Drive and collect

Cet été, comme chaque année, certaines marques ont décidé de quitter la ville pour se rendre, elles aussi, sur des lieux de vacances, histoire de ne pas se faire oublier de leurs clients. Cela arrive si vite. On pouvait ainsi croiser sur les routes le van de Don’t Call Me Jennyfer dans dix villes de France, un camion forcément girly proposant les best-sellers de sa collection estivale. Petite terrasse pour se rafraichir et écouter de la musique et cabine TikTok en complément. Car les influenceuses ne sont jamais en vacances et l’enseigne compte 1,5 millions d’abonnés (abonnées ?) à qui il faut bien donner des nouvelles. La marque de cosmétiques Beauty Success avait, elle aussi, succombé à l’appel de la route mais seulement le long de la côte Aquitaine, sa terre d’origine. Pas forcément le meilleur choix cet été, mais l’idée est à relever car elle consistait à mettre à l’honneur les petites marques de la région déjà présentes dans ses magasins

Gagner en visibilité, profiter de la disponibilité de ses clients, affirmer son ancrage régional, proposer un supplément d’expérience, faire le buzz : partir sur les routes n’a que des avantages pour une enseigne. Le modèle n’a d’ailleurs rien d’obsolète comme le prouvent les camions « Optique 2000 à domicile » ou encore ceux de l’enseigne d’outillage et de jardinage Shopix, toujours là face aux mastodontes Castorama et Leroy-Merlin. Son modèle est bien rôdé : l’heure et le lieu de passage des camions sont annoncés sur le site (il est possible de créer une alerte mail) et ceux qui le souhaitent peuvent recevoir un catalogue papier (douze millions de catalogues par an tout de même) pour bien préparer leur visite au camion. Comme ses concurrents, Shopix dispose aussi d’un site internet et de magasins mais ses camions lui confèrent une proximité et un supplément d’âme uniques qui nourrissent son image. Une manière, aussi, de contribuer à la réanimation des centre villes et de répondre aux attentes de ceux, de plus en plus nombreux, qui hésitent à prendre leur voiture pour se rendre dans un magasin… mais qui veulent quand même voir et toucher ce qu’ils achètent…

N’oublions pas de jeter un œil sur les modèles de commerce d’hier avant d’imaginer ceux de demain…

Expérience allusive

Lorsque La Samaritaine a rouvert ses portes, l’idée n’était pas tant de ressusciter un grand magasin, que de créer un lieu de destination. Dans un premier temps, pour tous ceux qui souhaitaient retrouver le Paris de leurs souvenirs. Peine perdue. Puis, très vite, pour toutes les typologies de touristes qui, pour la plupart, n’y voient qu’un alignement de marques de luxe internationales semblable à celui proposé par les espaces duty-free des aéroports. A la différence près que la Samaritaine n’est pas au pied d’un tarmac, mais au cœur de la capitale.

Paris ne serait-il pas en train de devenir un aéroport à ciel ouvert avec ses flots de visiteurs en transit pour Eurodisney, les châteaux de la Loire ou le Mont-Saint Michel ? Un lieu de passage dédié au shopping et au fooding, déclinés sous toutes les formes possibles, de la street-food aux roof-tops en passant par les pop-ups et les gigastores. Il suffit d’observer la transformation de certains quartiers en centres commerciaux ou la multiplication (récente) des tables dans les cours des musées pour s’en convaincre. Il n’est pas impossible qu’il devienne, un jour (proche), plus désirable de déguster une pâtisserie inspirée par une œuvre que d’aller voir ladite oeuvre dans un musée. Une expérience par ailleurs plus rapide pour tous les voyageurs soucieux du respect d’un programme chargé qu’il faut (forcément) optimiser.

