La dernière tocade du moment sur les réseaux (on n’ose pas parler ici de tendance vu la vitesse à laquelle ces engouements se succèdent) se nomme Grazing platter (étymologiquement Plateau de pâturage…), cumule quelques 400 000 publications sur Instagram et consiste à réaliser des planches avec des produits sucrés et/ou salé en veillant à ce qu’elles soient toujours spectaculaires, tant par leur opulence que par l’harmonie visuelle de leur composition. Spectaculaire est ici un mot « compte triple ». Le phénomène serait apparu au pays des kangourous, sans que l‘on sache vraiment s’il constitue un bond dans les nouvelles pratiques alimentaires.
Il est quand même intéressant de voir comment ce qui n’était à l’origine qu’un support cool et écoresponsable, une planche en bois conçue pour valoriser un moment de plaisir coupable (fromage et charcut’), est devenu au fil du temps, un enjeu à la fois économique et pyscho-sociologique comme c’est souvent le cas avec une activité née sur les réseaux.
Un enjeu économique car, face aux tensions qui traversent actuellement le pouvoir d’achat, les dîners se font de plus en plus occasionnels obligeant les acteurs de la restauration à inventer de nouveaux rites, moins coûteux, certes, mais surtout capables d’assurer de la convivialité (comprenez : le partage au service de la marge). Et un enjeu psycho-sociologique puisqu’il s’agit de « charger » une proposition anodine de nouveaux défis qui auront pour effet de l’emporter vers une destination qui n’était pas celle initialement prévue.
Voilà comment une triviale planche de grignotage se trouve soudainement propulsée dans le champ esthétique et devient ainsi un défi à accomplir. Réussir sa planche cela peut aider à réussir sa vie. Pour y parvenir, les compositions effectuées devront pouvoir ravir tous les goûts (vegans et viandards déclinés en variations régionales), affronter toutes les saisons (planches indoor et outdoor) et répondre à toutes les occasions (apéritif, brunch, déjeuner, soirée entre potes) pour offrir une expérience unique où la diversité et la finesse des propositions rivaliseront avec une « symphonie » de textures, de couleurs et de saveurs. Tout un programme.
Avec l’apparition des Grazing platters, la vie quotidienne confirme sa mutation en une succession de petits challenges dont chaque réussite sera vécue comme un appréciable ego-booster. Voilà la consommation, une fois encore, mise au service de la construction de soi.
So What ?
Tous les produits alimentaires doivent avoir pour objectif de s’installer dans le champ esthétique. Pas seulement par le soin accordé à leurs packagings mais aussi par leur capacité à susciter des challenges créatifs…