Communion

Après avoir ouvert des salons de thé et des restaurants éphémères à Lille et St Tropez, le groupe Louis Vuitton est passé, l’année dernière, à la vitesse supérieure en installant un restaurant dans la boutique Dior historique et, depuis le 15 décembre, une pâtisserie au pied de son siège social baptisée LV Dream. Tout est dit. Le lieu propose aussi une exposition des diverses collaborations de la marque Vuitton avec des artistes, un café et une chocolaterie. Il se murmure que le siège social de Louis Vuitton pourrait devenir le premier hôtel de la marque…

Si la diversification n’est pas nouvelle (il existe depuis longtemps des cafés Ralph Lauren ou Gucci et des hôtels Armani) la différence vient du fait, qu’ici, il ne s’agit pas de licences, mais d’investissements directs de la part de la marque concernée, preuve de son intention de proposer une offre qui dépasse celle de ses produits, fussent-ils déjà porteurs de rêve. Pour leurs clients, posséder un produit de luxe ne suffit plus, il leur faut vivre une expérience de luxe. L’ambition de toute marque de ce segment est donc désormais de devenir lifestyle pour y parvenir. Comprenez : multiplier les narrations et les présences pour occuper le plus possible le temps de cerveau disponible de ses clients. Partout dans le monde, à tous les instants, à l’hôtel, au restaurant, au déjeuner, au dîner, au goûter et, bien sûr, à tous les moments de shopping. Une relation 7/7, 24/24. 

Personne ne devrait être surpris de découvrir, dans un futur toujours plus proche qu’on ne l’imagine, une collab’ entre une marque de luxe et un constructeur automobile (cf. la Mercedes-Maybach Classe S « Haute Voiture » produite en 150 exemplaires) ou une compagnie aérienne pour proposer une first class surclassante. Tout est possible car le luxe est un ogre insatiable. Un ogre d’autant plus puissant et invincible qu’il ne cherche pas la rentabilité dans ces diversifications, mais le buzz qui attisera l’envie pour ses produits. Un cercle vertueux.

Peu à peu, grâce à leur dimension fantasmatique, les marques de luxe mutent en système culturel. Une œuvre d’artistes y côtoie un gâteau imaginé par un chef, lui-même posé à côté d’un sac ou d’un accessoire. Les produits disparaissent sous leur dimension symbolique, le commerce est oublié. La consommation est devenue communion.

Paris Disneyland

Depuis quelques mois, à Paris, les cafés ont de drôles d’airs. Sur leurs façades, au dessus de leurs vitrines, à la manière des très en vogue murs végétalisés, ont poussé des gerbes de fleurs de couleur pastel, parfois éclairées de guirlandes. Poussé n’est d’ailleurs pas le mot puisque lesdites fleurs sont en plastique et, à n’en pas douter, fabriquées en Asie, ce qui les rend assez éloignées de la nature à qui elles sont censées rendre hommage… Sur certaines terrasses, on peut aussi observer d’étranges parasols colorés, de format plus réduit qu’habituellement et que l’on imaginerait plus spontanément sur une plage indienne ou thaïlandaise qu’au pied de Montmartre. Parions qu’ils ne vont pas mettre longtemps à se multiplier sitôt les beaux jours revenus.

On peut raisonnablement imaginer que ces irruptions de kitsch sur le patrimoine local, avec lequel elles tranchent abruptement, se retrouvent dans toutes les grandes villes du monde, mondialisation et instragramabilité des lieux obligent. Car la raison avancée par les cafés est celle-ci : attirer les clients (comprenez : les touristes) en leur offrant l’opportunité d’un selfie ou d’une photo publiable sur les réseaux. C’est ainsi que des ours en peluche géants se sont retrouvés attablés aux terrasses des cafés durant la crise sanitaire… L’économie de l’attention n’est pas seulement une théorieElle est même le nouvel enjeu du commerce et tous les moyens sont bons pour assurer sa croissance. Le pire est à craindre. Et tant pis pour l’esthétique des cafés dont les codes incarnent pourtant la culture et l’histoire de chaque ville. Faut-il en appeler l’Unesco pour les protéger ?