Le Paris patrimonial, concret et historique, fait de monuments, de musées, de mobiler urbain et de quartiers laisse ainsi place à un Paris évoqué, addition de signes, de citations et d’allusions censés assurer le maintien du folklore local. Un décor de théâtre devant lequel se produisent des marques de mode et de luxe qui souhaitent faire oublier leur réalité internationale le temps d’une représentation locale. Un peu à la manière d’une star mondiale qui, ponctuellement, chante dans notre langue pour affirmer sa proximité. Réverbères, colonnes Morris, pavés, boites à livres des quais de Seine, devantures de bistrots sont ainsi aussi bien convoqués dans les rayons de La Samaritaine que dans le flagship Swatch qui vient d’ouvrir sur les Champs-Elysées, où des écrans diffusent même des images recréant l’ambiance d’une rue commerçante…

Toutes les enseignes rêvent de proposer des expériences immersives à leurs clients. Pour certaines, on devrait davantage parler d’expériences allusives.

Frais devant

Casino a récemment annoncé son intention de transformer ses 61 hypermarchés Géant en Casino #hyperFrais avec l’idée de faire passer la part des produits frais de 35% en moyenne à 50% de l’offre. La mutation n’a rien d’anecdotique. Elle vient tout d’abord confirmer, s’il en était encore besoin, la volonté de la grande distribution de se débarrasser du non alimentaire en la confiant à des enseignes spécialisées. Si les produits Hema, apparus dans les rayons de Franprix dès le début de la crise sanitaire, ont aujourd’hui disparu, ils ont été remplacés par une offre signée Monoprix. Chez Casino, c’est la Grande Récré et C&A qui occupent les linéaires.

L’apparition de Casino #hyperFrais est également révélatrice de l’importance désormais accordée au mot frais. Dans le monde d’avant, c’était la taille qui comptait. Seul un Géant, par sa puissance, était capable d’assurer des prix bas et un large choix. Une crise sanitaire plus tard, c’est la fraîcheur qui importe. Une promesse de qualité autant que d’engagement puisque la fraîcheur n’est jamais très loin de producteurs locaux ou de filières qu’il est bien vu de défendre. Certes, en cette période inflationniste, les prix demeurent une préoccupation centrale pour les consommateurs, mais force est de constater qu’ils sont aussi (pas forcément les mêmes…), de plus en plus, en quête de qualité. Les deux peuvent d’ailleurs fusionner lorsque des fruits et légumes arrivés en fin de vie sont vendus à des prix attractifs comme avec les Paniers Zéro Gaspi que vient de lancer Carrefour.

La fraîcheur est donc devenue un aimant, comme en témoigne le succès des fruits et légumes chez Lidl, de Grand Frais et, demain, à n’en pas douter, de la nouvelle enseigne spécialisée dans la vente de produits frais et locaux, « Grand Marché – Frais d’ici » (mot compte triple au Scrabble marketing), conçue pour être adossée aux jardineries Gamm Vert, Jardiland et Delbard. Un petit morceau de nature reconstitué. Derrière le mot frais, c’est tout l’imaginaire du marché qui débarque. Chez Casino#hyperFrais, la présentation des produits se fera d’ailleurs à plat, comme sur les marchés.

Les couleurs, les saveurs et l’authenticité sont attendues. Mais aussi, pour parfaire le tableau, un mode relationnel singulier, chaleureux et empathique. Encore un défi pour le commerce de demain.

Lectures de table

C’est toujours dans les détails qu’une époque se livre. La lecture des menus des restaurants sera ainsi une source d’enseignements riche pour les ethnologues qui, demain, étudieront nos manières de vivre en ce début de XXIème siècle. Après des années de style pompeux, hanté par les farandoles et les inspirations de chefs, place désormais à un ton plus direct, porteur d’une intention de transmettre une vérité, une simplicité et une forme de naturalité…

Formules du jour, assiettes du pêcheur, retour du marché ne disent rien mais ne prétendent pas plus que ce qu’ils sont et n’effraient personne. La suppression des verbes, autre marotte du moment, participe au même exercice de simplicité revendiquée et de réinvention du vocabulaire, au point de devenir un des traits dominants du fooding. Orge/Butternut/Cèpes. Cochon/Sarrasin/Cresson. A la manière des points à relier pour faire apparaître un dessin, chacun doit ici compléter ces mots pour découvrir la recette placée dans son assiette.

