Le goût du vrai

Dans l’alimentaire, tout peut vite devenir objet de scandales. Les origines, les conditions de fabrication et même les recettes. Il y a quelques mois, le New York Times a déclenché un tollé médiatique en osant revisiter celle du guacamole, en y ajoutant des petits pois. Le président Obama est même intervenu en personne depuis son compte Twitter… Autre « scandale », celui des pâtes à la carbonara. Quelles sont les vraies ? Quelles sont les fausses ? Avec de la crème ? Sans crème ? Un jaune d’œuf ? Le débat est agité. La presse n’a d’ailleurs pas hésité à parler, vu la nature des échanges suscités, de « carbonaragate »… C’est dire ! Il y a quinze jours, le chef star Jamie Oliver en remettait une couche en voulant réinterpréter la paella, dans laquelle il s’était mis en tête d’ajouter du chorizo. Du chorizo ? Malheur ! Une pétition circule depuis pour lui demander de s’excuser.

Toutes ces mini-tempêtes dans une assiette creuse sont aussi anecdotiques que révélatrices de nos modes de fonctionnement actuels. D’abord de notre fort penchant à vouloir tout revisiter, réinventer, réenchanter. Une manière de signifier son insatisfaction du présent et d’exprimer sa créativité. Réinterpréter les recettes existantes, n’est-ce pas, un peu, chercher à s’approprier un morceau du monde ? Cette volonté de départir le vrai du faux est aussi une façon d’affirmer son expertise. Celui qui détient la vraie recette est forcément dans le vrai. C’est un expert, un « sachant », une référence.

Il y a peu, chacun se serait hystérisé à la vue de produits hybrides. Entre cronuts (croissant + donuts), cruffins (croissant + muffin), foodtails (food + cocktail), hamdogs (hamburger + hot dog), éclairs salés, sushis au foie gras, chips de betterave et pépites de mimolette aux éclats de pistache, on peut finir par avoir un peu le tournis, voire la nausée… Il semblerait que ce goût pour le transgenre et les variations croisées se soit un peu calmé au profit d’une quête d’authenticité. Dans un monde de plus en plus virtuel et qui évolue en permanence, les « vraies » recettes font recette car elles incarnent une forme de vérité et de stabilité. Elles portent une histoire et des valeurs associées à une région ou à une culture.

Leur retour en grâce vient nous rappeler que l’alimentation est aussi un marqueur identitaire, qu’il faut parfois manier avec précaution.

Mondial de la mobilité

C’est l’évènement du moment : le Mondial de l’Auto. Un Mondial de l’auto qui semble d’ailleurs de moins en moins mondial. Rien ne dit qu’il ne reprendra pas, un jour, son nom initial de Salon de l’Auto si les marques continuent à le déserter comme elles le font cette année. Outre l’absence de quelques marques de niche, certes, mais dotées d’images fortes (Rolls-Royce, Bugatti, Aston Martin et une poignée d’autres), c’est celle de Volvo, Mazda et Ford qui a préoccupé les professionnels en ce début de mois d’octobre.

Ford, par exemple. Un symbole à elle toute seule. L’Amérique. Le berceau de l’automobile. En parcourant la presse, on comprend à demi-mot que Ford ne veut plus se mêler aux constructeurs de voitures. La voilà devenue un « acteur de la mobilité ». Encore un. Une « profession » qui en fait rêver plus d’un… Pour preuve, le projet de vélo électrique que la marque a présenté l’année dernière, le rachat qu’elle vient de faire d’une entreprise de navettes par minibus, ou encore le partenariat qu’elle a récemment conclu avec Motivate, l’entreprise qui gère le système de vélos partagés de San Francisco. Le service sera rebaptisé FordGoBike, et le nombre de vélos à disposition devrait passer de 700 actuellement à 7000 en 2018. Résultat ? Demain, lorsque quelqu’un prendra un vélo partagé à San Francisco, ce dernier portera le nom de Ford…

A la fin du XIXième siècle, Peugeot naissait en proposant des bicyclettes et des motocyclettes avant de se lancer dans la production automobile, qui fit sa réputation. Se dire que c’est exactement le chemin inverse que prend aujourd’hui Ford prête à réflexion. Ce mouvement de la marque américaine vient d’abord nous rappeler qu’une des lois du marketing consiste à parcourir des allers-retours permanents entre le passé et le futur. Du vintage à l’innovation. Il vient aussi illustrer d’une manière pour le moins originale le passage qu’opèrent les marques du statut de fabricants de produits à celui de pourvoyeurs de services. Qui aurait pu imaginer que cette évolution pourrait leur permettre d’aller jusqu’à renouer avec leurs origines ?

