Vu à la télé

Le polo Lacoste en coton piqué fête ses 90 ans. L’occasion de revenir sur l’histoire de ce symbole de l’art de vivre à la française, devenu une icône mondiale, à travers une exposition imaginée par le musée de la bonneterie de Troyes, narrant la rencontre d’un joueur de tennis vainqueur et d’un industriel textile inspiré. Le crocodile brodé, le premier logo de l’histoire de la mode à rendre visible une marque à l’extérieur du vêtement, est aujourd’hui décliné à l’envi jusqu’à des propositions imaginées avec Netflix à partir de ses séries les plus populaires.

Une histoire, une époque, des héros sportifs puis un succès planétaire et des règlements de comptes en famille : le crocodile avait pourtant tout pour aller plus loin avec Netflix… Depuis le 12 mai, la plateforme de streaming Amazon ne diffuse-t-elle pas, Air, un film où Matt Damon, directeur marketing de Nike, s’apprête à signer le contrat du siècle avec Michael Jordan qui ne va pas tarder à mettre le feu à la NBA ? En Juillet prochain, ce sera au tour de la poupée Barbie de venir nous raconter son histoire et celle de Mattel en présence de différents Ken parmi lesquels Ryan Gosling… En attendant le film présenté cet hiver à la Berlinale sur les heurs et malheurs du Blackberry, aussi rapidement adopté que délaissé…

Le 7ème art s’était déjà rapproché du monde du luxe pour financer ses projets (Saint Laurent au Festival de Cannes comme producteur des films d’Almodovar et de Godard, Ami et Miu-Miu au service de courts-métrages), le voilà qui aborde aujourd’hui la grande consommation. Si la Nike Air et la poupée Barbie incarnent une certaine Amérique, pourquoi des produits ou des enseignes d’ici ne pourraient-elles pas, elles aussi, embrasser notre histoire ? Les grandes familles industrielles n’ont-elles pas tout pour nourrir des scénarios remplis d’ambition et de trahison ? Certains produits n’ont-ils pas impacté à jamais nos souvenirs, nos habitudes et notre quotidien ? Le développement des start-ups ne raconte-t-il pas un changement d’époque comme Brigitte Bardot, elle aussi déclinée en série télé ?

L’idée d’un film ou d’une mini-série autour d’une marque peut aujourd’hui paraître perchée, mais n’est-ce pas, justement, bon signe ? Les story-tellings ont épuisé leurs quotas d’idées originales et pourront, sous peu, être confiés à Chat GPT. N’est-il pas temps de raconter autrement ?

Eaux de gamme

Plus le niveau des nappes phréatiques baisse, plus il paraît délicat de vendre de l’eau. Vendre quelque chose qui devient rare, c’est forcément le vendre cher. Mais lorsqu’il s’agit d’un produit aussi universel que l’eau, le message n’est pas toujours facile à avaler. De bien commun, l’eau pourrait passer du côté des biens de luxe, comme vient nous le rappeler chaque année Evian avec ses partenariats chic, parfois loin de la pureté et de l’essentialité auxquelles la marque pourrait aspirer.

Après Virgil Abloh, Elie Saab, Kenzo et quelques autres, c’est la maison Balmain qui a, cette année, collaboré avec Evian pour proposer une ligne de vêtements et d’accessoires pointus dont les prix atteignent des sommets. Pas forcément opportun en cette période de tension budgétaire et de crispations écologiques... Signe que les temps ont (subitement) changé, ce qui avait l’habitude d’être convoité par des influenceuses suscite aujourd’hui la polémique sur les réseaux sociaux. Toutes les précautions d’eco-respectabilité avaient pourtant bien été prises puisque les produits proposés dans le cadre de cette collection capsule (qui n’a jamais aussi bien portée son nom) étaient irréprochables : packaging recyclé, coton bio, viscose durable… Together, change is beautiful affirmaient les deux marques réunies pour la circonstance. Affaire de goût.

