En Avent toute

Entre les « tables de fêtes » et les pages « d’idées cadeaux », le calendrier de l’Avent a trouvé sa place dans la catégorie des marronniers de fin d’année. Certains auraient pu penser qu’un tel « concept », aussi coûteux que symbole d’une hyperconsommation assez peu responsable, se serait brisé sur les murs de la tension budgétaire et de la conscience verte, mais il n’en est rien. Au contraire. 

Le calendrier de l’Avent, que l’on croisait historiquement en tête de gondole, s’est installé avec aisance dans le monde du luxe de la beauté où il représenterait un quart des ventes de sa catégorie, derrière les chocolats. De quoi ce succès est-il donc le nom ? 

Tout l’abord, de l’envie des marques qui les proposent de construire des liens durables avec leurs consommateurs. Et, question lien durable, le calendrier de l’Avent se pose en champion puisque chaque jour, pendant plusieurs semaines, par un effet de « surprise attendue », son acheteur est amené à penser à la marque qui en est à l’origine. Le calendrier de l’Avent devient ainsi le lieu d’une routine nouvelle avec ses gestes à répéter chaque jour jusqu’à la révélation finale. Comment s’étonner qu’il soit si présent dans le monde de la beauté ? 

Le succès du calendrier de l’Avent vient aussi révéler un désir de rare, recherché pour sa capacité à virer rapidement au collector et, ainsi, devenir une source de profit sonnant et trébuchant. L’accès à la consommation de masse ne suffit plus. C’est désormais la rareté qui stimule l’envie car celle-ci prolonge la vie des produits quand une présence excessive les fait tomber dans l’indifférence. Qu’est-ce qui se cache réellement derrière chacune des cases du calendrier ? Des produits phares ou des seconds couteaux ? Des miniatures, des échantillons ou des doses d’essai ? Le monde des petits formats n’échappe pas à la segmentation de l’offre. Voilà le calendrier de l’Avent évalué par des beauty experts à l’aune de sa valeur marchande. La victoire des marchands du temple. 

Le succès des calendriers de l’Avent tient enfin à leur capacité à ressusciter de manière frénétique des émotions de l’enfance enfouies. Sur les réseaux, tout est montré, tout est ouvert, sans aucun respect de la chronologie, dans un exercice excessif oscillant entre « unboxing » sage et « haul » hystérique, tous deux générateurs d’émotions de courte durée.

Apprendre la patience n’était-elle pas pourtant la principale vertu du calendrier de l’Avent ? 

Ambiance Bistrot

Après six ans de bataille, les pratiques sociales et culturelles associées aux bistrots et cafés de France sont désormais incluses à l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel. Prochaine étape, l’Unesco. Cette volonté de préserver ce patrimoine a de quoi réjouir, tant le modèle du bistrot à la française, avec son patron haut en couleur, ses serveurs et ses habitués qui assurent l’ambiance, semble menacé. 

Un bistrot, c’est d’abord un comptoir où chacun peut s’accouder, c’est un catalyseur de socialité, un espace ouvert où tous les gens de toutes classes sociales se rencontrent, une façon d’être ensemble de manière informelle qui constitue un des attraits de notre pays affirme le président de l’association à l’origine de ce classement, lui-même patron d’un établissement. Le bistrot peut-il encore être un lieu de mixité sociale avec des plats du jour à 18 euros ? Quid de la mixité sociale face à une offre de restauration rapide marketée pour séduire les plus jeunes et à des propositions calibrées pour une clientèle internationale qui carbure aux brunchs à toute heure ? Sans oublier la déferlante des coffee-shops (sûrement moins brassés que ne le voudrait l’Unesco), le dynamisme des boulangeries et la multiplication des dark kitchens qui soustraient aux bistrots une (bonne) part de leur clientèle. 

Pour demeurer dans le paysage sans devenir des décors à destination des Emily de passage in Paris, les bistrots doivent valoriser leur ambiance autant que la qualité de leur offre. La chaise de bistrot cannée posée sur les trottoirs et les façades recouvertes de fleurs en plastique comme produits d’appel à instagrammer ne suffiront pas. 