A son arrivée en France (en 1992), le parc d’attraction de la plus célèbre des souris se nommait Eurodisney, vite rebaptisé Disneyland Paris afin de profiter pleinement du pouvoir d’attraction de la Tour Eiffel et de gommer toute intention d’internationalisation. Trente ans plus tard, Paris est devenue Paris Disneyland. Si la série Emily in Paris, unanimement raillée, surjoue les codes d’un Paris qui n’existe plus que sur des cartes postales, nos cafetiers, eux, se chargent de faire peu à peu disparaître un Paris encore existant au profit d’une esthétique sans vérité destinée à satisfaire une quête permanente de merveilleux de pacotille. Qui est le plus critiquable ?

La France délestée

Chaque début de nouvelle année est l’occasion de relever les mots marquants de celle qui vient de s’achever et de se demander ce qu’ils nous disent de nous. Certains n’ont fait que traverser nos conversations, d’autres se sont incrustés. Parmi eux, « du coup » figure incontestablement en tête. Il s’est répandu dans toutes les conversations (surtout des moins de trente ans, mais pas que…) tel un un virus sans sanction de confinement. Notons qu’il a pris la place d’un « en même temps », né avec les élections présidentielles de 2017, qui ne pouvait espérer durer. Après l’hésitation du « en même temps », place à un « du coup » qui donne le sentiment d’une action. Ne rien faire en donnant l’illusion d’avoir décidé quelque chose, voilà qui n’est pas pour déplaire à notre époque… Depuis, le « en même temps » s’est rebaptisé « hybride », qu’il s’agisse de rouler ou de se définir.

En 2022, on n’a jamais autant jeté de manière inédite. De la purée et de la soupe sur des tableaux (protégés) ou encore des haches (miniatures) pour s’amuser entre potes, un verre de bière à la main. Jeter, ça défoule et ça assure toujours son petit effet. Une double vertu. Impossible d’évoquer 2022 sans souligner le temps de cerveau disponible désormais consacré à la météo, et pas seulement les veilles de ponts. Les Miss Météo qui finissaient sur les plateaux de cinéma se sont réincarnées en vigies des catastrophes et leurs prévisions, à grand renfort de cartes orange ou rouge, ne contribuent guère à alléger nos esprits. On n’est plus là pour rire.

La météo est devenue le vocabulaire symbolique de nos préoccupations. Ainsi, cet été, dominé par les feux de forêt, savoir si les incendies étaient « fixés » était une façon de nous demander quand nous le serions, nous aussi, sur notre propre avenir. Quant aux actuelles perspectives de moments de délestage, pourquoi ne pas les regarder comme une métaphore de la situation de notre pays ? Après « la France d’en haut et la France d’en bas » qui ne pouvaient donc pas se rencontrer, puis « la France des invisibles » qui revêtait un gilet jaune pour exister, voici « la France délestée » qui regroupe toutes les victimes de l’inflation. Celles qui connaissent des fins de mois difficiles et font le succès des enseignes low-cost, des solderies et des bons plans. Pas de doute, ce sont bien les mots qui parlent le mieux de nous.

Le temps des portions

Dîner a de plus en plus des allures de dînette. Certes, « déjeunette » ne figure pas dans le dictionnaire mais notons au passage que les déjeuners de la semaine ne sont pas loin, eux non plus, de l’esprit des dînettes avec leur multitude de contenants déposés dans un sac en papier kraft que bon nombre de salariés portent chaque jour à bout de bras, déambulant dans la ville en quête de l’endroit où se poser. Pour finir devant leur ordi…

Au fil du temps, le dîner, déjà de plus en plus simplifié (entre une entrée qui peut jouer le rôle d’un plat, un plat à partager et un café gourmand capable de se substituer à un dessert), se réduit désormais bien souvent à un picorage de portions de divers produits posés sur une planche. En bois, en pierre ou en ardoise, c’est selon. Délaissant les restaurants, les Français ont ainsi pris pour habitude de se nourrir de « planches » de fromages ou de charcuteries (un choix binaire qui n’est pas sans rappeler le fish or chicken ? des compagnies aériennes) assorties d’une bière plus ou moins artisanale ou d’un spritz toujours bien pétard. Une réalité de consommation que leurs grands-parents auraient bien des difficultés à comprendre. Manger une planche ??

