Vélo cargo

Ils se sont multipliés dans toutes les villes à la manière des coffee shops et font désormais partie du paysage urbain du monde d’après. Surtout vers 8h30 et vers 16h30. Ce sont les vélo cargos avec leur cadre jaune, bleu ou orange et, à l’arrière, un deux, parfois trois enfants, tous équipés de casques colorés. Et voilà toute la famille qui défile dans la ville comme une parade. 

On ne sait, en les voyant, qui est le plus fier : le papa (souvent) en mode daddy cool qui tient le guidon ou les enfants, trop heureux d’éprouver un mode de transport rigolo qui n’est pas encore celui de tout le monde et qui leur offre un rapport inédit à la ville. Avec le vélo cargo, tout est affaire d’étonnement. Mais comment faisait-on avant ? ne manqueront pas de se demander ceux qui sont nés dans la seconde moitié du XXème siècle. Avant, on prenait sa voiture et on se prenait les embouteillages. Pas top fun. Avec les vélos cargos, partir et revenir de l’école devient une expérience partagée. 

S’ils existaient depuis toujours dans le Nord de l’Europe, leur prolifération en France date de la fin de la crise sanitaire, justifiée par l’idée de prendre de nouvelles habitudes plus responsables et accélérée par un effet « boule de neige » comme savent en fabriquer les sorties d’école. 

Devenu en quelques mois le transport officiel des familles bobos, avec ce que cela suppose de pouvoir d’achat et de désir d’afficher son exemplarité, le vélo-cargo est révélateur de trois grandes attentes. Un désir de réenchantement du quotidien tout d’abord, observable depuis des années mais qui trouve toujours de quoi se régénérer pour ne jamais perdre en attractivité. Le vélo cargo comme nouveau rite urbain. Un nouveau signe de distinction ensuite. Une envie d’afficher sa famille, manière de se poser en modèle pour les autres. Le phénomène était déjà observable dans les magazines de déco, le voilà sur le vélo. 

Le succès du vélo-cargo vient enfin confirmer, s’il en était encore besoin, la force du rapport esthétique que nous entretenons désormais avec le monde. Car l’acquisition d’un vélo cargo ne peut se faire sans celle de tous les accessoires qui lui sont associés, pensés pour conférer à l’équipage l’apparence la plus stylée possible : capes de pluie, bottes, gants, casques, sac à dos… Un véhicule stylistique prêt à rejoindre le flot d’images qui irrigue les réseaux sociaux. Exister, c’est d’abord se montrer.

La baguette magique

Présent lors de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de rugby (en mode tradi) comme lors de celle des JO (en mode woke), le croissant est incontournable, au même titre qu’Edith Piaf et l’accordéon quand il s’agit de représenter la France. Et tant pis pour les clichés. Car le croissant n’a jamais cessé de se réinventer, preuve que la pérennité d’une tradition tient à sa capacité à apparaître sous de nouvelles formes. 

Après les cronuts nés en 2013 (hybrides de croissant et de donut, pour ceux qui étaient passés à côté), les croissants rolls fourrés à la crème, les crookies (croissant + cookie) et les crogers (devinez), voici les croissants de couleur, noir charbon, rouge vif ou vert pistache ou encore les croissants XXL (après les minis) imaginés par Philippe Conticini en 2023 avant que l’idée ne soit reprise un peu partout tant elle est instagrammable. Le croissant fait également son apparition dans les assiettes en version salée à l’initiative d’Amandine Chaignot au Café de Luce, où elle le propose garni d’escargots (la future soupe à l’oignon des touristes ?), de saumon-poireaux ou, plus attendu, de jambon-comté. Une initiative appréciée du Fooding qui n’aime rien tant que de cuisiner la tradition sur le feu vif de la modernité

Autant qu’un symbole national, le croissant l’est aussi du renouveau de la boulangerie qui, depuis la crise sanitaire, ne s’est jamais aussi bien portée, récupérant, d’un côté, une partie des déjeuners devenus trop chers et, de l’autre, tous les télétravailleurs en quête de solutions économiques, faute de cantine. L’inflation a rebattu les cartes et les habitudes. Voici aujourd’hui les boulangeries convoitées par tous les investisseurs avides de concepts (French Bastards, Urban Bakery et consorts). Qui l’aurait cru ? 

