S’il n’est pas toujours facile de différencier le monde d’après du monde d’avant, il existe un indice imparable pour nous mettre sur la piste : il suffisait d’observer les vitrines des magasins et des restaurants qui s’adressaient à nous comme si nous étions leurs amis. Jusqu’à présent, nous étions, soit des clients, soit des clients fidèles, soit, parfois, des habitants du quartier, histoire de jouer la carte de la proximité territoriale, mais jamais plus.
Fin mars, les magasins ont commencé à multiplier les signes d’empathie à notre encontre. Des « promis, on se revoit » et des « on a hâte de vous revoir » propres à la période de confinement, suivis, dès le 11 mai, de « content de vous revoir », de « vous nous avez manqué », de « sans vous, c’était vraiment pas cool » et même de « we are happy to see you back at our stores », preuve que l’amitié est bien sans frontières. Toutes ces petites pancartes fixées sur les vitrines des magasins nous faisaient penser à ces banderoles suspendues aux balcons que l’on apercevait au cours de nos semaines confinées, pleines de dessins d’enfants, de petits cœurs et de bisous adressés aux représentants des métiers indispensables.
Les messages de vitrines viennent aujourd’hui nous confirmer que l’économie relationnelle a bien supplanté l’économie transactionnelle. Le client n’est décidemment plus en face du vendeur, il est à ses côtés… tout en respectant la nécessaire distanciation… L’image ne pourra qu’étonner les plus de quarante ans. Les autres sont habitués au brouillage des frontières. N’ont-ils pas déjà participé à des campagnes de crowdfunding ou aidé le lancement de start-ups dont ils ont aussitôt été les premiers et les plus fidèles clients ? L’entreprise est devenue une aventure et ses responsables sont comme des présidents de BDE : d’abord des élèves. Et quand les difficultés apparaissent, pas question d’évoquer sa trésorerie, les baisses de fréquentation ou d’envie d’acheter. A peine des soldes privés ou des ventes « privilèges », trop connotés « ancien monde ». Entre nouveaux amis, l’important est de ne rien laisser paraître pour ne pas casser l’ambiance. On est tous potes, non ?
Comme si tous les « chief happiness officers » avaient mis à profit leur temps de confinement pour diffuser leurs méthodes.