Le triple fantasme

Cette semaine, on apprenait que vente-privée.com se lançait, en France, dans la distribution alimentaire. Une nouvelle offre, baptisée « Miam Miam » (il fallait oser) sera diffusée sur le mode événementiel qui a fait le succès du site. Tous les trois jours seront proposés des produits d’un petit producteur français. Dans un premier temps de l’épicerie, plus facile à conserver et à stocker, puis, progressivement, des produits frais, voire de l’ultra-frais, comme les fruits et légumes.

Ultime précision apportée par le très médiatique président fondateur du site : contrairement à l’habillement, il ne s’agira pas de «déstockage» d’invendus, mais de produits «à la fraîcheur et à la traçabilité irréprochables»… Nous voilà rassurés. Quant aux prix, ils seront « 40 à 50% inférieurs à ceux auxquels ces produits sont vendus habituellement » car le site est l’unique intermédiaire…

Crise de la consommation et développement du e-commerce obligent, jamais la compétition entre les mondes réels et virtuels n’a autant été aussi exacerbée, suscitant au passage un festival de nouvelles idées. Casiers de retrait dans les magasins, généralisation des tablettes et autres bornes tactiles comme supports de vente, propositions « d’expériences de consommation uniques » en tous genres… Le commerce du monde réel n’a pas encore rendu les armes. Et le commerce virtuel n’a pas dit son dernier mot.

Avec « Miam Miam », Vente Privée s’immisce sur les terres de la grande distribution et vient proposer aux consommateurs un triple fantasme : être en contact direct avec les producteurs, bénéficier de prix attractifs et découvrir de nouvelles offres issues des régions les plus reculées de France qui trouveront là un début de visibilité. Etre présent sur vente-privée.com, c’est un peu comme faire une campagne de pub.

En plaçant l’alimentaire dans la logique événementielle du «c’est maintenant ou jamais», c’est aussi un nouveau rapport à la consommation qu’initie le site, fait de nouveautés, de coups de coeur, de découvertes, « d’urgences »… Une logique issue de la mode qui, peu à peu, envahit nos habitudes de consommation…

Copy-left

Auteur de pochettes d’album mythiques et de visuels pour de grandes maisons de mode, le directeur artistique anglais Peter Saville vient de signer une collection pour Lacoste, qui fête ses 80 ans, en jouant avec l’emblématique crocodile. Déstructuré, tordu, le voici rendu méconnaissable ou plutôt … « juste devinable ». Une provocation, un crime de lèse-majesté ? Non, un projet artistique que seules les grandes marques dotées d’un logo fort peuvent se permettre.

Même déformé, celui-ci reste reconnaissable. Audacieuse et novatrice, l’initiative de la maison Lacoste vient nous interroger sur le rapport des marques à leurs logos, largement emprunt de sacré. Faut-il en déduire que la puissance d’une marque tient à son logo ? C’est sans doute ce que pense encore une grande majorité d’entreprises… et de consommateurs… Il suffit de constater l’engouement de nombre d’entre eux pour tous les vêtements et accessoires « sur-griffés » pour s’en convaincre… Une obsession quasi-religieuse. A l’opposé, une forme d’élite consommatoire apprécie, elle, la présence de logos moins explicites. Une forme de snobisme comme une autre.

Jouer avec son logo comme l’ose Lacoste, et avant elle Evian ou Coca Cola, peut constituer une troisième voie envisageable. Un nouvel espace d’expression et de liberté. Car, aujourd’hui, une marque existe aussi par son relationnel, déployé sur les réseaux sociaux, par ses lieux architecturés, par sa capacité à innover… et, d’une façon générale, par tout ce qui est dit sur elle. Certains pensent même, qu’elle ne s’appartient plus toujours tant elle est devenue soumise à la rumeur, aux avis des internautes et des journalistes qui font et défont sa réputation. Alors, pourquoi ne pas livrer son logo à la créativité d’un artiste ?

