Enseignes gigognes

Le phénomène est apparu durant le confinement. Non autorisées à ouvrir parce que considérées comme non essentielles, certaines enseignes ont trouvé refuge chez d’autres qui leur ont ouvert leurs portes. Un bel exemple de solidarité. Dès le mois d’avril, Décathlon a pu ainsi vendre une sélection de ses produits chez Auchan et Franprix. L’initiative s’est très vite multipliée jusqu’à devenir une des pratiques commerciales du « monde d’après », preuve qu’il y a toujours quelque chose à tirer d’une crise. 

Après Darty, Aubert, Pacific Pêche, Cash Converters chez Carrefour ou encore Boulanger, Electro Dépôt et Cultura chez Auchan, quatre nouvelles enseignes font aujourd’hui leur apparition dans les hypermarchés Géant Casino : Claire’s (bijoux et accessoires fantaisie), C&A avec des shops in the shop de 400 m2, Hema et Moovway, l’un des nouveaux acteurs du marché des vélos et des trottinettes électriques.

Le non alimentaire a toujours été à la peine dans la grande distribution. Le fait qu’elle se mette à accueillir des enseignes spécialisées est d’abord un aveu de son impuissance à trouver un modèle rentable. Mais c’est aussi un signe de sa réactivité car les hypermarchés sont aujourd’hui délaissés au profit du drive et des petits formats de proximité. Accueillir des « miniatures » d’autres enseignes dans ses murs peut être une manière de retrouver de la désirabilité et de se différencier. Se différencier ne consiste pas toujours à se trouver une Unique Selling Proposition, mais à apparaître sous une forme nouvelle pour répondre aux attentes du moment : de l’étonnement et de la praticité, du côté des consommateurs, et des réductions de coût, du côté des enseignes.

Les grands magasins avaient ouvert la voie des « shops in the shop » (dernier arrivé en date : Au Vieux Campeur, au Printemps) qui, depuis, n’ont cessé de se développer, en raison de rapprochements d’entreprises (Fnac-Darty et Nature & Découvertes), au gré des opportunités (Occitane et Pierre Hermé sur les Champs-Elysées), ou comme aujourd’hui, sous la forme de rayons plus ou moins pérennes. Les contours de la distribution de demain commencent à se dessiner : plus agile et plus collective. Deux vertus indispensables pour survivre dans le monde d’après.

Les ficelles de l’apparence

Les vêtements racontent autant une époque que ceux qui les portent. Force est de constater que la guerre que nous avons mené contre le virus n’aura pas été sans effets sur notre façon de nous habiller. Peut-être le premier signe de ce « monde d’après » tant  fantasmé et que certains cherchent encore. Contraints de rester à la maison et d’être réduits à un visage sur un écran d’ordinateur, nous avons moins ressenti la nécessité de nous « habiller » durant deux mois. Conséquence : les préoccupations stylistiques ont laissé place à celles de confort et, très vite, à la faveur d’une météo plutôt estivale, les rues des villes prirent des allures de stations balnéaires où il n’était pas rare de croiser des hommes et des femmes en tongs et shorts.

Le phénomène ne s’est pas atténué depuis le 11 mai. Certes, le télétravail n’a pas disparu, mais, comme disent les experts, les crises viennent toujours révéler et prolonger des mouvements déjà amorcés. La coolitude vestimentaire au travail avait débuté au début du siècle avec les start-ups animées par l’idée de bien souligner qu’elles n’appartenaient pas à l’ancien monde (déjà), celui des « bricks » et du « mortar ». Le modèle stylistique de Marc Zuckerberg s’est alors vite imposé : chaussettes blanches et claquettes de piscine aux pieds, T-shirt et capuche sur la tête. La classe.