Et puisque les verbes ont déserté les cartes, les adjectifs en ont profité pour occuper le terrain et, ainsi, activer les papilles et les imaginaires. Frais, croustillant, crémeux, jeune, tendre arrivent largement en tête. Sans doute parce que chacun peut en comprendre l’intention. Parfait, juteux, onctueuxsoyeux, jeune, bien que plus difficiles d’accès, sont aussi très fréquemment utilisés. Quant à irremplaçable, incontournable, célèbre, voire dément, ils peuvent donner le sentiment que leurs auteurs ont un peu quitté la route, tant ils n’engagent que ceux qui veulent bien y croire.

Il n’est pas rare, non plus, que des adjectifs traversent l’Atlantique pour rendre visite à nos assiettes : cheesy, juicy, crazy, crispy ou crusty garantissent le dépaysement. Mentionnons enfin les menus Découverte qui n’annoncent rien, sinon un nombre de plats, un prix et, parfois, un titre et dont le contenu sera raconté par le chef ou ses représentants en guise de bienvenue. De l’importance de maîtriser la rhétorique et l’art oratoire sous peine d’entendre un discours aussi creux qu’une assiette où le moindre repas prend la forme d’un territoire à explorer où l’on part sur avant de poursuivre l’aventure et de finir le voyage au pays des douceurs. Il peut même arriver que l’enfance du chef soit aussi évoquée ainsi que le rôle joué par sa grand-mère… Ce n’est donc pas par hasard si on entend de plus en plus souvent parler de cuisine d’auteur… 

Il a tout bon, le goûter

Né dans les années 90, le brunch n’a rien perdu de sa vitalité et le monde de la restauration lui sera éternellement reconnaissant de lui avoir sauvé ses samedis et dimanches midi qui n’intéressaient plus guère que les seniors désireux de se retrouver en famille hors de chez eux. Il lui offre aussi une facilité de préparation rare et une rentabilité exemplaire, d’autant plus confortable que l’on vient rarement bruncher à deux… Le brunch coche donc toutes les cases et on l’a vu évoluer, au fil du temps, en brunch asiatique ou festif, avec champagne et même caviar dans les restaurants des grands hôtels.

Un autre moment « entre deux » s’affirme de jour en jour : le goûter, qui se diffuse lentement parmi nos habitudes. Sa première apparition fut dans les hôtels de luxe où, facturé au prix d’un repas, il permettait d’accéder à des créations de chefs pâtissiers. Celui de Cédric Grolet, au Meurice, avec ses gâteaux en forme de fruits rencontra un gros succès, tout comme celui de François Perret, au Ritz, avec ses madeleines à boire. Une manière de s’offrir une prestation griffée sans (trop) se ruiner. Un peu comme les accessoires de mode. A Paris, la rue du Nil est ainsi devenue l’avenue Montaigne de la food de créateurs.

La crise sanitaire a accéléré le phénomène. La saison 1 du Covid fut en effet marquée par le retour du fait maison et du goûter en famille. Il fallait bien faire une pause au cours de ces journées qui ne cessaient de s’étirer. Conséquence : les pâtes à tartiner se multiplient. Elles sont signées Michel & Augustin, Bonne Maman, Poulain, Milka ou Nestlé Dessert et ont toutes l’intention de détrôner le dieu Nutella qui régne sur le rayon. La presse nous apprend aussi le retour du marbré (la nouvelle babka) en hommage à feu Papy Brossard ainsi que celui des gâteaux de mamie. Voilà qui nous change des brownies, cookies, muffins, donuts, cupcakes, cheesecakes et autres bubble wafles interplanétaires. Après des années de créativité sucrée à portée conceptuelle, place aux bonnes vieilles recettes de chez nous. La revanche du moule à cake.

Chacun pourra y lire le signe d’un besoin de réconfort et de régression en cette période troublée, ou encore le retour à une forme de simplicité, un goût marqué pour le partage et la transmission et peut-être même une ultime expression de la vague vintage qui déferle dans nos vies. Une chose est sûre : le sucré a de beaux jours devant lui.

