Libre-assistance

Jour après jour, Monoprix confirme son intention de devenir un allié de notre vie quotidienne en inventant des réponses à toutes nos attentes. Après celles liées à la mobilité urbaine (rayons d’équipements pour le vélo, mise à disposition de trottinettes, abonnements…), voici celle de la santé devenue, depuis un an, une préoccupation centrale pour les consommateurs. Des consommateurs qui veulent connaître les origines de ce qu’ils mangent, pratiquent de plus en plus d’activités sportives, quittent les grandes villes jugées trop stressantes et sont devenus très réceptifs aux nouvelles formes de médecine, pour peu qu’elles soient naturelles.

Monoprix teste ainsi actuellement, à Chatillon et à Troyes, un nouvel espace dénommé La santé au quotidien et appelé, en cas de succès, à être déployé dans d’autres magasins. La santé préventive et les médecines naturelles (huiles essentielles et produits ayurvédiques en tête) y sont à l’honneur, majoritairement bios et made in France, largement soutenues par moult objets connectés. Comme le précipité d’un air du temps tiraillé entre curiosité envers les technologies et fascination pour une nature envisagée comme source éternelle de vérités. Autre caractéristique du lieu : être organisé autour de 10 thématiques, reflets d’autant de préoccupations : activité physique, sommeil, apaisement, relaxation, diagnostic, nutrition, féminité, beauté holistique, sexualité ou « bien vieillir ». Un véritable dictionnaire de « maux-moments », preuve qu’aujourd’hui, se soigner, c’est prendre en compte son mode de vie autant que chercher à résoudre un problème de santé.

Enfin, et là réside la véritable originalité de ce lieu, des docteurs en pharmacie et des conseillers spécialisés sont présents dans l’espace de vente pour répondre aux questions des clients ainsi que des médecins, via des cabines de téléconsultation sans rendez-vous. Un paradis pour hypocondriaques. En donnant à ses clients la possibilité d’accéder librement et facilement à des infos sur leur santé ainsi qu’à l’expertise de professionnels, Monoprix vient proposer une approche de la « santé positive » et facilitante. Elle inaugure aussi le concept de libre-assistance qui pourrait bien préfigurer le futur du libre-service.

Charge mentale

Les collab’ sont partout et il n’y a guère que le monde des marques alimentaires qui considère que ce principe ne le concerne pas. Dans celui de la mode et de la déco, si l’on s’est habitué à l’idée de découvrir au moins une collab’ par semaine, le phénomène reste trop souvent limité à un échange symbolique bien compris : un supplément d’âme pour les marques contre un supplément de notoriété pour les créateurs. Ce n’est pourtant pas la seule forme de collaboration possible.

Il y a peu, on apprenait que Porsche avait sollicité Olivier Rousteing, le directeur artistique de la maison Balmain, pour concevoir des vidéos pour sa gamme Panamera autour d’un thème intitulé Drive Defined, censé décrire la force intérieure qui animerait le créateur, comme les conducteurs de la marque. Pourquoi pas. Chacun des courts épisodes de la série réalisée pour l’occasion a été publié sur les différents comptes de Porsche et sur l’Instagram du créateur. Si la mode et l’automobile pouvaient jusqu’à présent se côtoyer à l’occasion de fashion weeks au calendrier parfaitement circonscrit, leur fréquentation ne dépassait guère ces moments. Porsche et Balmain ont décidé d’aller plus loin qu’un simple sponsoring d’événements ou qu’un (attendu) modèle exclusif qui aurait été imaginé par Olivier Rousteing pour apporter une touche de glamour et de féminité au design légendaire de la marque automobile.

L’ambition est ici de mettre en lumière un état d’esprit, une forme mentale particulière que seul le luxe peut produire et qui en fait sa spécificité. Conduire une voiture de luxe est-elle une expérience si différente de celle de porter une robe couture ? Sentiment d’appartenance à une minorité de privilégiés, exclusivité, confort extrême et précision des effets ressentis sont autant de points communs. Le détour par le mental permet aussi, pour une marque de voitures, de contourner les questions qui fâchent comme celles de la consommation et des conséquences sur l’environnement, ce qui n’est pas à négliger par les temps qui courent.

