Circulation

Pour booster un marché français de l’habillement pour enfant qui s’inquiète de la baisse de la natalité, en recul depuis trois ans, toutes les enseignes spécialisées se penchent sur le berceau de l’économie circulaire avec, pour objectif, de fidéliser des parents enclins à fureter du côté du Boncoin ou des enseignes de la fast-fashion. Ïdkids, Cyrillus et Petit Bateau ont donc chacune développé leurs plateformes de seconde main pour assurer la revente de leurs articles.

Depuis deux ans, le premier (Okaïdi, Obaïbi, Jacadi, Oxyul-Eveil et Jeux…) organise ainsi plusieurs fois par an Ïdtroc, une sorte de dépôt-vente qui permet aux porteurs de cartes du groupe de déposer gratuitement en magasins des articles de ses marques. Une fois les produits vendus, les clients récupèrent des bons d’achat alors que les invendus sont, s’ils le souhaitent, cédés à des associations.

Chez Cyrillus, le site, lancé en septembre dernier, se nomme Seconde Histoire by Cyrillus et met en relation les particuliers souhaitant revendre certains articles de la marque Cyrillus avec de potentiels acheteurs. Les clients reçoivent, soit le montant des articles vendus, soit un bon d’achat sur la collection actuelle, majoré de 50 %, option choisie par près de 70 % des utilisateurs du site. Le pouvoir d’achat est bien devenu au fil du temps le pouvoir de bien acheter.

Petit Bateau a fait le choix de se mettre en retrait (pas de commission, pas d’intervention) pour mieux laisser les jeunes mamans, via une application, échanger entre elles les vêtements de leur progéniture.

Chacune de ces enseignes montre ainsi qu’elle a compris les réalités de ses clients (des enfants qui grandissent vite, une envie de moins dépenser) et se dote, au passage, d’un rôle social dans l’économie circulaire. Mais pas seulement. Elle contribue aussi à donner à ses clients un sentiment d’appartenance, ce que Leboncoin ou eBay auront toujours du mal à procurer, marqués par leur identité trop marchande.

Réussir à faire de ses clients une communauté est sans doute l’enjeu le plus important pour toutes les enseignes qui veulent assurer leur avenir.

Senior Geek

L’innovation n’a pas fait la Une des journaux du village geek, plutôt occupés à commenter la taille de l’écran et la puissance du processeur de la dernière montre connectée de la marque à la pomme, forcément sensationnelle. Et pourtant, à bien regarder ce qu’autorise l’Apple Watch 4, on découvrait que celle-ci était dotée d’un détecteur de chutes et d’un électrocardiogramme capable, en cas de problème, de lancer automatiquement un appel d’urgence. Pour bénéficier de ce service en France, il faudra encore attendre un peu, mais la fonction existe bel et bien.

Une innovation qui vient trahir la cible véritablement visée par Apple. Pas forcément celle que l’on croit. Pas seulement celle des vingtenaires ultra connectés ou des technophiles de tous poils, mais aussi celle de leurs pères et de leurs grands-pères. Les plus de cinquante ans s’étaient déjà révélés friands d’enceintes connectées en fin d’année dernière. Les voici désormais sans doute très attirés par les montres connectées. Une enceinte, une montre, soit deux objets parfaitement familiers et rassurants soudain ré-enchantés par la technologie. Un pied dans le connu, un pied dans l’inconnu. Le rêve pour affirmer sa modernité sans perdre la face. Le rêve aussi pour tous les fabricants de montres connectées puisque cette cible dispose souvent d’un solide pouvoir d’achat et qu’elle est bien plus fidèle aux marques que les jeunes geeks, toujours attirés par la dernière lumière allumée.

De quoi venir modifier l’image des amateurs d’innovation et nous rappeler que santé et connectivité sont voisines de palier. Le vieillissement de la population ne pourra que favoriser le développement des innovations permettant de contrôler son état et sa santé. On estime que, cette année, les ventes d’Apple Watch ne seront pas loin d’égaler les ventes mondiales de montres fabriquées en Suisse… Les plus de cinquante ans y sont sûrement pour quelque chose. L’achat d’une montre ne serait donc pas seulement motivé par une quête de signes de statut. Une évolution qui n’était pas prévue par les manufactures suisses, pour qui innover signifiait surtout améliorer la complexité de leurs modèles.