Marques populistes

A la fin du mois, devraient apparaître sur les linéaires des hypers et supermarchés Carrefour, des briques de lait dont le prix et les conditions de production ont été décidés par les consommateurs à partir d’un questionnaire en ligne auquel 6000 d’entre eux ont répondu. Ces briques de lait, seront les premiers représentants d’une nouvelle marque, baptisée « C’est qui le patron ? La marque du consommateur », initiée par l’association anti-gaspillage des Gueules Cassées. Les consommateurs ont pu voter pour un cahier des charges précis quant à la production de ce lait, qui a permis de déterminer le prix final de la brique, à savoir 99 centimes. Il sera notamment issu de vaches nourries sans OGM et avec des fourrages locaux, allant au pâturage entre 3 et 6 mois par an… D’autres catégories de produits sont destinées à voir le jour.

Après les marques, de plus en plus nombreuses, qui communiquent sur la transparence de leurs origines, de leur process de production, voire de leurs marges, voici que se profilent à présent celles qui veulent faire participer leurs consommateurs à la définition de leurs produits. En passant de l’autre côté des coulisses, ceux-ci ont le sentiment d’accéder à quelque chose de plus grand qu’eux, capable de combler leurs attentes de « citoyenneté active » et de « responsabilité bienveillante ».

Faire participer des consommateurs à la définition d’un produit, c’est leur donner l’impression que celui-ci est devenu un peu le leur. Un sentiment d’appropriation aussi riche en imaginaire que vertueux en terme de communication. Mais le consommateur « lambda » (celui qui n’est pas totalement « patron ») est-il vraiment capable de fixer le prix du lait ? Pour répondre favorablement à cette question, les marques pourraient imaginer un accompagnement pédagogique qui ne manquerait pas d’enrichir leurs discours.

Sans cela, il sera difficile d’empêcher certains de voir là l’émergence des marques populistes… Après les marques populaires, les marques populistes : l’évolution n’est pas sans logique…

Culture confiture

Il fallait bien que cela arrive. Pourquoi aurait-elle échappé au mouvement ? Voici la confiture à son tour touchée par le ré-enchantement qui a déjà contaminé burgers, kebabs, pizzas, pains et gâteaux. Plus question de se contenter de pots avec des couvercles aux motifs à carreaux ou de mentions du genre « cuites au chaudron », place aux « maîtres confituriers » et à leurs imaginaires de folie. Bonne Maman, assieds-toi et regarde bien.

Nouvelle figure de la planète food, le « maître confiturier » est d’abord un créateur. Il est « inspiré » par un paysage, une région, un quartier, un souvenir, un livre, une émotion. C’est un artiste. Il marie les mots et les saveurs, les origines et les références. Quand la fraise des Yvelines vient à la rencontre du sirop de coquelicot de Nemours, c’est déjà une promesse de voyage. Un voyage court car la tendance est à l’hyper local. La Vincennoise, une confiture made in Vincennes (pommes, raisins, pain d’épices) vient à peine de faire son apparition que l’on surprend déjà d’autres villes à proposer la leur. Antony et son Amandière (pommes, amandes et cerises confites) ou Neuilly-Plaisance et sa Plaisance (raisins, vanille et menthe). Une confiture pour chaque ville. Pourquoi pas ? 

Rien d’étonnant alors à trouver la Confiture Parisienne sur les linéaires : faite à la main, avec des fruits rares et du sucre de canne non raffiné, sa cuisson est surveillée au degré près dans des casseroles (pas dans des fûts, pour être homogène et que les fruits puissent rendre tous leurs arômes) puis délicatement versée à la louche dans des pots émaillés de blanc pour ne pas laisser passer la lumière. Sa profession de foi est son pedigree. De quoi, au passage, justifier un pot à quinze euros. Quand certains « up-cyclent », d’autres « up-gradent » sans compter.

Les propositions de confitures en séries limitées sont déjà là (elles viennent nous rappeler que les saisons sont bien éphémères) et l’on voit se profiler (si ce n’est déjà fait) les pots numérotés, les collections et les collabs avec des chefs stars ou, à défaut, des semi-people. On connaissait les confitures à tartiner, voici à présent les confitures à déguster. La confiture est devenue un art de vivre. Presque une culture.

Nespresso vient de lancer une nouvelle machine. Vertuo. Les noms ont leur importance. Un non-événement, diront les plus blasés. Oui, mais lorsqu’ils apprendront qu’elle permet de servir des cafés XXL, ils risquent de voir les choses autrement.