La puissance automobile au service de la performance, elle-même au service de la confiance en soi. Quel plus bel exemple du pouvoir de transformation d’une marque ?

Tous en terrasse

Mercredi, on fêtera la Libération. La fièvre est palpable. Dans toutes les villes de France, de fringants cafetiers, armés de perceuses et de pinceaux préparent leur terrasse, lavent les façades de leur établissement, astiquent les chaises et les tables pour que tout soit prêt pour le Grand Jour. Ils sont si heureux et impatients à l’idée d’accueillir de nouveau leurs clients. Tous ces urbains qui, depuis plusieurs mois, rongent leur frein et rêvent du moment béni où ils vont (enfin) pouvoir boire un coup avec leurs potes en terrasse. Pas une bière sortie d’un pack de 12 acheté au Monop’ à 18h45 et bue tiède, assis au bord d’un canal ou sur la pelouse d’un jardin public. Non. Une bière, une vraie. Dans un verre. Bien fraîche. Celle que l’on commande d’un geste de la main en interpellant le garçon (ou la fille), de préférence par son prénom pour bien signifier aux autres qu’on est un habitué et qu’on n’hésitera pas à relancer si la commande se fait attendre. Tu m’as oublié ou quoi ? Une terrasse est bien plus qu’un lieu. C’est une utopie, avec ses codes et ses enjeux implicites.

C’est aussi un idéal de vie. Autour de la table, que des amis ou des têtes déjà croisées. L’urgence a disparu. Les conversations fusent et chacun a les répliques du rôle qu’il s’est donné. Les projets naissent, les corps se détendent, les soucis se sont assoupis, les confidences sont au bord des lèvres dès le second verre. Soudain, la vie semble différente. Un sentiment d’ailleurs saisit les esprits. Quel plus bel endroit pour affirmer que « consommer est une fête » ?

Il fut un temps où l’on refaisait le monde autour d’une table. C’est désormais sur une terrasse et autour d’un verre. Plus spontané, plus inclusif, plus festif. Moins cher aussi. Les planches à partager ont pris la relève des couverts et des assiettes, le vin doit rappeler qu’il est bio s’il veut encore attirer l’attention, les nappes et les serviettes n’ont plus cours depuis longtemps. L’attrait des terrasses tient à ce qu’elles véhiculent une certaine vision du vivre ensemble. Pas celle que l’on imaginait il y a quarante ans et que l’on se force à retrouver dès qu’un événement fédérateur apparaît. Celle des réseaux sociaux et de leurs communautés. Comment s’étonner du succès des terrasses auprès des trentenaires ?

Ma préférence à moi

L’affaire est entendue : chacun attend désormais des marques qu’elles s’engagent pour un combat plus grand que leurs offres et l’engagement est devenu le refrain le plus repris du moment. Engagement façon #MeToo, LGBT et inclusivité pour les plus en pointe. En faveur de l’environnement, de l’égalité et de la solidarité pour les plus classiques. Dernier engagement en date, celui de la maison Danone qui a décidé de remplacer la mention « à consommer jusqu’au » par « à consommer de préférence avant le » sur les emballages de la plupart de ses produits laitiers en France et en Belgique.

Avec cette décision, le groupe veut d’abord rappeler l’idée que nombre de ces produits restent parfaitement sûrs même quand leur date limite est dépassée de quelques jours. Le contrepied de plus de cinquante années d’habitude qui ont condamné beaucoup de produits innocents à la poubelle au prétexte du risque qu’ils représentaient. Une petite révolution culturelle. Cette substitution d’une date de durabilité (Best by) à une date limite de consommation (Best before) est aussi un signal fort émis par Danone pour prouver son engagement dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, au même titre que Saint Moret ou La Vache qui Rit et leurs conseils on-pack conçus avec Too Good To Go.