Cet été, Eric Kayser inaugurait Baguett, près de place des Victoires, avec l’ambition de réinventer la baguette en la déclinant en version sucrée (avec du thé matcha, des pralines roses ou du Carambar) et en proposant des sandwichs d’un mètre de long vendus à la coupe. Il fallait y penser. Parions que l’idée ne tardera pas à essaimer. Avec ses propositions créatives préparées avec des ingrédients frais, capables de déclencher instantanément l’envie, la boulangerie ne manque pas d’avenir face au fast-food et aux autres concepts de restauration rapide

Dire qu’à la fin du siècle dernier, elle semblait condamnée, terrassée par les hypermarchés qui offraient du pain chaud à toute heure sans avoir à lâcher son Caddie.

Nostalging

Signe d’une envie de fuir le présent sans pour autant souhaiter se lancer dans un futur peu séduisant, la nostalgie s’avère être le plus puissant antidépresseur du moment. La ferveur générée par le lancement de la R5 électrique, devenue la vedette incontestable de l’actuel Mondial de l’Auto, en est la preuve éclatante. 

Retrouver les émotions du passé à travers une forme : une manière comme une autre de rajeunir. Pour tenir cette promesse absolue, la Renault 5 électrique ne s’est pas montrée avare de petites attentions génératrices d’émotions, à la manière de la New Beetle en son temps (avec son soliflore sur le tableau de bord, aujourd’hui disparu) puis des Mini et autres Fiat 500. Couleurs vitaminées en référence aux années pop, jingle d’accueil dans l’habitacle (une première) imaginé par Jean-Michel Jarre, porte-baguette en osier clipsable sur le tableau de bord pour bien souligner ses origines frenchies. Le tout, emballé par l’envoûtante musique des Daft Punk. Comment encore hésiter à se convertir à l’électrique ? 

Fort de l’engouement suscité par sa R5, Renault vient d’ailleurs d’annoncer le grand retour de sa R4 sous une forme agrandie pour devenir une « familiale poyvalente ». Le filon marketing n’est pas loin. Le designer branché Ora-ïto n’a-t-il pas présenté sa réinterprétation de la R17, pourtant loin d’être un modèle iconique et que l’on regarde désormais avec les yeux du désir ? 

Si Citroën a gâché le pouvoir fantasmatique de sa DS avec des modèles qui portent son nom sans faire référence à la forme de son mythe roulant, personne ne sera étonné de voir débarquer sous peu un coupé 504 (déjà vu en concept-car) ou même, pourquoi pas, une rassurante berline 404 revisitée. Parions d’ailleurs sur le retour des berlines en réponse à des SUV qui s’uniformisent au fur et à mesure qu’ils se mondialisent. 

En attendant, on peut de nouveau entendre l’entêtante ritournelle Fraîcheur de vivre dans les spots Hollywood chewing-gum et continuer à faire des petits volcans pour mettre du jus dedans avec sa purée Mousline avant d’aller faire une sieste dans son Relax Lafuma (habillé d’un tissu Retro 2024) avec, au choix, le magazine Schnock consacré à Pompidou ou Vieux dont le second numéro vient de sortir avec Iggy Pop en tête de gondole. 

Bienvenue dans le monde d’hier, jamais loin de celui du pays joyeux des enfants heureux et des monstres gentils.

Bistrot vs. Coffee shop

Ils poussent comme des champignons après la pluie et participent à la mondialisation des goûts tant gustativement qu’esthétiquement. Ce sont les coffee shops. Petites surfaces, architecture au design affirmé, offre courte et immédiatement lisible (les cinq totems du moment, toujours les mêmes : expresso, filtre, capuccino, flat white, matcha), peu de personnel, (très) peu de chaises et de tables, beaucoup de vide. On est loin du Bar des amis et de son comptoir en zinc, mais la clientèle visée n’est pas la même. 

Ici, on ne cherche pas à produire un sentiment d’appartenance territorial, quartier ou village, mais un sentiment d’appartenance communautaire. Le premier relève du lieu, le second, du signe. Quand le bistrot de quartier produit du réconfort et de l’habitude (avec ses « piliers » faisant partie du décor), le coffee shop produit, lui, de la reconnaissance incarnée par une manière de s’habiller (dominée par le noir), un centre d’intérêt (essentiellement visuel : photo, design, architecture) et une origine non locale facile à repérer : trois caractéristiques de la population visée.

