Plus musclé

Les médias charrient chaque jour leur lot d’informations contradictoires. Alors que les uns évoquent la montée d’une économie de la flemme caractérisée par un mode de vie de plus en plus sédentaire, d’autres relèvent que le marché du fitness ne se serait jamais aussi bien porté, malgré l’inflation, avec une fréquentation des salles en hausse de 16% depuis la fin de la crise sanitaire. Le pays compterait ainsi 6,6 millions d’inscrits dans les 5300 salles de sport existantes.

Les réseaux sociaux ne seraient pas étrangers à ces résultats par l’attention qu’ils accordent à l’apparence, au bien-être et à la performance. Le corps comme packaging identitaire. Pour preuve : jamais les salles de gym n’ont accueilli autant d’ados en quête de corps parfaits et de réconciliation avec eux-mêmes. A chaque âge sa thérapie. Fitness Park compterait ainsi 40% de 15-24 ans parmi ses adhérents et Basic Fit ouvre ses portes dès l’âge de 12 ans malgré la mise en garde des médecins sur les abus de protéines aux promesses magiques et les risques de blessures en tous genres. Le nombre d’abonnés aux chaînes de coaching sportif quant à lui ne cesse de croître avec, en tête de gondole musclée, Tibo InShape, le Lena Situation du muscle par son nombre explosif de followers. La muscu comme signe de virilité : qui attendait ça de la part d’une génération de garçons qui se disent volontiers woke, prônent la gender fludity et la déconstruction à la moindre occasion ?

Il n’en fallait pas plus pour réveiller l’appétit des marques qui, comme les grands fauves, font toujours semblant de dormir au fond de leur cage tout en restant en alerte au moindre mouvement de marché. Conséquence : les yaourts hyperprotéinés avec très peu de matières grasses cartonnent entre le Skyr, Hipro, Danio ou Lindahls Pro +. Après les yaourts qui font du bien au transit intestinal, voici donc ceux qui améliorent nos capacités sportives et font saillir nos muscles. Jamais la promesse de voir à l’extérieur ce que le yaourt fait à l’intérieur n’a été aussi vraie.

Reste à savoir de quel intérieur on parle. Dove et Nike viennent de lancer leur programme Body Confident Sport destiné à améliorer l’image que les jeunes sportives ont d’elles-mêmes. D’après une étude menée dans le cadre de ce programme, 45% des adolescentes dans le monde arrêteraient le sport en raison d’une mauvaise image de leur corps, soit deux fois plus que les garçons. Les mêmes causes n’ont pas toujours les mêmes effets…

TikTokification

Innover, c’est partir voir ailleurs pour mieux revenir. Pourquoi ne pas envisager une marque comme un chanteur et une chanson comme un produit ? Sitôt l’idée émise, il ne faut guère de temps pour regarder Spotify comme une sorte de Leclerc ou d’Intermarché de la musique.

Pour trouver le chemin de la profitabilité, Spotify a récemment redéfini ses règles et ses usages. Une préoccupation qui anime aussi les marques et les enseignes. La plateforme est allée faire un tour du côté de chez TikTok, le réseau devenu en quelques années la référence en matière de proximité avec ses abonnés. Spotify mise ainsi désormais sur une fonctionnalité Découverte qui, grâce à l’IA, permet de mettre en avant de nouveaux créateurs et, plus particulièrement, leurs contenus vidéos. Spotify a aussi prévu d’ajouter des fonctionnalités destinées à accroître la rémunération des créateurs comme celles permettant d’informer leurs publics des lieux et des dates de leurs prochains concerts ou de vendre leurs produits dérivés. Toutes ces modifications doivent permettre à Spotify d’accéder à une dimension communautaire nouvelle et indispensable pour devenir un réseau social et, ainsi, s’éloigner de sa seule fonction de distributeur de morceaux.

