Plus le monde semble aller vite, plus chacun ressent le besoin de ralentir le jeu. Option slow ou pause. De même, plus un marché se sophistique, dans ses promesses comme dans ses offres, plus une envie de « normalité » peut se ressentir. Le normal comme une pause dans la course aux concepts. Mais qu’est-ce que la « normalité » dans un espace où tout est regardé, commenté, analysé et mis en scène ? Quelqu’un peut-il d’ailleurs encore se revendiquer comme « normal » ?
Pour preuve, le mot semble tellement peu assumable qu’il a été rapidement rebaptisé normcore, histoire de le doter du capital d’attractivité nécessaire pour que les bureaux de style et la presse fashion y prête attention. Résultat : tout le monde est soulagé. Ceux qui ne s’intéressaient pas à la mode ou à la déco se sentent tout à coup réintégrés au jeu de la modernité, voire de la branchitude. Et tous ceux qui s’envisagent comme « early adopters » en jetant leur dévolu sur des esthétiques douteuses se sentent ragaillardis dans leurs audaces. Le pire est donc à venir.
C’est ainsi qu’après avoir été honnies et associées à une faute de goût impardonnable, les chaussettes blanches et les écharpes de supporters de clubs de foot se retrouvent en haut de la pile, à condition, pour les secondes, d’être portées sur la tête comme un fichu de paysanne du monde d’avant. Les chaussettes blanches, elles, restent (pour le moment) au pied à condition de ne pas chercher à les cacher.
Conséquence de la vague normcore, il devient de plus en plus difficile de faire la différence entre « bon goût » et « mauvais goût » ou entre un prof d’histoire-géo donnant l’impression d’être toujours sur le point de partir en rando et un urbain branché équipé des même attributs « techniques » en gore-tex déperlant ou heat-tech régulant. Seul le ticket de caisse peut permettre de les différencier. Decathlon, Vieux Camper ou Arc’Teryx ?
Sous-famile du « normcore », le « gorpcore » (de « good old raisin and peanuts », encas des randonneurs à base de fruits secs), qui capte l’esthétique technique et profilée des sports de montagne, est aujourd’hui particulièrement dans l’air du temps, pour le plus grand bonheur des enseignes d’outwear. Sans doute un effet diffus du Covid, entre désir d’afficher sa forme, envie de grands espaces et penchant pour la performance stylée. Dans chaque salarié sommeille désormais un aventurier. Surtout s’il se déplace en vélo.
So What ?
Plus qu’une promesse issue d’un positionnement, tous les produits doivent désormais porter un imaginaire fort, capable de suggérer à leurs acheteurs une autre image d’eux-mêmes. Consommer pour devenir quelqu’un d’autre.