Le bistrot de quartier surjoue les codes de toujours alors que le coffee shop produit les codes de demain appréciés par une cible mondialisée, en transit plutôt qu’établie, en quête de lieux pour se poser sans jamais se sentir dépaysée. Des lieux qui deviendront pour eux, au fil des transhumances d’images sur réseaux, des repères autant que des repaires. 

Les coffee shops visent essentiellement deux groupes. Les jeunes sensibles aux esthétiques formatées qui leur donnent la sensation de posséder les goûts de l’époque et dont les boussoles portent les noms de TikTok et d’Instagram. Et les femmes qui n’aiment pas trop aller seules dans les cafés traditionnels toujours un peu suspectés de virilisme rampant, sensibles, elles aussi, aux esthétiques « inspirantes » et « dépaysantes ». 

Les coffee shops doivent aussi leur succès à leur nom. Court, international et, surtout, décalé : White, Grave, Nuances, Les crèmes, Cuvée noire… Des noms, imaginés comme des labels à la typo soignée, prêts à se retrouver sur tous les supports possibles, du mug à la casquette en passant par les paquets de café. Ici, le détail est loin d’en être un. 

Un design et un vocabulaire capables de produire de nouveaux imaginaires et de nouvelles expériences qui, elles-mêmes, seront sources de nouveaux discours et de souvenirs : le ruissellement en version branchée.

Les bouillons

Quelle ville ne possède pas aujourd’hui son bouillon ? Et tant pis s’il ne porte aucune vérité historique. Parfois, un bouillon pousse sur un parking périphérique, parfois, sa surface ne dépasse pas celle d’un restaurant classique, mais qu’importe car un bouillon, c’est un imaginaire. 

Un imaginaire bon enfant et généreux, fait de plats de ménage (ceux que l’on reconnaît car on les a connus chez soi) et d’ambiance chaleureuse dans de grandes salles où les tables sont à touche-touche. Le tout à des prix accessibles qui évitent d’avoir à se poser des questions. Très important. Œuf mayo, purée-saucisse, crème caramel : le combo gagnant. Dire qu’il y a vingt ans, la cuisine moléculaire était dans tous les esprits. 

Le mot bistrot, surexploité par les chaines de restauration en quête d’authenticité, ne fait plus fantasmer que les Américains qui prennent encore St Germain des Prés pour le quartier du jazz et de la littérature. Les bars à vins, un temps sur le devant de la scène, trop élitistes, ont fini par faire le vide autour d’eux. Les steakhouses ont tiré leur révérence et les derniers Flunch encore vivants tentent de se réinventer pour retarder leur disparition. Récemment, c’étaient les food trucks puis les food courts, qui tenaient la vedette mais il semblerait que le vent tourne. Combien d’entre eux ont été appelés à la rescousse pour réenchanter des centres commerciaux en voie d’extinction ? La promesse d’expérience et de convivialité n’était pas toujours au rendez-vous alors qu’elle est devenue la principale attente des consommateurs. Voici venu le temps du bouillon. 

Ici, comme chez Mc Do, on vient comme on est. Familles, jeunes couples, mamies, cadres, ouvriers, commerçants, c’est le monde entier qui déboule. Le bouillon, c’est le triomphe de la diversité et de l’intergénérationnel, les deux plus puissants moteurs actuels du marketing. Trois générations autour d’une même table et voilà le fantasme de la famille réunifiée qui devient une réalité. 

Le bouillon, c’est aussi une organisation, une efficacité en mouvement permanent, puisqu’ici, côté salle ou côté cuisine, tout est rationnalisé, calculé, planifié, calibré, chronométré sans jamais nuire à la promesse d’ambiance. Car le bouillon n’est pas seulement une forme de restauration, c’est d’abord un spectacle. Et comme pour tous les spectacles, tout ce qui se passe en coulisse doit rester invisible et être mis au service du plaisir du client. Une leçon pour nombre d’enseignes.