Au début de l’année, les têtes chercheuses de la mode identifiaient une version corporate de la coolitude : la business jacket, soit une veste sans manches, en polaire ou matelassée, longtemps réservée aux vignerons et aux varappeurs du dimanche, soudain devenue un symbole de compétence professionnelle et de réussite pour le dixième du prix d’un costume Armani. Pas sûr que le style en sorte grandi…

Toutes ces tenues, portées indifféremment du soir au matin, en semaine et en week-end, viennent autant nous confirmer la porosité des frontières entre vie privée et vie professionnelle qu’une envie individuelle de s’extraire des contraintes dictées par des règles sociales. Chacun se berce ainsi de l’illusion que sa personnalité compte davantage que son apparence et qu’il ne peut être rangé dans aucune boite. Même si cette intention conduit finalement à la reproduction d’apparences stéréotypées.

Les nouveaux Graal

De la contrainte nait la créativité. Empêchées d’initier des événements festifs pour donner à leurs clients l’occasion de partager un moment avec elles, restreintes dans la communication de leurs produits par peur de paraître trop légères, nombreuses sont les marques qui se sont mises en quête de nouveaux modes d’expression. Le podcast, tout d’abord, vite perçu comme le nouveau Graal, la dernière « place to be » pour toutes les marques, y compris celles du luxe, qui veulent montrer au monde qu’elles ne sont pas que marchandes, mais ont aussi des valeurs et quelque chose à raconter. Certes, le podcast était particulièrement bien adapté au confinement, mais de là à le voir en nouveau média… Pas toujours facile de savoir faire régulièrement, court, intéressant et avec un angle original. Pas sûr, non plus, que l’engouement dure longtemps quand on constate (parfois, déplore) l’importance prise par l’image et l’impatience croissante des jeunes générations…

Pour garder le lien avec leur communauté,  d’autres marques ont préféré se tourner vers Instagram pour tenter d’établir avec elle une relation Live, l’autre Graal du moment. Les experts parlent déjà de Live Marketing. Le mois dernier, Levi’s avait en tête de fêter son 501 avec un concert, comme elle a l’habitude de le faire depuis 2017. Mais cette année, ce fut un festival en ligne via son compte Instagram avec une programmation de 9h30 à 18h30… Un documentaire en plusieurs épisodes sur le 501, créé en 1873, pour commencer la journée, suivi d’une conférence menée par une historienne de la marque. A 11h, la marque proposa une heure d’atelier de personnalisation de ses jeans et pièces denim et, à partir de midi, un show musical débuta avec des sessions de trente minutes par des groupes répartis dans toute l’Europe, de l’Espagne à la Suède. La journée s’est conclue par un DJ set et le lancement d’une nouvelle collection, histoire de voir au passage les réactions.Cette année, le Levi’s Day ne ressemblait décidemment pas aux précédents.

En mêlant histoire, concert et lancement commercial, il nous renseigne sur les contours d’une nouvelle forme de communication possible pour les marques, en complément de leurs actions habituelles : des moments partagés, rares et fortement émotionnels. Parfait pour affirmer leur personnalité et donner à leurs acheteurs le sentiment de faire partie d’une même communauté.

La joie de faire

Pendant la période de confinement, les Français se sont improvisés boulangers comme l’ont prouvé le nombre de requêtes de recettes de pains faites sur Google Trends (+400% au mois de mars), la disparition rapide en rayons des farines T55, T65, T80 et T110 (la culture de la farine se sera au moins enrichie durant cette période) ou encore le succès du pain cocotte sur les réseaux. Les raisons d’un tel engouement sont faciles à comprendre. Faire du pain, c’était éviter de se rendre à la boulangerie trop souvent. C’était aussi s’occuper, occuper ses enfants et, ainsi, consommer un peu de ce temps devenu soudain si abondant. C’était enfin (et surtout) éprouver la satisfaction de faire par soi-même et la fierté (largement partagée…) d’avoir réussi à maîtriser quelque chose, ce qui, en cette période marquée par l’incertitude, est toujours appréciable. Pas sûr que cette passion pour le pain perdure, mais le confinement a fait que nous ne le regarderons plus comme avant. 

