Les experts sont formels : la consommation de bière (aujourd’hui, 33 litres par habitant et par an) pourrait dépasser celle du vin (aujourd’hui, 36 litres par habitant et par an) dès 2024. La France s’apprête donc à rejoindre le camp des pays de l’Europe du Nord. Une crise que la viticulture française affronte en ce moment et dont il est assez facile de deviner les enjeux en se baladant dans tous les centres-villes de France à partir de 17h : la bière est devenue le café de l’après-midi, la boisson de la socialisation, le symbole du ralliement inter-potes ou inter-collègues, debouts sur le trottoir ou assis à une terrasse, face à un paysage ou au pied d’un immeuble. Il suffit, aussi, de noter le nombre de bars à bière, tap rooms et autres micro brasseries artisanales récemment ouverts pour se rendre compte que la bière est bien du côté du futur. Comprenez : de celui des jeunes urbains. Rien d’étonnant donc, qu’à ce rythme, elle finisse par laisser le vin derrière elle.
Certes, le monde du vin souffre des épisodes de gel, de la chute des importations chinoises due au Covid, des taxes trumpiennes, des factures énergétiques et aussi des effets du réchauffement climatique, mais il n’empêche : le fait qu’il soit en train d’être dépassé par la bière est d’abord le reflet d’une réalité générationnelle qui s’exprime par une moindre consommation que l’on pourrait aussi qualifier de désaffection. Il y aurait donc, d’un côté, le vin et ses grands crus comme figures de proue du navire France, porteurs d’une image raffinée et conviviale mais difficile d’accès, et, de l’autre, la bière comme ultime preuve de la mondialisation des goûts, sorte de Shein de la boisson alcoolisée, à la fois mode, worldwide, désirable et pas chère, certes, mais pas forcément bas de gamme.
D’un côté, un imaginaire très exportable, jusque dans les films et séries du monde entier, le french wine bu par des Emily qui ne sont pas encore in Paris dans de très grands verres. De l’autre, une boisson cool, assez récente, plus pauvre en histoires que le vin, mais riche en symboles et adoptée il y a vingt ans par une jeunesse erasmusisée à Berlin ou hipsterisée à Brooklyn pour sa capacité de ralliement.
Vingt ans, soit le temps pour une génération d’installer ses habitudes et sa volonté d’être plus proche de ses pairs que de ses pères. Nos préférences ont toujours une dimension symbolique.