Du point au trait

Y-a-t-il encore en 2024 un secteur qui ne se demande pas comment parvenir à proposer une « expérience » à ses clients ? Le mot expérience compte désormais triple au Scrabble marketing. 

La voiture a remisé au garage tout discours de performance, d’économies ou de confort pour ne vendre qu’une « expérience de conduite » véhiculée par un design affirmé. Les magasins de luxe se muent en lieux hybrides, mi espaces de restauration, mi galeries d’art pour une « expérience d’achat exclusive ». La restauration réfléchit au-delà de l’assiette et des couverts pour lorgner du côté de l’immersif pendant que les hôtels ne cessent d’inventer de nouvelles propositions festives pour que l’on se souvienne d’eux autrement qu’en raison de la taille de leurs chambres. Début mai, Airbnb dévoilait ses nouveautés parmi lesquelles un onglet, finement baptisé ‘Iconiques’, regroupant des hébergements uniques et hautement désirables dans des musées ou des décors de films. Il n’y a plus guère que les agences bancaires et les supermarchés qui seraient encore en déficit d’expérience… 

Certains liront cette quête d’expériences à tout prix comme le pendant de la quête de sens dans le monde du travail, symptôme d’une société en recherche permanente d’une troisième dimension capable de transcender le réel. Les plus cyniques verront derrière l’arbre de l’expérience, la forêt d’un désir malin des marques et des enseignes de se glisser dans de nouveaux habits pour éviter d’avoir à rappeler de façon trop pesante à des consommateurs, à la fois hésitants et demandeurs de « toujours plus », qu’ils sont attendus à la caisse. Une manière de faire diversion et d’inciter à regarder ailleurs en oubliant, momentanément, les étiquettes et même, parfois, les produits eux-mêmes au profit du moment. 

La consommation passe ainsi progressivement du point au trait. Le point, c’est l’instant, le produit, le prix, le lieu de vente. Le trait, c’est ce qui relie le présent et le futur, ce qui subsiste après l’achat, ce qui s’étire dans le temps : un souvenir, une émotion, un sentiment d’exclusivité qui viendront donner une dimension émotionnelle et temporelle supplémentaire à l’acte d’achat. De quoi nourrir une conversation ou initier un échange sur les réseaux. 

Plus le trait sera étiré, plus la marque sera forte. Hier, les marques nous racontaient de belles histoires ; aujourd’hui, elles nous invitent à les vivre. Elles se définissaient comme des univers, les voilà qui se rêvent en art de vivre. 

Un futur fermenté

Le marché des boissons fermentées est en pleine expansion. Le kombucha, qui en représente plus de la moitié, est une boisson à base d’infusion de thé au sucre de canne, fermentée par une symbiose de levures et de bactéries. Il se distingue des sodas traditionnels par sa teneur en sucre réduite tout comme le kéfir de fruits, obtenu par fermentation à partir de grains de kéfir, légèrement gazeux et pouvant être consommé sans ajout de sucre. Les boissons fermentées présentent de nombreux avantages pour la santé et l’environnement comme la réduction de l’impact environnemental grâce à leur fabrication artisanale et à l’utilisation d’ingrédients biologiques. Elles bénéficient aussi de divers bienfaits pour la flore intestinale et sont remarquables par la présence de vitamines et d’antioxydants. 

A Paris, des magasins spécialisés dans les produits fermetés ont déjà fait leur apparition : La Fermentation générale (rue de la Folie Méricourt) et Le Paon Qui Boit (aux Buttes Chaumont) où l’on peut trouver des boissons fermentées déclinées en différents parfums, certes, mais aussi du pain et de la foccacia fermentés. Ces boissons figurent aussi sur les cartes des grands restaurants, comme ceux de Florent Ladeyn, David Toutain ou Mauro Colagreco, sans doute aiguillonnés par le chantre danois des fermentations René Redzepi, chef du restaurant Noma de réputation mondiale. 

On peut donc raisonnablement s’attendre à voir prochainement débarquer dans les quartiers gentrifiés une vague de « caves à kombuchas » et de « bars à kéfirs » et, sur les linéaires, des boissons « d’inspiration fermentées » imaginées par des marques toujours désireuses de capter les tendances émergentes. Après le cidre, un cousin pas si éloigné, voici donc les boissons fermentées parties elles aussi à la conquête de l’apéritif, le nouvel eldorado post-covid. 

Elles ne manquent pas d’atouts, surtout vis-à-vis des représentants de la Gen Z qui boivent plutôt moins d’alcool que leurs aînés (il suffit d’observer la progression des bières sans alcool pour finir de s’en convaincre), se montrent ultra réceptifs à tous les arguments de naturalité et de santé et jamais indifférents à la perspective alléchante d’une ultime forme de distinction sociale toujours très prisée sur les réseaux. Et puis, avec leur légère pétillance et leur goût segmentant (pour le moins), les boissons fermentées leur offrent aussi un supplément d’expérience bien dans l’air du temps … Les boissons fermentées ont vraiment tout bon.