Vivre et faire

La marque de cosmétiques Lush a récemment inauguré à Liverpool son dernier flagship, qui en dit autant sur la manière dont elle souhaite être perçue que sur celle dont les enseignes doivent désormais envisager (certains de) leurs magasins. Presque 1500 mètres carrés, une façade fleurie, un Hair Lab (comprenez un espace où sont réalisés coupes de cheveux et traitements capillaires), une Perfume Library pour ceux qui recherchent des ouvrages sur les parfums, un Spa de six cabines et même un lieu dédié aux bouquets de fleurs sourcées localement, dont certaines servent à la réalisation de produits cosmétiques réalisés sur place…

La marque avait déjà imaginé un concept baptisé Naked, où tous les produits étaient vendus sans emballage. Ici, ce serait presque l’inverse tant le magasin de Liverpool est loin du dépouillement. Mieux encore : la pure « vente » des produits laisse la place à leur mise en vie. La mise en scène seule, aussi sophistiquée et théâtralisée soit-elle, ne suffit plus. Le magasin doit désormais être perçu comme une incitation à mieux connaître, comprendre, et essayer les produits.Si les fleurs sont ici si présentes, ce n’est pas tant pour décorer que pour souligner leurs vertus, véhiculées par le salon de coiffure et le spa, et leur dimension culturelle que la librairie vient nourrir. Lush vient ainsi nous rappeler à sa manière que vendre des produits, c’est d’abord vendre un imaginaire. Un imaginaire d’usages et de destination, mais aussi d’origine et de savoir-faire.

La semaine dernière, dans son magasin de Reims, Kiabi présentait son nouveau service : un atelier DIY de 100 mètres carrés (en test et destiné à se généraliser), baptisé « L’Atelier du bonheur à partager » qui organise des cours pour apprendre aux femmes à allonger la durée d’utilisation de leurs vêtements. Conseils couture, réparation, customisation, création sont prodigués par des salariés de l’enseigne accompagnés d’experts du do-it-yourself. Face au développement du e-commerce, le commerce physique doit avoir pour ambition de proposer des lieux à vivre. Pourquoi  rendre la mode accessible à tous se réduirait-il à vendre de vêtements pas chers ? Pourquoi l’accessibilité ne serait-elle pas synonyme de créativité et de pédagogie ?

Quand Lush donne à vivre, Kiabi donne à faire, preuve que l’important n’est plus tant l’offre de produits que la relation aux produits.

Le présent du futur

Jusqu’à vendredi prochain, Fnac-Darty présente sa vision de l’appartement du futur, rue Charlot, à Paris. Premier constat, le choix du lieu : un hôtel particulier du 19ème (siècle) plutôt qu’un immeuble en bois connecté du 13ème (arrondissement). Le signe que le futur fera bien son lit dans notre histoire. Un bon point. Le principe retenu est de reconstituer un appartement pièce par pièce et d’y greffer à chaque fois la vie quotidienne de son habitant. Chaque pièce est évidemment hautement connectée et (quasiment) tous les « devices » présentés sont disponibles à la vente dans l’enseigne organisatrice. Le choix de la vie quotidienne est également pertinent car il vient rappeler que c’est bien à la technologie de s’adapter à nous et non l’inverse. Commence ainsi un véritable chemin de croix (l’appartement comprend quatorze pièces, tiens, tiens…) où chacune de nos habitudes est questionnée avant d’être réinterprétée.

Une bonne moitié des innovations se présente comme une simplification. Moins de gestes, moins de contrôles, moins de présence, moins de consommation aussi. L’incontournable chien Aïbo (les innovations technologiques ont tellement peur de nous faire peur qu’elles ne l’oublient jamais) peut aussi être vu comme une simplification tant il sait reproduire la dimension émotionnelle de l’animal de compagnie tout en nous ôtant la nécessité de le nourrir et de le sortir.

