Au restaurant, poser son téléphone sur la table, écran tourné vers le plafond et placé à côté de ses couverts, fait désormais partie des rites de la vie moderne. Une manière de garder sa vie à portée d’œil et de main car, on ne sait jamais… Dès que l’écran s’allume, la conversation se suspend tant ce qui surgit a plus de valeur que ce qui se vit. L’idée de « laisser » son téléphone dans sa poche ou son sac, voire de l’éteindre n’effleure plus qu’une minorité d’esprits.
Demain, il en sera peut-être de même avec les sacs à main iconiques si l’on en croit la maison Chanel lorsqu’elle nous rejoue, pour sa dernière campagne de pub, une des scènes mythiques du film « Un homme et une femme » de Claude Lelouch. Quand le couple commande un Chateaubriand à point avant de se reprendre pour finalement lui préférer une chambre, c’est en présence d’un sac matelassé aussi visible sur la table qu’un téléphone sur une nappe blanche. Mais si le téléphone est toléré, le sac, lui, est invité. Il est un peu comme le premier enfant de ce couple pas encore constitué.
On comprend bien qu’au regard de son prix, supérieur à 10.000 euros, on hésite à le poser par terre ou à l’accrocher au dossier de sa chaise. A l’inverse, vu son prix et sachant que c’est un « vrai », le plaisir de l’afficher s’en trouve décuplé. Tant pis pour l’élégance et la discrétion. Est-ce d’ailleurs la motivation des acheteurs de luxe ? Une nouvelle figure émerge ainsi : celle du sac de compagnie et, plus généralement, de l’objet personne.
L’objet traité comme une personne. Entre le chien bien dressé et l’enfant bien élevé. Quand on évoque un objet personne, il peut s’agir d’une relique (du latin reliquiae, restes) que l’on vénère en souvenir d’une personne disparue ou bien d’un objet d’art que l’on traite avec égard en raison de sa rareté ou encore d’un objet fétiche (du portugais feitiço, envoûtement, sortilège) avec lequel la relation d’usage a été modifiée (pervertie ?). Le sac Chanel relève de cette dernière catégorie. Il a cessé d’appartenir au monde des objets et ce qu’il provoque n’est pas loin de l’ensorcellement. Il n’est plus question de le posséder, de le porter, ni même, de l’acheter mais de le choisir en pensant à sa valeur de revente. Comme un investissement.
On a connu les sacs iconiques que l’on reconnait, puis les sacs trophées que l’on exhibe, voici à présent les sacs fétiches dont l’usage est oublié au profit de la valeur. Gardons quand même en tête que fétiche et factice partagent la même racine…
So What ?
Téléphones, sacs, lunettes de soleil, clés de voiture… certains objets continuent d’exercer leur pouvoir de séduction même « en pause » sur une table. Le signe l’emporte toujours sur la fonction.