Le secteur du café est sans doute le plus dynamique du paysage alimentaire. Au commencement étaient les origines. Chaque marque y allait alors de son répertoire géographique pour mieux nous faire rêver et se doter des signes d’authenticité indispensables à la construction de son image. Fini le temps simpliste des arabicas et des robustas. Les cafés des haut-plateaux, de Papouasie Nouvelle Guinée, les Blue mountain de Jamaïque déboulaient dans nos têtes et nos tasses, accompagnés d’adjectifs inédits autant que poétiques. Doux et suaves, fruités et équilibrés, amples et opulents. Qui pouvait résister ?
Puis vint le temps des machines. La performance au service du goût. De grains, le café avait muté en capsules faisant disparaître au passage tout geste humain et toute poésie. Ne restait plus qu’une carrosserie rutilante que l’on aimait exhiber. Cela ne pouvait pas durer. Un acteur worldwide, même accompagné de notoriétés plus locales, ne peut suffire pour porter un discours de qualité car la qualité est d’abord affaire de gestes. La main du gringo qui plonge dans le sac de grains pour en ressortir les meilleurs comme celle du barista qui dose le café et soigne sa mousse.
Pas étonnant, donc, que les cafés asiatiques aient actuellement le vent en poupe. Vietnamiens, philippins, taïwanais, coréens et même japonais. Hanoï Corner fut le premier à s’installer dans la capitale, il y a six ans, suivi par Shiba café, Laïzé, Kafé Buki ou encore Kapé, d’origine philippine. Après avoir été porté par les modèles français (la tasse et le comptoir, puis anglo saxon (le mug et le coffee to go), le café s’ouvre à présent sur l’Asie. Au Hanoï Corner, la machine à café a des allures vintage et l’odeur du petit noir se marie à celle de la noix de coco, spécialité du nord du Vietnam. Chez Kapé, les clients optent pour un « kapé de Filipina », un arabica des Philippines, ou un « ube latte », un latte agrémenté d’igname violet originaire de l’archipel qui lui donne un goût vanillé. Chez Kafé Buki, coffee shop japonais, les baristas prennent le temps de pratiquer l’aisukohi, une méthode d’infusion du cold brew consistant à verser directement de l’eau chaude sur du café moulu qui passera ensuite par un filtre.
Les cafés asiatiques viennent ainsi par une gestuelle spécifique renouveler les codes de leur marché pour mieux se distinguer, nourrir les réseaux et réactiver des souvenirs de voyages. Ils sont les nouveaux ambassadeurs de l’authenticité et signent le triomphe du geste sur la machine.