Hier, et comme chaque mois depuis 2016, les Champs-Elysées étaient réservés aux piétons. Une initiative qui finit par devenir banale, mais dont l’existence ne doit rien au hasard. La décrypter, c’est comprendre notre époque pour mieux devancer les attentes de nos compatriotes. Pourquoi donc une avenue qui, depuis son origine, est destinée à accueillir du trafic (et même beaucoup de trafic, vu sa largeur…) décide-t-elle, un jour, de se couper de cette réalité pour s’offrir aux piétons ? C’est un peu comme si, une fois par mois, les descendants des plus vieilles familles nobles décidaient de fermer le château de Versailles au public pour y passer la journée…
La réponse a d’abord à voir avec les notions d’espaces privés et publics. Puisque l’espace public se privatise de plus en plus (trottoirs annexés par les terrasses des restaurants, les vélos et autres trottinettes en libre-service) pourquoi ne pas rendre symboliquement aux habitants ce qu’on leur grignote chaque jour ? La privatisation des Champs-Elysées relève de la même logique que celle des quais de Seine. Outre ce combat privé/public, l’initiative est révélatrice de ce qui est sans doute la plus forte des attentes du moment : vivre une expérience. L’expérience comme bouée de sauvetage providentielle face à un quotidien perçu comme un peu terne et répétitif. Il « suffit » ainsi de modifier la destination d’un lieu pour, instantanément, en renouveler la perception.
Si la perspective de vivre une expérience nouvelle a toujours été très attrayante, le plaisir qui lui est associé est aujourd’hui décuplé par l’idée de le partager sur les réseaux sociaux. Ici, les photos inédites de l’avenue vidée de ses véhicules ne manqueront pas de s’y retrouver en bonne place. Vivre une expérience, c’est aussi profiter de moments rares pour inventer ses propres moments comme de pique-niquer ou de danser le tango sur les pavés de la « plus belle avenue du monde ». Place à l’imagination. Enfin, en ce début septembre, déambuler sur les Champs-Elysées peut également être l’occasion de revivre dans sa tête le défilé des Bleus après leur sacre. Car les expériences réussies sont celles qui réussissent à déclencher des émotions.