Il fut un temps où toutes les marques réunies en séances de brainstorming rêvaient de devenir la Twingo (« à vous d’inventer la vie qui va avec ») ou l’iPhone (un couteau suisse technologique) de leur marché. Aujourd’hui, elles veulent en être le TikTok. Chaque époque génère ses attentes et ses imaginaires. Une marque qui souhaiterait se « tiktokifier » doit ainsi multiplier les tutos, les collabs et les interactions sur les réseaux pour renforcer l’engagement de ses acheteurs et installer parmi eux un sentiment communautaire. Elle doit aussi développer de nouvelles offres avec ses communautés et organiser des « battles » en tous genres parmi ses membres pour stimuler leur participation et diffuser ses valeurs et ses engagements. Elle peut même aller jusqu’à les informer de la naissance de nouveautés sous sa bannière… ou pas, histoire d’afficher un esprit d’entraide et de bienveillance qui ne pourra pas lui nuire.

Traditionnellement, une marque se définissait par son histoire et les produits et services qu’elle savait faire. Désormais, c’est aussi par la force du lien qui l’unit à ses acheteurs. Et quand ceux-ci ont été convertis en fans, tout ce qu’elle propose devient désirable.

Réparation

L’événement n’a pas fait la Une des journaux, mais du 20 au 22 octobre derniers eurent lieu les premières Journées Nationales de la Réparation. La proximité sonore avec les Journées Nationales du Patrimoine ne doit sans doute rien au hasard puisqu’il s’agit, cette fois, de préserver notre patrimoine vivant : celui que nous utilisons au quotidien et que nous devons entretenir avec nos moyens. Un événement, imaginé par HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée) et le fonds de dotation Make.org, qui a été l’occasion d’annoncer l’arrivée imminente du bonus réparation textile et cuir (après celui concernant les appareils électriques et électroniques), soit une prise en charge d’une partie du coût de leur réparation pour inciter les Français à donner une seconde vie à leurs vêtements, linges de maison et chaussures. Quand on parle de réparation, il n’y a pas que le mobilier, l’électroménager et les vélos qui sont concernés. 

Selon l’ADEME, si nous sommes 81% à avoir une bonne image de la réparation, nous ne serions que 33% à faire réparer nos objets. D’où la nécessité des incitations. Durant ces trois jours, associations, ressourceries, repair cafés, tiers lieux, Fablabs et autres « plateaux fertiles » avaient grand ouvert leurs portes et organisé diverses rencontres et événements à travers tout le territoire : conférences, débats mais aussi ateliers participatifs en présence de coachs experts en la matière. Faire de la réparation une grande cause nationale est une initiative aussi originale que pertinente.

Originale car la responsabilité environnementale des marques et des enseignes se limite trop souvent à des opérations de reprise de l’usé en échange de neuf à moindre prix et, bien trop rarement, à des propositions de réparation. On comprend bien pourquoi. Dans le domaine textile, réparer rime aussi, parfois, avec customisation, ce qui ne produit pas le même imaginaire.

Pertinente, car ces JNR ont permis, grâce à la mise en place d’un site dédié, de rendre plus lisible la géographie des ateliers de réparation et des ressourceries et, ainsi, de faciliter la recherche d’une adresse de confiance près de chez soi au moment où l’on en a besoin. Où trouver un réparateur ? Comment identifier un « bon » réparateur ? Quel est le domaine d’expertise de chacun ? Quel est le retour d’expérience de ceux qui les ont déjà sollicités ?

Le marché de la réparation n’a pas encore été touché par la logique marketing. Il est temps d’y penser.

Part de voix

Le 7 octobre dernier eu lieu à Paris, rue de Rivoli, dans le flagship de Sephora, la première édition française de Sephoria, un événement créé aux Etats-Unis en 2018 par l’enseigne pour permettre à ses clients de « plonger » dans son univers. A la différence de tous les autres événements que le commerce est capable d’imaginer, celui-ci était payant, ce qui est loin d’être un détail. Payer pour entrer dans un magasin, et voilà que, soudain, on entrevoit un morceau du futur. Surtout quand le principe de cette entrée est plutôt inattendu : 45 euros (tout de même, mais 35 pour les possesseurs de la carte Gold Sephora) contre la promesse de recevoir en échange un sac de produits de beauté d’une valeur très supérieure… Dépenser plus pour gagner plus. Malin. Soulignons que les inscriptions étaient ouvertes depuis début septembre, ce qui en dit long sur l’état d’impatience dans lequel se trouvaient les visiteurs…