Enfin, ce glissement sémantique en dit beaucoup plus qu’il n’y paraît sur la relation entre les marques et leurs consommateurs et, plus particulièrement, sur le rôle joué par chacun d’eux. L’irruption du mot « préférence » ne signifie-t-elle pas d’emblée l’acceptation du libre-arbitre du consommateur ? Ici, Danone rompt avec le modèle de la marque-parent, qui vient rappeler aux enfants les interdits, pour endosser celui de la marque-adulte qui s’adresse à des pairs responsables. Il était temps. La société de consommation est bien à un moment charnière que les crises actuelles (tant écologiques que sanitaires) viennent révéler. Chacun a désormais pris conscience que les marques ne sont plus les seules à fixer les limites à ne pas dépasser et qu’elles ne pourront pas changer le monde sans le soutien et la participation des consommateurs. Que vaut le désir d’engagement des marques sans la volonté d’agir de leurs acheteurs ? 

Ici est ailleurs

Le secteur hôtelier est sans doute le meilleur capteur de l’air du temps qui soit. Quand tout va bien, il sait inventer pour mieux séduire et attirer ceux qui voyagent. Quand ça va moins bien, il sait aussi se réinventer. La résilience en action. Force est de constater qu’il n’est pas resté en berne durant cette période d’attente et d’incertitudes. Dans le monde d’avant, l’événement hôtelier avait souvent à voir avec l’inauguration d’une terrasse à la vue époustouflante, ou celle d’un complexe de remise en forme aux promesses chimériques. Les choses semblent avoir un peu changé. Il n’y a pas que le Cheval Blanc dans la vie.

Le mois dernier, tous les médias relayaient l’ouverture de l’hôtel Paradiso installé au-dessus du MK2 Nation, à Paris, en soulignant l’originalité de sa proposition qui fait de chaque chambre une salle de projection individuelle potentielle. La presse nous apprend maintenant que l’hôtel Cabane, à deux pas de la gare Montparnasse, venait d’ajouter à ses chambres classiques, une tiny house en bois, suspendue dans son jardin et accessible par une passerelle. Comme une cabane dans les arbres. Idéal pour se ressourcer en oubliant la ville.

Pour faire oublier la réalité, hôtel Lutetia a choisi, lui, de solliciter des stars. Après Francis Ford Coppola, c’est au tour d’Isabelle Huppert (devenue plus disponible depuis un an) de se pencher sur l’identité d’une de ses suites. La 623, 70 mètres carrés au 6ème étage. Ça et là ont ainsi été glissés quelques uns de ses objets personnels : une robe couture Saint Laurent, le scénario du film La pianiste, une photo de tournage, une affiche de cinéma, des livres aimés… l’esprit de l’actrice est partout, jusque dans les draps brodés I.H et embaumés de son parfum, dont un flacon est mis à disposition. Fracas de Piguet. Plus chic, what else ? Une première. Et peut-être une nouvelle manière d’envisager les collaborations avec les stars. Davantage comme témoins qu’icônes. 

Quel est le point commun de ces différentes propositions hôtelières ? De toutes nous emmener ailleurs sans avoir à bouger : dans une salle de cinéma, dans une cabane ou chez une star. Loin de la réalité et de ses restrictions. Traditionnellement, les hôtels étaient des bases de repli rassurantes pour ceux qui n’étaient pas chez eux. A l’hôtel comme chez soi. Les voilà qui peuvent aussi apparaître comme des perspectives d’évasion pour ceux qui ne peuvent pas bouger. A l’hôtel ailleurs que chez soi. Moins tautologique qu’il n’y paraît…

Big Bazar

On apprend par la presse pointue que l’ultime tendance du moment se nomme Cluttercore et qu’elle consiste à entasser des objets de toutes sortes de façon assez maîtrisée pour donner au tout un air de bazar. Une tendance qui pourrait être à la déco ce que le gel « effet décoiffé » est à la coiffure. Nous voilà bien loin de la névrose obsessionnelle de Marie Kondo et de la prédiction des gourous de la crise sanitaire qui nous voyaient délaisser le superflu pour embarquer à destination du pays de la frugalité. Faut-il y voir le signe d’un changement de paradigme ? Plus certainement le résultat d’un mouvement de balancier qu’affectionne tout particulièrement notre société de consommation. Le vide après le plein. Le plein après le vide.

