Disque dur

Le 19 avril dernier, on fêtait la troisième édition du Disquaire Day, l’occasion pour de nombreux disquaires indépendants de proposer des éditions limitées et vinyles, des dédicaces ou des concerts. En réalité, depuis trois ans, c’est tous les jours la fête du disque puisque les ventes de vinyles ont doublé depuis 2011 et que 70% à 80% de ces ventes ont lieu chez des disquaires indépendants. Après des années d’oubli, pour cause d’obsolescence, voici donc les vinyles de retour. Qui l’eut cru ?

L’histoire est un éternel recommencement. Le marketing n’échappe pas à la règle. Mais attention, là comme ailleurs, rien ne revient exactement comme avant. Une nouvelle génération de disquaires est à l’œuvre qui a su associer d’autres univers aux disques. Restaurants, meubles, vêtements et même, pour certains, salons de coiffure, les néo-disquaires remixent la musique à l’air du temps. Proche de l’esprit des concept-stores, on y trouve des nouveautés et du vintage, à écouter et à manger, du mass-market et du pointu.

A bien y regarder, cette réapparition n’est pas si surprenante. Les disquaires ont toujours joué un rôle d’intermédiaire, de conseil, de filtre. Aujourd’hui, la musique est plus facile d’accès qu’hier, elle se choisit par morceau plutôt que par album, il est possible d’en découvrir de toujours plus rares sur des blogs toujours plus spécialisés, mais dispose-t-on de plus de temps ? Le retour des disquaires est d’abord la réponse à un besoin de repères, à une envie d’expertise qui permet de faire le tri et d’y voir plus clair.

Le retour des vinyles, lui, vient révéler une volonté d’acheter et de posséder un bien matériel quand la musique se dématérialise et devient gratuite. Une manière de donner du sens à un acte. Des sites de photos en ligne proposent de faire des albums, les platines et autres tourne-disques refont surface dans les magazines, des fans de Polaroid relancent ces appareils et des pages Facebook se mobilsent contre l’arrêt de la production par Ikea d’un meuble de rangement au format exact des 33 tours…

Les « digital natives » sont-ils toujours aussi digitaux qu’on l‘imagine ?

Ici et hier

L’actualité des concepts retail fait parfois se rencontrer l’histoire et la géographie. On peut ainsi lire dans la presse l’ouverture de l’enseigne Buly, rue Bonaparte à Paris, un magasin de cosmétiques aux allures d’officine rétro. Buly, du nom de son fondateur, s’était fait connaître à la fin du XIXième siècle pour un vinaigre de toilette. Il finit ruiné et inspira à Balzac le personnage de César Birotteau… Ambiance flacons, encens et poudre, plafond de bois sculpté, comptoir d’apothicaire et packagings surannés… mais terriblement chics. Un projet atypique, à la fois ancré dans la tradition française et l’innovation, entre rituels de beauté séculaires et dernières innovations de la parfumerie.

Quelques magazines plus tard, on apprenait que, pour l’ouverture de son nouvel espace de beauté, l’hôtel Intercontinental de Marseille s’inspirait des lavoirs provençaux et proposait des soins à la lavande. Il y a peu, l’imaginaire des spas n’était composé que de rites asiatiques. Puis vint Caudalie et sa vinothérapie et maintenant, la lavande, quand ce ne sont pas, encore ailleurs, des soins à base de plantes des montagnes, de tourbe ou de gentiane… A chaque fois, une nouvelle histoire et une nouvelle évasion.

Entre soins historiques et soins du terroir revisités, le petit monde de a cosmétique s’échappe ainsi discrètement de l’univers scientifique dans lequel il évoluait depuis des années. Sans doute parce que sa crédibilité a atteint ses limites. Sans doute, aussi, parce les consommateurs ont envie d’entendre autre chose. Des histoires plus concrètes, plus accessibles, où la tradition peut se conjuguer à la modernité. Des histoires capables, aussi, de renouveler les imaginaires associés au « made in ici » , argument qui ne peut se limiter au patriotisme consommatoire.

« Ici », c’est souvent, aussi, « hier ».