Un bon tiers des objets décline le registre de la performance. Un ordinateur tellement léger qu’il peut être soulevé par des ballons, un écran de télévision de plus d’un mètre cinquante de diagonale, une plaque de cuisson capable de conserver du chocolat fondu toute une journée, un bandeau qui améliore la qualité du sommeil, un bureau autant connecté pour travailler que pour jouer…

Le reste occupe le territoire de l’étonnement. Un canapé qui vibre au son du film projeté, l’inévitable casque de réalité virtuelle, l’aspirateur qui se recharge lui-même ou encore le miroir qui sait tout de notre intimité puisque installé dans notre salle de bain… Celui dont il faut le plus se méfier, surtout s’il est associé à une brosse à dents ou à un pèse-personne connectés… L’étonnement n’a rien à voir avec le poids, la taille ou la puissance, mais avec le réenchantement, c’est-à-dire la capacité des innovations à venir nous suggérer de nouveaux gestes et de nouvelles habitudes. La magie n’est pas loin et Google Home (présent dans toutes les pièces) l’a bien compris puisque son ambition est que, demain, plus personne n’appuie sur une touche.

Qui parlait de Petite Poucette pour décrire la femme du futur ?

Une ombrelle émotionnelle

On sentait bien, depuis quelque temps, que le mur qui séparait la mode de l’alimentation avait tendance à devenir de plus en plus poreux. Des deux côtés, on parle de collections, de séries limitées, de collab’ et même, bien sûr, de créateurs. Les plus attentifs doivent se souvenir d’un restaurant Chanel installé en haut d’un building new yorkais. Ou encore, qu’il y a deux ans environ, Prada rachetait une pâtisserie-salon de thé réputée de Milan que la marque vient de dupliquer à Londres. En attendant certainement d’autres destinations…

Les choses s’accélèrent quand on lit que Jean Imbert a récemment conçu un dîner pour Dior inspiré de ses fragrances alors que Sébatien Gaudard proposait des chocolats à la forme du logo de Salvatore Ferragamo. Dans le dernier flagship des Galeries Lafayette, un café a été « imaginé » par Jacquemus, la dernière coqueluche du monde de la mode, en collaboration avec la marque de caviar Kaspia (?!). Un dessert griffé en forme de citron y est servi dans une atmosphère provençale efficacement reconstituée, mais où l’on peine à retrouver l’esprit du créateur. Est-ce d’ailleurs si grave ? Outre-Manche, chez Selfridges, un corner Fendi vend bien des sucettes monogrammées… On pourrait aussi citer le nombre de cafés fashion, Ralph Lauren, Kitsuné et autres, aux ambitions plus modestes, mais toujours hautement instagrammables.

En fait, peu importe le lien véritable entre la food et la fashion, le créateur et ses propositions, car, ici, la marque de mode agit comme une aura, une ombrelle émotionnelle qui vient tamiser la lumière et apporter un mood particulier à tout ce qu’elle couvre. Les uns diront qu’il y a là pour les marques de luxe l’opportunité de toucher des populations nouvelles, plus jeunes, pas forcément cœur de cible et plus habituées à rester devant leurs écrans pour consommer qu’à se rendre dans les magasins. Certes. D’autres ne manqueront pas de relever que c’est aussi pour elles la possibilité de s’assurer une présence sur les réseaux sociaux dominés par les photos d’assiettes élevées au rang d’accessoires de mode.

Comment s’étonner du rapprochement de ces deux univers ? Notre époque a une telle aversion pour les oppositions qu’elle n’a jamais été autant tentée de les fusionner pour produire de nouveaux modèles. La fashion food a de beaux jours devant elle.

Donner à entendre

Il y a peu, on apprenait que la vénérable maison Hermès lançait son podcast. Nommé « le Faubourg des rêves », il offre à ses auditeurs des rencontres de dix minutes avec des protagonistes de la maison et de sa boutique historique. Le directeur artistique, la directrice du magasin, mais aussi un artisan, la cuisinière de la maison et même le maître jardinier y prennent la parole pour décrire et valoriser leurs actions. Avec ces podcasts, disponibles sur le site de la marque et les différentes plateformes existantes, Hermès met ainsi en place un nouvel outil de communication, à la fois interne et externe. Une nouvelle forme de communication corporate. Hermès n’est d’ailleurs pas la seule entreprise à avoir saisi l’intérêt du podcast puisque Chanel, Lancôme, Guerlain ont déjà les leurs, même si ceux-ci sont davantage centrés sur leurs produits.

