Bistrot vs. Coffee shop

Ils poussent comme des champignons après la pluie et participent à la mondialisation des goûts tant gustativement qu’esthétiquement. Ce sont les coffee shops. Petites surfaces, architecture au design affirmé, offre courte et immédiatement lisible (les cinq totems du moment, toujours les mêmes : expresso, filtre, capuccino, flat white, matcha), peu de personnel, (très) peu de chaises et de tables, beaucoup de vide. On est loin du Bar des amis et de son comptoir en zinc, mais la clientèle visée n’est pas la même. 

Ici, on ne cherche pas à produire un sentiment d’appartenance territorial, quartier ou village, mais un sentiment d’appartenance communautaire. Le premier relève du lieu, le second, du signe. Quand le bistrot de quartier produit du réconfort et de l’habitude (avec ses « piliers » faisant partie du décor), le coffee shop produit, lui, de la reconnaissance incarnée par une manière de s’habiller (dominée par le noir), un centre d’intérêt (essentiellement visuel : photo, design, architecture) et une origine non locale facile à repérer : trois caractéristiques de la population visée.

Le bistrot de quartier surjoue les codes de toujours alors que le coffee shop produit les codes de demain appréciés par une cible mondialisée, en transit plutôt qu’établie, en quête de lieux pour se poser sans jamais se sentir dépaysée. Des lieux qui deviendront pour eux, au fil des transhumances d’images sur réseaux, des repères autant que des repaires. 

Les coffee shops visent essentiellement deux groupes. Les jeunes sensibles aux esthétiques formatées qui leur donnent la sensation de posséder les goûts de l’époque et dont les boussoles portent les noms de TikTok et d’Instagram. Et les femmes qui n’aiment pas trop aller seules dans les cafés traditionnels toujours un peu suspectés de virilisme rampant, sensibles, elles aussi, aux esthétiques « inspirantes » et « dépaysantes ». 

Les coffee shops doivent aussi leur succès à leur nom. Court, international et, surtout, décalé : White, Grave, Nuances, Les crèmes, Cuvée noire… Des noms, imaginés comme des labels à la typo soignée, prêts à se retrouver sur tous les supports possibles, du mug à la casquette en passant par les paquets de café. Ici, le détail est loin d’en être un. 

Un design et un vocabulaire capables de produire de nouveaux imaginaires et de nouvelles expériences qui, elles-mêmes, seront sources de nouveaux discours et de souvenirs : le ruissellement en version branchée.

Les bouillons

Quelle ville ne possède pas aujourd’hui son bouillon ? Et tant pis s’il ne porte aucune vérité historique. Parfois, un bouillon pousse sur un parking périphérique, parfois, sa surface ne dépasse pas celle d’un restaurant classique, mais qu’importe car un bouillon, c’est un imaginaire. 

Un imaginaire bon enfant et généreux, fait de plats de ménage (ceux que l’on reconnaît car on les a connus chez soi) et d’ambiance chaleureuse dans de grandes salles où les tables sont à touche-touche. Le tout à des prix accessibles qui évitent d’avoir à se poser des questions. Très important. Œuf mayo, purée-saucisse, crème caramel : le combo gagnant. Dire qu’il y a vingt ans, la cuisine moléculaire était dans tous les esprits. 

Le mot bistrot, surexploité par les chaines de restauration en quête d’authenticité, ne fait plus fantasmer que les Américains qui prennent encore St Germain des Prés pour le quartier du jazz et de la littérature. Les bars à vins, un temps sur le devant de la scène, trop élitistes, ont fini par faire le vide autour d’eux. Les steakhouses ont tiré leur révérence et les derniers Flunch encore vivants tentent de se réinventer pour retarder leur disparition. Récemment, c’étaient les food trucks puis les food courts, qui tenaient la vedette mais il semblerait que le vent tourne. Combien d’entre eux ont été appelés à la rescousse pour réenchanter des centres commerciaux en voie d’extinction ? La promesse d’expérience et de convivialité n’était pas toujours au rendez-vous alors qu’elle est devenue la principale attente des consommateurs. Voici venu le temps du bouillon. 