Marque actrice

Michel et Augustin, les trublions du goût, ont encore frappé. Cette fois, ils ne s’attaquent, ni aux biscuits, ni aux yaourts, mais aux déplacements urbains. Quelle ambition ! Et tout particulièrement à ceux qui affectent « leur » ville , Boulogne Billancourt, en proposant à ses habitants d’acquérir des triporteurs à un prix préférentiel. 1.000 euros… au lieu de 2.620… Michel et Augustin n’ont jamais fait dans le low-cost… Lancée en ce début d’année, l’opération «100 triporteurs à Boulogne-B» a déjà permis à une centaine d’habitants d’acheter ainsi la «Rolls» des triporteurs…

D’une part, une mission de marque : tenter de supplanter l’usage de la voiture en favorisant les transports doux. D’autre part, un avantage pour les consommateurs : un triporteur à prix réduit en échange d’une promotion sur le véhicule transformé, pour l’occasion, en un média urbain, mobile et durable. L’opération n’est pas banale car elle a pour particularité de placer la marque en dehors de son secteur d’activité habituel. Pour une fois, une marque prend part à une cause qui ne la concerne pas directement. Il ne s’agit pas là, en effet, de faire acheter à ses consommateurs davantage de biscuits ou de les faire participer à un programme de fidélisation, mais, « simplement », de modifier leurs comportements de déplacement.

Une manière de s’adresser aux citoyens sans passer par la case consommation. On ne cesse d’entendre parler de la marque actrice qui veut « faire bouger les lignes » et du consommateur-citoyen au grand cœur prêt à mettre sa consommation au service du bien-être des autres. Ici, il ne s’agit que de citoyen. Oublié le consommateur. Enfin un vrai rôle pour une marque.

Moche et bon

C’est une belle opération qu’a menée, le 21 mars dernier, le magasin Intermarché de Provins. Bien pensée, bien communiquée. Une opération qui s’inscrivait dans le programme européen de lutte contre le gaspillage et qui consistait à vendre, à prix discount, des fruits et légumes «moches». Comprenez : non calibrés. Pour l’occasion, le point de vente s’était doté d’une tête de gondole où se côtoyaient 1200 kilos de carottes, pommes et oranges «moches». Impressionnant. Des «soupes de carottes moches» et des «jus aux oranges moches »réalisés sur place étaient même proposés aux clients pour animer l’opération.

L’initiative est d’autant plus intéressante à relever qu’elle peut être lue comme un acte de mea-culpa, puisque c’est la grande distribution qui a imposé la standardisation des fruits et légumes… Au delà de cet exercice de repentir symbolique, elle mérite aussi attention puisqu’elle prend à rebrousse-poil le mouvement de notre société vers toujours plus de beauté et de perfection. Une nouvelle voie pour le bas prix s’ouvre ici.

Après le low-cost de moindre qualité, le low-cost en grande quantité, le low-cost sur palettes ou le low-cost glamour (pas cher mais toujours à la mode), place au low-cost à l’esthétique «low». Moins cher car moins beau. Le filon n’est pas prêt de s’épuiser.

Jouer sur une apparence «en rupture» n’est pas une mauvaise idée. D’une part, parce que tous les consommateurs ne sont pas guidés par des préoccupations esthétiques. D’autre part, parce ce que ce qui échappe aux normes est aujourd’hui recherché et valorisé car vécu comme un signe d’authenticité, de rusticité et de naturalité. Les vertus du moche ont de quoi séduire toutes les populations aux penchants bobo.

La presse ne cesse, depuis quelques semaines, d’évoquer le phénomène du «normcore» : paraître banal, quand tout le monde cherche à se construire un style et à s’attribuer une attitude. Une nouvelle normalité est en route. Le moche est du voyage.

Big Book

C’est une page de l’histoire de France de la consommation qui vient d’être tournée. Le catalogue des 3 Suisses, né en 1932, n’est plus. La fin d’une époque. Deux fois par an, les Français l’attendaient avec impatience. L’édition printemps-été 2014 des 3 Suisses sera donc la dernière. Avis aux amateurs de vintage et de collectors. Un pavé de 930 pages, édité à près de 8 millions d’exemplaires…

A bien y regarder, le catalogue, qui fit les beaux jours du commerce français, portait en lui ce qui ferait, plus tard le succès du e-commerce.

Facile d’accès. Posé sur un bureau, une table basse ou un fauteuil. Dans le salon ou la cuisine. Universel, doté d’une offre riche au sein de laquelle chacun pouvait, selon ses centres d’intérêt, ses envies, sa curiosité, trouver des idées, des sources d’inspiration… et même comparer les prix avec les offres du commerce réel. Le catalogue savait aussi produire du lien social. Il n’était pas rare qu’il suscite des échanges en familles, voire des « réunions catalogue » informelles. Une manière d’éprouver le réel, de trouver de l’inspiration sans bouger de chez soi…

Des raisons de coût de production et d’accélération du renouvellement des collections (toutes les six semaines pour les marques de fast-fashion quand les catalogues paraissent tous les six mois) justifient cette décision. Il n’empêche que le e-commerce ne remplacera jamais totalement le catalogue de vente par correspondance comme les tablettes et les liseuses ne remplaceront jamais vraiment les journaux et les livres. Recevoir le catalogue de la saison était un événement et l’avoir en mains et sur ses genoux suffisait pour assurer sa présence à l’esprit. Le catalogue est un objet. C’est la force du réel.