Cet engouement est à rapprocher de l’autre succès du moment : celui de la poterie, désormais renommée céramique (plus chic). Depuis peu, les ateliers de céramistes sont en effet pris d’assaut par ceux et (surtout) celles qui, dans leur vie d’avant exerçaient des métiers bien éloignés de l’artisanat. Faire quelque chose de concret et d’unique, s’oublier et oublier son environnement par la concentration mentale, se rapprocher de l’essentiel… Les motivations qui conduisent au pain ne sont pas loin. La quête de sens et le désir de se faire du bien, non plus, poussant la céramique à venir s’installer entre la méditation et le yoga.

Les marques l’ont bien compris puisque l’on retrouve des céramiques chez Habitat, chez Alinea, dans le concept-store marseillais de Sessùn, dans presque tous les magasins de la rue (arty) du Château d’eau, à Paris, et même chez Saint Laurent sous la forme d’un coffee mug noir ou zébré forcément collector. Des collaborations avec des artisans qui viennent donner du sens à des offres souffrant parfois du virus du copié-collé… Le point commun entre le pain et la céramique n’est-il pas finalement qu’ils procurent tous deux de la joie ? La joie, vous vous souvenez, celle que Marie Kondo éprouvait après avoir rangé ses placards.

Dans le monde d’après, ce ne seront pas seulement les activités essentielles qu’il faudra privilégier, mais aussi celles qui procureront de la joie.

On a hâte

S’il n’est pas toujours facile de différencier le monde d’après du monde d’avant, il existe un indice imparable pour nous mettre sur la piste : il suffisait d’observer les vitrines des magasins et des restaurants qui s’adressaient à nous comme si nous étions leurs amis. Jusqu’à présent, nous étions, soit des clients, soit des clients fidèles, soit, parfois, des habitants du quartier, histoire de jouer la carte de la proximité territoriale, mais jamais plus.

Fin mars, les magasins ont commencé à multiplier les signes d’empathie à notre encontre. Des « promis, on se revoit » et des « on a hâte de vous revoir » propres à la période de confinement, suivis, dès le 11 mai, de « content de vous revoir », de « vous nous avez manqué », de « sans vous, c’était vraiment pas cool » et même de « we are happy to see you back at our stores », preuve que l’amitié est bien sans frontières. Toutes ces petites pancartes fixées sur les vitrines des magasins nous faisaient penser à ces banderoles suspendues aux balcons que l’on apercevait au cours de nos semaines confinées, pleines de dessins d’enfants, de petits cœurs et de bisous adressés aux représentants des métiers indispensables.

Les messages de vitrines viennent aujourd’hui nous confirmer que l’économie relationnelle a bien supplanté l’économie transactionnelle. Le client n’est décidemment plus en face du vendeur, il est à ses côtés… tout en respectant la nécessaire distanciation… L’image ne pourra qu’étonner les plus de quarante ans. Les autres sont habitués au brouillage des frontières. N’ont-ils pas déjà participé à des campagnes de crowdfunding ou aidé le lancement de start-ups dont ils ont aussitôt été les premiers et les plus fidèles clients ? L’entreprise est devenue une aventure et ses responsables sont comme des présidents de BDE : d’abord des élèves. Et quand les difficultés apparaissent, pas question d’évoquer sa trésorerie, les baisses de fréquentation ou d’envie d’acheter. A peine des soldes privés ou des ventes « privilèges », trop connotés « ancien monde ». Entre nouveaux amis, l’important est de ne rien laisser paraître pour ne pas casser l’ambiance. On est tous potes, non ?

Comme si tous les « chief happiness officers »  avaient mis à profit leur temps de confinement pour diffuser leurs méthodes.