Nombre de bistrots, dans les villages comme en centre-ville, le font déjà en s’improvisant lieux d’expositions, de fêtes ou d’animations telle la Course des Garçons de Café, récemment relancée. Certains sont aussi PMU comme nous le rappelle le Fooding avec la parution de son premier guide « PMU, les 100 bars qui font la France ». Après celui des Relais Routiers, il est la preuve que l’authenticité vue par les gentri-foodeurs serait toujours à chercher du côté du populaire. On peut s’interroger. Surtout quand celui-ci est menacé par la seule présence d’acheteurs de guides, animés par l’idée de rendre hype le réputé ringard… 

Bistrot ou bar PMU, chacun court après son fantasme d’être perçu comme un lieu de partage et d’authenticité. Mais l’énoncer, n’est-ce pas aussitôt l’empêcher de le devenir ? 

Viva Italia !

Si le nombre de restaurants asiatiques a augmenté de 20% au cours des cinq dernières années, ils sont encore loin de détrôner la cuisine italienne qui, au fil du temps, ne cesse de se régénérer pour maintenir son attrait au plus haut

Même si elles restent les plus vendues, les pizzas Margherita, Regina et Calzone d’aujourd’hui n’ont plus grand chose à voir avec celles d’hier. Et pas seulement en raison de leur prix, désormais jamais inférieur à quinze euros… Les voici déclinées en version sans gluten, blanche ou rouge, avec une pâte plus fine et plus croustillante, plus facile à digérer (gros enjeu) ou vendues al taglio, à la part, voire de forme ovale avec une pâte faite de trois farines, blé, riz et soja fermentés, riche en protéines et pauvre en gluten : la pinsa romana dont l’existence remonterait à l’Antiquité et qui fait le buzz en ce moment. La restauration italienne, c’est aussi l’art de produire du nouveau à partir du connu. Une stratégie payante. 

Depuis l’arrivée tonitruante sur le marché de Big Mamma, il y a dix ans, qui compte désormais 24 établissements en France, la cuisine italienne n’est plus seulement affaire de recettes, mais aussi d’origines, d’équipements et d’ambiance. Les huiles d’olive sont regardées comme des cuvées, la quête d’une burrata ou d’une mozzarella exceptionnelle vire à l’obsession chez certains, légumes et charcuteries ne sont plus acceptés que sourcés et les desserts traditionnels ne cessent de se décliner pour tenir la lassitude à distance. Les menus sont régulièrement renouvelés pour mieux étonner car, si la restauration italienne a toujours le vent en poupe, c’est aussi parce que les Français y voyagent davantage et découvrent de nouvelles régions. En ce moment, les Pouilles ont leur faveur. 

Côté équipement, c’est le four à dôme napolitain en mosaïque qui tient la vedette. Devenu l’acteur principal de l’expérience attendue, il trône souvent au cœur de la salle pour assurer le spectacle. Il est le signe de l’authenticité et de la maîtrise. Question ambiance, la cuisine italienne n’est pas en reste avec ses spritz désormais déclinés en plusieurs couleurs et ses apéritivos, de plus en plus présents sur les cartes, qui assurent une offre disponible toute la journée. 

Variété des recettes, expérience toujours renouvelée, bonne humeur et accent chantant, déco soignée : aucune autre cuisine ne peut afficher autant de promesses que la cuisine italienne.

Vélo cargo

Ils se sont multipliés dans toutes les villes à la manière des coffee shops et font désormais partie du paysage urbain du monde d’après. Surtout vers 8h30 et vers 16h30. Ce sont les vélo cargos avec leur cadre jaune, bleu ou orange et, à l’arrière, un deux, parfois trois enfants, tous équipés de casques colorés. Et voilà toute la famille qui défile dans la ville comme une parade. 

On ne sait, en les voyant, qui est le plus fier : le papa (souvent) en mode daddy cool qui tient le guidon ou les enfants, trop heureux d’éprouver un mode de transport rigolo qui n’est pas encore celui de tout le monde et qui leur offre un rapport inédit à la ville. Avec le vélo cargo, tout est affaire d’étonnement. Mais comment faisait-on avant ? ne manqueront pas de se demander ceux qui sont nés dans la seconde moitié du XXème siècle. Avant, on prenait sa voiture et on se prenait les embouteillages. Pas top fun. Avec les vélos cargos, partir et revenir de l’école devient une expérience partagée. 