Dans les épiceries fines et dans certaines grandes surfaces, des rayons « eaux de luxe » ont fait leur apparition. Elles viennent toujours de très loin ou de très profond. Un gage de pureté et tant pis pour l’empreinte carbone de leur transport. Elles s’appellent Bling H20 (au moins, c’est clair), Svalbardi (issue d’iceberg polaire), Berg, Kona Nigari, Inland Ice ou King Island Cloud Juice… Leur simple évocation donne le sentiment de toucher l’inaccessible. Leurs bouteilles sont en verre, leur forme minimaliste et leur typo soignée comme autant de clins d’œil à l’univers du parfum ou du vin. Le métier de « water sommelier » existe d’ailleurs déjà, preuve que le marché a de l’avenir.

Dans le monde de l’édition, il existe une catégorie nommée « coffee table books » pour désigner ces ouvrages destinés à être exposés plutôt que lus. Ici, on pourrait parler de kitchen shelf bottles, tant il est clair que ces bouteilles ne finiront que rarement dans une poubelle verte. Leur manière à elles d’être responsables.

Dépaysement contrôlé

Les communications des acteurs du tourisme sont toujours révélatrices des attentes du moment. Longtemps il fallait partir très loin pour se dépayser et pouvoir dire « qu’on l’avait fait ». Il s’agissait, alors, surtout « d’avoir vu ». Puis, vint le temps des voyages éclairs dans une capitale européenne, trois jours, deux nuits à prix cassés, à peine des souvenirs, mais une expérience. Là, il s’agissait d’abord de vivre un moment. Depuis le confinement, et sous le coup du rappel permanent de la fragilité de la planète, les voyages sont désormais envisagés d’une toute autre manière. Trois grandes catégories dominent.

Il y a les voyages expérientiels, toujours très appréciés des trentenaires, qui consistent à vivre des moments uniques et à le faire savoir sur les réseaux. Des exploits physiques, surtout. Des moments gastronomiques, parfois. Il y a les voyages empathiques et responsables où tout a été pensé pour respecter l’autre et l’environnement. Le prix de la culpabilité s’y mesure en CO2 émis et en compensations carbone. Et, enfin, les voyages existentiels conçus pour nous faire grandir et élargir notre conscience. Les territoires géographiques au service des territoires intimes. Notons au passage que les traditionnelles motivations culturelles, nourries de musées, de sites et d’églises sont un peu passées au second plan. Comprenez : réservées aux Boomers.

Dans sa dernière communication, Evaneos, qui se présente comme « une agence de voyage pas comme les autres » (qui aurait envie d’une autre définition ?) nous propose de « voyager vrai » en nous mettant en relation avec « des experts locaux, engagés, qui connaissent la destination mieux que personne ». Le vertige procuré par l’inconnu, la sensation d’avoir perdu ses repères, inhérente à l’expérience du voyage, sont ici réduits, amortis, puisque des experts locaux se chargent de médiatiser notre relation à l’inconnu, de nous l’expliquer à partir de nos repères, de nos centres d’intérêts et de nos valeurs. Le monde est mis à notre disposition pour que nous ayons le sentiment d’être à l’aise partout tout en bénéficiant d’un supplément (contrôlé) de dépaysement. L’ailleurs vu par l’ici.

Dans leur dernière communication, les apart’hôtels Adagio nous jouent la même partition en nous promettant de « séjourner en ville comme si on y habitait ». Quand séjourner devient synonyme d’habiter, l’ailleurs est déjà familier. Les touristes ont disparu. Place aux citoyens du monde.

Nostalgrique

Il n’y a pas que sur les linéaires que les produits d’hier refont leur apparition. Dans les garages aussi. Renault et Volkswagen s’apprêtent ainsi à lancer deux modèles inspirés de leurs mythiques R5 (en 2024) et Golf (en 2025), preuve que c’est bien dans les vieux pots que l’on fait les meilleures soupes. Voilà qui devrait séduire nombre de nostalgiques et faire la preuve que le filon de la réédition a encore de beaux jours devant lui…

Bien sûr, ces deux modèles, à l’instar d’une Fiat 500 ou d’une Mini, ne manqueront pas de revenir parés de tous les attributs de la modernité. Des lignes modernisées mais proches de celles de leurs ancêtres pour que chacun puisse instantanément les reconnaître. Et une motorisation électrique indispensable pour pouvoir croiser dignement Greta Thunberg. C’est d’ailleurs précisément pour convertir une large clientèle à l’électrique (comprenez : les plus de 45 ans) que ces modèles ont été imaginés. Pour entrevoir le futur, le meilleur outil reste le rétroviseur. Chez Renault, on précise même que cette future R5 sera produite dans l’usine de Douai là où, dans les années 70, on fabriquait déjà des R5…

Une mise en abîme vertigineuse qui montre bien comment les époques diffèrent toujours moins qu’on ne l’imagine.