Certains y liront la quête d’un environnement chaleureux nécessaire quand l’époque n’incite pas à l’euphorie. D’autres, le signe d’une envie d’exprimer  sa créativité sans trop de contraintes, à partir de tout ce qui nous tombe sous la main. Plantes (Ficus, Sanseveria), livres, cadres, peluches, statuettes, toiles, animaux empaillés, bougies, instruments de musique, chapeaux, fleurs en plastiques et autres assiettes décoratives peuvent ainsi s’agglutiner, se serrer les uns contre les autres pour un rendu chargé, à la limite du kitsch, mais tellement rassurant. Ils viennent du Bon Coin, d’un vide-grenier du quartier, de Maisons du Monde ou d’un voyage, de sa propre enfance ou de chez une vieille tante. Le vrai vieux y côtoie le faux vieux, le banal, le précieux. Qu’importe les origines. L’important est que chaque objet raconte une histoire. Pas forcément son histoire, mais celle de notre rencontre avec eux et entre eux. Ajoutez à cela des tapis anciens, du papier peint et des murs de toutes les couleurs et vous voilà au cœur de la tendance du moment.

Le Cluttercore donne ainsi le sentiment de s’extraire des diktats des enseignes et de la décoration de bon goût, peuplés d’objets iconiques devenus clichés. Vaste illusion, mais le principe même de la décoration n’est-il pas fondé sur la conviction de s’éloigner de ce que font les autres ? Le Cluttercore, c’est beaucoup de travail. C’est aussi, potentiellement, une source d’inspiration pour le commerce. Après les concepts store où les vendeurs passaient leur journée à réaligner au cordeau des objets présentés sur des tables impeccables, place au bazar. Un retour aux origines.

En vrac

Jamais la consommation ne nous a imposé autant de nouveaux gestes. Bien réfléchir avant de vider ses poubelles, ne pas oublier de rapporter ses piles et ses ampoules, prendre l’habitude d’avoir toujours un tote bag sur soi, penser à apporter ses propres boites chez le traiteur et à réutiliser les sacs en papier kraft chez le marchand de fruits et légumes… Dépenser, c’est d’abord penser. 

Dernier geste en date à (vite) intégrer à ses habitudes : le vrac. Le fantasme du produit brut, là, sous nos yeux, sans l’intervention des marques, de leurs cartons d’emballage, de leurs contenants en plastique et même de leurs belles images. Enfin libres ! Vraiment ? Pour les produits d’épicerie sèche sans marque, ok. Mais pour tous les produits que nous avons découvert avec la caution d’une marque, pas si simple.

De toutes les nouvelles habitudes prises, acheter en vrac est sans doute celle qui est la plus dérangeante car le vrac vient modifier nos critères habituels d’évaluation. Et incidemment, attirer notre attention sur le prix… Si tout le monde a une petite idée de ce que coûte un paquet de biscuits, qui sait combien il pèse ? Quel poids de pâtes faut-il acheter pour nourrir quatre personnes ? Combien de grammes de poivre pour remplir une poivrière ? Des questions que nous ne nous étions jamais posées.

Le vrac vient aussi faire naître en nous un sentiment étrange, proche de celui que ressentent les enfants qui partent seuls en vacances pour la première fois. Entre liberté et abandon. Les « suggestions de présentation » qui excitaient nos papilles, même si nous nous attendions à être déçus, ont disparu. Tout comme les recommandations, les idées de recettes qui stimulaient notre imagination et les évocations de Provence qui mettaient du soleil dans nos assiettes.