S’ils existaient depuis toujours dans le Nord de l’Europe, leur prolifération en France date de la fin de la crise sanitaire, justifiée par l’idée de prendre de nouvelles habitudes plus responsables et accélérée par un effet « boule de neige » comme savent en fabriquer les sorties d’école. 

Devenu en quelques mois le transport officiel des familles bobos, avec ce que cela suppose de pouvoir d’achat et de désir d’afficher son exemplarité, le vélo-cargo est révélateur de trois grandes attentes. Un désir de réenchantement du quotidien tout d’abord, observable depuis des années mais qui trouve toujours de quoi se régénérer pour ne jamais perdre en attractivité. Le vélo cargo comme nouveau rite urbain. Un nouveau signe de distinction ensuite. Une envie d’afficher sa famille, manière de se poser en modèle pour les autres. Le phénomène était déjà observable dans les magazines de déco, le voilà sur le vélo. 

Le succès du vélo-cargo vient enfin confirmer, s’il en était encore besoin, la force du rapport esthétique que nous entretenons désormais avec le monde. Car l’acquisition d’un vélo cargo ne peut se faire sans celle de tous les accessoires qui lui sont associés, pensés pour conférer à l’équipage l’apparence la plus stylée possible : capes de pluie, bottes, gants, casques, sac à dos… Un véhicule stylistique prêt à rejoindre le flot d’images qui irrigue les réseaux sociaux. Exister, c’est d’abord se montrer.

La baguette magique

Présent lors de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de rugby (en mode tradi) comme lors de celle des JO (en mode woke), le croissant est incontournable, au même titre qu’Edith Piaf et l’accordéon quand il s’agit de représenter la France. Et tant pis pour les clichés. Car le croissant n’a jamais cessé de se réinventer, preuve que la pérennité d’une tradition tient à sa capacité à apparaître sous de nouvelles formes. 

Après les cronuts nés en 2013 (hybrides de croissant et de donut, pour ceux qui étaient passés à côté), les croissants rolls fourrés à la crème, les crookies (croissant + cookie) et les crogers (devinez), voici les croissants de couleur, noir charbon, rouge vif ou vert pistache ou encore les croissants XXL (après les minis) imaginés par Philippe Conticini en 2023 avant que l’idée ne soit reprise un peu partout tant elle est instagrammable. Le croissant fait également son apparition dans les assiettes en version salée à l’initiative d’Amandine Chaignot au Café de Luce, où elle le propose garni d’escargots (la future soupe à l’oignon des touristes ?), de saumon-poireaux ou, plus attendu, de jambon-comté. Une initiative appréciée du Fooding qui n’aime rien tant que de cuisiner la tradition sur le feu vif de la modernité

Autant qu’un symbole national, le croissant l’est aussi du renouveau de la boulangerie qui, depuis la crise sanitaire, ne s’est jamais aussi bien portée, récupérant, d’un côté, une partie des déjeuners devenus trop chers et, de l’autre, tous les télétravailleurs en quête de solutions économiques, faute de cantine. L’inflation a rebattu les cartes et les habitudes. Voici aujourd’hui les boulangeries convoitées par tous les investisseurs avides de concepts (French Bastards, Urban Bakery et consorts). Qui l’aurait cru ? 

Cet été, Eric Kayser inaugurait Baguett, près de place des Victoires, avec l’ambition de réinventer la baguette en la déclinant en version sucrée (avec du thé matcha, des pralines roses ou du Carambar) et en proposant des sandwichs d’un mètre de long vendus à la coupe. Il fallait y penser. Parions que l’idée ne tardera pas à essaimer. Avec ses propositions créatives préparées avec des ingrédients frais, capables de déclencher instantanément l’envie, la boulangerie ne manque pas d’avenir face au fast-food et aux autres concepts de restauration rapide

Dire qu’à la fin du siècle dernier, elle semblait condamnée, terrassée par les hypermarchés qui offraient du pain chaud à toute heure sans avoir à lâcher son Caddie.

