Returnuary

On pensait avoir cerné janvier, mois paradoxal puisqu’il s’agit à la fois de se lâcher (les soldes en tous genre et ce qu’il reste de la période du Blanc du monde d’avant) et de se restreindre, bonnes résolutions oblige. 

Pour ce qui concerne les bonnes résolutions, on ne présente plus le Dry January (lancé en 2013), le plus récent Veganuary (comme son nom l’indique) ou encore, plus rare, le Januhairy (jeu de mots) consistant à ne plus s’épiler durant un mois comme un défi aux injonctions faites aux femmes. Qui sait si, demain, on n’aura pas droit à un salutaire Deconnectuary, voire à un tonifiant Runuary, histoire d’éliminer les toxines des fêtes ? L’avantage avec la terminaison « -uary » est qu’elle permet de transformer toute intention de début d’année (janvier, février seulement) en phénomène de société. 

Pour ce qui concerne le lâchage, outre les soldes, on découvre aujourd’hui un « rush » d’un genre nouveau, preuve ultime, s’il en fallait une, que le démon de la consommation ne dort jamais. Ce soubresaut a pour nom Returnuary et décrit le fait que les consommateurs se ruent à nouveau en magasins mais, cette fois, non pour traquer la bonne affaire, mais pour effectuer les retours d’articles qui ne vont pas ou ne leur plaisent plus. 

Certains verront là un effet collatéral des excès de Black Friday, manière de rappeler qu’un poison est toujours capable de générer son antidote. Sans excès d’achats, point de retours. D’autres, le signe de l’apparition de nouveaux comportements. Acheter le même article en plusieurs tailles, par exemple, afin d’être certain de bénéficier de la promotion en cours. Ou encore, plus contestable, être tenté d’utiliser le produit ou le vêtement acheté un bref moment avec moult précautions, en prenant soin de ne pas enlever les étiquettes… afin de pouvoir se le faire rembourser ni vu ni connu. 

Après la quête de dupes (ressemblant), l’achat de leurres chinois (imitant) et même de contrefaçons « homemade », le consommateur Gen Z s’envisage comme un petit être malin, capable d’évaluer toutes les opportunités offertes par le marché comme de hacker un système qu’il considère comme ayant beaucoup (trop) profité de lui. 

Aux États-Unis, les retours en magasins augmentent ainsi d’année en année et connaissent leur apogée en février. En France, le phénomène n’est encore qu’émergent…

Les bûches de la vanité

Chaque année, Noël offre à tous les pâtissiers de France l’opportunité de faire la démonstration de leur savoir-faire à travers la réalisation de leur bûche. Le seul moment de l’année puisque ce ne sont ni la galette des rois, ni les œufs de Pâques qui peuvent venir sur ce terrain. Car la bûche touche autant à l’esthétique qu’à sa composition pâtissière tant elle doit aujourd’hui être étonnante pour s’assurer une belle vie sur les réseaux. L’œuvre d’art n’est pas loin et c’est le sentiment d’y accéder qui déclenche autant la fierté que l’achat. 

Premier constat : les bûches ont désormais de moins en moins envie de continuer à ressembler à une bûche. Elles sont devenues un exercice conceptuel où leur forme initiale est réduite à une citation voire totalement absente. Cette année, on a ainsi pu découvrir de nombreuses bûches architecturales aux airs de maquette du château de Versailles ou de façades haussmanniennes. En forme de bougeoirs, aussi, imaginés par l’incontournable papesse du bon goût parfait Sarah Lavoine pour le compte du salon de thé Angélina… Une bûche Mont Blanc aurait été trop facile… 

Après les pâtisseries signées Vuitton, une preuve supplémentaire que la fashion-pâtisserie n’est pas loin. Nous voilà désormais prêts à nous confronter à une bûche Guerlain, Gucci ou Louboutin. L’exercice de translation d’un univers à un autre (comme dans les rêves) constitue même un signe de distinction : moins une bûche ressemble à une bûche, plus elle affirme son appartenance élitaire. Les prix sont là pour témoigner. Et, plus elle a une apparence sophistiquée, plus les attentes de goûts étonnants sont fortes. 