A nos ordres

Elles ont fait leur première apparition il y a environ un an et incarnaient alors le cadeau idéal de fin d’année pour les technophiles et tous ceux qui voulaient affirmer leur modernité. Les voici, depuis, au centre des conversations de tous les experts marketing. Les enceintes connectées (Google Home et autres Amazon Echo) devraient, à les entendre, devenir aussi incontournables dans notre vie quotidienne que dans celle des marques.

Pour nous, il s’agirait de se préparer au passage d’un monde tactile à un monde conversationnel où portes d’entrée, voitures, télévisions, musique et tant d’autres choses encore deviendraient commandables à la voix. Nouvelles habitudes en perspective. Pour les marques, l’enjeu serait d’évoluer d’un référencement par mots-clés à un référencement par requêtes. Pas facile facile.

Comment appréhender la manière dont les clients vont formaliser verbalement leurs demandes ? Vont-ils préciser le nom des marques désirées ou bien passeront-ils par une typologie de produit ? « Commande-moi des Kleenex » ou bien « Commande-moi des mouchoirs en papier » ? « Commande-moi de l’huile d’olive premier prix » ou bien « Commande-moi de l’huile d’olive Carrefour ? ». Et quid de la personnalité de ces assistants vocaux, encore très robotisés ? Les marques devront-elles se soumettre à l’une des quatre voix proposées par Google (nombre qui devrait croître) ou aux deux proposées par Alexa ? Est-il envisageable (et pertinent) qu’une marque automobile possède la même voix qu’une marque de rillettes ?

Les marques se sont longtemps demandées comment parler à leurs cibles. Les voilà maintenant contraintes de s’interroger sur la manière de leur répondre et sur la construction de leur propre écosystème vocal. Trop longtemps réduite à une promesse adressée à une cible, on redécouvre qu’une marque est aussi une personnalité complète et que sa voix et sa manière de s’exprimer contribuent à son charme autant que son offre et l’apparence de ses produits.

La marque-personne évoquée depuis longtemps devient ainsi, peu à peu, une réalité.

Nouveaux pôles

Il y a trois ans, on découvrait le projet La Jeune Rue qui consistait à donner à la rue du Vertbois une identité singulière en confiant chacun de ses magasins à un acteur du fooding associé à un designer. Une belle idée qui a tourné au fiasco avant même de voir le jour. Dommage. Aujourd’hui, on découvre Beaupassage, un « village culinaire » traversé d’allées pavées, à deux pas du Bon Marché, entre les très chic rues du Bac et de Grenelle. Pas vraiment pour tout le monde. Même si l’ambition n’est pas la même, on retrouve ici l’idée de poétiser l’espace urbain en le renommant.

Beaupassage est d’abord un programme immobilier haut de gamme, mais plutôt que d’en faire une cité fermée, il a été décidé d’affecter tout son rez-de-chaussée à des enseignes. Non à des enseignes de luxe comme on l’aurait sans doute envisagé il y a vingt ans (cf. Le Village Royal, rue Royale), mais à des enseignes de la fine fleur de la gastronomie française : fromager, boucher, boulanger, café, complétées par quelques fast-food gastronomiques bien de leur temps. Le sentiment d’exclusivité passe désormais autant par la consommation d’un café rare ou d’une viennoiserie griffée que par l’achat d’un sac ou d’une paire d’escarpins.

Notons aussi la présence d’une salle de sports, incarnation marchande ultime d’un nécessaire surmoi dans un environnement aussi fortement dédié au plaisir et à la tentation. Impossible, enfin, de décrire Beaupassage sans évoquer la présence d’œuvres d’art qui sont autant de signaux forts, présents dès l’entrée. De quoi attirer l’attention et donner un alibi culturel aux visiteurs. L’art associé à la gastronomie comme nouvelle motivation de consommation.

Que retenir de l’irruption de ce passage dans le paysage urbain ? Que l’art se rapproche de plus en plus de l’assiette. Que la nourriture peut générer les mêmes sentiments que les produits de luxe. Mais aussi que les marchés alimentaires sortent de leur habituelle opposition luxe/quotidien pour se structurer autour de deux nouveaux pôles. D’un côté, les petits producteurs et, de l’autre, les créateurs. Ambiance terre et kraft contre ambiance design et mise en scène. Il va falloir s’habituer…

Aux Champs-Elysées

Hier, et comme chaque mois depuis 2016, les Champs-Elysées étaient réservés aux piétons. Une initiative qui finit par devenir banale, mais dont l’existence ne doit rien au hasard. La décrypter, c’est comprendre notre époque pour mieux devancer les attentes de nos compatriotes. Pourquoi donc une avenue qui, depuis son origine, est destinée à accueillir du trafic (et même beaucoup de trafic, vu sa largeur…) décide-t-elle, un jour, de se couper de cette réalité pour s’offrir aux piétons ? C’est un peu comme si, une fois par mois, les descendants des plus vieilles familles nobles décidaient de fermer le château de Versailles au public pour y passer la journée…

