Les communications des acteurs du tourisme sont toujours révélatrices des attentes du moment. Longtemps il fallait partir très loin pour se dépayser et pouvoir dire « qu’on l’avait fait ». Il s’agissait, alors, surtout « d’avoir vu ». Puis, vint le temps des voyages éclairs dans une capitale européenne, trois jours, deux nuits à prix cassés, à peine des souvenirs, mais une expérience. Là, il s’agissait d’abord de vivre un moment. Depuis le confinement, et sous le coup du rappel permanent de la fragilité de la planète, les voyages sont désormais envisagés d’une toute autre manière. Trois grandes catégories dominent.
Il y a les voyages expérientiels, toujours très appréciés des trentenaires, qui consistent à vivre des moments uniques et à le faire savoir sur les réseaux. Des exploits physiques, surtout. Des moments gastronomiques, parfois. Il y a les voyages empathiques et responsables où tout a été pensé pour respecter l’autre et l’environnement. Le prix de la culpabilité s’y mesure en CO2 émis et en compensations carbone. Et, enfin, les voyages existentiels conçus pour nous faire grandir et élargir notre conscience. Les territoires géographiques au service des territoires intimes. Notons au passage que les traditionnelles motivations culturelles, nourries de musées, de sites et d’églises sont un peu passées au second plan. Comprenez : réservées aux Boomers.
Dans sa dernière communication, Evaneos, qui se présente comme « une agence de voyage pas comme les autres » (qui aurait envie d’une autre définition ?) nous propose de « voyager vrai » en nous mettant en relation avec « des experts locaux, engagés, qui connaissent la destination mieux que personne ». Le vertige procuré par l’inconnu, la sensation d’avoir perdu ses repères, inhérente à l’expérience du voyage, sont ici réduits, amortis, puisque des experts locaux se chargent de médiatiser notre relation à l’inconnu, de nous l’expliquer à partir de nos repères, de nos centres d’intérêts et de nos valeurs. Le monde est mis à notre disposition pour que nous ayons le sentiment d’être à l’aise partout tout en bénéficiant d’un supplément (contrôlé) de dépaysement. L’ailleurs vu par l’ici.
Dans leur dernière communication, les apart’hôtels Adagio nous jouent la même partition en nous promettant de « séjourner en ville comme si on y habitait ». Quand séjourner devient synonyme d’habiter, l’ailleurs est déjà familier. Les touristes ont disparu. Place aux citoyens du monde.