La multiplication des podcasts dans le monde du luxe ne doit rien au hasard car, plus que d’autres, les marques qui y sont présentes ont besoin d’imaginaires forts pour exister. Pour les construire, elles ont d’abord eu des campagnes de pub. Souvent magnifiques. Mais il ne s’agissait que d’images. Vinrent ensuite les réseaux sociaux. Bien souvent moins magnifiques, il faut le reconnaître, car les obligeant à une course à la réactivité et à la proximité qui les conduit à aller sur les mêmes territoires en vogue que leurs concurrents (street, musique, culture urbaine…) au nom de la (soi-disant) nécessité de s’adresser aux Millennnials. Résultat : leurs identités propres s’en sont trouvées souvent altérées.

Avec les podcasts, les voici armées pour prendre de la hauteur, ouvrir de nouvelles voies, ralentir le flux d’information, montrer l’exemple par la qualité de leurs propos. Quelle meilleure définition du luxe ? Et aussi véhiculer et s’approprier le champ culturel, très apprécié des jeunes urbains lettrés qui ne constituent pourtant pas toujours leur cible première. De quoi contribuer à l’émergence d’un sentiment communautaire bien éloigné de celui qui consiste à afficher des logos en version XXL comme signes de reconnaissance…

Quand les réseaux sociaux donnent à voir jusqu’à la nausée, les podcasts donnent à entendre de la rareté. Donner la parole à ceux qui font sa marque, qui aiment sa marque, qui font vivre sa marque : bien mieux qu’un beau story-telling calibré pour les dossiers de presse.

Le temps des collab’

On connaissait le Louvre d’Abou Dabi, voici le Louvre d’Airbnb. Il fallait y penser. Le site de location de logements entre particuliers fait actuellement miroiter l’idée de passer une nuit dans le célèbre musée : un apéro devant la Joconde, un dîner face à la Venus de Milo et, pour terminer, une nuit sous la pyramide de Pei. Cela pourrait ressembler à un poisson d’Avril, mais c’est plutôt un fantasme de Millennials. On imagine l’état de transe dans lequel le « couple gagnant » ne manquera pas de se trouver et la quantité d’images qu’il s’empressera de publier sur les réseaux sociaux.

L’idée reflète parfaitement ce que les marques doivent aujourd’hui faire pour attirer l’attention sur elles. Leurs offres ne suffisent plus puisque tout se ressemble et que tout le monde peut tout faire. Même les histoires qu’elles nous racontent finissent par converger. La seule voie à prendre pour s’éloigner de ce sentiment d’indifférenciation est désormais de convoquer l’exceptionnel, l’inattendu, le décalé extrême. Même occasionnellement. C’est ce que vient de faire Airbnb.

Se rapprocher du Louvre, c’est accéder au monde des marques puissantes comme celles du luxe qui s’en approprient régulièrement des morceaux pour y organiser leurs défilés. Un signe de suprématie. Côté Louvre, l’opération a pour objectif de lui permettre d’aller braconner sur les terres de la jeunesse. Le musée avait déjà ouvert ses portes à Beyoncé et Jay-Z alors en quête d’un décor dignes d’eux pour leur clip. Puis, à JR, l’artiste consensuel aux images spectaculaires. L’institution descend encore une marche avec Airbnb, envisagé ici comme le dernier wagon d’un TGV en direction des jeunes générations. Pourquoi pas. Le temps est aux collaborations et plus leurs acteurs semblent éloignés, plus l’effet de surprise est assuré.