Ce goût pour la dïnette peut être vu comme la énième confirmation d’un besoin de partage et de convivialité, d’échanges et d’expériences, ravivé par la crise sanitaire. Ou encore comme une manière de faire des économies sans rogner sur son plaisir, sinon une forme de régression rassurante en ces temps d’incertitudes, car partager une planche n’est jamais bien loin de l’idée de jouer à la marchande ou aux petits soldats. On pourrait aussi évoquer ici les mezzes orientaux et autres zakouskis russes à poser au milieu de la table, les mini-portions qui fleurissent sur les cartes, en entrées ou en desserts, sous couvert de donner la possibilité de « tout » goûter. Ou encore la mode des mini-légumes dont le succès tiendrait autant à leur lisibilité dans l’assiette qu’à leur facilité de préparation et leur extrême tendreté (idéal pour éveiller l’envie des enfants). Après les légumes oubliés (panais, topinambours, rutabagas) ou de toutes les couleurs, place aux mini-légumes.

Tout est mini dans notre vie, chantait Dutronc il y a plus de cinquante ans. Une véritable prédiction.

Accords

La vie sur les linéaires n’est pas très éloignée de ce qui se passe sur les bancs de l’Assemblée Nationale. Pour imposer ses idées, chacun doit être prêt à faire des alliances. Dans le monde des enseignes et des marques, alliance se dit collab’. Dans celui de l’assiette, on préfère parler d’accords. Accords mets-vins, présentés comme un signe de raffinement ultime sur toutes les cartes qui veulent se la jouer gastronomique. Et aussi, désormais, accords mets-bières puisque la France, traditionnellement pays du vin, veut aussi être celui de la bière, preuve de son ambition d’occuper tous les terrains.

Voilà donc la bière en quête de signes de distinction. La preuve : les caves à bières ne cessent de se multiplier. L’évolution ne pouvait pas échapper au roi de la boisson fermentée, Kronenbourg (terre d’asile des familles Grimbergen, 1664, Carslberg, Brooklyn et de bien d’autres encore) qui propose désormais un « Beer Matcher » capable, après avoir scanné un QR Code et précisé le plat choisi ainsi que le nom de l’établissement, de recommander une bière parmi celles qui y sont référencées. Pour l’occasion, sommeliers, chefs et zythologues (le nom savant des biérologues…) ont travaillé ensemble, façon de rappeler qu’innover, c’est d’abord multiplier les points de vue.

Puisque, depuis la fin du confinement, les clients des restaurants se sont habitués à scanner un QR Code lorsqu’ils veulent commander, pourquoi ne pas profiter de ce nouveau geste non barrière pour leur faire accéder à autre chose qu’à une carte ? Pour les marques, le QR Code constitue une opportunité nouvelle de s’adresser directement à leurs clients sans avoir besoin du restaurateur. Pour les informer de leurs nouveautés, les renseigner sur leurs savoir-faire, leurs filières, leurs matières premières ou encore leur politique RSE, mais aussi pour les conseiller sur de nouveaux accords possibles.