Touchatou

Tous les mardis soir, le restaurant Rouge Passion à Paris (dans le quartier de So-Pi, « South Pigalle ») propose le Menu des Indécis : la possibilité offerte aux clients de commander toute la carte de l’établissement en mini portions. Une manière de goûter un peu de tout parmi l’ensemble de ses plats de cuisine de marché et produits du terroir. Hamburgers miniatures, soupes en mini marmites, bébés ravioles, bœuf bourguignon lilliputien… Finis les regrets ou les déceptions sans retour… On picore, goûte et savoure de nouveaux plats à chaque bouchée.

Si l’idée est assez originale pour créer du buzz, elle l’est tout autant pour se différencier face à la multiplication du nombre de restaurants, tous, désormais, porteurs d’un concept… Ici, le concept n’est, ni dans la décoration, ni dans le nom, ni même dans la créativité des plats. Se différencier, ce n’est pas tant réinventer son offre que sa relation avec ses consommateurs.

En proposant de découvrir la totalité de sa carte en petites portions, le restaurant Rouge Passion crée une rupture dans les habitudes des restaurants comme dans celles de leurs clients. Il stimule simultanément l’esprit de découverte et de convivialité, suggère des moments ludiques et festifs et réduit les craintes de se tromper ou les risques d’être déçus.

Une réponse pertinente aux attentes actuelles des consommateurs, désireux de goûter à tout, toujours en quête de nouvelles sensations, mais sans jamais prendre (trop) de risques ni (trop) dépenser. Une manière de réconcilier ce qui semblait inconciliable.

Bière Célébration

Ouverte récemment à Paris, rue Montmartre, la French Beer Factory est à la fois un restaurant, un bar et une micro brasserie qui propose de déguster trois bières maison : L’Adorée de Paris, la «FBF », le label maison, et La Parisian’s PA, toutes brassées dans ses sous-sols. Le chef de l’établissement et le maître brasseur ont par ailleurs élaboré une carte proposant des accords mets et bières originaux et imaginé des événements comme des dîners hebdomadaires animés par une « biérologue » qui vient diffuser son savoir ou encore une « French Beer Academy » où les clients peuvent visiter la brasserie et réaliser eux-mêmes leur propre bière. Voilà un établissement qui a bien compris l’air du temps et sait y répondre avec pertinence.

Pas question, ici, de venir s’ajouter à la liste (déjà) trop longue des bars à bières de la capitale, mais plutôt de proposer un voyage culturel dans le monde de la bière. Ses origines et sa fabrication, certes, mais aussi les gestes, le vocabulaire, les rites qui lui sont associés. Jusqu’à des suggestions de plats pour accompagner sa dégustation, histoire de renouveler les habitudes et les idées toutes faites…

Permettre à leurs clients d’accéder aux coulisses de leurs produits et en profiter pour leur révéler les différents aspects de leur culture, telle doit être la nouvelle préoccupation des marques. Visite des usines ou des lieux de production, recettes, révélation de trucs et d’astuces, stages d’apprentissage, rencontres inédites avec d’autres univers… les idées ne manquent pas pour donner corps à cette nouvelle ambition qui vient ainsi définir un nouveau champ d’expression pour les marques.

Hier, la mission de ces dernières était de convaincre les consommateurs d’acheter leurs offres ; aujourd’hui, elle est de célébrer leurs produits. Manière pour elles d’affirmer leur expertise et leur différence… et de venir nourrir les conversations sur les réseaux sociaux…

Tour opérateur

A en croire les études, jamais l’exigence de transparence de la part des consommateurs n’a été aussi forte. Ils veulent tout savoir des origines, du producteur, de la fabrication de ce qu’ils mangent. Les artisans et la proximité en sortent naturellement vainqueurs. Conséquence : les marques multiplient les initiatives pour les satisfaire, à coups de sites explicatifs, de téléphone vert, voire de caméras permettant d’accéder à leurs coulisses. 

Aux Etats-Unis, l’enseigne Whole Food est allée encore plus loin en ajoutant une agence de voyage à ses activités. Engagée à fond dans le respect de l’environnement, l’initiative n’est pas totalement surprenante, mais tout de même… Baptisée Whole Journeys, cette agence propose des escapades un peu partout dans le monde, toujours centrées sur une culture culinaire. Promenades en vélo et trekking viennent ainsi se loger autour de cours de cuisine ou de séances de culture générale. « A trip to a flavorful Turkish food festival, an epicurean biking tour in Italy, and a hike following the Ancient Tea Horse Road in China » comme nous le raconte si bien le site… Et, à chaque fois, bien sûr, soutien aux populations visitées et respect de l’environnement sont au rendez-vous. 