Nostalging

Signe d’une envie de fuir le présent sans pour autant souhaiter se lancer dans un futur peu séduisant, la nostalgie s’avère être le plus puissant antidépresseur du moment. La ferveur générée par le lancement de la R5 électrique, devenue la vedette incontestable de l’actuel Mondial de l’Auto, en est la preuve éclatante. 

Retrouver les émotions du passé à travers une forme : une manière comme une autre de rajeunir. Pour tenir cette promesse absolue, la Renault 5 électrique ne s’est pas montrée avare de petites attentions génératrices d’émotions, à la manière de la New Beetle en son temps (avec son soliflore sur le tableau de bord, aujourd’hui disparu) puis des Mini et autres Fiat 500. Couleurs vitaminées en référence aux années pop, jingle d’accueil dans l’habitacle (une première) imaginé par Jean-Michel Jarre, porte-baguette en osier clipsable sur le tableau de bord pour bien souligner ses origines frenchies. Le tout, emballé par l’envoûtante musique des Daft Punk. Comment encore hésiter à se convertir à l’électrique ? 

Fort de l’engouement suscité par sa R5, Renault vient d’ailleurs d’annoncer le grand retour de sa R4 sous une forme agrandie pour devenir une « familiale poyvalente ». Le filon marketing n’est pas loin. Le designer branché Ora-ïto n’a-t-il pas présenté sa réinterprétation de la R17, pourtant loin d’être un modèle iconique et que l’on regarde désormais avec les yeux du désir ? 

Si Citroën a gâché le pouvoir fantasmatique de sa DS avec des modèles qui portent son nom sans faire référence à la forme de son mythe roulant, personne ne sera étonné de voir débarquer sous peu un coupé 504 (déjà vu en concept-car) ou même, pourquoi pas, une rassurante berline 404 revisitée. Parions d’ailleurs sur le retour des berlines en réponse à des SUV qui s’uniformisent au fur et à mesure qu’ils se mondialisent. 

En attendant, on peut de nouveau entendre l’entêtante ritournelle Fraîcheur de vivre dans les spots Hollywood chewing-gum et continuer à faire des petits volcans pour mettre du jus dedans avec sa purée Mousline avant d’aller faire une sieste dans son Relax Lafuma (habillé d’un tissu Retro 2024) avec, au choix, le magazine Schnock consacré à Pompidou ou Vieux dont le second numéro vient de sortir avec Iggy Pop en tête de gondole. 

Bienvenue dans le monde d’hier, jamais loin de celui du pays joyeux des enfants heureux et des monstres gentils.

Bistrot vs. Coffee shop

Ils poussent comme des champignons après la pluie et participent à la mondialisation des goûts tant gustativement qu’esthétiquement. Ce sont les coffee shops. Petites surfaces, architecture au design affirmé, offre courte et immédiatement lisible (les cinq totems du moment, toujours les mêmes : expresso, filtre, capuccino, flat white, matcha), peu de personnel, (très) peu de chaises et de tables, beaucoup de vide. On est loin du Bar des amis et de son comptoir en zinc, mais la clientèle visée n’est pas la même. 

Ici, on ne cherche pas à produire un sentiment d’appartenance territorial, quartier ou village, mais un sentiment d’appartenance communautaire. Le premier relève du lieu, le second, du signe. Quand le bistrot de quartier produit du réconfort et de l’habitude (avec ses « piliers » faisant partie du décor), le coffee shop produit, lui, de la reconnaissance incarnée par une manière de s’habiller (dominée par le noir), un centre d’intérêt (essentiellement visuel : photo, design, architecture) et une origine non locale facile à repérer : trois caractéristiques de la population visée.

Le bistrot de quartier surjoue les codes de toujours alors que le coffee shop produit les codes de demain appréciés par une cible mondialisée, en transit plutôt qu’établie, en quête de lieux pour se poser sans jamais se sentir dépaysée. Des lieux qui deviendront pour eux, au fil des transhumances d’images sur réseaux, des repères autant que des repaires. 