Second constat : la bûche est associée à des story-tellings toujours plus élaborés qu’elle ne pouvait produire lorsqu’elle n’était qu’un tronc d’arbre agrémenté de facétieux lutins et d’arrondis bonhommes de neigeC’est tout l’imaginaire du sur-mesure, de la valeur perçue et de l’artisanat d’art qui est ici convoqué, mixé à celui des nouvelles technologies et, en particulier, de l’impression 3D… L’imagination et l’exécution priment, la performance devient une expression du savoir-faire et la stylisation domine l’esthétique.  Toutes ces néo-bûches, produites en éditions ultra limitées font même désormais l’objet d’un prix spécial lors des Trophées Fou de pâtisserie, l’équivalent des Césars pour la profession. Il fallait bien que cela arrive. La reconnaissance de la profession comme condition de la reconnaissance des consommateurs. 

Transformation de soi

Quelle marque, quelle enseigne ne rêve pas de voir ses clients devenir autres ? Plus sportifs, plus responsables, plus engagés ou plus experts. N’est-ce pas la preuve irréfutable que leur « mission » de conversion a réussi ? Le monde des marques n’est jamais très loin de celui des sectes dans leur intention de modifier nos attitudes et nos comportements. 

La région Bretagne n’y échappe pas et va encore plus loin en nous demandant de changer d’identité. « Partez touriste. Revenez Breton ». Qui pourrait hésiter devant une si belle promesse ? Cesser d’être celui qui passe pour devenir celui qui épouse. Découvrir une région et la quitter en ayant adopté ses valeurs. La Bretagne ne nous propose pas une destination, mais une transformation de nous-mêmes. 

Pendant la crise sanitaire, tout le monde s’imaginait ailleurs. A la campagne, dans une petite ville, au bord de la mer. L’idée était alors de transposer sa vie dans un autre environnement. Pas suffisant, nous dit la Bretagne qui nous recommande, elle, une vraie rencontre, capable de nous transformer comme seules les vraies rencontres le permettent. L’enjeu n’est plus de nous suggérer de partir nous installer en Bretagne pour fuir les métropoles, adopter un autre rythme et, peut-être, donner un autre sens à notre vie, mais d’épouser le mode de vie et les valeurs des Bretons. 

Un voyage en nous-mêmes que la communication décline méthodiquement en un « Partir urbain, revenir marin », « Partir rincé, revenir ressourcé » et même en un amusant « Partir sceptique, revenir celtique » qui garantissent tous une perspective de retour pas exactement à l’identique. Il ne s’agit, ici, ni de déménager, ni d’oublier sa vie actuelle mais de s’enrichir émotionnellement grâce à l’expérience proposée par la Bretagne. L’envie de changer mute ainsi, au fil du temps, en une envie de devenir un autre, qu’il s’agisse pour y parvenir de se lancer dans une formation, de monter sa boite… ou de partir en Bretagne. 

Certains y verront le signe d’une éternelle insatisfaction qu’une exposition permanente à la vie des autres ne fait qu’amplifier. Se comparer, c’est se réévaluer. D’autres, la confirmation d’un désir d’affirmation de soi qu’incarnerait un désir de changement. La volonté de changer comme signe de caractère. Au même titre que rouler en SUV, faire un marathon ou se mettre au MMA. 

A moins qu’il ne s’agisse d’une énième crainte, aussi inexplicable que contemporaine, de passer à côté de soi-même. Une ultime déclinaison du FOMO.

La fête nationale de la consommation

Novembre n’est pas resté longtemps un mois sous-employé, salle d’attente coincée entre les impôts d’octobre (dont il faut se remettre) et les fêtes de Noël (dont il faut se réjouir). Il est désormais le mois des calendriers de l’Avent et du Black Friday. Deux manières de se faire plaisir. En régressant et en se lâchant. 

On peut se demander pourquoi le Black Friday suscite autant d’agressivité alors qu’il suffirait de le voir comme une nouvelle période de soldes pour calmer les esprits. L’envie de consommer a toujours eu besoin d’un déclencheur. Aujourd’hui, plus que jamais. Y a-t-il d’ailleurs encore un consommateur qui achète aujourd’hui quelque chose au prix affiché ? 