Une manière comme une autre pour une marque d’affirmer qu’elle est vivante et qu’elle appartient à ses consommateurs. Place au logo « copy-left ».

Le nouveau sympa

On apprenait cette semaine que les ventes d’Ikea venaient d’accuser un recul historique… Si l’information n’est pas totalement surprenante sur un marché en régression, il serait trop rapide de lui imputer toutes les responsabilités. Ikea n’est-elle pas pour partie victime de la mutation actuelle des attentes des consommateurs ?

Maline, « design » et accessible, son offre a longtemps su séduire un public large qui y voyait, soit son premier équipement, soit une manière de venir réveiller son intérieur. Une offre, rapidement copiée par d’autres enseignes, dont la généralisation massive n’est sûrement pas étrangère au recul actuel de ses ventes. Le style Ikea est ainsi devenu le standard européen « sympa ». Il suffit de jeter un œil sur les photos d’appartements à louer de sites comme Airbnb pour finir de s’en convaincre… Difficile dans ces conditions de répondre à l’envie de singularité qui déferle actuellement un peu partout.

Un autre imaginaire est également à l’œuvre, mi-bohême, mi-rétro. Un rétro situé dans les années 50-60. Il suffit, là, de parcourir les magazines de déco pour le constater… Pas d’intérieur actuel sans sa touche de mobilier industriel, ses chaises dépareillées, ses petits meubles « fifties »… Bien loin de l’univers coloré et rigolo d’Ikea. Comme par hasard, Ikéa a récemment réédité quelques unes des pièces emblématiques des années 50, notamment sa table « iconique » en forme de feuille… Le message semble avoir été entendu. Bonne nouvelle.

Longtemps figée dans la tradition et la reproduction, puis soumise à l’impératif de la modernité des designers, la déco se veut aujourd’hui « vivante ». Une déco vivante n‘est pas une déco où les meubles sont dotés de roulettes. C’est une déco qui donne à son propriétaire le sentiment d’avoir une personnalité. Les imperfections, les déséquilibres, les associations inattendues, voire le mauvais goût par petites touches, sont les bienvenus car ils signent des choix individuels. Un nouveau « sympa » est à l’œuvre. Il ne reste plus qu’à Ikea de s’en inspirer pour retrouver les faveurs de son public.

Du temps et des gestes

Pour les branchés, c’est déjà une réalité. Les autres le découvriront un peu plus tard. Comme toujours. Le café filtre est de retour. Oui, celui que l’on a tous vu, un jour, sur la table de cuisine d’une grand-mère ou d’une vieille tante. Celui qui suppose l’usage d’un filtre papier en forme de cône et qui passe lentement dans un récipient en verre. A des années lumière du café capsule et de la modernité made in Nestlé.

Aujourd’hui proposé par tous les baristas, qui sait si, demain, le café filtre ne trônera pas fièrement sur toutes les tables ? Sa ré-apparition ne doit rien au hasard. Elle vient d’abord nous rappeler, s’il en était encore besoin, que la roue tourne et que rien de ce qui relève de la consommation ne disparaît jamais. Le café filtre n’est, finalement, qu’une sorte de café « vintage » apprécié par tous ceux qui ne veulent plus subir la pression de la conformité.

Il signifie, aussi, un désir de retour à une forme de simplicité et à une époque où le temps et le geste disposaient de temps pour s’exprimer. Préférer le filtre papier aux capsules, c’est vouloir faire et voir quand tout est de plus en plus souvent pensé à notre place. Faire pour comprendre. Voir pour se souvenir. C’est aussi prendre son temps et jouir du plaisir de se servir une seconde tasse. Le café n’est pas à l’abri du mouvement slow-food. Les motivations écologiques sont également à l’œuvre dans cette évolution. Capsule contre papier : le match est gagné d’avance. Dans le café comme partout, la conscience verte veille.

Plus de simplicité, plus d’expérience personnelle, plus de temps pour soi, plus d’éthique, ce retour du café filtre vient bien signer notre époque. What else ?