Depuis son lancement, Nespresso communique autour de la sophistication, des origines de ses capsules et du design de sa machine à café, qui renvoie à son propriétaire l’image d’un homme raffiné. Comprenez : ici, on ne s’adresse pas à tout le monde. Mieux vaut avoir la cuisine qui va avec et savoir faire la différence entre un Arpeggio et un Volluto. Et voilà qu’après plus de 20 ans de raffinement et de sophistication, Nespresso s’adresse à présent aux mugs. Il y a de quoi être surpris. Aux mugs ?! Ceux qui avaient trouvé refuge chez Starbucks. Oui, ceux-là mêmes. D’ailleurs, ça tombe bien puisque Starbucks a récemment annoncé qu’il allait proposer ses propres capsules avec, donc, l’intention claire de viser les tasses… Tasses contre mugs, le combat commence.

Vertuo promet des cafés XXL sans perdre en arômes puisque dix blends ont été spécialement créés pour être dégustés dans des mugs. Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ? Jusqu’à présent, les petites tasses portaient l’imaginaire de la qualité et les mugs celle du « café américain ». Plus le café était serré, meilleur il semblait et plus son buveur passait pour un connaisseur. Vertuo change la donne et vient illustrer à sa manière un des pouvoirs magiques du marketing : celui de renouveler les imaginaires des catégories les moins sexy.

Les vêtements « classiques », hors mode, ceux que l’on achetait presque par dépit, ont ainsi été rebaptisés « essentiels », ce qui vient tout de suite leur donner une autre dimension. Les breaks, hier un peu ringards, sont aujourd’hui parfois plus désirables que les berlines. Le café en mug suit la même voie. Dans le monde du marketing, il n’y a pas de laissés pour compte. Qui en doutait ?

Chefs volants

Tous les amateurs de Fooding connaissent René Redzepi, le chef danois du Noma, élu plusieurs fois meilleur restaurant du monde. Se sentant sans doute à l’étroit dans sa cuisine, le voilà qui se met à voyager engendrant de-ci, de-là, des restaurants « pop-up » où les listes d’attentes sont autant à la hauteur de ses prix que de sa réputation.

Après avoir installé son Noma au Japon en 2015, cette année, c’est en Australie qu’il a atterri. Des parenthèses gastronomiques qui, à chaque fois, lui permettent d’imaginer de nouveaux menus inspirés par des productions locales. Une cuisine « d’ici et maintenant » qui met en bouche le paysage du moment. Après les chefs en résidence qui occupent temporairement les cuisines des autres, voici donc les chefs volants qui, eux, déplacent carrément leurs cuisines. C’est peu dire que notre époque privilégie ceux qui ne restent pas en place et choisissent d’outrepasser les frontières des lieux qui leur sont accordés.

Bien plus qu’un nième coup marketing, cette approche est d’abord une manière de remettre l’homme et ses aspirations au centre de ses décisions. Un signe de liberté plutôt favorablement regardé aujourd’hui. Cette cuisine de l’ici et de l’instant est aussi le reflet d’une prise de conscience de la part de chefs désireux de prouver que leur travail dépasse le seul stade de leur satisfaction personnelle, pour potentiellement entraîner toute une économie locale, animée par des petits producteurs aussi indépendants et passionnés qu’eux. La figure du chef citoyen éco-responsable est en route. La démarche est également symptomatique d’une nouvelle approche de la créativité, qui consiste à s’inspirer et à se laisser conduire par l’environnement dans lequel on se situe, tout en tentant d’y porter un regard nouveau. Une approche en rupture avec l’idéologie de la « world-food » consistant à reproduire partout les mêmes recettes, indépendamment de toute prise en compte culturelle ou géographique.

Cette envie des chefs d’aller voir ailleurs n’est-elle pas, au fond, une métaphore de ce que doit être aujourd’hui la créativité marketing pour toutes les marques ? Quitter leur territoire historique, renouveler leurs sources d’inspiration et privilégier le local.

Pause coloriage

Outre le succès rencontré par les livres de cuisine, le monde de l’édition est aujourd’hui boosté par celui des albums de coloriage pour adultes. La mention « pour adultes » prend ici une couleur un peu inattendue. Il s’agit d’albums destinés à ceux qui n’ont plus cinq ans afin de leur faire oublier leurs petits soucis le temps d’un griffonnage. Trop de stress, trop d’occupations dans les esprits, trop de réseaux sociaux et d’informations, pour ne pas sortir de ses gonds, on sort ses crayons. Le message est clair et en dit assez sur notre époque.

