Quand le cinéma veut représenter la France qui souffre, la France qui se lève tôt, celle pour qui la vie est un combat, il choisit souvent la grande distribution comme décor. Des caissières qui ont mal au quotidien, des vigiles victimes du système, des entrepôts froids au pied desquels des femmes en blouse viennent fumer leur pause, des parkings blafards, des patrons d’enseignes méfiants ou pervers : qui n’a jamais croisé cette typologie de caractères et de scènes dans un film ou un téléfilm ?
Mais quand la distribution veut parler d’elle, elle choisit de se tourner vers les grands sentiments qui irriguent les écrans. Les belles histoires d’amour ne sont jamais très loin des gondoles. Pour preuve, les deux « œuvres » de plus de trois minutes (autant dire des courts métrages) imaginées tour à tour par Intermarché et Monoprix.
Dans le premier, il tombe amoureux de la jolie caissière et fait tout pour passer le plus souvent possible à la caisse. Quand on aime, on ne compte pas. Emporté par ses sentiments, il décide de mettre à profit ces passages pour modifier son alimentation. Acheter des tomates, des melons et du céleri, c’est quand même plus sexy que des pizzas, non ? Ils finirent heureux et ensemble sur une mobylette.
C’est aujourd’hui au tour de Monoprix d’empoigner son violon pour nous jouer le même air, mais avec une corde supplémentaire : celle de l’enfance. Au collège, un ado laisse dans le casier de sa dulcinée des messages d’amour qu’il a pris soin de concocter à partir de jeux de mots prélevés sur les packagings des produits Monoprix. Un jour, elle déménage et disparaît. Quelques années plus tard, sans que l’on comprenne bien comment et pourquoi, ils se retrouvent devant leur casier, mais à la fac cette fois, et reprennent leur correspondance amoureuse sur fond d’étiquettes de packaging et de musique sentimentale. Heureusement que Monoprix est toujours là.
L’évidente proximité de ces deux films, tant dans leurs intentions que dans leur calendrier de diffusion, vient nous confirmer l’ambition actuelle des enseignes : modifier leur image en transcendant la nature du quotidien. Il ne s‘agit plus ici de proposer un quotidien marchand, fait de produits, de prix et de promos, mais un quotidien émotionnel qui dépasse le réel pour parler à chacun. Après le temps des preuves, voilà celui des valeurs. Les rayons deviennent des lieux de vie et de liens et les enseignes des metteurs en scène de nos sentiments. La théatralisation n’a pas disparu des préoccupations de la distribution, elle a juste changé d’objet.