L’idée peut sembler anecdotique et, pour certains, assurément « bobo ». Elle n’en est pas moins intéressante, voire stratégique. Pour l’enseigne, elle est une manière de soigner ses relations avec ses fournisseurs. Pour ses clients, c’est la dose d’étonnement attendue (désormais incontournable) de la part d’une enseigne et une opportunité nouvelle de se rassurer sur la traçabilité de son offre… 

Les marques et les produits ont pris l’habitude de nous raconter de belles histoires faites de traditions, de géographie et de savoir-faire. Pourquoi ne nous permettraient-elles pas, aussi, de les vivre et de les partager avec elles au cours d’un voyage ?

Le sillon du bizarre

C’est la nouvelle tendance du moment. C’est aussi le succès actuel des librairies. Normal. Les « mug cakes » ou « gâteaux dans une tasse », directement importés des USA… Le principe est simple : il suffit de préparer la recette de son choix dans un mug ou une tasse à café, et de la faire cuire quelques minutes au micro-ondes. Difficile de faire plus simple. Dans un premier temps dédié au seul sucré, le phénomène aborde aujourd’hui les rives du salé avec le livre de Lene Knudsen qui y explique comment réaliser un déjeuner « gourmand et rapide à préparer » à base de cheddar, camembert, chorizo, gaspacho ou encore de vodka… Les amateurs apprécieront.

Avant ce débarquement américain, nous ne connaissions guère, en France, que Royco Minut’ Soup. La soupe en mug, plus ou moins épaisse, comme substitut rapide à un repas, la bonne conscience de manger « sain » en plus… C’était sous estimer le pouvoir du mug. Que dit de nous cette nouvelle façon de « cuisiner » ?

Que nous sommes toujours en quête de solutions capables de nous faire gagner du temps. L’affaire n’est pas nouvelle. Mais encore que nous savons nous montrer réceptifs à toutes propositions originales. Plus elles sont inattendues et « inédites », plus elles sont attractives. Il y a deux ans, Hervé This, physico-chimiste de l’INRA nous suggérait de faire cuire notre saumon dans notre lave-vaisselle. Le mug creuse aujourd’hui le même sillon du bizarre. Le succès de la cuisine en mug ne vient-il pas, aussi, nous confirmer, s’il en était encore besoin, que les consommateurs sont restés de grands enfants, toujours prêts à jouer pour éviter de cuisiner et à s’émerveiller devant un résultat inattendu.

Un peu d’effet sans beaucoup de savoir-faire : le quotidien enfin « réenchanté».

Fashion café

Dernière scorie de l’air du temps : les cafés de marques de mode. Les « fashion cafés » comme les appelle la presse féminine. Oubliez les cafés vus (et imposés) par les frères Costes, Starbucks ou Mc Do. Trop grands, trop standardisés, pas assez étonnants. Place à une nouvelle génération de cafés, plus sélectifs, plus intimes, voire éphémères. On apprenait ainsi récemment l’ouverture du café Vogue au sein du grand magasin le Printemps Haussmann en partenariat avec le pâtissier Victor & Hugo. Mais aussi, celle du café Kitsuné, un label hybride de prêt-à-porter urbain et de musique branchée, dans l’enceinte du Palais Royal. A Londres, il existe déjà le café Monocle du nom d’un magazine pointu et à Florence, le Roberto Cavalli Caffè…

La logique est à chaque fois la même. Des lieux repères (et repaires) qui s’adressent aux initiés et à ceux qui aiment cultiver l’entre-soi. Une stratégie gagnante quand l’environnement ne cesse de s’uniformiser. Des lieux « confidentiels » , une déco minimale, quelques photos, quelques objets. Une offre réduite mais exigeante : du café issu de brûleries animées par des passionnés, des pâtisseries « simples » mais sophistiquées par le choix de leurs ingrédients, des jus bio…

C’est une nouvelle génération de lieux qui émerge là. Encore peu nombreux, mais qui pourraient, demain, venir se glisser entre les cafés « bistrots » et les bars de musées ou d’hôtels. Des lieux d’exigence qui proposent peu à peu (de monde), plutôt que tout à beaucoup. Des lieux qui pratiquent un marketing vertical (sélectivité de l’offre) plutôt qu’horizontal (largeur de la gamme) en quelque sorte.

Une preuve supplémentaire qu’innover, c’est souvent chercher à s’installer entre deux référents existants