Ici, comme chez Mc Do, on vient comme on est. Familles, jeunes couples, mamies, cadres, ouvriers, commerçants, c’est le monde entier qui déboule. Le bouillon, c’est le triomphe de la diversité et de l’intergénérationnel, les deux plus puissants moteurs actuels du marketing. Trois générations autour d’une même table et voilà le fantasme de la famille réunifiée qui devient une réalité. 

Le bouillon, c’est aussi une organisation, une efficacité en mouvement permanent, puisqu’ici, côté salle ou côté cuisine, tout est rationnalisé, calculé, planifié, calibré, chronométré sans jamais nuire à la promesse d’ambiance. Car le bouillon n’est pas seulement une forme de restauration, c’est d’abord un spectacle. Et comme pour tous les spectacles, tout ce qui se passe en coulisse doit rester invisible et être mis au service du plaisir du client. Une leçon pour nombre d’enseignes.

Le commerce Papou

Bien connu des ethnologues (et des fans de Serge Gainsbourg), le « culte du Cargo » décrit les artifices et rites que les habitants de Papouasie (un million d’habitants ignorés du monde jusqu’en 1930, date de leur découverte par deux explorateurs australiens partis à la conquête de l’or) imaginèrent pour attirer à eux les richesses des explorateurs qu’ils voyaient débarquer et dont ils ne comprenaient ni la langue ni les coutumes. 

Quel était donc ce Dieu capable de fournir autant de choses merveilleuses, vêtements, nourritures, outils, médicaments ? se demandaient-ils. Des quais furent alors aménagés et des pistes d’atterrissage sommairement défrichées dans l’espoir que bateaux et avions viennent y décharger les marchandises tant convoitées. On construisit des tours de contrôle en bambou, on fabriqua des avions en paille, on bricola des talkie-walkies factices car on avait vu des militaires commander par ce système l’arrivée du cargo… mais les largesses escomptées n’arrivèrent jamais…

Comment ne pas penser à ces Papous en observant aujourd’hui le commerce de détail et de la restauration en centre-ville ? Comme eux, les enseignes font tout pour nous interpeler. Certains magasins de prêt-à-porter posent devant leur vitrine une table et deux chaises, d’autres, sortent un olivier, un laurier rose, une plante verte ou des boules de buis, des petits meubles chargés de coussins et de bibelots soldés, parfois un kakémono. Les plus désireux d’attirer l’attention vont même jusqu’à installer sur le trottoir une chaise longue ou un fauteuil « Emmanuelle » comme des invitations à s’y faire photographier. Les points de vente de fleurs en self-service diffusent des chants d’oiseaux enregistrés pour nous étonner et, depuis la crise sanitaire, des ours en peluche géants se sont installés dans les vitrines des restaurants. Les menus n’y sont d’ailleurs plus affichés mais posés sur une table mise sur le trottoir, des guirlandes façon guinguettes ornent leurs terrasses et de très contestables fleurs en plastique sont accrochées sur leurs façades. 

L’objectif est à chaque fois le même : attirer l’attention. Des enfants, des badauds, des touristes dont les boussoles s’appellent Instagram ou Tiktok, pour les inciter à photographier, à liker, à follower, à laisser des commentaires. La nouvelle manne. Le nouveau fuel de l’économie. Née sur les écrans, l’économie de l’attention a fini par atterrir sur nos trottoirs et concerne désormais le commerce. 

Inoxbrand

Si tout ce qui parvient à franchir le mur des médias n’est pas toujours très profond ou passionnant, il est cependant souvent révélateur de « quelque chose » de l’air du temps. Reste à savoir quoi. Une aspiration en devenir, une attente en suspension, un nouvel imaginaire en formation. Personne ne devrait y rester indifférent. Surtout pas les marques qui considèrent les modes de vie et les attentes de leurs consommateurs comme plus stratégiques que les agissements de leurs concurrents. Laquelle d’entre elles ne rêverait pas d’être aujourd’hui à la place d’Inoxtag et devenir ainsi une Inoxbrand dotée de cette puissance qui fascine tant ? 