Fidélitude

Une étude récemment menée pour saisir l’état du cinéma après des mois de confinement nous apprend que si la réouverture des salles en 2021 a suscité un afflux massif de spectateurs, le marché n’a vraiment décollé qu’à l’occasion de la Fête du cinéma ou de la sortie de blockbusters comme Spider-Man ou Mourir peut attendre. Et aussi, que si les salles indépendantes affichent aujourd’hui un recul de 28% par rapport à l’avant Covid, celui des grands circuits est, lui, de -64%. Quant aux tranches d’âges, ce sont les 15-24 ans qui ont retrouvé le plus rapidement le chemin des salles et les actifs de 25-49 ans qui ont les ont le plus désertées depuis la réouverture et, parmi eux, surtout les 25-34 ans. L’étude souligne enfin une perte d’habitude plutôt qu’un désamour pour le cinéma puisque 48% des interrogés disent avoir modifié leur comportement, 34% déclarant y aller moins qu’avant et 14% plus du tout. Certes, au nom de craintes liées à la crise sanitaire mais aussi en raison du prix des places jugé trop élevé et de l’attractivité des plateformes.

Les résultats de cette étude ne viennent-ils pas involontairement nous renseigner, aussi, sur les attentes actuelles des consommateurs ? Car si le cinéma n’est pas un bien de consommation comme les autres, ceux qui s’y rendent sont, bien souvent, des consommateurs comme les autres… Reprenons. Le public est capable de se mobiliser quand une offre le séduit. Qu’il s’agisse d’un blockbuster, d’une paire de sneakers ou d’un nouveau restaurant, une offre qui séduit est une offre qui porte une perspective de partage (avant, pendant et après l’achat) et le sentiment de « coller » à une actualité. La paire de sneakers à avoir comme le film à voir.

Autre enseignement : disposer de consommateurs engagés est toujours un atout pour une enseigne car, après la crise, ils sont les premiers à revenir. Mieux vaut, donc, être plus proche de l’esprit des cinémas indépendants, traversé par la passion, que courir après le flux à la manière des multiplexes. Enfin, l’étude vient nous rappeler que la vitalité du cinéma tient à sa capacité à transformer une pratique en habitude. Tout comme la consommation. Et qu’une habitude ne doit pas se confondre avec la fidélité. Car si la première relève du confort, de la proximité et de l’envie, la seconde n’est souvent qu’un simple calcul. La preuve : les cartes de fidélité n’ont pas suffi à éviter le recul de la fréquentation au cinéma.

Incarnation

Il y a peu, le groupe Lagardère annonçait son intention de se lancer sur le marché de l’hôtellerie avec deux concepts inédits, déclinés de Elle, son magazine phare : Maison Elle et Elle Hôtel. Maison Elle ouvrira ses portes dès l’automne prochain, près de l’Arc de Triomphe. Elle disposera de 25 chambres, d’une suite et d’un spa, et entend incarner « l’art de vivre à la française » via des connexions avec la ville, la mode, la culture et des rencontres avec des femmes inspirantes. Quant au Elle Hôtel, son ouverture n’est, pour le moment, prévue qu’au Mexique. Le lieu sera marqué par la protection de l’environnement et la durabilité grâce à des collaborations avec des talents féminins locaux, des artisans et des designers.

L’annonce vient d’abord souligner le poids économique du tourisme, nouvelle manne capable de revigorer à la fois un commerce qui peine à continuer de séduire, des restaurants tentés par la vente à emporter et des quartiers entiers. Et tant pis si le prix à payer est la perte de leur vérité. Les touristes sont devenus l’ultime population à chérir et il est désormais fréquent de trouver des magasins et des restaurants exclusivement conçus pour les séduire. Sans aucune racine locale, ni authenticité, mais conformes à ce qu’ils recherchent. Fausses vraies brasseries, faux vieux magasins ou produits, fausses histoires… certaines rues de la capitale se sont déjà largement disneyisées.