Le phénomène serait mondial et se compterait en milliers d’exemplaires. « Vivre, c’est colorier » titrait cet été un magazine féminin qui en profitait pour interroger quelques experts dûment sélectionnés sur ce qui porte désormais le nom de « phénomène ». Les uns venaient nous assurer que remplir le blanc « fait du bien », « apaise et vide la tête ». Mieux, le coloriage, à la manière des mandalas et des mantras à répétition, permettrait d’accéder à un stade hautement méditatif dans une société tournée vers l’individualisme. D’autres y voyaient une pratique DIY proche du massage, également très à la mode… Conséquence ? Le Dieu du marketing ne pouvait pas laisser passer le mouvement sans vouloir en croquer un morceau.

Le Coq Sportif a ainsi sorti l’an dernier des sneakers à colorier en partenariat avec la marque Crayola. Et, pour Noël prochain, on annonce une bouteille Suze collector à colorier selon trois couleurs de son choix. Rapprocher le monde des marques de celui du coloriage peut être une manière pour les premières de renforcer leur relation avec leurs acheteurs. Par l’attention qu’elles leur demandent comme par la possibilité qu’elles leur offrent d’exprimer leur propre créativité, loin des habituelles possibilités offertes par les nouvelles technologies. Colorier un produit ou pack, c’est se l’approprier.

N’est-ce pas aussi, paradoxalement, une manière de prendre de la distance avec le monde marchand en oubliant un instant, les formes, les couleurs et les logos des produits pour se focaliser sur son dessin à soi ? Elle est peut-être bien là, la vertu essentielle du coloriage : permettre à chacun de se construire son petit monde. Un peu comme les marques, finalement.

Pikaching

Un mot tout de même sur les Pokémons avant que l’automne ne sonne l’ouverture de la vraie chasse et de la prochaine lubie. On a sans doute déjà tout entendu sur la question des Pokémons. Incitation à aller vers l’autre et à sortir de chez soi. Un bon point. Fusion du réel et du virtuel. Toujours un peu magique. Mais aussi légèreté, ludicité et régression, bien sûr. De la nostalgie pour ceux qui n’ont pas encore trente ans, c’est bien la preuve que le futur ne leur semble pas très rassurant. Les médias ont moins volontiers évoqué les initiatives des enseignes, toutes désireuses de profiter de l’aubaine Pokémon pour attirer les consommateurs chez elles…

L’agence du Crédit agricole d’Orléans, située à deux pas d’un Pokéstop, une arène virtuelle où les joueurs peuvent récupérer des objets tout aussi virtuels, utiles à leur progression dans le jeu, a transformé son hall d’accueil en lieu de rendez-vous pour les chasseurs de Pokémons : boissons, bonbons, goodies, wifi gratuit étaient mis à la disposition des « dresseurs » ainsi incités à entrer dans l’agence. Des contacts se sont naturellement noués avec les conseillers, dont certains sont, eux aussi, « accros » au jeu, rapportait dans la presse le responsable de l’enseigne. Il n’y a pas que les Pokémons qui se font attraper dans cette histoire. Les prospects aussi.

A Paris, boulevard Saint-Michel, Monoprix proposait des kits à destination des dresseurs. Sur présentation de l’application, les joueurs pouvaient repartir avec une barre énergétique et de l’eau vitaminée pour recharger les batteries, une crème solaire, un après-soleil et un brumisateur pour vaincre la chaleur parisienne, des pansements pour les ampoules de pieds ainsi qu’une batterie externe pour smartphone, l’application étant très energivore. Un véritable arsenal. Et gratuit… C’est peu dire que l’enseigne fut rapidement débordée…

Deux initiatives qui viennent illustrer que les enseignes ont bien compris qu’un des avantages des nouvelles technologies est de leur permettre de créer du flux chez elles. Pas seulement de connaître plus finement les habitudes de leurs clients. Elles leur offrent aussi une bien belle opportunité pour séduire les jeunes générations qui fréquentent plus volontiers le virtuel que le réel lorsqu’il s’agit d’aller acheter quelque chose. La réactivité à la nouveauté est désormais un gage de modernité pour une enseigne. Une nouvelle vertu marketing. De quoi  secouer un peu les habitudes et rebattre les cartes Chance du Monopoly marketing. Pas si mal.

Le culte de l’icône

Et pourquoi pas une rentrée futile ? Après tout, le monde est assez grave comme ça… et les Pokemons n’ont pas le monopole de la tendance conso. Cette année, ça va bouger grave dans le monde des sacs. Pas dans celui des it-bags, déjà un peu oubliés. Mais dans celui des sacs d’emballage. Les temps changent. Car Ikea a osé toucher à son iconique sac en plastique bleu. Celui qui sert à aller au lavomatic, à déménager, à partir en week-end ou en pique-nique. Ou encore de bâche pour le barbecue. A chacun d’inventer la vie qui va avec. Un sac qui totalise à lui seul plus de vies que tous les Dieux réunis.