Du côté de Volkswagen, l’ambition est la même : séduire les nostalgiques avec une version électrique de la Golf qu’ils connaissent et aiment depuis 1974… Ce sera donc le seul modèle de sa gamme électrique à conserver son nom du monde d’avant. Tous les autres ont été baptisés ID… D’accord pour embarquer pour le futur mais sans être trop déstabilisé. Voilà illustré, une fois encore, le modèle bien dosé à suivre par tous ceux qui veulent innover : un pied dans le connu rassurant, un autre dans l’inconnu frissonnant.

Il y a peu, au Salon du meuble de Milan, Philippe Starck présentait, un an après sa chaise Miss Dior, son fauteuil Monsieur Dior inspiré de celui qui a contribué à forger l’identité de la maison de l’avenue Montaigne. Une ligne effilée en aluminium et une assise et un dossier en toile de Jouy. Surprendre sans déstabiliser, la recette est la même. Il fut un temps où, lorsque Philippe Starck imaginait une chaise, il dessinait un tabouret à bascule… Hier, le design avait pour mission de faire apparaître les fantômes du futur (Pascal Mourgue pour 2001 Odyssée de l’Espace, Pierre Paulin à l’Élysée…) ; aujourd’hui, il doit nous accompagner vers le futur. Plus rassurant, mais moins osé.

Ca s’en va et ça revient

Il y a quelques mois, les réseaux s’affolaient à la perspective du retour des chocolats Merveilles du Monde, avec leurs animaux dessinés en relief sur les tablettes. Il avait disparu des linéaires depuis 2006. De quoi raviver les souvenirs de toutes celles et ceux nés à partir des années 70… Plus récemment, c’était au tour de Bonux d’annoncer son come-back. Là, ce furent plutôt les Boomers qui se sont réjouis. Sa formule a cependant été revue pour être plus naturelle et son cadeau est désormais « made in France, sans plastique et transgénérationnel ». Les temps changent.

Dans le registre du grand retour, on pourrait aussi citer Décap’Four, Vigor, Baranne, Minidou ou encore Figolu, Grosquick et Burger King. Ces marques sont toutes patrimoniales. Pas au sens de Stéphane Bern, mais à l’aune de nos vies. Elles existaient quand nous sommes nés et sont restées présentes dans nos mémoires. Car consommer, c’est aussi se souvenir : de notre enfance, de notre jeunesse et du spectacle que nous offraient les marques. Si leurs spots de pubs, leurs slogans, leurs jingles et leurs vedettes ont quitté la scène, retrouver leurs produits suffit à les faire renaître. Le présent au service du passé.

Retrouver aujourd’hui un produit que l’on a consommé hier est une situation qui ne manque pas d’avantages. Elle donne le sentiment grisant d’avoir arrêté le temps et de continuer à faire « comme si » on était encore jeune. Rassurant. Elle permet aussi de transmettre à ses enfants, avec un mélange de fierté et de pédagogie, une habitude de son enfance avec le secret espoir qu’ils feront de même lorsque leur tour viendra. Enfin, elle inscrit la marque qui réapparait dans une continuité temporelle qui lui confère une crédibilité et un statut de « compagnonnage » que beaucoup de jeunes marques rêveraient d’acquérir. 

On ne peut s’empêcher de se demander quelles seront les marques que, demain, les Millenials et les Gen Z auront plaisir à retrouver. Des enseignes ? Pas sûr qu’ils aient envie de revoir Cop.Copine, Jennyfer, Pimkie, Kiabi ou Kookaï. Des marques alimentaires ? Capri Sun, Oréo, Haribo, Lay’s, peut-être. Mc Do, Domino’s Pizza ou O’Tacos, sûrement. Tout comme Netflix, Amazon, TikTok, Playstation, Deliveroo ou Vélib. Quant aux marques de sportswear telles Nike, Adidas et Lacoste, elles seront sûrement encore toutes là, mais comme elles passent leur temps à rééditer des modèles vintage, il deviendra de plus en plus difficile de les associer à une époque. La nostalgie ne sera plus ce qu’elle est.