Le commerce Papou

Bien connu des ethnologues (et des fans de Serge Gainsbourg), le « culte du Cargo » décrit les artifices et rites que les habitants de Papouasie (un million d’habitants ignorés du monde jusqu’en 1930, date de leur découverte par deux explorateurs australiens partis à la conquête de l’or) imaginèrent pour attirer à eux les richesses des explorateurs qu’ils voyaient débarquer et dont ils ne comprenaient ni la langue ni les coutumes. 

Quel était donc ce Dieu capable de fournir autant de choses merveilleuses, vêtements, nourritures, outils, médicaments ? se demandaient-ils. Des quais furent alors aménagés et des pistes d’atterrissage sommairement défrichées dans l’espoir que bateaux et avions viennent y décharger les marchandises tant convoitées. On construisit des tours de contrôle en bambou, on fabriqua des avions en paille, on bricola des talkie-walkies factices car on avait vu des militaires commander par ce système l’arrivée du cargo… mais les largesses escomptées n’arrivèrent jamais…

Comment ne pas penser à ces Papous en observant aujourd’hui le commerce de détail et de la restauration en centre-ville ? Comme eux, les enseignes font tout pour nous interpeler. Certains magasins de prêt-à-porter posent devant leur vitrine une table et deux chaises, d’autres, sortent un olivier, un laurier rose, une plante verte ou des boules de buis, des petits meubles chargés de coussins et de bibelots soldés, parfois un kakémono. Les plus désireux d’attirer l’attention vont même jusqu’à installer sur le trottoir une chaise longue ou un fauteuil « Emmanuelle » comme des invitations à s’y faire photographier. Les points de vente de fleurs en self-service diffusent des chants d’oiseaux enregistrés pour nous étonner et, depuis la crise sanitaire, des ours en peluche géants se sont installés dans les vitrines des restaurants. Les menus n’y sont d’ailleurs plus affichés mais posés sur une table mise sur le trottoir, des guirlandes façon guinguettes ornent leurs terrasses et de très contestables fleurs en plastique sont accrochées sur leurs façades. 

L’objectif est à chaque fois le même : attirer l’attention. Des enfants, des badauds, des touristes dont les boussoles s’appellent Instagram ou Tiktok, pour les inciter à photographier, à liker, à follower, à laisser des commentaires. La nouvelle manne. Le nouveau fuel de l’économie. Née sur les écrans, l’économie de l’attention a fini par atterrir sur nos trottoirs et concerne désormais le commerce. 

Inoxbrand

Si tout ce qui parvient à franchir le mur des médias n’est pas toujours très profond ou passionnant, il est cependant souvent révélateur de « quelque chose » de l’air du temps. Reste à savoir quoi. Une aspiration en devenir, une attente en suspension, un nouvel imaginaire en formation. Personne ne devrait y rester indifférent. Surtout pas les marques qui considèrent les modes de vie et les attentes de leurs consommateurs comme plus stratégiques que les agissements de leurs concurrents. Laquelle d’entre elles ne rêverait pas d’être aujourd’hui à la place d’Inoxtag et devenir ainsi une Inoxbrand dotée de cette puissance qui fascine tant ? 

Toutes les marques ont un Everest à conquérir, Everest qui n’est d’ailleurs, dans le cas d’Inoxtag, qu’un prétexte retenu pour sa capacité à produire du rêve et à incarner l’idée de défi. Un concept publicitaire. Inoxtag n’est pas un Commandant Cousteau 2.0 et les préoccupations environnementales ne sont pas les siennes car l’essentiel est ici de mettre en scène la performance comme condition de la puissance. C’est en cela que la mécanique Inoxtag peut concerner les marques

Pour accéder au statut d’Inoxbrand, une marque doit disposer de trois atoutsUne communauté puissante, prête à relayer ses moindres faits et gestes et à se mobiliser pour parvenir au Spectaculaire, que des millions de vues et des accidents de connexion attendus viendront confirmer. Un message universel conçu comme une philosophie de vie inspirante et facilement appropriable, consistant, pour l’essentiel, à rappeler l’importance de croire en ses rêves et de toujours chercher à dépasser ses limites pour devenir une version améliorée de soi-même. Et un ton relationnel spontané et positif pour construire un sentiment de proximité efficace avec sa cible capable d’anesthésier toute tentation d’esprit critique. 