Notons simplement au passage que, contrairement à la doxa marketing classique, cette opération ne vient en aucun cas nourrir les ADN respectifs des marques qui en sont à l’origine. Seule l’image et le buzz comptent. Rien ici sur le Louvre et la richesse de ses collections. Rien non plus sur le service, les prix ou la nature des logements proposés par Airbnb (plus inspirés par le catalogue Ikea que par les collections du musée…). Rien que de l’étonnement. Le carburant marketing du moment.

A la Saint Glinglin

Alors que la question des soldes agite les esprits de tous les commerçants (après celle des conséquences des samedis jaunes…), voilà que s’annonce pour 2020 un nouveau moment festif autour du commerce, baptisé la Saint Glinglin, imaginé par une agence de com’ spécialisée dans les animations retail et destiné à aider à retisser le lien entre les consommateurs et leurs commerçants. Un logo (bleu, blanc, rouge souriant) a été conçu pour la circonstance et même une accroche : « A la saint Glinglin, tout est possible ». Pas tant que ça puisque l’événement aurait du être inauguré cette année, mais a été repoussé en raison du climat social…

L’idée est cependant à souligner puisqu’elle a le mérite de ne pas venir s’ajouter à la liste des nouveaux événements strictement commerciaux désormais installés dans le paysage de la consommation comme les « soldes privées », le Black Friday ou encore les French Days… La Saint Glinglin durera une semaine et prendra place autour du 20 mars, premier jour du printemps, entre la fin des soldes, en février, et la fête des mères, fin mai. La confirmation que le marketing a décidément bien horreur du vide. Elle ne sera donc pas synonyme de rabais, mais d’animations, de rencontres et d’offres visant à fédérer commerces indépendants, enseignes nationales, restaurateurs, municipalités, managers de centre-ville et tissus associatifs pour créer un nouveau rendez-vous populaire rythmé par des pique-niques, des verres avec les commerçants ou des spectacles chez les enseignes. Une manière, aux dires de l’agence, de renouer avec les racines du commerce vivant qui, à l’image des foires médiévales, mêlait découvertes, artisanat, troc, discussions et rassemblements populaires. Pourquoi pas.

L’émergence d’une telle proposition ne doit rien au hasard. Le commerce du monde réel est en pleine mutation. Il se cherche une nouvelle place face à l’explosion de la vente en ligne et à une génération de consommateurs élevés aux réseaux sociaux pour qui la parole de l’enseigne a perdu de sa valeur. Renouer avec ses fondamentaux est sans doute une bonne voie à suivre. Participer à la vie locale, être des lieux de socialisation et d’échanges, de retrouvailles communautaires et pas seulement «d’expériences à vivre» plus ou moins artificielles où les écrans ne sont jamais loin.

La plus belle des expériences à vivre n’est-elle d’ailleurs pas celle de la rencontre ?

Contrepied

Il existe à Paris, très loin du Haut Marais et de ses lubies formatées, au fin fond du vingtième arrondissement, près de la Place de la Nation, une boulangerie pas comme les autres qui pourrait servir de modèle pour tous les commerces qui ont la complainte facile. Les supermarchés nous ont pris tous nos clients. Boulangerie n’est d’ailleurs pas le mot exact tant l’espace est réduit et ressemble à un laboratoire. Le lieu se nomme Bricheton (ce qui signifie le bon pain en vieil argot parisien) et se situe rue de la Réunion. Très loin, donc. Il mérite pourtant le détour tant on a à y apprendre.

Par son look, tout d’abord. Pas de tentation de singer la boulangerie d’hier, ses carreaux et ses chromos, recherchés et photographiés par les touristes asiatiques au cours de leur visite de la capitale à bord d’une 2 CV. Non, ici, un four, un pétrin (en bois de hêtre, fabriqué à la main), une table comptoir et basta. Au plus près de la vérité et de la nécessité. Le lieu se singularise aussi par ses produits : uniquement des pains à base de blés anciens, « vivants », sains et nutritifs, qui défendent une agriculture paysanne. Pas de baguettes blanches, pas de pains aux noms « signifiants » trouvés au cours d’une séance de brainstorming (Bannette, Rétrodor, Festive, Campaillette Grand Siècle…). Un pain vrai qui renoue avec les traditions ancestrales, les pétrissages manuels, les fermentations longues, les farines paysannes et le levain. Bricheton se différencie enfin par ses horaires inattendus car le lieu n’est ouvert que quatre jours sur sept. Et seulement de 17h à 20h. Faut pas se tromper et apprendre à être patient…