Les Proustinials

Est-ce vraiment un hasard ? En plein confinement, alors que chacun faisait chaque jour la liste de ses regrets, voilà que Figolu annonce son retour. La nouvelle ne fait, certes, pas l’ouverture du JT de 20h, mais elle n’en a pas moins affolé les réseaux sociaux. On connaissait la madeleine de Proust, voici le Figolu du « Proustinial ». Le Millenial nostalgique de son enfance. La société de consommation est bien devenue société de consolation. Ah ! qu’il était doux le temps d’avant où l’on mangeait des Figolus après l’école. Maman, j’veux pas grandir.

Le Figolu n’avait pas disparu du marché en 2015. Il avait disparu sous sa forme d’origine (iconique comme diraient ceux qui ne renoncent jamais à une exagération). Remplacé par un improbable « Figolu la barre » dont le nom a de quoi laisser perplexe. On imagine bien le brainstorming de folie à l’origine de cette invention : séduire les plus jeunes, surfer sur le nomadime, faire de Figolu « le compagnon du cartable »… L’obligation de « faire moderne » à défaut de l’être vraiment. Car la modernité s’accommode très bien du passé. Et plus que jamais depuis que le futur se conjugue au conditionnel… Aujourd’hui Figolu, hier, Grosquick et Burger King et demain, peut être, les tartelettes Diego ou les tablettes de chocolat Merveilles du monde.

Le cas Figolu est cependant légèrement différent en raison de sa personnalité. Il vient rappeler qu’il n’est pas toujours besoin de surjouer les signes de la régression pour activer la nostalgie. Le Figolu n’est, en effet, pas vraiment ce que l’on peut appeler un biscuit « fun » : pas de couleurs vives, pas de formes rigolotes, pas de petit personnage bisounours qui vient faire coucou sur le packaging. Non, avec un Figolu, on rit quand on s’étouffe. Pas de quoi, non plus, se répandre sur Insta. Imagine-t-on fêter son anniversaire à coup de Figolus ? Avec son côté rectangulaire, sec et sans fioriture, il apparaît comme un biscuit protestant, presque frugal. Alors, pourquoi cette vague d’émotion sitôt son retour annoncé ? Parce que le Figolu a un goût particulier qu’aucune marque distributeur n’a réussi à imiter. Parce que le Figolu est unique par sa forme et sa texture. Hors temps, hors mode et hors tentative de séduction sinon par sa propre identité. Le secret des grands séducteurs.

Top regrets

Selon une étude Ifop menée pour Le Fooding et Uber Eats, les plats qui ont le plus manqué aux Français pendant le confinement furent la pizza, les moules frites et le steak frites. Bravo les frites. Le burger n’arrive qu’en 9ième position… Sans doute avec des frites… Notons au passage que, durant cette période, les plats cool et instagramables (ramen, sushi, bo bun, tacos) ne furent pas les plus regrettés. Retour aux fondamentaux et à sa propre satisfaction. Et tant pis pour la modernité likée. 
 
Comment s’étonner de la position triomphale de la pizza ? Certes, la pizza est généreuse, populaire, simple, accessible à tous et sans surprise. Mais son succès vient surtout de l’infinie combinaison d’ingrédients qu’elle permet. Romaine, napolitaine, américaine, hawaïenne, voire marseillaise, montpelliéraine ou lilloise, elle est un lieu de libre expression autant qu’un symbole de réconfort (la fameuse « comfort food »), deux promesses très désirables en période de restriction. Difficile, par ailleurs, de dissocier regret d’un plat et regret d’un moment pour expliquer la position élevée des moules frites et des steak frites, davantage consommés au restaurant que chez soi et donc forcément associés à de bons souvenirs. Chacun sait, qu’à la maison, ils n’ont pas la même saveur… 
 
