Dans le monde de la mode, c’est peu dire que la question de la représentation est stratégique. Si certaines marques font le choix de ne montrer que leurs produits, la majorité d’entre elles fabrique des images qui mettent en scène leur idéal de cible dans des situations autant imaginées pour valoriser leurs créations que pour se différencier de leurs concurrents. Le résultat n’est pas toujours là, tant les vêtements finissent tous par se ressembler. D’où la tentation de remonter un cran plus haut, comprenez au niveau sociétal, car quoi de plus révélateur de notre époque que la manière dont nous sommes habillés ? Et puis c’est l’occasion de communiquer des valeurs, ce qui n’est jamais perdu par les temps qui courent.
Parmi les marques masculines qui ont fait ce choix, deux émergent particulièrement. Jules, pour qui, depuis la rentrée dernière, les hommes seraient des men in progress, habile manière de jouer avec un air du temps qui rebat les cartes des comportements de séduction, suggère de nouveaux archétypes et fait évoluer les rôles. Celio, ensuite, désormais bardée d’un Be normal revendicatif qui n’est pas sans rappeler son plus fameux slogan dont seuls les plus de quarante ans peuvent se souvenir : La mode, j’m’en fous.
D’un côté, un homme in progress qui souhaite se transformer pour devenir « meilleur » : plus respectueux, plus conscient, plus ouvert… De l’autre, un homme qui dit stop et revendique son droit à ne pas bouger et à rester lui-même. Mais que peut bien signifier être normal dans l’univers de la mode, par nature marqué par l’idée de séduction, étymologiquement détourner du droit chemin ? Peut-on être normal dans un monde sous influence permanente où les réseaux sociaux ne cessent d’attiser la comparaison ? Et en être fier comme le suggère Celio qui confond avoir une vie « normée » et être « normal » ? On peut douter de la pérennité et de l’attractivité de la promesse, surtout auprès des moins de trente ans…
Si les deux approches décrivent avec justesse un homme désireux de s’affranchir des stéréotypes, les voies empruntées incarnent deux postures de marques opposées : certaines veulent accompagner leurs clients en collant au plus près à leurs modes de vie quand d’autres veulent les transformer en agissant sur leurs attitudes et leurs comportements. Laquelle des deux est la plus ambitieuse ?