Toutes les marques ont un Everest à conquérir, Everest qui n’est d’ailleurs, dans le cas d’Inoxtag, qu’un prétexte retenu pour sa capacité à produire du rêve et à incarner l’idée de défi. Un concept publicitaire. Inoxtag n’est pas un Commandant Cousteau 2.0 et les préoccupations environnementales ne sont pas les siennes car l’essentiel est ici de mettre en scène la performance comme condition de la puissance. C’est en cela que la mécanique Inoxtag peut concerner les marques

Pour accéder au statut d’Inoxbrand, une marque doit disposer de trois atoutsUne communauté puissante, prête à relayer ses moindres faits et gestes et à se mobiliser pour parvenir au Spectaculaire, que des millions de vues et des accidents de connexion attendus viendront confirmer. Un message universel conçu comme une philosophie de vie inspirante et facilement appropriable, consistant, pour l’essentiel, à rappeler l’importance de croire en ses rêves et de toujours chercher à dépasser ses limites pour devenir une version améliorée de soi-même. Et un ton relationnel spontané et positif pour construire un sentiment de proximité efficace avec sa cible capable d’anesthésier toute tentation d’esprit critique. 

Communauté hyper active, role model et relationnel empathique : beaucoup de marques (Apple, Tesla, Nike, Jacquemus, Balenciaga…) pourraient s’y retrouver mais sont-elles pour autant véritablement des Inoxbrands ? Pour l’être, elles doivent aussi réussir le délicat exercice consistant à faire parler d’elles sans se montrer. Car la performance d’Inoxtag tient pour beaucoup à ses cinq mois de silence radio après l’annonce de son projet. Cinq mois pour faire monter la pression et les attentes.

Une manière de se souvenir que la disparition peut être à la source du désir dans notre monde de l’immédiateté et du tout-montré. Quelle marque oserait ?

Mise en vie

Cet été s’ouvrait à Paris, sur l’île Saint-Louis, le Musée Vivant du Fromage, un espace pédagogique interactif imaginé pour faire découvrir le patrimoine fromager et les territoires de France à travers leurs producteurs. Le lieu propose aussi des cours, des ateliers, des événements et même une véritable laiterie, histoire de promouvoir le savoir-faire fromager et susciter des vocations. Une crèmerie-fromagerie traditionnelle vient, bien sûr, clore le parcours afin que personne ne reparte les mains vides… 

Au même moment, 140 ans après sa création, le mythique café de Saint Germain des Prés, Les Deux Magots, ouvrait un nouveau chapitre de son histoire avec son Comptoir Les Deux Magots proposant une restauration rapide, salée et sucrée, à emporter ou à consommer sur place, faite de recettes maison et de produits locaux qui « valorisent le savoir-faire et l’expertise traditionnelle française ». De quoi séduire les amateurs de pauses cafés-déjeuners-goûters autant que les télétravailleurs… Installé rue de Buci (son lieu de naissance avant de migrer place Saint-Germain-des-Prés) l’établissement met aussi quelques livres à la disposition de ses clients et les invite à rédiger une carte postale qu’il se chargera ensuite d’envoyer en France ou dans le monde entier… Malin et pertinent vu les origines littéraires du quartier. 

Rive droite, Fauchon, autre figure parisienne, s’est quant à elle installée au Carrousel du Louvre où elle propose des éclairs Joconde exclusifs ainsi qu’une sélection de produits gourmands célébrant le meilleur du made in France : macarons, chocolats, confiseries, biscuits, confitures et thés, parmi lesquels les emblématiques Un après-midi à Paris et Un soir de France. Des souvenirs parfaits. 

Une immersion culturelle, un moment réenchanté et une offre de produits exclusifs : trois expériences de consommation qui viennent chacune illustrer la manière dont l’environnement peut contribuer à la créativité de l’offre. Une mise en vie par un lieu ou une histoire attendue par des consommateurs en quête d’étonnement autant que par des marques et des marchés soucieux de régénérer leur image et de se faire une place sur les réseaux. 

Cet été, on apprenait aussi la disparition d’Hédiard, place de la Madeleine. L’enseigne, qui a longtemps contribué au rayonnement de l’épicerie fine française, était restée dans un modèle de distribution figé. Sa mise en vie aurait pu signifier pour elle rester en vie. 