Le Black Friday ne serait-il pas, finalement, le remplaçant 2.0 de cette bonne vieille Saison du blanc qui, en dérivant du linge de maison vers les pentes neigeuses, a fini par fondre ? Elle s’était installée après les fêtes, le Black Friday a choisi, lui, l’avant-fêtes, manière d’exprimer sa vocation : être l’antichambre de Noël. Noël en mode ventes privées. Pourquoi pas. Car, que font majoritairement les consommateurs durant cette période de Black Friday si ce n’est acheter ce qu’ils destinent à figurer au pied du sapin ? Ce qui est acheté aujourd’hui ne le sera pas demain. Un jeu davantage à somme nulle qu’il n’y parait dans un contexte de course aux bons plans. 

Le Black Friday, c’est aussi le moment où la consommation devient LE sujet du moment. Une sorte de fête nationale de la consommation, qui, par ses excès de promesses de bonnes affaires, conduit paradoxalement chacun à s’interroger sur ses besoins et certaines enseignes à afficher leur volonté de ne pas participer à la débauche… tout en s’assurant une présence… Car le Black Friday est capable d’accueillir tous les discours pour peu que la communion se fasse sur l’autel de la consommation

Certains lui donnent une couleur verte et le rebaptisent Green Friday, d’autres parlent de Repair Friday et en profitent pour valoriser leur service de remise en état et de conseil d’entretien. Ici, c’est un Black Friday dédié au Made in France renommé Les jours tricolores, là, un Black Friday valorisant les achats éthiques et écologiques pour mieux faire prendre conscience des effets de nos achats sur la planète et les travailleurs. 

C’est peu dire que le moment stimule la créativité et les réflexions sur la consommation. N’est-ce pas finalement le caractère œcuménique du Black Friday qui serait à l’origine de son succès ?

En Avent toute

Entre les « tables de fêtes » et les pages « d’idées cadeaux », le calendrier de l’Avent a trouvé sa place dans la catégorie des marronniers de fin d’année. Certains auraient pu penser qu’un tel « concept », aussi coûteux que symbole d’une hyperconsommation assez peu responsable, se serait brisé sur les murs de la tension budgétaire et de la conscience verte, mais il n’en est rien. Au contraire. 

Le calendrier de l’Avent, que l’on croisait historiquement en tête de gondole, s’est installé avec aisance dans le monde du luxe de la beauté où il représenterait un quart des ventes de sa catégorie, derrière les chocolats. De quoi ce succès est-il donc le nom ? 

Tout l’abord, de l’envie des marques qui les proposent de construire des liens durables avec leurs consommateurs. Et, question lien durable, le calendrier de l’Avent se pose en champion puisque chaque jour, pendant plusieurs semaines, par un effet de « surprise attendue », son acheteur est amené à penser à la marque qui en est à l’origine. Le calendrier de l’Avent devient ainsi le lieu d’une routine nouvelle avec ses gestes à répéter chaque jour jusqu’à la révélation finale. Comment s’étonner qu’il soit si présent dans le monde de la beauté ? 

Le succès du calendrier de l’Avent vient aussi révéler un désir de rare, recherché pour sa capacité à virer rapidement au collector et, ainsi, devenir une source de profit sonnant et trébuchant. L’accès à la consommation de masse ne suffit plus. C’est désormais la rareté qui stimule l’envie car celle-ci prolonge la vie des produits quand une présence excessive les fait tomber dans l’indifférence. Qu’est-ce qui se cache réellement derrière chacune des cases du calendrier ? Des produits phares ou des seconds couteaux ? Des miniatures, des échantillons ou des doses d’essai ? Le monde des petits formats n’échappe pas à la segmentation de l’offre. Voilà le calendrier de l’Avent évalué par des beauty experts à l’aune de sa valeur marchande. La victoire des marchands du temple. 

Le succès des calendriers de l’Avent tient enfin à leur capacité à ressusciter de manière frénétique des émotions de l’enfance enfouies. Sur les réseaux, tout est montré, tout est ouvert, sans aucun respect de la chronologie, dans un exercice excessif oscillant entre « unboxing » sage et « haul » hystérique, tous deux générateurs d’émotions de courte durée.

Apprendre la patience n’était-elle pas pourtant la principale vertu du calendrier de l’Avent ? 