Certes, une enseigne comme Day by Day parvient à proposer du vrac tout en ménageant une place pour les marques telles Kellogg’s, Babybel, Danone et Lustucru Mais si elles sont encore peu nombreuses, c’est parce que plonger dans le vrac, c’est pour elles plonger sans leurs story-tellings, sans leurs packagings, sans leurs belles images. Dans le vrac, ce ne sont pas les produits qui sont nus, mais les marques. Leur part de rêve est partie, ne reste plus que le produit. Les voilà en vrac à se demander comment elles pourraient se reconstruire pour retrouver leur pouvoir de séduction.

Têtes de gondole

Cet hiver, on découvrait un magazine lancé par Sophie Davant, baptisé en toute simplicité et dont la couverture arborait fièrement un « Osez (enfin) devenir qui vous êtes vraiment », auquel il était difficile de rester indifférent tant la promesse touchait à l’universel. Le succès fut tel que le numéro fut réédité pour finir à 160 000 exemplaires vendus. Tout de même. Crise sanitaire oblige, la parole de Michel Cymes (que l’on n’appelle pas toujours docteur) s’est répandue sur tous les plateaux télé, l’occasion de nous souvenir que son magazine, Docteur Good, existe depuis 2017 et pourrait opportunément se retrouver sur la table basse de notre salon.

La semaine dernière, Stéphane Plazza lançait à son tour son bimestriel. Son absence nous aurait presque inquiétés. Dénommé «  Bienvenue chez vous by Stéphane Plazza », il aidera chacun d’entre nous à réussir son projet immobilier, sa décoration et ses travaux. Soit une bonne partie de sa vie. Le tout avec une approche « résolument proche, positive, bienveillante et experte » selon son éditeur. 175 000 exemplaires sont prévus. A quand un magazine sur les chanteurs d’hier, d’aujourd’hui et de demain, orchestré par Nagui (N’oubliez pas les paroles) ou un autre dédié au patrimoine en danger, architecturé par Stéphane Bern ?

La transformation progressive de tous les présentateurs télé en magazines sent bon le filon. S’il est difficile de prédire le succès de ce genre de publications à long terme, une fois passé le temps de la curiosité et face à l’obligation de toujours se renouveler, leur soudaine multiplication nous renseigne autant sur les intentions de développement des médias traditionnels que sur l’érosion des frontières entre les genres. Une véritable grille de lecture de notre société que les marques doivent regarder comme de nouvelles opportunités de collaborations.

Elles qui ont longtemps couru après les experts en blouses blanches pour crédibiliser leurs discours, puis après les people pour booster leur notoriété et se parer de quelques paillettes, pourquoi ne traqueraient-elles pas, aujourd’hui, les présentateurs télé ? Moins glamour mais sans doute bien plus efficace, en raison de leur apparente proximité et de leur sympathie sur-jouée. Jusqu’à présent, ce sont plutôt ceux qui ont quitté le petit écran que l’on revoit volontiers derrière les marques…

Il est où le concept ?

Il y a peu, on découvrait coup sur coup, les dernières productions publicitaires de Picard et de La Redoute. Deux marques familières, aimées, installées dans le coeur et l’esprit des Français qui, pourrait-on penser, n’ont plus besoin de se présenter. Simplement de venir expliquer leur raison d’être en cette période où la parole des marques est de plus en plus suspecte et le sens de la consommation questionné.

Chez Picard, finies les sempiternelles images de bols et d’assiettes, place aux « vrais gens » (vus par la pub) qui défilent devant la caméra, accueillis par un Bienvenue fédérateur qui ne doit surtout oublier personne. Bienvenue à toi qui n’attends pas la saison pour que ce soit la saison, aux fans de légumes motivés (comprenez, les végétariens) qui n’ont rien contre un burger, à toi qui n’habites pas un palais, etc. Le film s’achève par l’indispensable compartiment RSE mettant en scène collaborateurs, fournisseurs et producteurs, bien séparé de la partie dédiée aux consommateurs, ce qui n’est pas sans poser de questions…

Du côté de La Redoute, on continue de décliner la fibre sociétale émotionnelle qui constitue désormais son territoire d’expression. Après les relations parents-enfants au sein des familles recomposées, voici le temps des relations fraternelles. Deux frères qui se chamaillent et s’aiment bien. Le grand quitte la maison et laisse sa chambre au plus petit. Une histoire simple et « authentique » racontée en une minute et au cours de laquelle La Redoute ne manque pas une occasion ne nous proposer quelque chose à acheter.