Sans intermédiaires

On avait découvert le phénomène sur les réseaux sociaux, où il portait le nom de « Dupes » et consistait, pour la Gen Z, à y acheter (et à le faire savoir) des copies de qualité des produits dont ils rêvaient (parfums, sacs, accessoires, sneakers) mais qu’ils ne pouvaient s’offrir. Le phénomène semblait cantonné aux habitants de TikTok (un monde à part) mais voilà qu’on le retrouve aujourd’hui dans la vraie vie, dans une version plus adulte et dans un pays que tout le monde considère (considérait ?) comme un eldorado : la Chine. Ça rigole tout de suite moins. 

Le phénomène porte le nom de Pingti (« leurre » en chinois) et décrit le même penchant à vouloir contourner les marques, via des imitations de qualité équivalente, sans logo. Voilà qui ne devrait pas arranger les affaires des groupes de luxe qui se trouvent déjà confrontés (pour la première fois) au ralentissement du marché chinois. Là-bas aussi, les temps changent et exhiber des logos parait de moins en moins prisé par les classes supérieures. 

En Chine, sur Xiaohongshu, une plateforme à la croisée d’Instagram et de Pinterest prisée des jeunes femmes aisées, les influenceuses apprennent aux utilisatrices à s’habiller comme les Japonaises qui sont toujours élégantes sans dépenser beaucoup. La coiffure, le soin du visage et les détails comptent davantage pour elles que les logos. Porter une robe Versace avec un sac à main Chanel est maintenant réservé aux femmes riches plus âgées qui n’ont pas vraiment de sens de la mode et péjorativementsurnommées « da ma ». Peut-on s’étonner de cette évolution qui n’est finalement qu’un des effets collatéraux de la mondialisation dans la mesure où la mode européenne reste un signe extérieur de richesse ? 

Peut-on aussi s’étonner qu’à force de parler de « consommateurs experts » qui en savent toujours plus, ceux-ci en soient venus à s’échanger des bons plans capables de hacker le système ?Par ailleurs, bon nombre de start-ups ne se sont-elles pas construites sur l’idée de la suppression des intermédiaires pour proposer qualité et prix accessibles à leurs clients ?

Plus fondamentalement, ce phénomène vient révéler le désir des consommateurs de se rapprocher de ceux qui produisent et d’enjamber ainsi les intermédiaires. Une autre manière de définir le rapport qualité-prix… Les enseignes de distribution étaient les premières à être considérées comme responsables de l’inflation, voilà que c’est maintenant au tour des groupes de luxe. La quête de « petits producteurs » n’est plus réservée au monde agricole

Ciné-tourisme

On savait bien que, partout où passait Emily, in Paris ou ailleurs, des hordes de fans ne tardaient jamais à rappliquer au détriment des équilibres existants. Voilà que l’on apprend aujourd’hui que le phénomène ne concerne pas que cette série calibrée pour rendre la vie parisienne sexy. Selon une enquête IFOP commandée par le CNC, un Français sur quatre visiterait, durant ses vacances, un lieu ayant servi de décor à une fiction, film ou série. Il fut un temps où un musée, un château, une fabrique de fromages de chèvre ou d’huile d’olive suffisaient pour justifier un détour… 

Une nouvelle manne s’offre donc aux territoires qui ne cessent de se plaindre de la disparition des commerces et des activités économiques. L’entertainment est le nouveau patrimoine. Ce phénomène, baptisé ciné-tourisme, a commencé au début du siècle avec Amélie Poulain dont les effets à Montmartre continuent de se faire sentir et n’a, depuis, cessé, d’Étretat, avec Arsène Lupin, jusqu’au large de Marseille, au Château d’If, ultime destination ciné-touristique engendrée par le succès du Comte de Monte Cristo. Dommage que les auteurs d’Un p’tit truc en plus (10 millions de spectateurs) n’aient pas eu l’idée d’associer leur scénario à une ville, elle aussi pas assez reconnue, qui aurait ainsi bénéficié d’un attrait aussi immédiat qu’inespéré. Limoges, Saint-Etienne ou Clermont-Ferrand, par exemple… Le ciné-tourisme n’a d’ailleurs rien d’hexagonal puisque les Bridgeton, Harry Potter, The Crown et Game of Thrones provoquent les mêmes effets en Grande-Bretagne… 

Que nous dit ce phénomène ? Pour les plus cyniques, il est la preuve que l’ennui est bien la maladie la plus universellement répandue et que le seul traitement envisageable pour la soigner est de proposer sans cesse de nouvelles raisons de se déplacer. Bouger, c’est toujours bon pour la tête. Les autres souligneront l’envie actuelle des spectateurs de faire grandir le lien émotionnel qui les unit à une œuvre en revivant et en partageant « en vrai » certaines de ses scènes. Comme s’il fallait désormais « checker » le réel pour mieux éprouver les émotions induites par la fictionComme si la fiction, originellement éloignée du réel, avait fini par le rejoindre pour y trouver une condition supplémentaire de son attractivité. 