La réponse a d’abord à voir avec les notions d’espaces privés et publics. Puisque l’espace public se privatise de plus en plus (trottoirs annexés par les terrasses des restaurants, les vélos et autres trottinettes en libre-service) pourquoi ne pas rendre symboliquement aux habitants ce qu’on leur grignote chaque jour ? La privatisation des Champs-Elysées relève de la même logique que celle des quais de Seine. Outre ce combat privé/public, l’initiative est révélatrice de ce qui est sans doute la plus forte des attentes du moment : vivre une expérience. L’expérience comme bouée de sauvetage providentielle face à un quotidien perçu comme un peu terne et répétitif. Il « suffit » ainsi de modifier la destination d’un lieu pour, instantanément, en renouveler la perception.

Si la perspective de vivre une expérience nouvelle a toujours été très attrayante, le plaisir qui lui est associé est aujourd’hui décuplé par l’idée de le partager sur les réseaux sociaux. Ici, les photos inédites de l’avenue vidée de ses véhicules ne manqueront pas de s’y retrouver en bonne place. Vivre une expérience, c’est aussi profiter de moments rares pour inventer ses propres moments comme de pique-niquer ou de danser le tango sur les pavés de la « plus belle avenue du monde ». Place à l’imagination. Enfin, en ce début septembre, déambuler sur les Champs-Elysées peut également être l’occasion de revivre dans sa tête le défilé des Bleus après leur sacre. Car les expériences réussies sont celles qui réussissent à déclencher des émotions.

Le monde en bleu

Est-ce en raison de la canicule, de la victoire de nos footballeurs ou des trente ans de la sortie du Grand Bleu ? Une vague de bleu déferle actuellement dans les pages tendances des magazines. Il est vrai que le bleu est la couleur préférée des Occidentaux. Facile. Une teinte toujours positive, apaisante, et qui fait rêver, disent les experts de la couleur. Mais de là à en faire une couleur « tendance »…

Ici, on parle de klamath ou de blue majik, des algues bleues, championnes des super-aliments (sinon, à quoi bon ?), qui auraient un impact positif sur notre bien-être et notre humeur. A boire ou à tartiner. Et pourquoi pas sur des pâtes ? Cet été, rares étaient les glaciers à ne pas vendre une glace bleue (dite Schtroumpf). Quant à la maison Mariage Frères, elle nous propose depuis peu une version bleue de son it-thé Marco Polo. Après le noir, le vert, le rouge et le blanc. Il suffisait d’y penser. On pouvait même repérer dans les médias l’existence d’un vin bleu d’origine espagnole qui n’a pas manqué de faire le buzz : est-ce encore du vin se demandait-on dans les vignes ? Au Japon, on peut trouver une vinaigrette bleue, sans huile, infusée au collagène et colorée à la spiruline (Kenko Ocean Blue). Bientôt chez nous ? Mais pourquoi, soudain, tant de bleu?

Quand on n’a pas plus grand chose à annoncer côté innovation, changer la couleur de l’existant est toujours une bonne astuce. Les acteurs de l’alimentaire n’ont jamais été les derniers à se livrer à ce petit exercice de poésie appliquée. Il peut s’agir du produit, certes, mais aussi du packaging… à condition de bien prévenir ses consommateurs. Les fraises Tagada ne peuvent ainsi renoncer à leur couleur emblématique du jour au lendemain. Les tomates ne sont plus rouges pour l’éternité, pas plus que les kiwis ne sont abonnés au vert à perpétuité. Et les pommes de terre violette n’étonnent plus personne. Le filon est exploitable à l’infini.

Changer de couleur, c’est réenchanter le quotidien à peu de frais. Quoi de mieux ? Recourir au bleu, la couleur la moins alimentaire qui soit, c’est même mettre un peu de magie et de spiritualité dans sa vie. Les liquides bleus comme potions magiques. C’est peut-être pour ça qu’ils suscitent autant de curiosité…

Assiettes de rentrée

Chaque rentrée est porteuse de son lot de nouveautés que les journalistes, à cours d’inspiration ou encore en vacances, se hâtent de requalifier en « tendances ». Une manière d’éprouver le sentiment de vivre un changement d’ère. Septembre écrase ainsi, à la manière d’un ordinateur qui s’en prend à ses archives, tout ce qui a pu être dit jusqu’en juin dernier. Et pour saisir ces tendances de la rentrée, quoi de mieux que de jeter un œil sur le monde de la restauration, lui-même déjà bon capteur de l’air du temps ?