Communauté hyper active, role model et relationnel empathique : beaucoup de marques (Apple, Tesla, Nike, Jacquemus, Balenciaga…) pourraient s’y retrouver mais sont-elles pour autant véritablement des Inoxbrands ? Pour l’être, elles doivent aussi réussir le délicat exercice consistant à faire parler d’elles sans se montrer. Car la performance d’Inoxtag tient pour beaucoup à ses cinq mois de silence radio après l’annonce de son projet. Cinq mois pour faire monter la pression et les attentes.

Une manière de se souvenir que la disparition peut être à la source du désir dans notre monde de l’immédiateté et du tout-montré. Quelle marque oserait ?

Mise en vie

Cet été s’ouvrait à Paris, sur l’île Saint-Louis, le Musée Vivant du Fromage, un espace pédagogique interactif imaginé pour faire découvrir le patrimoine fromager et les territoires de France à travers leurs producteurs. Le lieu propose aussi des cours, des ateliers, des événements et même une véritable laiterie, histoire de promouvoir le savoir-faire fromager et susciter des vocations. Une crèmerie-fromagerie traditionnelle vient, bien sûr, clore le parcours afin que personne ne reparte les mains vides… 

Au même moment, 140 ans après sa création, le mythique café de Saint Germain des Prés, Les Deux Magots, ouvrait un nouveau chapitre de son histoire avec son Comptoir Les Deux Magots proposant une restauration rapide, salée et sucrée, à emporter ou à consommer sur place, faite de recettes maison et de produits locaux qui « valorisent le savoir-faire et l’expertise traditionnelle française ». De quoi séduire les amateurs de pauses cafés-déjeuners-goûters autant que les télétravailleurs… Installé rue de Buci (son lieu de naissance avant de migrer place Saint-Germain-des-Prés) l’établissement met aussi quelques livres à la disposition de ses clients et les invite à rédiger une carte postale qu’il se chargera ensuite d’envoyer en France ou dans le monde entier… Malin et pertinent vu les origines littéraires du quartier. 

Rive droite, Fauchon, autre figure parisienne, s’est quant à elle installée au Carrousel du Louvre où elle propose des éclairs Joconde exclusifs ainsi qu’une sélection de produits gourmands célébrant le meilleur du made in France : macarons, chocolats, confiseries, biscuits, confitures et thés, parmi lesquels les emblématiques Un après-midi à Paris et Un soir de France. Des souvenirs parfaits. 

Une immersion culturelle, un moment réenchanté et une offre de produits exclusifs : trois expériences de consommation qui viennent chacune illustrer la manière dont l’environnement peut contribuer à la créativité de l’offre. Une mise en vie par un lieu ou une histoire attendue par des consommateurs en quête d’étonnement autant que par des marques et des marchés soucieux de régénérer leur image et de se faire une place sur les réseaux. 

Cet été, on apprenait aussi la disparition d’Hédiard, place de la Madeleine. L’enseigne, qui a longtemps contribué au rayonnement de l’épicerie fine française, était restée dans un modèle de distribution figé. Sa mise en vie aurait pu signifier pour elle rester en vie. 

Sans intermédiaires

On avait découvert le phénomène sur les réseaux sociaux, où il portait le nom de « Dupes » et consistait, pour la Gen Z, à y acheter (et à le faire savoir) des copies de qualité des produits dont ils rêvaient (parfums, sacs, accessoires, sneakers) mais qu’ils ne pouvaient s’offrir. Le phénomène semblait cantonné aux habitants de TikTok (un monde à part) mais voilà qu’on le retrouve aujourd’hui dans la vraie vie, dans une version plus adulte et dans un pays que tout le monde considère (considérait ?) comme un eldorado : la Chine. Ça rigole tout de suite moins. 

Le phénomène porte le nom de Pingti (« leurre » en chinois) et décrit le même penchant à vouloir contourner les marques, via des imitations de qualité équivalente, sans logo. Voilà qui ne devrait pas arranger les affaires des groupes de luxe qui se trouvent déjà confrontés (pour la première fois) au ralentissement du marché chinois. Là-bas aussi, les temps changent et exhiber des logos parait de moins en moins prisé par les classes supérieures. 