Ambiance Bistrot

Après six ans de bataille, les pratiques sociales et culturelles associées aux bistrots et cafés de France sont désormais incluses à l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel. Prochaine étape, l’Unesco. Cette volonté de préserver ce patrimoine a de quoi réjouir, tant le modèle du bistrot à la française, avec son patron haut en couleur, ses serveurs et ses habitués qui assurent l’ambiance, semble menacé. 

Un bistrot, c’est d’abord un comptoir où chacun peut s’accouder, c’est un catalyseur de socialité, un espace ouvert où tous les gens de toutes classes sociales se rencontrent, une façon d’être ensemble de manière informelle qui constitue un des attraits de notre pays affirme le président de l’association à l’origine de ce classement, lui-même patron d’un établissement. Le bistrot peut-il encore être un lieu de mixité sociale avec des plats du jour à 18 euros ? Quid de la mixité sociale face à une offre de restauration rapide marketée pour séduire les plus jeunes et à des propositions calibrées pour une clientèle internationale qui carbure aux brunchs à toute heure ? Sans oublier la déferlante des coffee-shops (sûrement moins brassés que ne le voudrait l’Unesco), le dynamisme des boulangeries et la multiplication des dark kitchens qui soustraient aux bistrots une (bonne) part de leur clientèle. 

Pour demeurer dans le paysage sans devenir des décors à destination des Emily de passage in Paris, les bistrots doivent valoriser leur ambiance autant que la qualité de leur offre. La chaise de bistrot cannée posée sur les trottoirs et les façades recouvertes de fleurs en plastique comme produits d’appel à instagrammer ne suffiront pas. 

Nombre de bistrots, dans les villages comme en centre-ville, le font déjà en s’improvisant lieux d’expositions, de fêtes ou d’animations telle la Course des Garçons de Café, récemment relancée. Certains sont aussi PMU comme nous le rappelle le Fooding avec la parution de son premier guide « PMU, les 100 bars qui font la France ». Après celui des Relais Routiers, il est la preuve que l’authenticité vue par les gentri-foodeurs serait toujours à chercher du côté du populaire. On peut s’interroger. Surtout quand celui-ci est menacé par la seule présence d’acheteurs de guides, animés par l’idée de rendre hype le réputé ringard… 

Bistrot ou bar PMU, chacun court après son fantasme d’être perçu comme un lieu de partage et d’authenticité. Mais l’énoncer, n’est-ce pas aussitôt l’empêcher de le devenir ? 

Viva Italia !

Si le nombre de restaurants asiatiques a augmenté de 20% au cours des cinq dernières années, ils sont encore loin de détrôner la cuisine italienne qui, au fil du temps, ne cesse de se régénérer pour maintenir son attrait au plus haut

Même si elles restent les plus vendues, les pizzas Margherita, Regina et Calzone d’aujourd’hui n’ont plus grand chose à voir avec celles d’hier. Et pas seulement en raison de leur prix, désormais jamais inférieur à quinze euros… Les voici déclinées en version sans gluten, blanche ou rouge, avec une pâte plus fine et plus croustillante, plus facile à digérer (gros enjeu) ou vendues al taglio, à la part, voire de forme ovale avec une pâte faite de trois farines, blé, riz et soja fermentés, riche en protéines et pauvre en gluten : la pinsa romana dont l’existence remonterait à l’Antiquité et qui fait le buzz en ce moment. La restauration italienne, c’est aussi l’art de produire du nouveau à partir du connu. Une stratégie payante. 

Depuis l’arrivée tonitruante sur le marché de Big Mamma, il y a dix ans, qui compte désormais 24 établissements en France, la cuisine italienne n’est plus seulement affaire de recettes, mais aussi d’origines, d’équipements et d’ambiance. Les huiles d’olive sont regardées comme des cuvées, la quête d’une burrata ou d’une mozzarella exceptionnelle vire à l’obsession chez certains, légumes et charcuteries ne sont plus acceptés que sourcés et les desserts traditionnels ne cessent de se décliner pour tenir la lassitude à distance. Les menus sont régulièrement renouvelés pour mieux étonner car, si la restauration italienne a toujours le vent en poupe, c’est aussi parce que les Français y voyagent davantage et découvrent de nouvelles régions. En ce moment, les Pouilles ont leur faveur. 