Hier, pour commander son plat, il fallait lever la tête et tenter de croiser le regard d’un serveur ; aujourd’hui, il suffit de sortir son smartphone et de baisser la tête. Pas la même ambiance dans les salles et encore un peu de perte de sens au travail pour ceux qui assurent le service. Les temps changent, certes, mais pas toujours à l’avantage de l’homme. Claude Sautet n’aurait pas pu tourner ses films en 2022 et les brasseries françaises s’éloignent de la perspective d’être reconnues comme patrimoine immatériel par l’Unesco…

Un nouvel air de campagne

Depuis quelques temps, l’image de la campagne s’est profondément modifiée. De destination de week-end, la voici devenue environnement ressourçant. Une prophylaxie aux excès de la modernité. Il y a d’abord eu cette soudaine envie post-Covid de fuir les métropoles qui, après avoir été désirées et enviées, se sont retrouvées sujettes à toutes les critiques dès qu’était abordée la question du bien-être. Puis, l’engouement pour les petits producteurs, nos santons urbains vendeurs de fromages, d’œufs, de potimarrons et de carottes pleines de terre. Le slow tourisme a refait surface, entre trains à petite vitesse et retraites spirituelles, rompant ainsi avec des années d’aller-retours express en Easy Jet en direction des capitales européennes. Même Frédéric Lopez ne nous emmène plus en terre inconnue, mais au bout du champ dans une maison de campagne plus rustique il n’y a pas.

En déco, un nouveau chapitre a également été ouvert. Les murs sont redevenus blanc, les poteries et les bouquets de fleurs séchées ont poussé sur toutes les étagères en chêne brut, les tapis ont des airs de peaux à poils longs et le tabouret bas à trois pieds s’affirme comme le nouveau fauteuil. Prochaine étape : les poutres apparentes et le crépi ? Dans le monde de la cosmétique, le langage des fleurs a été prié de laisser la place à celui des arbres, des herbes et des plantes. Les produits « from farm to face » semblent appelés à un bel avenir.

Côté table, le Fooding, jamais en retard d’une tendance, vient de remettre ses prix à des établissements dont les salles célèbrent la campagne de l’assiette au plafond. Quatre adresses parisiennes seulement pour quinze prix décernés. Pour trouver le Grand Prix, il faut se rendre en Essonne. Dans une ferme-auberge-restaurant (un restaurant où l’on dort) tenue par des chefs australiens. Du jardin à l’assiette. Cela aurait pu être à Fontainebleau, la nouvelle réserve à bobos. La grande couronne (la grande couronne de feuilles ?) est devenue la nouvelle terre d’accueil de tous les parisiens en fuite. Un prix Café de village et un prix Country Pub ont même été décernés pour la première fois par le Fooding. C’est dire.

On apprenait il y a peu, de la bouche du patron de Carrefour que le groupe allait tester en 2023 une nouvelle enseigne de primeurs de centre-ville nommée Potager City. Pas de doute, un nouvel imagin(air) de campagne flotte bien sur nos têtes.

La marque moderne

Seuls ceux qui lisent les pages saumon le savent : la purée Mousline, après des années d’exil en Suisse, rentre au bercail. La marque mythique née en 1963 vient d’ère vendue par Nestlé à un fond d’investissement français spécialisé dans l’agroalimentaire, qui s’est donné 5 ans pour la relancer. La tentation de redonner une nouvelle jeunesse aux produits disparus ne se limite pas à l’industrie automobile et à Starmania…

Trois décisions ont aussitôt été prises par le nouvel actionnaire. Mobiliser la R&D pour imaginer de nouvelles recettes car il n’y a eu aucune innovation depuis 2017. Une purée Mousline avec d’autres légumes que la pomme de terre serait même déjà à l’étude. On a hâte. L’entreprise s’est aussi donnée pour mission de resserrer ses liens avec les agriculteurs de la Somme où se trouve son usine afin de sécuriser son approvisionnement. Enfin, elle souhaite reprendre sa célèbre comptine qu’au moins trois générations de consommateurs ont en tête, au point de n’être jamais très loin de la tentation, face à une assiette de purée, « de faire un petit volcan pour mettre le jus dedans ». Aussi fort dans la conquête des cerveaux que la recette du cake d’amour de Peau d’âne…