En Chine, sur Xiaohongshu, une plateforme à la croisée d’Instagram et de Pinterest prisée des jeunes femmes aisées, les influenceuses apprennent aux utilisatrices à s’habiller comme les Japonaises qui sont toujours élégantes sans dépenser beaucoup. La coiffure, le soin du visage et les détails comptent davantage pour elles que les logos. Porter une robe Versace avec un sac à main Chanel est maintenant réservé aux femmes riches plus âgées qui n’ont pas vraiment de sens de la mode et péjorativementsurnommées « da ma ». Peut-on s’étonner de cette évolution qui n’est finalement qu’un des effets collatéraux de la mondialisation dans la mesure où la mode européenne reste un signe extérieur de richesse ? 

Peut-on aussi s’étonner qu’à force de parler de « consommateurs experts » qui en savent toujours plus, ceux-ci en soient venus à s’échanger des bons plans capables de hacker le système ?Par ailleurs, bon nombre de start-ups ne se sont-elles pas construites sur l’idée de la suppression des intermédiaires pour proposer qualité et prix accessibles à leurs clients ?

Plus fondamentalement, ce phénomène vient révéler le désir des consommateurs de se rapprocher de ceux qui produisent et d’enjamber ainsi les intermédiaires. Une autre manière de définir le rapport qualité-prix… Les enseignes de distribution étaient les premières à être considérées comme responsables de l’inflation, voilà que c’est maintenant au tour des groupes de luxe. La quête de « petits producteurs » n’est plus réservée au monde agricole

Ciné-tourisme

On savait bien que, partout où passait Emily, in Paris ou ailleurs, des hordes de fans ne tardaient jamais à rappliquer au détriment des équilibres existants. Voilà que l’on apprend aujourd’hui que le phénomène ne concerne pas que cette série calibrée pour rendre la vie parisienne sexy. Selon une enquête IFOP commandée par le CNC, un Français sur quatre visiterait, durant ses vacances, un lieu ayant servi de décor à une fiction, film ou série. Il fut un temps où un musée, un château, une fabrique de fromages de chèvre ou d’huile d’olive suffisaient pour justifier un détour… 

Une nouvelle manne s’offre donc aux territoires qui ne cessent de se plaindre de la disparition des commerces et des activités économiques. L’entertainment est le nouveau patrimoine. Ce phénomène, baptisé ciné-tourisme, a commencé au début du siècle avec Amélie Poulain dont les effets à Montmartre continuent de se faire sentir et n’a, depuis, cessé, d’Étretat, avec Arsène Lupin, jusqu’au large de Marseille, au Château d’If, ultime destination ciné-touristique engendrée par le succès du Comte de Monte Cristo. Dommage que les auteurs d’Un p’tit truc en plus (10 millions de spectateurs) n’aient pas eu l’idée d’associer leur scénario à une ville, elle aussi pas assez reconnue, qui aurait ainsi bénéficié d’un attrait aussi immédiat qu’inespéré. Limoges, Saint-Etienne ou Clermont-Ferrand, par exemple… Le ciné-tourisme n’a d’ailleurs rien d’hexagonal puisque les Bridgeton, Harry Potter, The Crown et Game of Thrones provoquent les mêmes effets en Grande-Bretagne… 

Que nous dit ce phénomène ? Pour les plus cyniques, il est la preuve que l’ennui est bien la maladie la plus universellement répandue et que le seul traitement envisageable pour la soigner est de proposer sans cesse de nouvelles raisons de se déplacer. Bouger, c’est toujours bon pour la tête. Les autres souligneront l’envie actuelle des spectateurs de faire grandir le lien émotionnel qui les unit à une œuvre en revivant et en partageant « en vrai » certaines de ses scènes. Comme s’il fallait désormais « checker » le réel pour mieux éprouver les émotions induites par la fictionComme si la fiction, originellement éloignée du réel, avait fini par le rejoindre pour y trouver une condition supplémentaire de son attractivité. 

On aurait tort de stigmatiser le phénomène car il permet d’éviter que le divertissement ne devienne qu’un passe-temps addictif vide de sens. La fiction au service du réel et le réel au service de la fiction : un aller-retour on ne peut plus vertueux.