Des visiteurs qui n’ont pas été déçus. Entre la multitude de stands de labels de beauté tous plus instagrammables les uns que les autres, la possibilité de rencontrer des responsables de marques à travers différentes masterclass, les photocalls, les bars à coiffure, à maquillage et autres points de rencontre imaginés pour l’occasion, il y avait de quoi perdre la tête. Un vrai festival sur fond d’ambiance de fête foraine et de DJ sets… Certaines maisons ont profité de l’occasion pour révéler leurs nouveautés et, Sephora, pour présenter la version beta de sa future plateforme immersive qui devrait être lancée début 2024 en Europe et sur laquelle ses clients pourront créer leur avatar, circuler dans un monde virtuel, être conseillés, et découvrir les univers des marques en présence. Vivement demain.

Tout ce qui se passe dans le virtuel a pour vocation de finir dans le réel. Sephoria en est une illustration en offrant aux instagrammeurs fans de beauté la possibilité de prolonger IRL leur passion. Fin septembre, Les Galeries Lafayette et le magazine Elle organisaient Tellement Mode !, trois journées pointues dédiées aux nouvelles tendances installées dans un espace de 150 mètres carrés au troisième étage du magasin du boulevard Haussmann avec moult débats, conférences, masterclass et même un cours collectif de bien-être en compagnie d’une « experte sérénité »…

Peu à peu, les enseignes sortent du strict champ marchand pour se réincarner en lieux et moments de rencontres festifs. La part de voix au service de la part de marché.

Cafés de spécialité

Ils s’appellent le Café Tranquille (rue du faubourg Saint-Denis), le Recto Verso Café (rue Portefoin), Cuvée noire (rue Saint-Lazare), le Café Margo (avenue Richerand), le café Nuances (rue Danielle Casanova), Dimanche (rue Victor Massé), Typica (rue des Filles du Calvaire) ou Bonjour Jacob Coffee (rue de Lancry et rue Dauphine) et incarnent à eux tous une nouvelle génération de cafés parisiens, loin des Starbucks aseptisés et des comptoirs en zinc qui ont contribué à la réputation de la capitale.

Intimes par leur dimension, dotés d’une identité soignée conçue pour aimanter les instagrameurs, ces néo-cafés que l’on nomme aussi coffee shops sont d’abord des promesses de coolitude. Ici, les baristas sont vos nouveaux amis et chacun sait qu’un latte n’est pas un café au lait. Les chaises sont vintage et l’ambiance brute, à base de bois, de béton et de céramique, parfois relevée d’un objet design soigneusement choisi. Une petite carte de « cafés de spécialités » y est proposée, associée à quelques pâtisseries parmi lesquelles figurent immanquablement un cheese cake et un cake à la banane. Quelques magazines life-style anglo-saxons mixant mode, déco et voyages viennent apporter la touche arty finale. Inutile d’y chercher Le Parisien ou Paris Turf. 

Ces micro cafés incarnent ces nouveaux lieux urbains transplantés (plutôt qu’implantés) dans toutes les métropoles, sans aucune prise en compte d’une réalité culturelle locale, autant destinés à séduire une clientèle worldwide qui y retrouvera facilement ses repères qu’une clientèle locale en quête de nouveaux rites distinctifs. Paris, Berlin, Brooklyn, et même désormais Lisbonne, ne sont plus que des décors. Le café de spécialité est un des piliers de cet art de vivre où une valise à roulettes et un ordinateur portable sont toujours à portée de main.

Le café de spécialité se distingue du café classique par une attention toute particulière portée à la sélection des grains. Un travail de sourcing et de traçabilité proche de celui des viticulteurs. Ici, les blends dominent, le Brésil croise la Colombie, le Kenya, l’Ethiopie et chaque proposition a pour ambition de devenir une boisson signature. Une démarche qui répond bien à l’expertise recherchée par les consommateurs. Il y a peu, Paul annonçait la transformation de ses boulangeries en Paul Le Café, preuve que le marché du café de spécialité attire. Attention toutefois à ne pas décevoir les attentes car boire un café de spécialité, c’est boire bien plus qu’un café. 