Sézane, ouvre-toi !

Si toutes les marques cherchent à capter l’air du temps, certaines sont à l’origine de ses premiers souffles. Les repérer offre toujours l’opportunité de comprendre le modèle qui est à l’origine de leur succès pour mieux s’en inspirer. 

Sézane est l’une d’elles. Créée il y a dix ans (déjà), elle est devenue un repère pour une génération de femmes jeunes-actives-urbaines qui ne trouvaient pas dans les autres offres « le petit quelque chose en plus » qui leur disait que c’était là qu’elles devaient être. Née sur le net, Sézane fut l’une des premières marques à avoir su prolonger, dans le monde réel, ce qui avait contribué à son e-succès : le sentiment éprouvé par ses adeptes d’appartenir à une communauté. L’entre-soi en magasin, la proximité avec la vision et les convictions de la créatrice de la marque, le style de vêtements proposés ainsi que le parti pris de faire de ses boutiques des « appartements » y ont largement contribué. Depuis, toutes les enseignes de mode se demandent comment elles pourraient, elles aussi, y parvenir… en oubliant que, pour la plupart, elles ne sont ni nées sur le net, ni véritablement générationnelles. Pas facile facile.

Dans son nouveau magasin (pardon, appartement) du Marais, Sézane accorde une large place aux accessoires, à la maroquinerie et à la bijouterie devenus, depuis la crise sanitaire, de véritables relais de croissance pour toutes les enseignes de prêt-à-porter. Une manière symbolique de nous rappeler qu’elle vend davantage un style de vie que des vêtements neufs... Enfin, pour accueillir un flux important de clients tout en leur accordant la reconnaissance attendue, elle s’est dotée d’un système de caisses mobiles et d’équipes de vente importantes. Pas question ici de réduire les effectifs et d’inciter les clients à se débrouiller seuls, entre self-scanning et retours ad libitum. De quoi faire réfléchir… Créer une communauté, c’est d’abord créer de l’attention. Les cabines d’essayage, aussi, sont nombreuses. Et assez vastes pour inciter à prendre son temps et flatter l’ego. Enfin, un photomaton et une boite postale permettent aux clientes, dont beaucoup font partie des trois millions de followers de la marque sur Instagram, d’envoyer gratuitement une carte postale.

Sézane n’est pas seulement un appartement, mais aussi un territoire où il faut être. Une leçon pour toutes les enseignes qui passent leur temps à se réinventer pour cesser d’être là où on les attend et celles qu’elles paraissent. Car être, c’est être quelque part.

Démarketing

Le marketing n’a jamais eu bonne réputation. Pour les uns, il crée des besoins ou, à défaut, des désirs que nous n’aurions pas spontanément et passe ainsi pour un « pousse à la consommation ». Pour les autres, il ne s’agit que d’une science appliquée qui, bien utilisée, permettrait de conquérir de nouveaux consommateurs et de s’assurer d’avantageux positionnements capables de laisser la concurrence derrière soi. Dans les deux cas, la manipulation des esprits et le sentiment de s’être fait avoir n’est jamais très loin.

70 ans après la naissance du marketing (que l’on attribue généralement aux lessiviers, au sortir de la seconde guerre mondiale lorsque ceux-ci devaient apprendre aux consommateurs de tous les pays à préférer une lessive en poudre plutôt qu’une autre), voici qu’une nouvelle ère s’annonce : celle de la désinfluence et du démarketing. Il fallait bien que cela arrive. Sur TikTok, les vidéos incitant les consommateurs à bien réfléchir avant d’acheter un produit recommandé par un influenceur se multiplient. Ras le bol des influenceurs qui abusent, profitent de tout et vendent leurs avis aux annonceurs, vive le hashtag « deinfluencing » !