Cette année, les experts y voient de « vraies nouveautés ». On apprend ainsi l’ouverture du MarXito, à deux pas des Champs-Elysées : Thierry Marx aux fourneaux et Ora Ito à la déco pour un lieu dédié à la street-food premium. Comprenez : à la fois bio, saine et à des prix abordables dans un cadre rupturiste. Il fallait y penser. Voilà qui tranche avec le penchant actuel des restaurants à surjouer la carte de la tradition et à recourir aux prénoms désuets pour se nommer. Autre ouverture annoncée courant septembre, celle d’un nouveau concept : une brasserie d’exception, baptisée Astair. Jusqu’à maintenant, à travers leurs cartes, les brasseries s’adressaient au plus grand nombre plutôt qu’à l’élite comme le prouve, entre autres, le succès sans faillir du Bouillon à Pigalle. Ici, la brasserie sera pilotée par un chef trois étoiles… Attention à l’addition… On annonce enfin l’ouverture d’un restaurant flottant imaginé par Ducasse, Ducasse sur Seine, qui proposera déjeuners et dîners-croisières avec 200 personnes à bord d’un bateau électrique. Le spectacle ne sera pas que dans l’assiette.

Que retenir de tout cela ? Tout d’abord que le monde de la restauration est encore animé d’une belle vitalité. Tous les commerces ne peuvent pas en dire autant. Ensuite, que les chefs sont bien devenus des marques. Leur seule évocation déclenche des imaginaires puissants qui ont valeur de force d’attraction pour les consommateurs. Enfin, que les restaurants doivent désormais autant proposer des expériences à leurs clients que des plats. Mais ça, tout le monde le savait déjà. Manger, c’est vivre un moment.

Muséification

Notre société avance en agitant les contraires. D’un côté, la modernité connectée. De l’autre, la tentation de la déconnexion. D’un côté, le fooding pour sa dimension expérimentale. De l’autre, les brasseries à la papa avec leurs œufs mayo, leur blanquette de veau et leur crème caramel comme doudous rassurants. Les voici donc de retour, les brasseries, repeintes au goût du jour, réponses à notre désir de « vrai » et à notre quête permanente d’authenticité.

Pour preuve, le rachat récent de La Poule au Pot, véritable institution des Halles, par le chef étoilé Jean François Piège, et le succès, qui ne faillit pas, du Bouillon Pigalle, néo-brasserie sans réservation et aux tables à touche-touche, inspirée des établissements où l’ambiance et le décor étaient aussi importants que l’assiette. Sans compter l’usage à tout va du mot « bistrot », devenu un véritable label de convivialité. Le temps des décors d’après-guerre et des loufiats aux tabliers noirs qui donnaient aux films de Sautet ce charme so frenchy que tous nous enviaient serait ainsi de nouveau « inspirant ». Pourquoi pas ?

On les a toujours connus ces établissements qui faisaient la réputation de la capitale. Même si on les fréquentait peu car, sans doute, à nos yeux un peu trop «couleur locale» et destinés aux touristes comme la Tour Eiffel et le Château de Versailles. Certains déploreront ce retour de la sagesse et la disparition d’un certain esprit d’innovation culinaire après des années d’expérimentation dans tous les sens (qui se souvient encore de la cuisine moléculaire ?). D’autres, verront là, soit la confirmation de la muséification de la capitale (que faire pour l’empêcher ?), soit la conséquence d’un trop plein de tables conceptuelles aux menus abscons et assez rapidement qualifiées de bistronomiques dès lorsqu’elles avaient envoyé valdinguer les nappes, qu’elles proposaient des vins naturels et que les serveurs se prenaient pour des hipsters.

Mais, finalement, le plus étonnant ici n’est-il pas de croiser dans ces néo-brasseries une clientèle jeune et urbaine, celle que l’on s’obstine à toujours voir comme éprise de modernité et animée par le désir de rompre avec l’existant ?

Marqueurs

Traditionnellement, le marketing est affaire de ciblage et de promesses. Pas forcément besoin d’une « unique selling proposition », mais au moins d’une promesse par groupe d’individus ciblés. Le problème est que ces promesses, souvent trop abstraites, ne suffisent pas toujours à assurer l’adhésion, voire à attirer l’attention. Surtout lorsqu’elles ne permettent pas de nourrir les réseaux sociaux. Comprenez : lorsqu’elles ne sont pas instagramables.