Ces deux films incarnent parfaitement la manière dont les marques aiment aujourd’hui se voir : inscrites dans le quotidien, s’adressant à tout le monde (obligation d’inclusivité) et au service de la vie. Une ambition qui vise l’universel au risque de perdre le spécifique. Le film Picard aurait-il été différent s’il avait été signé par Carrefour ? Et le film La Redoute par Amazon ? Quel est le rôle de Picard ? De donner envie, de surprendre, de faire découvrir. De transformer ses clients, de les emmener dans un ailleurs à eux-mêmes et non de les laisser où ils sont dans leur diversité et leurs vérités. Expliquer le rôle de La Redoute comme marketplace doit-il nécessairement passer par l’idée que la consommation permet toutes les réparations affectives, idée un peu dérangeante au moment où l’on cherche partout le sens et la responsabiité ?

Que construisent finalement ces marques pour elles-mêmes ? Où sont passés les concepts qui font les territoires des marques ?

Rencontre

Le philosophe urbain Charles Pépin a récemment publié un ouvrage sur la rencontre (« La rencontre, une philosophie » aux éditions Allary) où il dissèque ce moment si particulier, à coups de références philosophiques choisies (Sartre, Aristote, Hegel…) assorties d’anecdotes empruntées à l’histoire du rock et de l’art, manière d’assurer sa modernité cool. Pas si facile que ça, commence-t-il, de faire des rencontres quand toute la logique des algorithmes qui sévit sur les réseaux nous renvoie toujours vers ceux qui nous ressemblent et que les selfies altèrent notre façon de nous présenter au monde…

L’auteur aborde la rencontre amoureuse. Forcément. Amicale ou professionnelle. Evidemment. Mais pas la rencontre avec les marques. Dommage. Et pourtant. Que se passe-t-il chaque fois que nous achetons quelque chose si ce n’est une rencontre ? La vraie rencontre a lieu quand on comprend que l’on ne se suffit pas à soi-même,explique l’auteur. Voilà le rôle des marques défini d’une manière aussi inattendue que pertinente. La marque est, à travers ses produits, un complément de soi. Elle vient se substituer à une incompétence ou à une non-maîtrise. C’est la marque service. Elle vient éclairer, expliquer, argumenter, nous renseigner sur son histoire et sur les origines de ses produits. C’est la marque pédagogique. Elle vient corriger, réparer, rééquilibrer. C’est la marque citoyenne.

Le vrai critère de la rencontre, poursuit l’auteur, c’est le changement. Si je reste le même qu’avant la rencontre, c’est qu’il n’y a pas eu rencontre précise-t-il. N’est-ce pas (trop) souvent ce qui nous arrive lorsque nous achetons une marque ? N’allons-nous pas même, parfois, jusqu’à ignorer le nom de la marque du produit que nous venons d’acheter ? La vraie fonction (souvent oubliée) d’une marque est de nous transformer. En la fréquentant, nous devons voir le monde différemment, faire évoluer nos valeurs et nos outils d’évaluation, nous sentir plus forts, plus séduisants, plus conquérants, plus cultivés, plus sensibles.

Il y a dans la rencontre, ajoute encore l’auteur, le socle d’une surprise et, simultanément, la sensation d’une familiarité qui suppose d’être disponible à ce que l’on n’attend pas. Une expérience de l’altérité et un sentiment de retrouvailles. Un pied dans le connu et un autre dans l’inconnu. Une promesse rassurante de voyage dans l’univers de l’autre.