Côté équipement, c’est le four à dôme napolitain en mosaïque qui tient la vedette. Devenu l’acteur principal de l’expérience attendue, il trône souvent au cœur de la salle pour assurer le spectacle. Il est le signe de l’authenticité et de la maîtrise. Question ambiance, la cuisine italienne n’est pas en reste avec ses spritz désormais déclinés en plusieurs couleurs et ses apéritivos, de plus en plus présents sur les cartes, qui assurent une offre disponible toute la journée. 

Variété des recettes, expérience toujours renouvelée, bonne humeur et accent chantant, déco soignée : aucune autre cuisine ne peut afficher autant de promesses que la cuisine italienne.

Vélo cargo

Ils se sont multipliés dans toutes les villes à la manière des coffee shops et font désormais partie du paysage urbain du monde d’après. Surtout vers 8h30 et vers 16h30. Ce sont les vélo cargos avec leur cadre jaune, bleu ou orange et, à l’arrière, un deux, parfois trois enfants, tous équipés de casques colorés. Et voilà toute la famille qui défile dans la ville comme une parade. 

On ne sait, en les voyant, qui est le plus fier : le papa (souvent) en mode daddy cool qui tient le guidon ou les enfants, trop heureux d’éprouver un mode de transport rigolo qui n’est pas encore celui de tout le monde et qui leur offre un rapport inédit à la ville. Avec le vélo cargo, tout est affaire d’étonnement. Mais comment faisait-on avant ? ne manqueront pas de se demander ceux qui sont nés dans la seconde moitié du XXème siècle. Avant, on prenait sa voiture et on se prenait les embouteillages. Pas top fun. Avec les vélos cargos, partir et revenir de l’école devient une expérience partagée. 

S’ils existaient depuis toujours dans le Nord de l’Europe, leur prolifération en France date de la fin de la crise sanitaire, justifiée par l’idée de prendre de nouvelles habitudes plus responsables et accélérée par un effet « boule de neige » comme savent en fabriquer les sorties d’école. 

Devenu en quelques mois le transport officiel des familles bobos, avec ce que cela suppose de pouvoir d’achat et de désir d’afficher son exemplarité, le vélo-cargo est révélateur de trois grandes attentes. Un désir de réenchantement du quotidien tout d’abord, observable depuis des années mais qui trouve toujours de quoi se régénérer pour ne jamais perdre en attractivité. Le vélo cargo comme nouveau rite urbain. Un nouveau signe de distinction ensuite. Une envie d’afficher sa famille, manière de se poser en modèle pour les autres. Le phénomène était déjà observable dans les magazines de déco, le voilà sur le vélo. 

Le succès du vélo-cargo vient enfin confirmer, s’il en était encore besoin, la force du rapport esthétique que nous entretenons désormais avec le monde. Car l’acquisition d’un vélo cargo ne peut se faire sans celle de tous les accessoires qui lui sont associés, pensés pour conférer à l’équipage l’apparence la plus stylée possible : capes de pluie, bottes, gants, casques, sac à dos… Un véhicule stylistique prêt à rejoindre le flot d’images qui irrigue les réseaux sociaux. Exister, c’est d’abord se montrer.

La baguette magique

Présent lors de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de rugby (en mode tradi) comme lors de celle des JO (en mode woke), le croissant est incontournable, au même titre qu’Edith Piaf et l’accordéon quand il s’agit de représenter la France. Et tant pis pour les clichés. Car le croissant n’a jamais cessé de se réinventer, preuve que la pérennité d’une tradition tient à sa capacité à apparaître sous de nouvelles formes. 