Pour ce qui concerne le mauvais classement du burger, on peut tout d’abord lui objecter les images aperçues sur les réseaux durant le confinement : des files interminables de voitures sitôt la réouverture annoncée des Mc Do en drive et en vente à emporter (en Ile de France, en Belgique et au Luxembourg). Les commandes en Ile de France ont même dû être plafonnées à 60 euros par voiture… Le signe d’une désirabilité certaine. Et la preuve que le Mc Do n’est pas un burger. Mc Do est une destination. Surtout quand il s’agit de prendre sa voiture. Mc Do est un lieu identitaire où chacun goûte le plaisir d’être avec sa tribu davantage que ce qu’il mange. Mc Do est la somme de tous les souvenirs qui font la vie depuis son premier Happy Meal. Les autres burgers peuvent, certes, séduire quelques urbains adeptes d’authenticité et de réseaux sociaux, mais l’expérience qu’ils proposent ne sera jamais assez forte et partagée pour susciter le regret ou le manque. 
 
Ce qui manquait aux Français pendant le déconfinement, ce n’était finalement pas un burger, mais la possibilité de se rendre chez Mc Do. Comment s’en étonner ?

Ré-enchantement

Oui le confinement a été long. Oui, il a modifié nos habitudes. Mais il nous a aussi appris qu’une autre façon de vivre était possible et que le quotidien que nous voulions chaque jour effacer en appuyant sur la touche « Avance Rapide » avait bien des choses à nous apprendre si nous lui préférions la touche « Pause ». Pendant le confinement, chaque acte anodin était une source de joie potentielle comme dirait Marie Kondo qui n’avait pas attendu le virus pour nous demander de vider nos placards.

Parce que leurs journées leur semblaient interminables, les plus créatifs d’entre nous ont su transformer chaque micro-événement du quotidien en happening festif. Il suffisait de jeter un œil sur Instagram pour s’en convaincre, où les défis en tous genres se sont multipliés comme de jongler avec des rouleaux de papier toilette ou de  reproduire des tableaux célèbres à partir de ce que l’on avait sous la main. Sortir la poubelle, « faire » les carreaux, la poussière et même la liste des courses avaient cessé d’être des contraintes pour devenir des occupations. De petites sources de gratification personnelle que l’on n’hésitait pas à partager sur les réseaux sociaux. Et quand nous cuisinions (les Français n’ont jamais autant cuisiné depuis le 17 mars) nous accordions du soin aux détails et à la présentation de nos plats comme jamais. Certains vont regretter le confinement.

Limitées à un rayon d’un kilomètre autour de chez nous, nos sorties quotidiennes prenaient des airs d’excursions en milieu inconnu puisque nous n’avions jamais eu le temps de regarder ce qui nous entourait. Un détail architectural, un arbre, un magasin, qui étaient pourtant là depuis plusieurs années, sont soudainement devenus visibles. Le confinement a converti notre regard. Alors que nous ne pouvions plus nous tourner vers nos activités extérieures, nous avons cherché des ressources en nous-mêmes pour inventer d’autres façons de faire et de penser. Privés de l’ailleurs, nous sommes retournés à l’ici. Unique, radicale, bizarre, l’expérience du confinement dont nous venons de sortir était comme un temps d’arrêt, une mise entre parenthèses. Sans le savoir, n’étions-nous pas en train de vivre le fantasme absolu de toutes les marques depuis une dizaine d’années : le ré-enchantement de notre quotidien ?

Le temps du contenu

Si certains restaurants, privés d’activité, se sont rapidement convertis à la vente à emporter, d’autres ont tenté de continuer à exister sur les réseaux sociaux. Le monde virtuel à défaut du monde réel. Un bon réflexe. 

Sur Instagram, Big Mamma adressait à sa communauté de Millennials ses recettes de lasagnes et de babas, ces plats qui justifiaient les files d’attentes à l’époque où il y avait encore du monde sur les trottoirs. Margot, une activiste du cocktail (être mixologue ne suffit plus), fondatrice d’un bar nommé Combat, y livrait ses recettes pour nous permettre d’oublier notre état de réclusion… On pourrait aussi citer tous ces chefs confinés qui multiplient les lives sur les réseaux et même Ikea qui a profité du confinement pour (enfin !) révéler la recette de ses célèbres boulettes de viande. Le confinement a du bon. Quand les corps et les décors ont disparus, reste le temps et les idées.