Dans la vraie vie, certaines villes font tout pour que l’on ne vienne plus chez elles. Venise interdit les paquebots dans sa lagune et limite le nombre de touristes entrants en imposant une taxe. Marseille vient de lancer une campagne pour protéger ses calanques du tourisme de masse en réduisant leur accès, en incitant ses visiteurs à faire demi-tour ou en interdisant le mouillage des bateaux dans certaines criques. Et sur l’île d’Aix (230 habitants l’hiver, 8000 visiteurs par jour l’été), le démarketing est inscrit à l’ordre du jour de la mairie.

Les temps changent. Mais rien ne dit que la désinfluence et le démarketing ne soient pas les ultimes facettes du marketing, tant tout ce qui est à contre-courant ou difficile d’accès peut devenir ultra-désirable. La rareté est sans doute promise à un grand avenir au moment où chacun a le sentiment qu’il peut accéder à tout et que le monde est à sa disposition. Et tant pis si ses ressources ne sont pas infinies.

Du côté des marques aussi le démarketing est à l’œuvre. Les fabricants d’alcools et de cigarettes vendent leurs produits avec des mentions qui suggèrent que l’on devrait plutôt s’abstenir et tous les produits alimentaires portent des évaluations qui pourraient freiner nos envies. Mais, à la fin, c’est toujours le plaisir individuel qui gagne. 

Chefs volants

A Paris, le restaurant Fulgurances, qui se définit comme « une association de bienfaiteurs », a institué, depuis son ouverture, le principe des chefs en résidence. Présents pour une durée de trois à six mois, c’est l’occasion pour eux (seconds de cuisine, jeunes talents, chefs cathodiques naissants…) de laisser libre court à leur imagination et de montrer leur talent sans devoir s’endetter pour acheter ou reprendre un établissement, ni avoir à en affronter la gestion. Fulgurances possède deux établissements à Paris et même un à New York.

S’il fut un temps, pas si lointain, où les créateurs étaient associés à un lieu ou à une marque, qu’il s’agisse de restauration, de mode ou de parfumerie, les voici désormais tentés par l’idée de devenir itinérants et de se déplacer de lieu en lieu, voire de marque en marque. Certains y verront un désir de rester libres qui s’est accentué depuis que le confinement est venu nous prouver que d’autres manières d’envisager le rapport travail-vie personnelle était possible. D’où la difficulté actuelle du monde de la restauration de recruter et de fidéliser du personnel… D’autres liront ce désir de ne pas « s’ancrer » comme la confirmation de la nécessité, pour se réinventer et montrer d’autres facettes de sa personnalité, de se frotter sans cesse à de nouveaux environnements. Et aussi une réponse aux attentes actuelles d’étonnement et d’expérience de la part de consommateurs toujours en quête de belles histoires à raconter.

L’idée que la passion doit l’emporter sur la sécurité domine aujourd’hui les esprits des Millenials et de la Gen Z… Être là, oui, mais pas de façon durable. S’investir, oui, mais pas pour la vie. Une façon d’exprimer l’idée que le talent et l’envie, pour s’entretenir et perdurer, ont besoin d’une remise en cause permanente. En multipliant les collab’, les marques font de même. Hier, elles parlaient d’ADN, de légitimité, de patrimoine et d’héritage ; aujourd’hui, elles se rêvent ailleurs, veulent se réinventer, tentent des collaborations inédites pour montrer qu’elles ne sont pas que ce que l’on croit. Leur manière à elles de nous dire que, pour rester en vie et se régénérer, elles doivent se confronter à l’autre. A d’autres univers, d’autres histoires, d’autres clients aussi.

L’époque carbure bien à l’hybride, et pas seulement dans le secteur automobile.

Tous au jardin

Quand Carrefour se rapetissait pour mieux se faufiler dans les métropoles, l’enseigne devenait Carrefour City, Carrefour Contact, Carrefour Express. Aujourd’hui, elle se met un chapeau de paille sur la tête et ouvre des Potager City pour mieux séduire le rural qui sommeille au fond de chaque urbain. Le potager en pleine ville : le fantasme de Jean Jacques Rousseau n’a pas vieilli.