Après les cronuts nés en 2013 (hybrides de croissant et de donut, pour ceux qui étaient passés à côté), les croissants rolls fourrés à la crème, les crookies (croissant + cookie) et les crogers (devinez), voici les croissants de couleur, noir charbon, rouge vif ou vert pistache ou encore les croissants XXL (après les minis) imaginés par Philippe Conticini en 2023 avant que l’idée ne soit reprise un peu partout tant elle est instagrammable. Le croissant fait également son apparition dans les assiettes en version salée à l’initiative d’Amandine Chaignot au Café de Luce, où elle le propose garni d’escargots (la future soupe à l’oignon des touristes ?), de saumon-poireaux ou, plus attendu, de jambon-comté. Une initiative appréciée du Fooding qui n’aime rien tant que de cuisiner la tradition sur le feu vif de la modernité

Autant qu’un symbole national, le croissant l’est aussi du renouveau de la boulangerie qui, depuis la crise sanitaire, ne s’est jamais aussi bien portée, récupérant, d’un côté, une partie des déjeuners devenus trop chers et, de l’autre, tous les télétravailleurs en quête de solutions économiques, faute de cantine. L’inflation a rebattu les cartes et les habitudes. Voici aujourd’hui les boulangeries convoitées par tous les investisseurs avides de concepts (French Bastards, Urban Bakery et consorts). Qui l’aurait cru ? 

Cet été, Eric Kayser inaugurait Baguett, près de place des Victoires, avec l’ambition de réinventer la baguette en la déclinant en version sucrée (avec du thé matcha, des pralines roses ou du Carambar) et en proposant des sandwichs d’un mètre de long vendus à la coupe. Il fallait y penser. Parions que l’idée ne tardera pas à essaimer. Avec ses propositions créatives préparées avec des ingrédients frais, capables de déclencher instantanément l’envie, la boulangerie ne manque pas d’avenir face au fast-food et aux autres concepts de restauration rapide

Dire qu’à la fin du siècle dernier, elle semblait condamnée, terrassée par les hypermarchés qui offraient du pain chaud à toute heure sans avoir à lâcher son Caddie.

Nostalging

Signe d’une envie de fuir le présent sans pour autant souhaiter se lancer dans un futur peu séduisant, la nostalgie s’avère être le plus puissant antidépresseur du moment. La ferveur générée par le lancement de la R5 électrique, devenue la vedette incontestable de l’actuel Mondial de l’Auto, en est la preuve éclatante. 

Retrouver les émotions du passé à travers une forme : une manière comme une autre de rajeunir. Pour tenir cette promesse absolue, la Renault 5 électrique ne s’est pas montrée avare de petites attentions génératrices d’émotions, à la manière de la New Beetle en son temps (avec son soliflore sur le tableau de bord, aujourd’hui disparu) puis des Mini et autres Fiat 500. Couleurs vitaminées en référence aux années pop, jingle d’accueil dans l’habitacle (une première) imaginé par Jean-Michel Jarre, porte-baguette en osier clipsable sur le tableau de bord pour bien souligner ses origines frenchies. Le tout, emballé par l’envoûtante musique des Daft Punk. Comment encore hésiter à se convertir à l’électrique ? 

Fort de l’engouement suscité par sa R5, Renault vient d’ailleurs d’annoncer le grand retour de sa R4 sous une forme agrandie pour devenir une « familiale poyvalente ». Le filon marketing n’est pas loin. Le designer branché Ora-ïto n’a-t-il pas présenté sa réinterprétation de la R17, pourtant loin d’être un modèle iconique et que l’on regarde désormais avec les yeux du désir ? 

Si Citroën a gâché le pouvoir fantasmatique de sa DS avec des modèles qui portent son nom sans faire référence à la forme de son mythe roulant, personne ne sera étonné de voir débarquer sous peu un coupé 504 (déjà vu en concept-car) ou même, pourquoi pas, une rassurante berline 404 revisitée. Parions d’ailleurs sur le retour des berlines en réponse à des SUV qui s’uniformisent au fur et à mesure qu’ils se mondialisent. 

En attendant, on peut de nouveau entendre l’entêtante ritournelle Fraîcheur de vivre dans les spots Hollywood chewing-gum et continuer à faire des petits volcans pour mettre du jus dedans avec sa purée Mousline avant d’aller faire une sieste dans son Relax Lafuma (habillé d’un tissu Retro 2024) avec, au choix, le magazine Schnock consacré à Pompidou ou Vieux dont le second numéro vient de sortir avec Iggy Pop en tête de gondole. 

Bienvenue dans le monde d’hier, jamais loin de celui du pays joyeux des enfants heureux et des monstres gentils.