L’exemple de Mousline nous renseigne finalement assez bien sur ce que signifie être une marque en 2022 : un nom que l’on peut spontanément associer à un produit, certes, mais aussi à une filière agricole ou industrielle et surtout à un capital émotionnel capable de raviver des souvenirs. Ces deux dernières caractéristiques sont devenues vitales dans le développement des marques, désormais regardées comme des acteurs économiques autant capables de faire vivre des produits que de créer des emplois. Quant à la composante émotionnelle, si elle a toujours existé, la voilà plus nécessaire que jamais pour les marques. Pour être bien identifiées face à d’autres, trop récentes, virtuelles ou mondialisées, ou celles issues de la distribution et du low-cost, sans âme, ni histoire. Mais aussi pour toucher plusieurs générations de consommateurs en quête de points de repère en leur proposant une communauté de souvenirs prêts à être partagés. Quand je fais de la purée Mousline, je dois être sûr que tout le monde est content.

Vieilles tocantes

Le vintage ne cesse de gagner du terrain : après les vêtements, voici le temps des montres. Un marché en pleine expansion selon Deloitte qui l’évalue aujourd’hui aux environs de 20 milliards d’euros (qui pourrait représenter plus de la moitié du marché des montres neuves d’ici 2030) et dont la croissance s’expliquerait par la soudaine passion que leur porteraient les Millenials et la Gen Z. Il faut se souvenir qu’il y a huit ans, au moment de la sortie de la première iwatch d’Apple, tous les Cassandre prospectivistes annonçaient la disparition proche des montres à aiguilles car, l’affaire était entendue, les nouvelles générations lisaient l’heure sur leur smartphone. Sacrée jeunesse. Quelques mois plus tard arrivait sur le marché une marque créée de toutes pièces (d’horlogerie et de marketing) nommée Daniel Wellington qui, avec des montres rondes à aiguilles hyper basiques, mais vendues cent euros seulement, ramassa tous les poignets des vingtenaires des deux sexes confondus.

Aujourd’hui, on ne s’étonne plus d’apprendre que certains jeunes se sont mis à collectionner les montres, hobby que l’on attribuait habituellement aux CSP+ amateurs de cigares, de cognac et de boutons de manchette. Il faut toujours se méfier des prédictions trop évidentes. Les raisons de cet engouement inattendu pour les vieilles tocantes ne manquent pas. Le goût de la différenciation, tout d‘abord, conséquence d’une offre mondialisée et intagrammée qui donne à chacun le sentiment d’être l’image d’un autre en soi. Mais aussi, un goût pour le passé qu’il serait facile d’expliquer comme une opération de rééquilibrage d’un penchant trop marqué pour le virtuel.

Collectionner, oui, mais pas comme un Boomer thésauriseur, désireux de laisser quelque chose à ses descendants. Collectionner de manière « vivante », soit acheter pour revendre, pour racheter et ainsi de suite. Pour fuir la lassitude comme pour jouer avec ses intuitions et ses analyses du marché. Toujours selon Deloitte, les principales raisons d’acheter des montres d’occasion seraient les prix moins élevés que pour le neuf (pas toujours vrai) mais aussi le désir et le plaisir de trouver des modèles qui ne sont plus fabriqués (retour à la case quête de différenciation).

Voilà en tous cas qui ne devrait pas nuire à la bonne marche du marché de l’horlogerie car chaque montre vintage acquise contribue à renforcer la notoriété de sa marque. Hier au service de demain.

Luxe et premium

Après avoir longtemps vécu entre Business et Economy, voilà que les compagnies aériennes multiplient désormais les classes Premium. KLM cet été, mais aussi, avant elle, Swiss et Emirates ou encore La Compagnie qui en a fait un élément de différenciation sur ses vols Paris-New York. Installée entre la classe Affaire à forte marge et la classe Economique à gros volume, l’offre a de quoi séduire et les compagnies aériennes suivent en cela l’évolution de tous les marchés désireux, en cette période marquée par la crise, de préserver le plaisir de consommer. Comment y parvenir si ce n’est en offrant toujours plus de services, de confort, de luxe, d’espace, d’intimité (c’est selon) à ses clients… pour moins cher ?