Frakta (c’est son nom que presque tout le monde ignore) fut, à l’origine, imaginé pour accueillir tous les produits pas chers et attractifs disposés le long de la dernière ligne droite avant l’arrivée en caisse. C’est Hay, la marque danoise de design trendy qui, à l’occasion d’une collaboration éphémère avec Ikea, s’est collée à la lourde tâche de le repenser . Résultat ? Adieu le bleu électrique. Place à un vert sapin finement strié de blanc et même dénué de l’habituel logo jaune de la marque, disponible dès 2017 en édition limitée. Collector en vue. Le propre du produit iconique est de pouvoir être réinterprété au fil du temps par des créateurs de différents horizons sans pour autant perdre de son attractivité. Frakta le prouve.

Frakta constitue aussi, pour ceux qui savent le voir, une véritable petite leçon de marketing. Il est d’abord l’illustration d’une manière de faire vivre sa marque sans faire référence à un seul des produits de son offre. Il vient aussi prouver que ce qui peut sembler marginal, un sac de transport, peut devenir central et même être porteur de ses valeurs (au point de ne plus rendre obligatoire la présence de logo) : pas cher, malin, pratique, respectueux de l’environnement. Les produits iconiques ne sont ni toujours glamour, ni toujours griffés, ni toujours là où on les imagine…

A l’autre bout du mapping, Vuitton a récemment présenté ses nouveaux sacs d’emballage et ses nouveaux packagings. Fini le marron chocolat, place au « safran impérial » inspiré des archives de la Maison et évoquant le cuir naturel. Tout aussi iconique que le sac Ikea, celui de Vuitton est resté, lui, dans son territoire fonctionnel d’origine. A peine est-il présenté comme pliable, signe d’un engagement de la marque en faveur du développement durable.

On ne peut, soudain, s’empêcher d’imaginer ce à quoi aurait ressemblé un sac Vuitton inspiré par celui d’Ikea…

Rue de la graine

Il y a environ un an, le tout Paris branché Fooding salivait à l’idée du projet dit de « La jeune rue » qui consistait à investir une rue entière de la capitale pour y installer des commerces de bouche pointus, chacun dans un cadre pensé par un designer tout aussi pointu. Un fantasme de bobos urbains qui a depuis fait un flop aussi retentissant que le fut son effet d’annonce. La Jeune rue ne grandira jamais, mais marqua sans doute les esprits par la possibilité qu’elle laissait entrevoir de « conceptualiser » un quartier. Après les concept stores, pourquoi pas les « concept streets », des rues positionnées comme des produits avec une promesse d’offres, une cible prioritaire bien précise, un bénéfice psychologique et un univers esthétique affirmé ?

L’idée a germé puisque l’on pouvait récemment lire dans la presse que Paris disposait désormais de sa « Veggietown », « un village vert » dans la ville, ainsi baptisé par l’Association Végétarienne de France et incarné par le regroupement de trois rues du Xème arrondissement où s’accumulent les restaurants végétariens. Un quartier où les écolos seraient par ailleurs sur-représentés si l’on en croit l’analyse des urnes. Après les « rues de la soif » très présentes dans les villes bretonnes, voici donc « les rues de la graine », leur déclinaison bobo-hipster responsable pour la santé et pour l’environnement. Deux visions du monde.

Si l’approche de Veggietown est sans aucun doute plus pragmatique et moins radicale que celle de la Jeune rue, le principe reste le même : attirer l’attention sur un lieu particulier envisagé comme une « mini-république » animée par une communauté de convertis mue par une énergie et une idéologie qui lui donnent le sentiment de participer à l’élaboration d’un nouvel art de vivre. Conséquence ? Une nouvelle géographie de la ville se dessine, marquée non plus par des quartiers de «métiers»  (l’ébénisterie à La Bastille, le textile dans le Sentier, le cristal et la fourrure dans le Xème arrondissement…) ou par des styles de vie (les conservateurs à l’ouest, les bobos dans le centre, les intellos à l’est), mais par une typologie de commerces attractifs où l’état d’esprit, l’esthétique et le militantisme affichés ont autant d’importance que l’offre elle-même.

Les quartiers de Paris redéfinis par le beau et le bon : l’esthétisation progressive du monde est bien à l’œuvre.