On aurait tort de stigmatiser le phénomène car il permet d’éviter que le divertissement ne devienne qu’un passe-temps addictif vide de sens. La fiction au service du réel et le réel au service de la fiction : un aller-retour on ne peut plus vertueux.

Archimède 2.0

Toute marque plongée dans un musée subit une poussée verticale de son statut vers le haut, égale au poids du volume déplacé de ses followers. Plus qu’un magasin placé sur une artère en vue, le musée possède aux yeux des marques des vertus comparables à celles d’une clinique suisse qui promettrait la jeunesse éternelle. Après les rétrospectives et autres expositions conceptuelles imaginées par le monde du luxe pour permettre à ses produits d’accéder au statut d’icône, on découvrait, à l’occasion des JO, que les musées pouvaient aussi attirer d’autres secteurs. 

Air France s’était ainsi installé au Palais de Tokyo, lieu culturel hautement parisien et, pour l’occasion, situé à proximité des festivités olympiques. Pas négligeable… Dans un espace de 850 m2, les visiteurs pouvaient déguster un menu gastronomique conçu par des chefs français servi dans les mêmes conditions qu’à bord d’un long courrier (en Business) puis, après les agapes, partir se lover dans la toute dernière cabine Business de la compagnie, découvrir la robe rouge emblématique de sa dernière communication, jeter un œil à la boutique d’objets exclusifs (pourquoi ne pas se laisser tenter par cette paire de baskets réalisées à partir des housses des sièges d’Airbus A380 ?) et participer à un jeu concours avec vol à la clé. 

A quelques foulées olympiques de là, Nike avait jeté son dévolu sur le Centre Pompidou. Sa façade, transformée en écran géant, montrait les athlètes qu’elle soutenait parmi les œuvres les plus marquantes du musée (il fallait oser) pendant qu’un de ses espaces, la Mezzanine, était entièrement dédié à la gloire de l’Air Max, ainsi promue au rang d’œuvre d’art tant par sa forme que par sa technologie. Comme un retour à l’envoyeur, puisque son designer Tinker Hatfield en avait puisé l’inspiration dans l’architecture de Renzo Piano. Sur la piazza, un skate park arty, imaginé par l’artiste français Raphaël Zarka, venait compléter le dispositif et proposait des sessions de running, basket-ball, football ou breakdance. 

Palais de Tokyo « brutalo moderniste » pour l’une, Centre Pompidou « icono rupturiste » pour l’autre, les lieux choisis par ces deux marques ne devaient rien au hasard. Ils venaient souligner leur capacité à innover par une présence volontairement un peu dérangeante (l’audace comme carburant de la créativité), tout en leur permettant d’afficher une forme d’appartenance culturelle induite par les œuvres qu’elles côtoyaient pour l’occasion. Il n’y a pas que le digital pour imaginer des expériences de marques inédites. Il y a aussi l’art et la culture.

Un pont neuf

Cet été, les marques de luxe n’avaient pas toutes posé leur parasol sur une plage privée entre Saint Tropez et Nice. Beaucoup d’entre elles étaient d’astreinte à Paris, JO oblige, et devaient se contenter des bords de Seine. Pas question pour autant d’imaginer s’y installer en cas d’amélioration soudaine de la baignabilité du fleuve, perspective plus qu’hypothétique, et d’ouvrir ainsi un nouveau chapitre, premium et inattendu, de Paris Plage. Les marques du groupe LVMH avaient d’autres chats à fouetter. Elles étaient en mission commandée. 