Les coffee shops visent essentiellement deux groupes. Les jeunes sensibles aux esthétiques formatées qui leur donnent la sensation de posséder les goûts de l’époque et dont les boussoles portent les noms de TikTok et d’Instagram. Et les femmes qui n’aiment pas trop aller seules dans les cafés traditionnels toujours un peu suspectés de virilisme rampant, sensibles, elles aussi, aux esthétiques « inspirantes » et « dépaysantes ». 

Les coffee shops doivent aussi leur succès à leur nom. Court, international et, surtout, décalé : White, Grave, Nuances, Les crèmes, Cuvée noire… Des noms, imaginés comme des labels à la typo soignée, prêts à se retrouver sur tous les supports possibles, du mug à la casquette en passant par les paquets de café. Ici, le détail est loin d’en être un. 

Un design et un vocabulaire capables de produire de nouveaux imaginaires et de nouvelles expériences qui, elles-mêmes, seront sources de nouveaux discours et de souvenirs : le ruissellement en version branchée.

Les bouillons

Quelle ville ne possède pas aujourd’hui son bouillon ? Et tant pis s’il ne porte aucune vérité historique. Parfois, un bouillon pousse sur un parking périphérique, parfois, sa surface ne dépasse pas celle d’un restaurant classique, mais qu’importe car un bouillon, c’est un imaginaire. 

Un imaginaire bon enfant et généreux, fait de plats de ménage (ceux que l’on reconnaît car on les a connus chez soi) et d’ambiance chaleureuse dans de grandes salles où les tables sont à touche-touche. Le tout à des prix accessibles qui évitent d’avoir à se poser des questions. Très important. Œuf mayo, purée-saucisse, crème caramel : le combo gagnant. Dire qu’il y a vingt ans, la cuisine moléculaire était dans tous les esprits. 

Le mot bistrot, surexploité par les chaines de restauration en quête d’authenticité, ne fait plus fantasmer que les Américains qui prennent encore St Germain des Prés pour le quartier du jazz et de la littérature. Les bars à vins, un temps sur le devant de la scène, trop élitistes, ont fini par faire le vide autour d’eux. Les steakhouses ont tiré leur révérence et les derniers Flunch encore vivants tentent de se réinventer pour retarder leur disparition. Récemment, c’étaient les food trucks puis les food courts, qui tenaient la vedette mais il semblerait que le vent tourne. Combien d’entre eux ont été appelés à la rescousse pour réenchanter des centres commerciaux en voie d’extinction ? La promesse d’expérience et de convivialité n’était pas toujours au rendez-vous alors qu’elle est devenue la principale attente des consommateurs. Voici venu le temps du bouillon. 

Ici, comme chez Mc Do, on vient comme on est. Familles, jeunes couples, mamies, cadres, ouvriers, commerçants, c’est le monde entier qui déboule. Le bouillon, c’est le triomphe de la diversité et de l’intergénérationnel, les deux plus puissants moteurs actuels du marketing. Trois générations autour d’une même table et voilà le fantasme de la famille réunifiée qui devient une réalité. 

Le bouillon, c’est aussi une organisation, une efficacité en mouvement permanent, puisqu’ici, côté salle ou côté cuisine, tout est rationnalisé, calculé, planifié, calibré, chronométré sans jamais nuire à la promesse d’ambiance. Car le bouillon n’est pas seulement une forme de restauration, c’est d’abord un spectacle. Et comme pour tous les spectacles, tout ce qui se passe en coulisse doit rester invisible et être mis au service du plaisir du client. Une leçon pour nombre d’enseignes.

Le commerce Papou

Bien connu des ethnologues (et des fans de Serge Gainsbourg), le « culte du Cargo » décrit les artifices et rites que les habitants de Papouasie (un million d’habitants ignorés du monde jusqu’en 1930, date de leur découverte par deux explorateurs australiens partis à la conquête de l’or) imaginèrent pour attirer à eux les richesses des explorateurs qu’ils voyaient débarquer et dont ils ne comprenaient ni la langue ni les coutumes. 