Alors que nous nous apprêtons à sortir du confinement, pourquoi les marques ne s’inspireraient-elles pas de ces initiatives qui ne reposent pas sur l’achat (pour une fois), mais sur la relation ? Depuis le temps que l’on nous dit que le monde d’après ne sera pas comme le monde d’avant, voilà peut être l’une des voies à suivre. Pendant la crise sanitaire, Balmain avait ouvert ses archives et son directeur artistique proposait ses propres croquis à colorier… Les marques de mode, fortement impactées par le confinement, ne pourraient-elles pas diffuser, elles aussi, le patron d’un de leur modèle puisque certain(e)s d’entre nous ont eu le temps de prendre goût à la couture ? L’initiative serait évidemment anecdotique, mais elle ne contribuerait pas moins à associer leurs clients à leur histoire et à leur culture, ce qui ne pourra que renforcer leur communauté et, demain, le désir d’achats de celle-ci. Toujours mieux que de communiquer sur leurs modèles « pour l’été » (c’est quand l’été, cette année ?).

Quant aux marques alimentaires, ne pourraient-elles pas, elles aussi, présenter leurs engagements, leur savoir-faire, leurs filières ou encore suggérer de nouvelles utilisations de leurs produits ? La consommation ne se réduit pas à l’achat. Et la mission des marques n’est pas que de mettre des produits dans le panier des consommateurs.

Courses d’obstacles

Si le confinement a modifié notre rapport à l’espace (limité à notre lieu de vie), à notre assiette (faute de cantines et de restaurants) et, de façon générale, au temps (des lundis comme des mardis comme des mercredis), il aussi impacté notre rapport aux magasins. Les voici soudainement comme des Cendrillons qui auraient raté leur carrosse de minuit. Hier, synonymes d’expériences prétendument inoubliables, ils sont redevenus de simples pourvoyeurs de biens que l’on est bien content de trouver au bout de sa rue et dans lesquels on se rend sans l’envie d’y traîner, des fois que le virus se serait caché derrière une boite de conserve.

Hier, synonyme de fluidité, de rapidité et d’efficacité, à coups de bornes et de « sans contact » (jamais autant dans l’air du temps), le parcours que les magasins proposent est désormais jonché d’obstacles. Dans les superettes, il faut compter avec le temps d’attente pour entrer et le mètre de distanciation sociale à la caisse. Les boulangeries qui vendent sur leur pas de porte ont pris des allures de drive. Chacun attend son tour sur le trottoir. Vous faites la queue ? demandent, incrédules, ceux qui pensaient que ce genre de situation était réservé aux soldes de presse. Il nous faut aussi programmer nos courses. Pas simplement faire la liste de ce qui nous est nécessaire, mais en organiser l’achat en fonction de la proximité des magasins qui les détiennent, pour pouvoir tout acheter dans le cadre de l’heure qui nous est allouée. Une nouvelle géographie est à l’œuvre où la proximité d’un magasin s’enrichit de sa proximité avec d’autres.

Le temps des courses est aussi devenu un des rares moments où nous pouvons avoir un échange humain avec quelqu’un d’autre que nos co-confineurs. Alors que nous ne voyons plus nos voisins que sur leur balcon ou à leur fenêtre, c’est avec la caissière de notre superette que nous échangeons régulièrement quelques mots. Ca va ? Vous allez bien ? Dans le magazine Elle, on nous propose de nous habiller pour aller faire nos courses comme si nous « sortions ». Car, oui, nous sortons bien. Hier nous faisions les courses, aujourd’hui, ce sont les courses qui nous font. Ce n’est pas un changement de paradigme, ça ?