A contre-courant

La Gen Z constitue décidément bien une population à part et n’est jamais là où on l’attend. Pour saisir les attentes de ses représentants (nés après 1995), il est indispensable de se rendre sur TikTok, leur royaume, avec ses codes, ses valeurs et ses modes. Après les avoir découverts Booktokers, capables de redonner vie à la lecture en VO, de bousculer les catégories de la littérature avec de nouveaux genres (dark romance, romantasy) et d’accepter la présence d’Augustin Trapenard qui pourrait être leur père, puis désinfluenceurs alors qu’on les imaginait plutôt « pousse à la consommation », voilà que la presse (papier) du soir nous apprend qu’ils sont aussi consommateurs de parfums désuets. 

Ces parfums délestés de tout storytelling excessif seraient pour eux un peu comme une toile blanche sur laquelle ils peuvent projeter leurs envies. Pourquoi pas. A rebours d’une frivolité associée à la nouveauté, ces parfums de niche totalement oubliés (Violet, D’Orsay, Cherigan, Marcelle Dormoy… qui connait ?) ou désuets (N°19 de Chanel, Femme de Rochas : les parfums de leur grand-mère) est une manière pour eux de se distinguer. Le hashtag #vintageperfume cumulerait ainsi plus de 13 millions de vues avec moult vidéos décryptant les parfums du monde d’avant…

Il y a quelques mois, on soulignait ici l’aptitude des représentants des nouvelles générations à trouver des bons plans leur permettant de mettre la main sur des ‘dupes’, ces copies de bonne qualité de tous les produits iconiques qu’ils aimerait acquérir mais qu’ils trouvent trop chers. Leur motivation est à chaque fois la même : se construire leur propre expertise, affirmer leurs goûts et leur singularité en se tenant éloignés d’un marketing offensif dont ils se sentent être les cibles privilégiées. Éduqués par les réseaux sociaux, la Gen Z sait, désormais, repérer les images trop fabriquées, les prix trop élevés, les produits trop genrés et trop clichés, les collab’ artificielles, les pop-up « foutage de gueules », les fausses communautés… Les ficelles du marketing ne sont pas toujours en nylon.

Le même article nous apprend que, selon une étude menée fin 2022 par la société suisse Givaudan, numéro un mondial de la création de parfum, plus de la moitié des Gen Z interrogés rêverait de vivre dans le passé. On entend déjà le couplet des experts sur la bulle nostalgique, le besoin de se protéger des violences du monde et de l’éco-anxiété, bla, bla, bla…  Ne serait-ce pas plutôt un signe de maturité ?

La wouaf economy

Impossible de ne pas évoquer ici la semaine Nationale du Chien qui a commencé hier et s’achèvera le 8 octobre. Un moment truffé d’événements destinés à valoriser le rôle bénéfique du chien et à en faire la pédagogie auprès des futurs adoptants. Notons au passage que, si de nombreuses causes ne bénéficient que d’une journée par an, le chien, lui, dispose d’une semaine entière. Pas loin de devenir une cause nationale.

Pendant très longtemps éclipsés par les chats, bien plus nombreux et redoutables acteurs sur les réseaux, les chiens sont revenus sur le devant de la scène à la faveur de la crise sanitaire où ils permettaient de sortir sans avoir besoin de faire semblant d’aller courir autour de son immeuble. Avec, à la clé, le bénéfice de pouvoir socialiser avec ses voisins. Un jour viendra où l’on fera la liste des bienfaits générés par cette période…

Depuis, les chiens sont partout. Dans les magasins qui dédient des rayons entiers à leur confort, leur alimentation, leur bien-être et leurs loisirs car, désormais, il importe de savoir si son chien est heureux et s’il ne s’ennuie pas. Dans les librairies, avec le succès de ‘Son odeur après la pluie’ (80.000 exemplaires vendus depuis sa sortie en mars), premier roman d’un auteur inconnu. Et chez les marchands de journaux avec ‘Bâtard’, le nouveau magazine de tous les chiens. Les chiens font aussi une entrée remarquée chez les moins de trente cinq ans. Un galop d’essai avant le premier enfant ?