Quel était donc ce Dieu capable de fournir autant de choses merveilleuses, vêtements, nourritures, outils, médicaments ? se demandaient-ils. Des quais furent alors aménagés et des pistes d’atterrissage sommairement défrichées dans l’espoir que bateaux et avions viennent y décharger les marchandises tant convoitées. On construisit des tours de contrôle en bambou, on fabriqua des avions en paille, on bricola des talkie-walkies factices car on avait vu des militaires commander par ce système l’arrivée du cargo… mais les largesses escomptées n’arrivèrent jamais…

Comment ne pas penser à ces Papous en observant aujourd’hui le commerce de détail et de la restauration en centre-ville ? Comme eux, les enseignes font tout pour nous interpeler. Certains magasins de prêt-à-porter posent devant leur vitrine une table et deux chaises, d’autres, sortent un olivier, un laurier rose, une plante verte ou des boules de buis, des petits meubles chargés de coussins et de bibelots soldés, parfois un kakémono. Les plus désireux d’attirer l’attention vont même jusqu’à installer sur le trottoir une chaise longue ou un fauteuil « Emmanuelle » comme des invitations à s’y faire photographier. Les points de vente de fleurs en self-service diffusent des chants d’oiseaux enregistrés pour nous étonner et, depuis la crise sanitaire, des ours en peluche géants se sont installés dans les vitrines des restaurants. Les menus n’y sont d’ailleurs plus affichés mais posés sur une table mise sur le trottoir, des guirlandes façon guinguettes ornent leurs terrasses et de très contestables fleurs en plastique sont accrochées sur leurs façades. 

L’objectif est à chaque fois le même : attirer l’attention. Des enfants, des badauds, des touristes dont les boussoles s’appellent Instagram ou Tiktok, pour les inciter à photographier, à liker, à follower, à laisser des commentaires. La nouvelle manne. Le nouveau fuel de l’économie. Née sur les écrans, l’économie de l’attention a fini par atterrir sur nos trottoirs et concerne désormais le commerce. 

Inoxbrand

Si tout ce qui parvient à franchir le mur des médias n’est pas toujours très profond ou passionnant, il est cependant souvent révélateur de « quelque chose » de l’air du temps. Reste à savoir quoi. Une aspiration en devenir, une attente en suspension, un nouvel imaginaire en formation. Personne ne devrait y rester indifférent. Surtout pas les marques qui considèrent les modes de vie et les attentes de leurs consommateurs comme plus stratégiques que les agissements de leurs concurrents. Laquelle d’entre elles ne rêverait pas d’être aujourd’hui à la place d’Inoxtag et devenir ainsi une Inoxbrand dotée de cette puissance qui fascine tant ? 

Toutes les marques ont un Everest à conquérir, Everest qui n’est d’ailleurs, dans le cas d’Inoxtag, qu’un prétexte retenu pour sa capacité à produire du rêve et à incarner l’idée de défi. Un concept publicitaire. Inoxtag n’est pas un Commandant Cousteau 2.0 et les préoccupations environnementales ne sont pas les siennes car l’essentiel est ici de mettre en scène la performance comme condition de la puissance. C’est en cela que la mécanique Inoxtag peut concerner les marques

Pour accéder au statut d’Inoxbrand, une marque doit disposer de trois atoutsUne communauté puissante, prête à relayer ses moindres faits et gestes et à se mobiliser pour parvenir au Spectaculaire, que des millions de vues et des accidents de connexion attendus viendront confirmer. Un message universel conçu comme une philosophie de vie inspirante et facilement appropriable, consistant, pour l’essentiel, à rappeler l’importance de croire en ses rêves et de toujours chercher à dépasser ses limites pour devenir une version améliorée de soi-même. Et un ton relationnel spontané et positif pour construire un sentiment de proximité efficace avec sa cible capable d’anesthésier toute tentation d’esprit critique. 

Communauté hyper active, role model et relationnel empathique : beaucoup de marques (Apple, Tesla, Nike, Jacquemus, Balenciaga…) pourraient s’y retrouver mais sont-elles pour autant véritablement des Inoxbrands ? Pour l’être, elles doivent aussi réussir le délicat exercice consistant à faire parler d’elles sans se montrer. Car la performance d’Inoxtag tient pour beaucoup à ses cinq mois de silence radio après l’annonce de son projet. Cinq mois pour faire monter la pression et les attentes.

Une manière de se souvenir que la disparition peut être à la source du désir dans notre monde de l’immédiateté et du tout-montré. Quelle marque oserait ?