui vendait plus de 10 millions de tablettes par an avec une seule recette (!), connaît de nouveau le succès : 300.000 tablettes se seraient ainsi écoulées en moins de 3 semaines après le lancement, ce qui n’a pas manqué d’entraîner des ruptures de stock. La nostalgie est dans l’air du temps

Notons au passage un penchant actuel pour la reprise de marques disparues qui pourrait s’analyser comme le signe d’une envie de prouver qu’une singularité est encore possible dans un environnement aux mains de multinationales uniformisantes, autant que d’un désir de ne pas laisser disparaître ce qui a contribué à transformer une enfance en souvenirs. 

Lancées en 1978, les tablettes Merveilles du Monde (« sorties » du marché en 2006) devaient leur succès à trois petites choses simples, mais fondamentales, que tout marketeur ne devrait jamais oublier quel que soit son projet. Une recette unique (chocolat au lait + noisettes + amandes pillées). Une forme immédiatement identifiable (de très grands carrés de chocolat avec des animaux en relief) associée à un rituel de consommation (commencer par manger les bords pour préserver l’animal…). Et une collection d’images ludo-éducatives à conserver : une tradition dans le monde du chocolat en plaques. Le tout constituant ce que l’on appelle désormais une expérience de marque. 

Pour actualiser la proposition, les repreneurs de la marque ont accordé une attention toute particulière aux ingrédients (responsables, équitables et sans arômes artificiels) et aux différentes manières de mobiliser sa communauté de nostalgiques. Une nécessité sachant que ses membres, devenus quarantenaires, devraient avoir à cœur d’initier leurs enfants à ce qu’ils ont connu dans les années 80-90.

Résumons : une recette, un rite de consommation et un esprit communautaire qui a démarré dès la reprise de la marque sur Ullule et qui, depuis, s’incarne aussi par une présence sur les réseaux : combien de marques peuvent prétendre posséder les trois ?

Sacré sucré

Après les années salées, voici le temps du sucré. Pour preuve, l’intérêt que suscitent actuellement les boulangeries-pâtisseries et ce, en dépit de la flambée du prix des matières premières, de l’énergie et des difficultés de recrutement. L’année dernière, plus de cent nouvelles boulangerie-pâtisseries ont vu le jour dans la capitale. En cinq ans, le nombre de ces commerces a augmenté de 20% en Île-de-France. Les ouvertures de commerce ne sont pourtant pas si fréquentes en ce moment.

Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer cet engouement. Côté pâtisserie, un gâteau individuel de chef, aussi cher soit-il, est toujours plus accessible qu’un menu étoilé. Moins cher, mais aussi moins intimidant. Et il saura plaire aux petits comme aux grands. Faciles à déguster, prêts à être jetés en pâture sur les réseaux sociaux, créatifs, voire surprenants, les gâteaux ont tout pour être aimés et bénéficient d’un alignement favorable des planètes Prix, Etonnement et Esthétique, les trois moteurs actuels du désir. Et puis, la pâtisserie bénéficie de toute la machinerie à buzz disponible, entre les émissions de téléculinarité aux stars éphémères et les multiples concours et autres battles qui, sur les réseaux, permettent toujours de se distinguer.

Du côté du pain, la situation est assez proche. Certes, nous en consommons de moins en moins, mais nous nous montrons toujours plus en quête de « pains spéciaux », de variétés disparues et de « bon pain », notion très subjective où se croisent ingrédients de qualité, volonté de réinventer une tradition et story-telling porté par une personnalité affirmée. Les néo-boulangeries sont faciles à repérer grâce à leurs noms bobo-disruptifs : The French Bastards, Urban Bakery, Mamiche, Sain, Union, Utopie, Tranché, P’1, Panade…

Notons aussi que ceux qui sont à la tête de boulangeries-pâtisseries sont animés par l’ambition de proposer un produit exclusif qui incarne leur savoir-faire et qu’ils espèrent, un jour, voir accéder au statut de « produit signature ». Le Graal. Ici, c’est le Pain des amis, là c’est l’Ispahan ou le Merveilleux, mais il peut aussi s’agir d’un simple éclair ou d’un baba, pour peu qu’ils soient associés à une belle histoire de création. On peut même se demander si cette ambition ne constitue pas la principale motivation de ceux qui se lancent dans l’aventure.

N’est-ce pas, finalement, parce qu’il réunit régression (ego-rassurante) et ambition (ego-satisfaisante) que le sucré aimante autant en ces temps menacés ?