Au-delà de s’occuper des médailles et de leur transport et d’habiller les athlètes dans leurs différents moments de représentation, leur mission était de préparer l’émergence d’un nouveau marché, baptisé « athluxury », comme forme ultime et upgradée de « l’athleisure » dont on peut déjà mesurer le succès au quotidien (hoodies, T-shirt, sneakers comme nouvel uniforme). Une offre combinant design athlétique et innovation technique bénéficiant de l’expertise d’une maison de couture et du vocabulaire de l’ultra-luxe. Faut suivre.

Le passage de la cérémonie d’ouverture par les ateliers Vuitton (gros plans sur les gestes et la toile monogrammée) puis l’évocation de l’hôtel de luxe installé en lieu et place de la Samaritaine (gros plan sur des grooms affairés) ne constituaient donc pas seulement un spot de pub premium vu par le monde entier à une heure de (très) grande écoute mais un pont (neuf) établi entre le monde du luxe et celui du sport. Un nouvel eldorado capable de rebooter les codes du luxe vers moins d’ostentation et de recruter au passage tous les Millennials stylés qui envisagent leur corps comme un instrument de performance et de conquête. 

L’autre objectif du groupe LVMH était de nous signifier qu’une malle, une robe ou un service hôtelier possèdent une valeur culturelle comparable à celle de Marie-Antoinette, Edith Piaf, Cerrone ou Aya Nakamura. Chacun porte une certaine image de la France sur la scène internationale en incarnant un savoir-faire unique, un héritage historique ou un talent capable de marquer les esprits. Une manière de légitimer le luxe bien plus efficace qu’une exposition ou une Fondation qui ne parle qu’à un public restreint et réputé élitiste. 

Régénéré par l’imaginaire multifacette du sport (performance, innovation, technicité, design) et doté d’un capital culturel de plus en plus affirmé, voici le luxe réarmé pour de nombreuses années.

Herbo-communautarisme

On ne finira jamais de s’étonner de la capacité des réseaux sociaux à réenchanter le réel par de nouveaux mots et de nouveaux codes esthétiques. Aucun univers n’y échappe. Et encore moins ceux qui ont quitté les radars de la modernité, qui trouvent là l’opportunité d’y retourner par la grâce d’un engouement aussi soudain qu’inattendu. Les herboristes peuvent en témoigner. 

Jusqu’à présent, on les imaginait plutôt austères et d’un âge respectable, installés dans des magasins dont l’apparence devait explicitement rappeler leur appartenance à une époque très éloignée. Des bibliothèques en bois, des pots en porcelaine, des mortiers et des pilons en céramique comme gages de crédibilité. Propulsés sur les réseaux, les voici qui ré-apparaissent en « herbalist influencers » (ça va tout de suite mieux) où ils partagent des recettes, aussi alléchantes qu’instagrammables, imaginées à partir de plantes oubliées, et distillent toute sortes de conseils pour notre plus grand bien. De quoi nourrir un florissant business, objectif toujours présent dans l’esprit des influenceurs… 

Résultat ? Jamais les plantes n’ont reçu autant d’attention qu’aujourd’hui. Toutes les marques qui gravitent du côté de la santé, de la beauté et du bien-être (cela en fait beaucoup) l’ont bien compris. Elles multiplient leurs travaux de recherche pour identifier LA plante aux vertus exceptionnelles, et encore ignorée de leurs concurrents, qui pourrait booster leur notoriété. Mais ceci n’explique pas tout. 

Le succès actuel des « herbalist influencers » est aussi à rapprocher de celui du fait-maison, à la fois porté par un désir de contrôler ce que l’on consomme et par celui de faire des économies. « Ce que je fabrique est forcément meilleur que ce que me propose l’industrie » et « ma créativité est sans limite » sonnent comme de nouveaux mantras. Les millions de vues générées par le masque Botox aux graines de lin, présenté comme le nouveau remède naturel au vieillissement, en sont la preuve. Deux ingrédients seulement, une traçabilité immédiate et beaucoup d’espérances : qui y trouverait à redire ? 

Enfin, et le point n’a rien de négligeable, celles et ceux qui se présentent comme « herbalist influencers » doivent aussi leur succès à la communauté qui les porte, dont la force tient autant aux valeurs partagées par ses membres, qu’au sentiment d’appartenance qui les unit. Qu’est ce qu’une communauté sinon un centre d’intérêt qui a réussi ?