Les chiens peuvent prendre tous les rôles. Il y a le chien psy qui écoute, rassure et réconforte par sa présence et avec qui, parfois, l’on dort. Le chien actif, qui oblige à sortir et à faire de l’exercice. Le chien protecteur car le monde n’est pas sans danger. Le chien foodeur, sensible aux mélanges aromatiques de la marque Bab’in imaginée par Thierry Marx pour « sublimer les croquettes et terrines de votre boule de poils en un tour de main » ou aux recettes gourmandes de Loulou (blanquette de veau, sole meunière) vendues à l’unité (8 euros le plat de 250g) ou par abonnement mensuel. Il y a même le chien acteur comme dans le film ‘Anatomie d’une chute’.

Pendant ce temps, en toute discrétion, après les cabinets des dentistes, ceux des vétérinaires sont rachetés à tour de bras par des investisseurs avisés. La wouaf economy n’en est qu’à ses débuts.

Les temples du cool

Il fut un temps, pas si lointain, où innover consistait à inventer, manière d’entrevoir un futur qui semblait d’autant plus crédible qu’il avait coupé les ponts avec le présent. Désormais, innover consiste bien souvent à réinventer le passé, manière de ne pas le quitter des yeux, ce passé si rassurant en ces temps si compliqués. Après les néo-boulangeries oscillant entre, d’un côté, des établissements aux noms bobo-disruptifs (The french Bastards, Urban Bakery, Copain) animés par d’entreprenants trentenaires jamais très loin du monde de la finance et, de l’autre, des magasins géants implantés en périphérie par des investisseurs avisés (Marie Blachère, Feuillette, Ange), voici à présent les néo-cafés. 

Le chemin emprunté pour leur renouveau est le même, confirmation d’une orientation progressive de tous les marchés vers la polarisation. En périphérie, c’est une nouvelle génération de cafés qui voit ainsi le jour, à la fois bars et caves, caractérisés par leur surface et leur offre XXL, leur atmosphère (jeux, ambiance musicale) et leurs parkings. Parmi eux, V&B (Vins et Bières), qui compte déjà plus de 250 établissements, la Vache à bières ou encore Chope & Compagnie (une trentaine d’adresses). Des lieux inconnus des Parisiens et plutôt éloignés de ceux où l’on s’imagine boire un verre en fin de journée…

En centre-ville, on observe, à l’inverse, un certain engouement pour les rades, ces micros bars de quartiers, de préférence dans leur jus, et pour les PMU revitalisés, là encore, par une nouvelle génération de tenanciers qui y propose une offre de restauration simple dominée par un terroir revisité. Dans un récent article, le Fooding parlait déjà de néo-PMU… Le tout sur fond d’authenticité créée de toutes pièces, entre décoration surfant sur une esthétique vintage imparfaite, apéritifs rétros en quête de modernité (Suze, Campari, Lillet, Picon) et objets publicitaires chinés, signés Miko ou Ricard dont le célèbre bob susciterait de nouveau la convoitise.

Il suffirait de pas grand chose pour que les PMU deviennent les lieux ultimes du cool tant ils portent tout ce que la société espère : des populations brassées et du partage émotionnel, transclasse et intergénérationnel, sur fond de joie communicative en cas de victoire. Des gens et de la vibration. Pas loin de l’idéal black-blanc-beur des stades de foot. L’inclusivité plutôt que l’individualisme : le remède que tout le monde attend.

La baguette nation

En voyant la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de rugby, ceux qui se souvenaient du défilé du bicentenaire de la révolution française imaginée par Jean Paul Goude en 1989 pour les Champs-Élysées ont dû être heureux d’avoir été jeunes. Qu’il semblait loin le temps où les valeurs et la tradition françaises se conjuguaient au futur et à la créativité. Ce soir-là, dans un Polly Pocket géant posé au milieu d’un stade, le monde entier découvrait le Village de l’ovalie, la vitrine 2023 de notre beau pays. Depuis Astérix, la France n’est pas un pays mais un village. Rien d’étonnant, donc.