En résumé : une production limitée qui porte des valeurs artisanales et citoyennes, un lieu purement fonctionnel sans aucune intention de story-telling artificiel, des horaires restreints. Bricheton est un modèle viable (à en croire ses fondateurs) et inspirant qui prend le contrepied des (soi-disant) exigences actuelles de disponibilité permanente et d’hyperchoix pour prévenir les risques de lassitude. Mieux encore, Bricheton ne prend la place de personne et surtout pas celle des boulangeries traditionnelles qui conservent leur fonction de lien social et d’animateur de quartier par l’ampleur de leurs horaires d’ouverture.

Réinventer les règles de son marché, c’est savoir y inventer sa propre place.

Consomm’à cœur

Puisque la condition animale est devenue la nouvelle préoccupation émotionnelle des consommateurs, pourquoi faudrait-il qu’elle soit systématiquement associée à des scènes de violence ? N’y a-t-il pas là, aussi, l’opportunité d’actions inédites et positives de la part des marques pour valoriser des engagements qui répondent à ces inquiétudes ? La première qualité d’une marque qui réussit est sa porosité avec les attentes du moment. Le socio-marketing s’est installé dans le lit du marketing.

Prenons les poules en cage. On peut, certes, appeler à boycotter les oeufs issus de ce mode d’élevage. Mais on peut aussi décider de ne plus en vendre. Monoprix a été une des premières enseignes à s’engager en faveur de ce combat. Voici maintenant celui de Poulehouse. Un nom rigolo dans la très actuelle mouvance clin d’œil et jeux de mots. Mais pas que. Poulehouse part du constat que les poules pondeuses sont majoritairement tuées l’âge de 18 mois à cause de leur baisse de production. Or, une poule peut vivre jusqu’à 6 ans… Poulehouse permet donc aux poules de mourir naturellement en leur offrant un lieu dédié. Une sorte de maison de retraite pour poules. « Des œufs qui ne tuent pas la poule », voilà donc l’insight et sa promesse, promesse qui a un prix puisque les six œufs sont vendus 6 euros… Le prix de la bonne conscience.

Pour aller encore plus loin, la marque a récemment lancé une souscription sur KissKissBankBank pour financer le lancement (disponible en précommande) d’un gâteau au chocolat avec des oeufs qui ne tuent pas la poule. De la poule aux œufs et au gâteau, il n’y a finalement qu’un seul chaînon. Et après le gâteau ? La pâtisserie ? Une manière habile et inédite de répondre aux questions des origines et de la condition animale. Une pierre, deux coups. S’ouvre ainsi le débat sur la traçabilité des produits transformés car, si l’information sur les modes d’élevage est désormais présente sur chaque boîte d’œufs, elle est encore relativement absente des packs des produits transformés.

Quand le combat d’une marque rencontre l’imaginaire des consommateurs, il en sort forcément gagnant. Après les consomm’acteurs, voici le temps des consomm’à cœur, animés par l’idée de faire le bien à travers leur consommation.

Le temps comme ingrédient

Connaissez vous le batch cooking ? En Français « cuisine par lots ». Ca sonne tout de suite moins bien. C’est une façon de gagner du temps en cuisine en découpant, cuisant et conditionnant légumes, viandes et fruits à l’avance pour ne plus rien avoir à faire (ou presque) lorsque l’on décide « d’entrer en cuisine ». Une manière de gagner en sérénité en redécouvrant le plaisir de cuisiner calmement. Un minimum d’organisation est évidemment requis mais il suffit, aux dires de ses chantres, de deux heures de préparation par week-end pour finaliser cinq ou six repas par semaine. Il faut bien prévoir ses boites (plutôt en verre qu’en plastique), élaborer ses menus à l’avance et, ensuite, se contenter de se conformer à son planning….