Dupes, pas dupes

Le phénomène est bien connu des fidèles de TikTok et sa simple évocation suffirait à esquisser le portrait des représentants de la Gen Z : dupe. Les dupes sont des imitations, moins chères, et même parfois carrément low-cost, des produits qui font fantasmer les réseaux. Vêtements, accessoires, sacs de luxe, bien sûr, mais aussi chaussures, produits de beauté et, parfois, paquets de chips ( !). Il suffit de constater la quantité de vidéos abritées derrière le hashtag #dupe pour finir de se convaincre de l’étendue du phénomène.

Le succès des dupes est d’abord, pour une génération, une manière de duper les « vraies » marques qui sont à l’origine de leurs envies. Et de faire la preuve qu’elle n’est pas dupe. Qu’elle possède une culture mode, qu’elle connaît les ficelles et les excès de l’industrie qui lui est associée et est consciente que ses rêves nourrissent le CAC 40. Une génération qui veut ainsi nous montrer qu’elle garde le contrôle de ce qui la concerne. Le phénomène des dupes a toujours existé tant ceux qui s’intéressent à la mode ont toujours cherché à acheter des imitations ou à s’inspirer de ce qu’ils désiraient et ne pouvaient s’offrir. Mais il connait là une nouvelle ampleur et vient nous rappeler que la vitalité de la mode tient autant à la quantité d’achats qu’elle engendre qu’à la force des fantasmes qu’elle suscite et à la diversité des chemins empruntés par les envies pour devenir des réalités.

Certaines enseignes comme Zara n’ont-elles pas construit leur réputation sur l’idée qu’elles proposaient des vêtements « inspirés » par les collections que les « grands noms » de la mode venaient juste de faire défiler ? Les voilà aujourd’hui cernées par les dupes… Le challenge Zara vs Shein aurait fait 60 millions de vues sur TikTok… La nouveauté des dupes vient du mode de fonctionnement des réseaux sociaux car, ici, ce ne sont pas tant les dupes eux-mêmes qui importent que le rôle acquis et la fierté ressentie par celles et ceux qui les font découvrir aux autres après les avoir dénichés. Ce qui, hier, pouvait engendrer de la honte ou de la gêne est devenu une fierté.

Trouver le bon plan, dénicher la bonne copie, traquer le ressemblant moins cher… et se réjouir d’avoir pu accéder à ses rêves en ayant dépensé deux ou trois fois moins… Un refrain déjà entendu du côté des enseignes low-cost et des déstockeurs…

Une indispensable singularité

L’information n’a, certes, pas fait la Une des journaux. Peut-être seulement celle de la presse locale. Le magasin Le Printemps de Deauville est de nouveau ouvert, après cinq mois de travaux pour faire « peau neuve ». Un grand magasin qui rouvre, ce n’est pourtant si banal en ces temps où l’on ne parle que de fermetures, de faillites et de rachats d’enseignes…

Relevons tout d’abord qu’avec ses 1200 mètres carrés, il s’agit du plus petit des magasins Le Printemps, ce qui pourrait venir confirmer une hypothèse développée ici, il y a peu, selon laquelle les petits grands magasins auraient de l’avenir. Le plus petit, d’accord, mais aussi celui qui affiche le panier le plus élevé… 250 euros contre 150 en moyenne dans le reste du parc. Voilà qui vient remettre en cause quelques certitudes sur les vertus attribuées à la surface…

Ce magasin a aussi fait des choix qui donnent à réfléchir. Exit les corners de marques, leur personnel et leurs cabines d’essayage attitrées. Exit aussi, toutes les marques que l’on peut retrouver ailleurs dans la ville. Résultat ? 85 % de produits exclusifs et 85% de nouvelles marques par rapport à avant les travaux. L’ambition est affichée et devrait permettre au magasin de se doter d’une indispensable singularité. Les articles et les univers sont mélangés et disposés dans des pièces en enfilade au milieu desquelles trônent des tables pour donner au lieu un air de maison.

Le prêt-à-porter a même quitté le premier étage pour s’installer au rez-de-chaussée. Une révolution culturelle dans l’univers des grands magasins qui en dit long sur le comportement d’achat des nouvelles générations, aussi impulsives que versatiles, qu’il ne faudrait surtout pas perdre en leur demandant de prendre un escalier… Enfin, un rayon « seconde main/vintage », ici joliment baptisé Second Printemps, vient apporter la conscience environnementale attendue en 2023… Selon la direction, tous ces partis pris devraient assurer une augmentation du chiffre d’affaires de 25%…

Avec une promesse de « mood », portée par des pièces en enfilade qui se substituent au principe de l’allée centrale et une offre faite d’exclusivités, seules capables d’étonner et de stimuler le désir face à une offre pléthorique, interchangeable et omnicanale, le nouvel ADN du Printemps se teste à Deauville… avant de se retrouver dans le futur magasin de New York…