Donner la sensation d’accéder au luxe sans devoir s’acquitter de son prix exorbitant est le bon plan du moment. Premium n’est pas luxe mais sensation de luxe. On ne pourrait mieux illustrer les attentes actuelles des consommateurs et l’état d’une société de consommation désireuse de demeurer dans le principe de plaisir en dépit d’une réalité qui vient chaque jour un peu plus rappeler son existence, voire sa résistance. Le luxe vise une poignée de nantis souvent encombrés de leur argent qui y trouve l’occasion de le dépenser au-delà de toute considération morale. Le premium est plus généreux et plus subtil. Il ne s’adresse, certes, pas à tout le monde, mais à tous ceux qui le veulent. Moins affiché que le luxe, le premium est aussi plus réfléchi. Il incarne un possible pour ceux qui font des arbitrages et savent que cette expérience possède un caractère exceptionnel.

Dans le cas des compagnies aériennes, on ne choisit pas systématiquement la classe Premium, mais selon la durée ou le moment du vol. A l’aller mais pas forcément au retour. Quand le luxe relève du pouvoir d’achat, le premium se situe davantage du côté du vouloir d’achat. C’est ce qui lui donne sa valeur. Qu’est-ce qu’un luxe qui ne demande aucun effort ? Une consommation comme les autres. C’est parce que la classe Premium exige des choix, des arbitrages, des décisions, qu’elle conserve une part de conscience qui fait la dignité de la consommation en venant rappeler que celle-ci doit toujours rester du côté du désir profond plutôt que de l’envie frivole, animée par une course sans fin au toujours plus cher et au toujours nouveau. Là est sa résonance avec notre époque et donc la raison de son succès.

Déconstructeur automobile

Peu de jours, peu de marques, peu de visiteurs. Cette année, le Mondial de l’Auto avait un goût de peu et des airs de fin d’une époque. Après plus de 70 ans de règne en tant que fantasme dans les esprits, voici la voiture amenée, elle aussi, à se déconstruire pour se présenter sous de nouveaux jours. Cette année, tous les constructeurs mettaient ainsi en avant leurs modèles électriques devenus, au fil du temps, leur passeport de bonne conscience pour l’avenir et leur appât à Millenials. Les membres de la Gen Z étant considérés comme perdus pour la cause, trop occupés avec Greta.

Certains constructeurs, convaincus de la nécessité de continuer à faire rêver, présentaient leurs concepts cars, manière de prouver qu’ils en ont encore sous le pied et que demain ne leur fait pas peur. Et là, ô surprise, le futur avait souvent des airs de déjà-vu. Comme si regarder dans le rétroviseur permettait de mieux voir devant soi. Chez Renault, en particulier, la nostalgie était palpable entre un modèle dérivé de la R5, revue en mode body-buildé, et un autre faisant référence à la non moins populaire R4, ici, en mode frugal. Chez Citroën, l’événement s’appelait Oli, un véhicule électrique descendant direct de la Méhari, qui pourrait donner le sentiment qu’il a été dessiné par un enfant HPI armé d’une règle et d’un crayon tant les lignes verticales et horizontales dominent. Et, si elle avait été présente à la Porte de Versailles, VW n’aurait pas hésité à mettre en scène la version 2.0 de son célèbre Combi baba désormais Combi bobo avec ses couleurs pastel et son design rigolo bien comme il faut. Que des modèles de légende, certes, mais accessibles. A des années lumière des prototypes aux formes galbées et aux allures de soucoupes volantes que nous nous avions l’habitude de découvrir.

Qu’en déduire ? Que notre époque est vraiment troublée et que les marques sont appelées à notre chevet pour nous rassurer et nous apporter nos doudous. Que le futur fait moins rêver que le passé, nième confirmation que, décidément, oui, c’était mieux avant. Que rouler dans un véhicule rétro-futuriste, c’est un peu comme se faire une injection de botox : vouloir paraître plus jeune tout en sachant que personne ne sera dupe. Et enfin que, désormais, inventer demain ne peut plus s’envisager sans embarquer hier : comme si le futur devait désormais se bricoler à partir de formes déjà familières pour être plus facilement acceptable.