L’apparition d’une telle approche (assortie de son lot de publications opportunes aux éditions Hachette, Marabout ou Larousse) vient d’abord nous rappeler qu’en matière de cuisine, il en va comme de la gym. Il faut sans cesse trouver de nouvelles variations pour entretenir l’envie de s’y mettre et faire oublier la dimension contraignante de la chose. Un exercice sans fin. La batch cooking est ainsi à la cuisine ce que furent en leur temps l’aérobic ou le pump et, aujourd’hui le cross-fit, le gyrotonic ou le wunder barre, au sport en salle. Une façon de transcender le réel et de maximiser le plaisir. Changer les règles de l’accès, c’est modifier la perception d’une réalité.

Le batch cooking incarne aussi une nouvelle approche de la cuisine à destination de ceux et celles qui se sentent nul(les), mais qui, sous la contrainte de la doxa médiatique, ressentent confusément qu’un apprentissage culinaire est désormais nécessaire à leur santé. Cuisiner soi-même, c’est répondre à l’injonction du mieux-manger qui traverse actuellement tous les discours de marques et d’enseignes.

Le batch cooking vient enfin illustrer, à sa façon, la théorie du nudge, ce petit coup de pouce censé aider à transformer les envies en actions. Préparer à l’avance les ingrédients d’une recette, c’est faciliter sa réalisation. Tout d’un coup, la montagne semble moins haute à gravir. Toutes les entreprises de livraison de paniers recettes (Quitoque, Simple et bon…) l’ont bien compris : l’ingrédient qui coûte le plus cher dans une recette, c’est toujours le temps… 

Le consommateur cueilleur

Les marques alimentaires ont pour habitude de vendre leurs produits prêts à consommer. Un principe de service rendu qui justifie leur valeur. Moins le consommateur en fait, plus il accepte de payer cher. Logique. Oui, mais ça, c’était avant. Maintenant qu’il émet des doutes sur les origines de ce qui lui est proposé et qu’il attend de l’engagement de la part des marques, certaines d’entre elles se sont dits qu’elles pourraient bien lui demander de mettre la main à la pâte. Et pourquoi pas ? Après tout, on trouve bien sur les linéaires des kits de pizzas à réaliser soi-même qui ne semblent pas nuire aux ventes de pizzas touts prêtes.

C’est le raisonnement qu’a du suivre Le Jardin d’Orante qui, à côté de son offre habituelle de cornichons en bocaux, propose (pour la seconde fois) des kits pour faire pousser soi-même ses cornichons. Une manière maline de souligner que son offre est tellement naturelle que chacun peut la reproduire chez lui « artisanalement ». Une manière aussi, de faire parler d’elle sur les réseaux et de promouvoir subtilement le made in local. Faire, c’est comprendre.

A partir de début mai, Le Jardin d’Orante mettra ainsi en vente sur son site 3500 kits de Mon Cornichon Maison au prix symbolique de 3 euros permettant de faire pousser les cucurbitacées chez soi. Les recettes des ventes seront intégralement reversées à l’association des Cornicheurs français, histoire d’alerter les esprits sur les enjeux de la relance du cornichon français et de soutenir les agriculteurs mobilisés aux côtés de la marque pour l’occasion. De quoi séduire tous les habitants de Boboland toujours excités par l’idée d’avoir un peu d’eux planté dans le terroir.

Et voilà les consommateurs devenus à la fois acteurs du projet de relance de la filière du cornichon français, sensibilisés à sa culture et auteurs de leur propre consommation à travers une activité ludique et pédagogique à mener en famille, sur son balcon ou dans son jardin. Un consommateur cueilleur en quelque sorte. Pas mal. Car manger est autant partager un moment autour d’une table que de la connaissance et des savoir-faire associés à ce que l’on mange.