Là, dans un décor de carton-pâte où Casimir aurait pu faire une apparition, défilait tout ce qui fait la réputation de notre beau pays avec, en tête de gondole, cet acteur au nom si français, amateur de café Nespresso à ses heures, mais déguisé pour l’occasion en boulanger à casquette livreur de pain en triporteur et cet autre, habitué des sommets du box-office, affublé, lui, d’un képi et d’un sifflet d’agent de la circulation, tous deux suivis par une flopée d’artisans de bouche, joyeux et gourmands, et par une incarnation simplifiée de la mode : une grande blonde avec une robe rouge. So french. Le tout sur fond de rengaines démodées, d’accordéons virevoltants et de l’incontournable tour Eiffel sans laquelle les touristes seraient perdus. Un spectacle dystopique. Et dire que, depuis 2017, on ne parle que de start-up nation. C’était oublier un peu vite la baguette nation.

S’il y en a une qui aurait adoré être in the stade of France (dans la loge présidentielle ?), c’est bien Emily. Tout le monde se moquait d’elle avec son béret rouge, ses obsessions pour la french baguette et les cafés en terrasse, mais c’est elle qui a raison. La France est bien sa France à elle et tous ceux qui veulent nous faire croire autre chose ne sont que les auteurs d’un immense fake. Ce soir-là, les Français se reconnaissaient à leurs couvre-chefs, à la place accordée à la viande et au pain dans leur assiette et à leur gaité stimulée par un p’tit coup de rouge. Jamais l’expression « du pain et des jeux » n’avait semblé aussi juste.

Nous achetons déjà de la lessive Bonux et du chocolat Merveilles du Monde, demain nous roulerons en R5. Il ne nous reste plus qu’à aller acheter des produits Prisunic et attendre que Mammouth vienne écraser les prix. Quoi de plus rassurant qu’un futur qui ressemble au passé ? Vivement demain.

Le temps des TPV

Depuis le temps que les experts et gourous de tous poils nous disent que nous devons ralentir si nous ne voulons pas périr, il fallait bien que cela se traduise. Certes, cela fait plusieurs années que l’on parle de slow life, de slow tourisme et de slow fashion mais ils ne dépassaient guère les frontières des pages Tendances des féminins qui en profitaient pour les associer à d’impératifs styles de vie. Cette fois, c’est concret et plutôt inattendu : la SNCF a annoncé vouloir lancer, dès la fin de l’année, des trains lents. Des TPV (Train à Petite Vitesse) après des années de TGV. Pas de doute, le monde d’aujourd’hui ne ressemble pas au monde d’avant.

Après les essais concluants de Paris-Nantes et de Paris-Lyon à petite vitesse, voici que s’annoncent donc les Paris-Bruxelles, les Paris-Rennes et les Paris-Bordeaux en trains Corail (la modernité des années 70) repackagés. L’économie circulaire en mode ferroviaire. Le vintage érigé en mode de vie. Un nouveau marché s’ouvre ainsi, entre les TER, les Ouigos et les Flixbus, manière de nous rappeler que le marketing est bien l’art de s’installer dans les interstices. Mais avec les TPV, « moins vite » ne devient pas seulement synonyme de « moins cher » (toujours bienvenu en cette période de tension budgétaire) mais aussi de moindre confort. Pour preuve, l’absence de voitures de première. Comme si le renoncement à la vitesse entrainait l’abolition des classes et donc une forme de déclassement.

La décision en dit long sur la manière dont la SNCF envisage les offres économiques : comme une punition, alors qu’elles pourraient se présenter comme la vitrine d’une autre manière de vivre et de consommer. Comment la décroissance pourrait-elle être séduisante si elle demeure associée à la privation ? Surtout quand gagner du temps n’est plus nécessairement un impératif. Car si nos emplois du temps n’ont pas varié, notre rapport au temps, lui, n’est plus le même depuis la généralisation du télétravail. Le temps est-il toujours aussi prioritaire quand nous pouvons choisir où nous travaillons et, ainsi, adapter notre travail à nos loisirs ? 

Pensons à l’Orient Express pour nous souvenir que lenteur ne rime pas toujours avec privation et que nous pourrions, nous aussi, profiter pleinement du temps de transport des TPV pour jouir d’un temps finalement moins perdu que gagné si les conditions s’y prêtaient.