Alors, pour se faire remarquer et rejoindre la conversation globale, chaque enseigne tente d’imaginer le petit quelque chose en plus, le «marqueur» comme disent les experts du marketing, qui va lui permettre de se différencier. Essentiel. Au moment où tout se mondialise, c’est une fois de plus à la marge que tout se passe.

Un marqueur, cela peut être une attention (« êtes vous satisfait de votre expérience d’achat ? »), un cadeau (« pour vous remercier »), une phrase (« que puis-je faire pour vous faire plaisir ? »), mais tout cela a comme limite d’être facilement imitable. Non, le vrai marqueur va au-delà de la relation. Il est visible, tangible. Mais discret. Il y a peu, on pouvait ainsi lire dans la presse que le groupe hôtelier Louvre Hôtels avait pour ambition de développer son enseigne Kyriad à l’international. Pour y parvenir, l’enseigne comptait proposer du yaourt glacé au petit-déjeuner, un bar à bières internationales ou encore un oreiller à mémoire de forme. A Paris, pour repérer les lieux « cool chic bobo », il suffit de se rendre aux toilettes : la présence d’un flacon de savon liquide de la marque Aesop au bord du lavabo fait office de certificat de conformité. Ailleurs, ce sera une bougie parfumée spécialement conçue pour une enseigne ou un hôtel et discrètement vendue près des caisses ou encore des miniatures de produits cosmétiques bio ou éco-responsables mises à disposition dans les salles de bain. Et pourquoi pas un mot écrit à la main pour accompagner ses livraisons comme le fait Frichti ?

Bref, chacun y va de sa petite idée pour marquer les esprits par un signe distinctif discret que les habitués apprécieront toujours de retrouver. Car le marqueur est davantage là pour être reconnu que pour être arboré. Bien loin d’une cup Starbuck, d’un sac en kraft Mac Do ou d’un tote bag Sézane…

Luxe Millennial

Toutes les marques de luxe ont la même idée en tête jusqu’à l’obsession : comment réussir à séduire les Millennials qu’elles envisagent comme l’ultime bouée de sauvetage pour ne pas périr dans les eaux du vieux monde ? Leur recette est à chaque fois la même : une louche de pop culture, une pincée de références arty, deux cuillerées de valeurs écologiques ou éthiques (selon disponibilité), quelques logos bien visibles, un peu de sirop de coolitude et voilà, il n’y a plus qu’à laisser cuire dans les réseaux sociaux quelques semaines. Si la recette semble facile, elle ne l’est pas autant que celle du gâteau au yaourt…

Que nous dit cette soudaine préoccupation ? Tout d’abord, que nous avons bien changé d’époque. En marketing comme en politique, il y a bien un monde d’avant et un monde actuel. Les Millennials, et sans doute la Gen Z et les Alpha (encore trop jeunes, encore que…) ne regardent pas le luxe comme leurs aînés. Il suffit de se balader vers la rue de Rivoli pour se rendre compte que ceux qui arborent fièrement les logos Gucci, Vuitton, Chanel et Kenzo ne vivent pas tous dans l’ouest parisien. Mieux encore, grâce à leur maîtrise extrême des codes, le vrai et le faux se mixent sur fond de marques sportives au point de brouiller toutes tentatives de décodage hâtif. Il semble loin le temps où des mots comme CSP +, BCBG ou Bobo suffisaient aux marques de luxe pour évoquer leurs cibles. Les codes ont changé. Le story-telling parfait qui permettait aux marques d’évoquer leurs origines et leur savoir-faire unique a laissé place à un autre type de story : celle de leurs acheteurs. Le luxe n’est plus (seulement) affaire d’origine, mais aussi, désormais, de destination.

Il y a peu, le groupe Richemont, troisième groupe mondial du luxe après LVMH et Kering, lançait Baume, une nouvelle marque d’horlogerie reprenant tous les codes appréciés par les « digital natives » : une distribution en ligne, pas de print, beaucoup de RP, un discours éthique et social avec des matériaux souvent recyclés, 2000 configurations possibles, un ton direct, un prix de vente démarrant à 490 euros et même un « hub culturel » à Venice Beach, le temps du lancement, histoire de faire connaître la marque et ses valeurs. Toutes les cases ont été consciencieusement cochées. N’est-ce pas justement un peu trop « scolaire » ? A moins que la principale vertu de ces lancements soit d’infuser une nouvelle culture au sein des « maisons » élevées dans les convenances marketing…