Les futurs hôtels Elle viennent aussi confirmer la mutation des attentes de ceux qui voyagent, plus avides d’expériences festives et hédonistes que de rencontres avec une population locale. Il suffit de tomber sur les images des campagnes publicitaires imaginées en ce moment par chaque pays pour constater combien elles sont interchangeables. Street-food, spritz en terrasses, massages, plages, kite-surf, selfies et trottinettes pour tous. Des sensations présentées comme inoubliables sur fond de décors à peine spécifiques. L’important n’est plus de voir mais de vivre.

Le projet du groupe Lagardère vient enfin illustrer la tentation de toutes les marques de s’incarner sous la forme d’un lieu, manière pour elles d’exister différemment et de renouveler leurs relations avec leurs acheteurs. Pour un titre de presse, la survie tient donc désormais à sa capacité à se réinventer en marque à vivre et à faire semblant d’oublier qu’il est d’abord une marque à lire. Il fut un temps où il lui suffisait de défendre une opinion pour exister.

Coupons !

Les enseignes de la grande distribution ont toujours bien aimé les prix. Version promo et remises à tout va dans un premier temps, puis, plus récemment, version cagnottes et cumuls subtils de crédits, à transformer tout consommateur de base en fin stratège de ses achats. Avec le retour, aussi soudain qu’inattendu, de l’inflation, les enseignes se demandent toutes, désormais, comment transformer les hausses de prix en avantage concurrentiel pour fidéliser leurs clients sans (trop) réduire leurs marges. La question des prix est vraiment le moteur de la distribution et de son imagination.

Ici, c’est 5% de remise immédiate dans tout le magasin une fois par mois (Lidl), là, c’est le « bouclier anti-inflation » (Leclerc) consistant à isoler 120 produits de base dont la moindre hausse de prix serait aussitôt recréditée sur les cartes de fidélité. Un peu plus loin, ce sont des produits Top budget à moins d’un euro (Intermarché). Il n’aura pas fallu attendre très longtemps pour voir les enseignes transformer l’inflation en objet marketing et constater que les prix sont bien plus « élastiques » qu’on ne l’affirme souvent…. Il en va finalement des prix très bas comme du travail à distance. Quand tout va bien, ils ne sont pas imaginables. Mais, à la première crise, on se rend compte qu’il n’est pas si difficile d’en faire une réalité…

Pour preuve, la rapidité avec laquelle cette approche markétée du prix est tombée dans l’oreille du gouvernement puisque l’actualité ne cesse de bruisser de chèques énergie, de coupons, de tickets-services, de bons d’achats et autres « coups de pouce mobilité » à destination des populations les plus victimes de l’inflation. La vie envisagée comme une succession de moments de consommation. Les plus anciens et les plus historiens, ne pourront s’empêcher de faire un rapprochement avec les tickets de rationnement présents dans le quotidien des Français après la fin de la guerre et jusqu’en 1949. A une différence (de taille) près. Hier, il s’agissait d’organiser la rareté des produits ; aujourd’hui, de maintenir l’accès à la consommation. Hier, d’assurer l’offre ; aujourd’hui de préserver la demande. Mais, dans les deux cas, d’éviter le sentiment d’exclusion d’une partie de la population. Car la consommation n’est pas qu’au service de la jouissance individuelle. Elle est aussi au service de la paix sociale. 

Polarisation

Il est des débats dont on n’entend jamais parler. Des débats très codifiés qui n’ont lieu qu’entre fervents d’une même marque, par exemple. Si vous n’en êtes pas acheteurs, vous voilà aussitôt exclus. Ainsi, qui a observé la forme de la calandre de la nouvelle BMW 7, suite à son denier « facelift » ? Une calandre encore plus large, encore plus haute, désormais en forme de double haricot. Une opération esthétique qui n’a laissé aucun fan de la marque indifférent. Pour preuves, les messages postés sur les réseaux qui crient à l’horreur, à la honte, à l’infamie. Indigne de la marque munichoise, à les entendre.