Désir d’étonnement

Pour les fêtes de fin d’année, le constructeur automobile Kia et l’enseigne de jouets Toy’R Us ont imaginé un partenariat original : proposer une voiture familiale en édition limitée… garnie de cadeaux. Plus fort que le Père Noël. Récemment, on apprenait que la marque de maillot de bain de luxe Eres (propriété de Chanel) collaborait désormais avec l’hôtel Costes de la rue Saint Honoré, qui devient ainsi l’unique revendeur de deux modèles conçus spécialement pour lui. Réhaussés d’un liseré doré graphique, ceux-ci s’inspirent de l’environnement baroque des lieux et sont proposés en noir et en «rouge Costes». On savait la piscine de l’hôtel Costes prisée des people en tous genres, voilà de quoi leur permettre de se baigner dignement. Enfin, à l’occasion de la sortie du film Belle et Sébastien, Aigle propose une mini-ligne pour enfant, soit un bonnet et une écharpe en laine portés par le héros du film et vendus en édition limitée dans ses boutiques. Quand on sait que le film a été largement vu en famille, il est facile d’imaginer que de nombreuses mamans n’auront pas manqué de s’y projeter. 

Trois initiatives repérées au fil de la récente actualité qui sortent des habituelles opérations de partenariat consistant à demander à un « créateur » d’imaginer une série limitée ou d’intervenir sur une offre existante. Ici, l’étonnement consommateur vient de la dimension inattendue des propositions qui, à chaque fois, consiste pour les marques à se rapprocher d’acteurs qui sont a priori, éloignés d’elles. Une enseigne de jouets pour un constructeur automobile. Un hôtel pour une marque de maillot de bain. Un film pour un fabricant textile. 

Il vient aussi de la justesse de ces propositions, capables de se glisser dans ce qui fait rêver ses consommateurs, au-delà de toutes considérations produits. Une abondance de cadeaux à Noël. Un sentiment d’exclusivité. Le rappel d’un passé magnifié. La bonne innovation est celle qui sait emmener le consommateur dans ses fantasmes.L’imaginaire consommateur plus fort que l’imagination créateur. 

Food listening

L’affaire peut sembler anecdotique, parfaitement snob et totalement expérimentale. Elle n’en mérite pas moins l’attention de tous ceux qui traquent le futur dans les détails. Si les collaborations entre les marques de champagne et les designers sont légion, elles aboutissent le plus souvent à des flûtes ou seaux « réinventés » au pouvoir d’étonnement finalement assez faible. C’est ce qu’ont du se dire le champagne Krug et la designer Ionna Vautrin…

Résultat de leur rapprochement : un « Coquillage Krug » qui, posé sur un verre de champagne et une fois porté à l’oreille, permet d’entendre la musique mélodieuse des bulles de champagne et de révéler les facettes olfactives et gustatives de chaque cuvée … Une expérience inédite. Depuis le temps que les intellectuels des tables nous parlent d’harmonie et de mélodie des saveurs, il fallait bien que cela finisse par s’entendre. Ledit coquillage est réalisé en porcelaine de Limoges par Bernardaud et, accessoirement, individuellement numéroté à la main…

Ecouter le champagne avant de le boire, il fallait y penser. Poétique et universel, la « Krug sound expérience » renoue ainsi avec le geste universel consistant à entendre la mer au fond d’un coquillage. Simple et sensorielle, elle offre ici de nouvelles possibilités d’expression à un produit largement enfermé dans les conventions sociales. Elle est une invitation à activer l’ouïe pour appréhender la dégustation, réflexe que de nombreuses marques pourraient, elles aussi, initier.

Et si on se mettait à écouter les produits que l’on a l’habitude de regarder ? Le bruit des corn-flakes, de la mousse au chocolat, de la bière et de l’eau gazeuse, du pain et des biscottes. Alors que les nouvelles technologies ne cessent de proposer des expériences inédites et immersives, pourquoi les produits de notre quotidien ne contribueraient-ils pas, eux aussi, à « augmenter la réalité » ?