Jamais la consommation ne nous a imposé autant de nouveaux gestes. Bien réfléchir avant de vider ses poubelles, ne pas oublier de rapporter ses piles et ses ampoules, prendre l’habitude d’avoir toujours un tote bag sur soi, penser à apporter ses propres boites chez le traiteur et à réutiliser les sacs en papier kraft chez le marchand de fruits et légumes… Dépenser, c’est d’abord penser.
Dernier geste en date à (vite) intégrer à ses habitudes : le vrac. Le fantasme du produit brut, là, sous nos yeux, sans l’intervention des marques, de leurs cartons d’emballage, de leurs contenants en plastique et même de leurs belles images. Enfin libres ! Vraiment ? Pour les produits d’épicerie sèche sans marque, ok. Mais pour tous les produits que nous avons découvert avec la caution d’une marque, pas si simple.
De toutes les nouvelles habitudes prises, acheter en vrac est sans doute celle qui est la plus dérangeante car le vrac vient modifier nos critères habituels d’évaluation. Et incidemment, attirer notre attention sur le prix… Si tout le monde a une petite idée de ce que coûte un paquet de biscuits, qui sait combien il pèse ? Quel poids de pâtes faut-il acheter pour nourrir quatre personnes ? Combien de grammes de poivre pour remplir une poivrière ? Des questions que nous ne nous étions jamais posées.
Le vrac vient aussi faire naître en nous un sentiment étrange, proche de celui que ressentent les enfants qui partent seuls en vacances pour la première fois. Entre liberté et abandon. Les « suggestions de présentation » qui excitaient nos papilles, même si nous nous attendions à être déçus, ont disparu. Tout comme les recommandations, les idées de recettes qui stimulaient notre imagination et les évocations de Provence qui mettaient du soleil dans nos assiettes.
Certes, une enseigne comme Day by Day parvient à proposer du vrac tout en ménageant une place pour les marques telles Kellogg’s, Babybel, Danone et Lustucru Mais si elles sont encore peu nombreuses, c’est parce que plonger dans le vrac, c’est pour elles plonger sans leurs story-tellings, sans leurs packagings, sans leurs belles images. Dans le vrac, ce ne sont pas les produits qui sont nus, mais les marques. Leur part de rêve est partie, ne reste plus que le produit. Les voilà en vrac à se demander comment elles pourraient se reconstruire pour retrouver leur pouvoir de séduction.