Trois magasins ont déjà pris racine dans la capitale avec une offre de fruits et légumes « de qualité au juste prix ». Le bon sens paysan. Comprenez : de l’ultra-frais et du circuit court avec des achats directs auprès de producteurs en transit de Rungis. Des fruits et légumes sur plus de 50% de la surface du magasin, dont une large part de saison, complétés, selon les magasins, par une sélection de produits d’épicerie en partenariat avec la société Omie & Cie qui promeut l’agriculture « régénérative » (jusqu’à 170 références), du vin en partenariat avec la société Le Petit Ballon (environ 40 références) et des produits frais en libre-service (fromages, crémerie, charcuterie). Le paradis n’est plus très loin. Les magasins Potager City seront également un point de retrait pour les paniers de fruits et légumes qui pourront être commandés directement sur le site e-commerce de l’enseigne.

Depuis que Grand Frais fait partie des enseignes préférées des Français et que les paniers de petits producteurs ont été adoptés par de nombreux bobos urbains, c’est peu dire que l’imaginaire de la campagne est devenu le nouveau Graal du commerce. Pas un secteur n’y échappe. La cosmétique, avec son offre From Farm to Face (FtoF), la restauration aussi, et tant pis si le lierre qui tombe des plafonds de leurs établissements et les fleurs qui ornent leurs façades sont en plastique made in China. L’idée de déjeuner sous la tonnelle est bien là.

A Lyon, le Botani Café propose une « bistronomie créative et réconfortante » au sein d’une jardinerie urbaine. Une carte des plantes est disposée sur les tables pour en préparer l’achat et des plats végétaux occupent une large part des menus avec moult plantes aromatiques cultivées sur la terrasse. Hyper malin et tellement réjouissant. Parions que demain, les espaces de restauration se multiplieront dans les jardineries à la vitesse des fourmis. Les Food Courts seront alors oubliés et on ne parlera plus que de Food Gardens.

Le nouvel art de la table

Après avoir ouvert des restaurants et débauché des chefs, comment s’étonner que les marques de luxe se retrouvent désormais dans les assiettes, les couverts et les verres ? L’art de la table, que l’on croyait appartenir à une époque révolue, faite de listes de mariage et de conventions sociales, retrouve de sa vigueur. On se croirait revenu aux années 50. Décidément, le monde d’après ne ressemble en rien à la manière dont on l’imaginait pendant la crise sanitaire. Bonne nouvelle.

Comment expliquer cette renaissance de l’art de la table ? Il y a d’abord, et bien sûr, l’appétit insatiable des marques de luxe, toujours désireuses d’acquérir ce qui pourra leur permettre de valoriser leurs propres offres. Difficile de ne pas lorgner du côté de la cristallerie quand on produit des grands vins ou du champagne, de négliger les assiettes quand on possède de grandes tables et de ne pas penser nappes et couverts quand on fabrique des bagages. L’art de la table n’incarne-t-il pas le lifestyle auquel toutes les marques de luxe aspirent ?

Une autre explication viendrait de la crise sanitaire : enfermés chez eux, les Français n’auraient pas seulement retrouvé le plaisir de cuisiner, mais aussi celui de passer à table et de « faire » une belle table puisqu’ils en avaient le temps. Depuis la fin du confinement, diverses études tendent à prouver qu’ils sont maintenant traversés par une sorte de flemme, de moindre envie de faire des efforts et de sortir de chez eux, ce qui leur ferait privilégier l’idée de recevoir à la maison. Notons aussi que les repas proposés par les restaurants se présentent désormais comme des expériences globales au sein desquelles les plats servis ne constituent qu’un des éléments. L’architecture, la décoration, l’ambiance musicale, et donc l’art de la table, y jouent pleinement leur rôle.

Enfin, la table n’échappe pas au trait de notre époque consistant à transformer chaque action de la vie quotidienne en support d’expression personnelle. Chaises, assiettes et verres dépareillés sont ainsi devenus les nouveaux emblèmes de l’originalité convenue et le mélange du neuf et du vintage, l’étendard de la créativité attendue. Jouer avec les styles pour afficher sa singularité et affirmer son sens du chic : le mix and match de la mode en version art de la table. Sitôt composée, la table sera donc photographiée puis mise sur les réseaux pour ne pas manquer de flatter l’égo. L’art de la table commence par l’art de montrer sa table.