A plusieurs reprises, le directeur du design a pris la parole pour justifier ses choix. S’il a bien confirmé qu’il était conscient que, de plus en plus de personnes trouvent ses modèles laids, il en retire néanmoins une certaine fierté en affirmant simultanément que les BMW sont principalement achetées par des personnes dites expressives qui veulent se démarquer. Adieu, donc, la marque sobre, chic et de « bon goût ». Vive la polarisation car, selon ses dires, les clients de la marque aiment se distinguer de la foule et, de préférence, en choquant. Et de préciser que cette nouvelle calandre ne s’adressera finalement qu’à un tiers d’entre eux, soit les acheteurs de modèles hauts de gamme comme le X6, le X7 et les différentes versions de la série 7.

La radicalité de l’affirmation en dit long sur les motivations des acheteurs de luxe et sur la manière dont ce qui leur est destiné doit être désormais conçu. Elle pourrait aussi se tenir à propos de la dernière collection de montres Tambour signées Vuitton dont l’épaisseur, la taille et le côté démonstratif du cadran sont aux antipodes des codes habituels de l’élégance qui servent de références dans l’univers. A côté d’une Tambour, les Rolex passent pour des modèles de sobriété. Certains lisent cette évolution comme un des effets collatéraux de la mondialisation qui obligerait à prendre en compte des goûts (très) éloignés de ceux de l’establishment européen. D’autres y voient le signe d’un désir d’affirmation de sa réussite propre à une nouvelle génération. Mais chacun peut s’accorder sur l’absolue nécessité de ne pas lire le monde à travers la seule lunette du beau et du laid. Sous peine de ne plus rien voir.

Charrues Rive Gauche

Certains grands magasins savent mieux que d’autres faire parler d’eux. Dans cette quête, Le Bon Marché vient naturellement en tête par sa capacité à capter l’air du temps et, aussi, à bousculer (un peu) sa sage clientèle… qui ne demande que ça, sans oser le formuler. Toutes les marques ne devraient-elles pas, elles aussi, se demander comment parvenir à bousculer leurs clients ?

Après les incongrus gros bonhommes roses et mignons de Philippe Katerine, le grand magasin tourne à gauche, vers une départementale, pour se rapprocher du festival breton des Vieilles Charrues de Carhaix… avant de reprendre l’autoroute de son histoire pour la préparation, dès le mois de septembre, de son spectacle théâtral immersif (un spectacle, aujourd’hui, peut-il être autrement qu’immersif ?) imaginé à partir du roman de Zola, Au Bonheur des Dames.

En attendant, place donc aux Vieilles Charrues, à l’occasion de ses trente ans (à partir du 14 juillet), dans le cadre d’un temps fort baptisé « Un air d’été ». Depuis le 30 avril, le magasin se la joue ainsi bohème et camping chic en accueillant dans ses allées une série de pop-up stores et de produits exclusifs porteurs du thème, sur fond d’une sélection de musiques issues du festival et abondamment diffusées à travers des casques mis à disposition. Le tout dans une ambiance dominée par des épis de blé, immersif oblige. Parmi les marques présentes, on trouve Céline et Antik Batik, que l’on ne s’attend pas spontanément à rencontrer dans les rangs des habitués du festival, mais c’est sans doute cela qui fait l’originalité de la proposition.

Une série de mini-concerts, tous les mardis soir, sont également au rendez-vous durant sept semaines (Aloïse Sauvage, Feu ! Chatterton, Izïa… les auditeurs de France Inter ne seront pas dépaysés…). Le Printemps, pour fêter la saison du même nom, n’avait-il pas, lui aussi, déjà cédé à cette tentation des mini concerts ? Vive le magasin événement. La collaboration se concrétise enfin par la commercialisation de produits à l’effigie des Vieilles Charrues sous la forme d’un kit du parfait festivalier, regroupant gourdes, bobs, lampes de poche, briquets et même une chaise longue pliable. Comment un événement se tenant dans un grand magasin pourrait-il finir autrement que par un moment de commercialisation ? La culture et le commerce ont tout à gagner en se rapprochant.